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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 28 octobre 1999, n° 98-2834

NÎMES

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

France Euro Performance (SARL), Savary, André

Défendeur :

Axa Conseil Vie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Conseillers :

MM. Bestagno, Bancal

Avoués :

Me d'Everlange, SCP Pomies Richaud Astraud

Avocats :

Mes Fourel, Archibal.

T. com. Avignon, du 5 mai 1998

5 mai 1998

Faits et Procédure - Prétentions et moyens des parties :

Attendu que le 13 février 1998, la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André ont assigné la Société Anonyme UAP-Vie devant le juge des référés du Tribunal de Commerce d'Avignon aux fins de faire rétracter l'ordonnance sur requête rendue le 30 décembre 1997 et qui a autorisé cette dernière société à faire procéder à la " saisie à titre conservatoire de tout fichier de clients " se trouvant dans ses locaux commerciaux ;

Attendu que par une ordonnance rendue contradictoirement le 5 mai 1998, le juge des référés du Tribunal de Commerce d'Avignon a rejeté la demande présentée par la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André et tendant à la rétractation de l'ordonnance sur requête du 30 novembre 1997 ;

Attendu que par déclaration en date du 16 juin 1998, la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André ont interjeté appel de l'ordonnance de référé du 5 mai 1998 ; que dans leurs écritures récapitulatives en date du 16 juin 1999 et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, les appelants demandent à la Cour :

- d'infirmer l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions ;

- de rejeter toutes les demandes présentées par la Société Axa Conseil Vie venant aux droits et obligations de la société UAP-Vie ;

- d'ordonner la restitution de l'ensemble des documents saisis ;

- de faire interdiction à la société Axa Conseil Vie d'utiliser les documents saisis ;

- de condamner la société Axa Conseil Vie à leur verser une somme de 600 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- de leur allouer une somme de 48 240 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Attendu qu'au soutien de leur appel, la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André font notamment valoir :

- que la mesure sollicitée par voie de requête ne présentait aucune des conditions de l'article 875 du Nouveau code de procédure civile ;

- que les dispositions des articles 494 et 495 du Nouveau code de procédure civile n'ont pas été respectées ;

- que la demande présentée par la SA UAP-Vie est une demande déguisée de production forcée de pièces ;

- que les articles 134, 145 et 146 du Nouveau code de procédure civile ont été méconnus ;

- qu'il y a eu fraude à la Loi ;

- que la mesure ordonnée est illégale et porte atteinte aux dispositions de l'article 9 du Code Civil ;

Attendu que dans ses écritures en date du 23 février 1999, la Société Axa Vie Conseil, déclarant venir aux droits et obligations de la société UAP-Vie sollicitent la confirmation de l'ordonnance déférée dans toutes ses dispositions ainsi que l'allocation d'une somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; qu'elle fait notamment valoir :

- que les conditions d'application des articles 874 et 875 du Nouveau code de procédure civile sont réunies en l'espèce ;

- que les articles 494 et 495 du Nouveau code de procédure civile ont été respectées ;

- que la mesure sollicitée était tout à fait licite ;

- qu'il n'y a pas eu violation de domicile ni atteinte au secret des affaires ;

Motifs de la décision :

Attendu que la recevabilité de l'appel interjeté par la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André n'est ni contestée ni contestable ;

Attendu qu'il résulte effectivement des pièces soumises à la contradiction des parties :

- que Messieurs Dominique Savary et Marc André étaient salariés de la Société Anonyme UAP-Vie au sein de laquelle ils étaient tous deux chargés, en leur qualité d'agent principal, de placer auprès de la clientèle du Gard et du Vaucluse les produits de capitalisation de cette société ;

- que le 24 juillet 1995, Messieurs Dominique Savary et Marc André ont constitué une société, la SARL France Euro Performance avec pour objet social le courtage et la gestion de patrimoine ;

- que le 20 octobre 1995, la Société Anonyme UAP-Vie a licencié Monsieur Marc André ;

- que le 24 novembre 1995, Monsieur Dominique Savary a démissionné de ses fonctions au sein de la Société Anonyme UAP-Vie ;

- que les 15 et 17 décembre 1997, la société UAP-Vie a assigné Messieurs Dominique Savary et Marc André devant les Conseils des Prud'hommes de Nîmes et d'Avignon aux fins de faire condamner ces derniers au paiement d'une somme de 600 000 F sur le fondement d'une clause de non-concurrence ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que la société UAP-Vie a déposé au Greffe du Tribunal de Commerce d'Avignon et le 19 décembre 1997 une requête intitulée " requête aux fins de saisie " ; que dans sa requête cette dernière société exposait :

- que la société France Euro Performance commettait des actes de concurrence déloyale en démarchant ses clients et en dénigrant ses produits ;

- que la société France Euro Performance utilisait le fichier-clients de l'UAP-Vie, détourné par Monsieur Dominique Savary ;

- que la société France Euro Performance avait embauché certains de ses anciens salariés et faisant partie de la même inspection ;

- qu'elle sollicitait, avant d'introduire toute action au fond, l'autorisation de procéder à " la saisie de tout fichier de clients, quelqu'en soit le support, y compris informatique, détenu par la société France Euro Performance, ainsi que par toute personne représentant la société France Euro Performance ou travaillant pour son compte " ;

- que " de telles saisies sont seules susceptibles de permettre à l'UAP de conserver les preuves utiles à ses actions et de mettre un terme aux démarchages déloyaux entrepris par la société France Euro Performance, ses salariés, son gérant, Monsieur Dominique Savary et un des associés de cette société, Monsieur Marc André, auprès de clients potentiels ou effectifs de la requérante dans le Gard, le Vaucluse et les autres départements limitrophes " ;

- que " la détention et l'utilisation par la société France Euro Performance du fichier comportant les coordonnées concernant les clients de l'UAP notamment dans le département du Vaucluse lui a directement permis de mettre en œuvre les démarches et actions commerciales relevées ci-dessus et constitutives d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de l'UAP " ;

- qu'il était " indispensable à la bonne exécution des procédures que l'UAP envisage de diligenter à l'encontre de France Euro Performance sur le fondement de la concurrence déloyale que l'UAP puisse conserver les preuves des actes susvisés " ;

Attendu qu'aux termes de l'ordonnance sur requête en date du 30 décembre 1997, le président du Tribunal de Commerce d'Avignon a autorisé la Société Anonyme UAP-Vie à :

- " procéder à titre conservatoire à la saisie de tout fichier de clients, quel qu'en soit le support, y compris informatique, détenu par la société France Euro Performance ainsi que par toute personne, représentant la société France Euro Performance ou travaillant pour son compte " ;

- " se rendre dans les locaux dans lesquels le fichier client, quel qu'en soit le support, y compris informatique, est détenu et utilisé, sis 62, rue Thiers, Résidence Thiers, Bâtiment C3 à Avignon (84) et dans tous les autres lieux nécessaires où aurait été exploité ledit fichier ou dans lesquels des copies des éléments figurants sur ledit fichier auraient été déposé " ;

- " visiter les lieux susvisés " ;

- " recueillir toutes les informations utiles aux faits de la cause " ;

- " enregistrer les déclarations des répondants et toutes paroles prononcées au cours des opérations en s'abstenant cependant d'interpellations autres que celles nécessaires à l'accomplissement de sa mission " ;

- " se faire assister pour l'ouverture des lieux par un serrurier " ;

- " se faire assister " compte tenu de la complexité d'un fichier client informatique " de tout expert informatique de son choix " ;

Attendu que le 3 février 1998, la Société Civile Professionnelle Dumas et Fernandes, huissier de justice, a dressé un procès-verbal de saisie faisant expressément référence aux articles 91 et suivants ainsi que 2100 et suivants du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 ; que l'officier ministériel a mentionné dans son procès-verbal avoir saisi à titre conservatoire et hors la présence de tout représentant de la société France Euro Performance :

- un bordereau de quittances à terme vie comptabilisées en février 1998 émanant de la Mutuelle du Mans Assurance Vie au profit de France Euro Performance ;

- un listing clients sur papier libre ;

- un livre intitulé " Affaires Réalisées " comprenant des écritures de Juillet 1985 à Octobre 1989 ;

- un livre intitulé " Enregistrement Production à Compter de Mars 1995 " ;

Attendu que la Cour constate :

- que la requête présentée le 19 décembre 1997 par la Société UAP-Vie et sollicitant une saisie ne visant aucun texte hormis une référence aux articles 874 et suivants du Nouveau code de procédure civile qui détermine les pouvoirs du président de la juridiction consulaire en matière de requêtes ;

- que l'ordonnance du 30 décembre 1997 rendue à la suite du dépôt de cette requête ne visait elle-même aucun texte précis hormis la mention des articles 874 et suivants du Nouveau code de procédure civile ;

- que l'huissier instrumentaire a procédé à une saisie conservatoire sur le fondement des articles 67 et suivants de la loi du 9 juillet 1991 et 210 et suivants du décret du 31 juillet 1992 ;

Attendu qu'il résulte clairement de la lecture des écritures de la société Axa Conseil Vie et des pièces soumises à la contradiction des parties que la société UAP Vie entendait par sa requête en date du 17 décembre 1997 :

- d'une part faire conserver des preuves qu'elle n'avait pas et dont elle supputait qu'elles pouvaient être en possession de la société France Euro Performance ;

- d'autre part faire cesser les actes de concurrence déloyale dont elle accusait la société France Euro Performance (cf. requête page 46) ;

Attendu qu'en l'état de ses écritures et de ses pièces telles que soumises à la contradiction des parties, la Société Axa Conseil Vie ne soutient pas et ne démontre pas que les conditions d'application des articles 67 et suivants de la loi du 9 juillet 1991 et 210 et suivants du décret du 31 juillet 1992 et tels que visés par le procès-verbal de saisie dressé par l'huissier instrumentaire seraient réunis en l'espèce ;

Attendu que dans ses écritures, la société Axa Conseil Vie ne précise ni ne démontre quelles seraient les circonstances qui exigeraient que la mesure " conservatoire " sollicitée par la requête du 17 décembre 1997 et ayant pour but de " mettre un terme aux actes de concurrence déloyale commis par la société France Euro Performance " ne soit pas prise contradictoirement ;

Attendu qu'il résulte des écritures déposées devant la Cour par la société Axa Conseil Vie que la requête présentée le 17 décembre 1997 était également fondée sur les dispositions de l'article 145 du Nouveau code de procédure civile et tendait ainsi à obtenir la " saisie conservatoire " de tout fichier de clients détenu par la société France Euro Performance " et ce pour établir avant tout procès la preuve des faits de concurrence déloyale allégués et pour en conserver la preuve ;

Attendu qu'il résulte des termes tant de la requête du 17 décembre 1997 que de l'ordonnance signée le 30 décembre 1997 que la mission confiée à l'huissier instrumentaire était en réalité ;

- de se rendre dans les locaux commerciaux de la société France Euro Performance ;

- de pénétrer dans les locaux de cette société, même en l'absence de ses représentants, et au besoin en se faisant ouvrir de force les portes par un serrurier ;

- de procéder à la fouille des locaux de la société France Euro Performance pour y rechercher " tout fichier de clients, quel qu'en soit le support, y compris informatique, détenu par la société France Euro Performance ainsi que par toute personne représentant la société France Euro Performance ou travaillant pour son compte " ;

Attendu qu'une telle mesure, ordonnée en outre sur requête, n'est nullement une mesure d'instruction légalement admissible au sens de l'article 145 du Nouveau code de procédure civile ; qu'aucune disposition du Nouveau code de procédure civile n'autorise un plaideur à faire perquisitionner les locaux commerciaux d'un éventuel adversaire dans le but de faire appréhender des documents très vaguement décrits et dont il suppose que ces derniers pourraient constituer la preuve de faits qu'il entend alléguer ultérieurement en justice ;

Attendu que la production forcée de pièces est régie par les articles 138, 139 et 142 du Nouveau code de procédure civile ; qu'hormis les cas expressément prévus par la loi, un plaideur ne saurait obtenir l'appréhension de document par voie de confiscation ou de saisie ; que la Société Anonyme UAP-Vie n'a invoqué aucun texte législatif ou réglementaire particulier au soutien de sa demande de " saisie " de " tout fichier de clients " ;

Attendu que par son caractère très général et tendant à la " saisie " de tout fichier de clients, la mesure telle que sollicitée et autorisée n'assurait pas de façon efficace le secret des affaires dés lors que la Société France Euro Performance avait pour activité de placer les produits financiers d'autres sociétés que l'UAP-Vie ;

Attendu que la Société Anonyme Axa Conseil Vie, à qui incombe la charge de la preuve, ne justifie pas qu'elle aurait un motif légitime à faire procéder à une " saisie " de " tout fichier de clientèle " ; qu'en l'état des pièces versées aux débats, les actes de concurrence déloyale dénoncés par la société UAP-Vie ne sont pas suffisamment caractérisés ; que les faits allégués pourraient aussi être interprétés comme des comportements normaux entre sociétés concurrentes ;

Attendu qu'il convient en conséquence d'infirmer l'ordonnance de référé du 5 mai 1998 et statuant à nouveau de rétracter l'ordonnance sur requête du 30 décembre 1997 ;

Attendu qu'ainsi le demandent la SARL France Euro Performance , Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André, il y a lieu d'ordonner à la société Axa Conseil Vie de restituer les pièces en original ou en photocopies dont elle est entrée en possession à la suite de la mesure ordonnée par la décision rétractée ;

Attendu qu'il appartiendra à la société France Euro Performance ainsi qu'à Messieurs Dominique Savary et Marc André d'invoquer tous les moyens de droit tirés de la rétraction de l'ordonnance sur requête du 30 décembre 1997 au cas où la société Axa Conseil Vie invoquerait en méconnaissance du présent arrêt , les pièces ayant fait l'objet du procès-verbal d'huissier du 3 février 1998 ;

Attendu qu'il appartiendra à la société France Euro Performance ainsi qu'à Messieurs Dominique Savary et Marc André de saisir le juge du fond de leur demande tendant à faire constater que la société UAP Vie aurait eu à son encontre un comportement fautif et à la faire condamner au versement de dommages-intérêts ;

Attendu qu'il convient de condamner la société Axa Conseil Vie qui succombe de verser aux appelants la somme de 20 000 F par application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'à supporter les dépens ;

Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement par décision contradictoire, Déclare recevable l'appel interjeté par la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André ; Au fond Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau Rétracte l'ordonnance sur requête en date du 30 décembre 1997 ; Dit n'y avoir lieu à faire droit à la requête déposée le 17 décembre 1997 ; Y ajoutant Fait injonction à la société Axa Conseil Vie de restituer à la société France Euro Performance toutes les pièces en original et en photocopie et ayant fait l'objet du procès-verbal dressé le 3 février 1998 par la SCP Dumas et Fernandes, huissier de justice ; Rejette les autres demandes présentées par la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André ; Condamne la société Axa Conseil Vie à payer à la SARL France Euro Performance, Monsieur Dominique Savary et Monsieur Marc André la somme de 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Condamne la société Axa Conseil Vie aux dépens et autorise Maître d'Everlange, titulaire d'un office d'avoué, à en recouvrer le montant aux formes et conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.