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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 27 octobre 1999, n° 1996-14527

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Atelier Quatre (Sté)

Défendeur :

Imprimerie Perfect (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Marais

Conseillers :

M. Lachacinski, Mme Magueur

Avoués :

SCP Monin, Me Bolling

Avocats :

Mes Chapoullie, Simon.

TGI Créteil, 3e ch., du 27 mars 1996

27 mars 1996

Faits et procédure

La société Atelier Quatre, agence de conseil en communication, a embauché le 9 mars 1987 Gilles Turenne en qualité de directeur des ventes.

Par l'intermédiaire de celui-ci et de Jean Bourrel auquel elle s'était attachée les services dans le cadre de ce qu'elle appelle une " gentleman agreement ", la société Atelier Quart a conclu avec les services EDF-GDF un contrat de publicité pour l'année 1992 reconduit pour 1993, d'un montant annuel de 708.635 F TTC.

Après avoir mis fin pour le 28 décembre 1994 au contrat de travail qu'elle a conclu avec Gilles Turenne, la société Atelier Quatre a constaté, d'une part que celui-ci était devenu pour une durée de six mois se terminant le 30 juin 1995 le salarié de la société Imprimerie Perfect tandis que Jean Bourrel en devenait à compter du 3 janvier 1995 l'un de ses administrateurs, d'autre part que les services EDF GDF avaient confié par lettre datée du 14 novembre 1994 " suite à votre proposition du 14 octobre dernier " à la société Imprimerie Perfect " à l'attention de Jean Bourrel " le contrat de publicité à réaliser pour la période du 20 décembre 1994 au 2 janvier 1995.

C'est dans ces conditions que la société Atelier Quatre a assigné le 25 juillet 1995 la société Imprimerie Perfect devant le Tribunal de Commerce de Créteil pour qu'elle soit condamnée au titre des actes de débauchage et de concurrence déloyale commis à son encontre à lui payer les sommes de 215.000 F au titre de la campagne EDF Hiver 1994, 215.000 F pour la campagne EDF 1995, 100.000 F à titre de dommages et intérêts pour désorganisation de son entreprise et 20.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Imprimerie Perfect a conclu au rejet de l'intégralité des demandes formées contre elle et a sollicité la condamnation de la société demanderesse à lui payer la somme de 50.000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 20.000 F pour ses frais hors dépens.

Par jugement du 27 mars 1996, le Tribunal a rejeté l'intégralité des demandes formées par les parties opposées au motif que la société demanderesse ne démontrait les griefs allégués à l'encontre de la société Imprimerie Perfect laquelle ne justifiait également pas du préjudice qu'elle invoquait.

La société Atelier Quatre a interjeté appel du jugement susvisé par déclaration au greffe du 6 mai 1996.

Elle poursuit son infirmation en reprenant l'intégralité de ses demandes contenues dans son acte introductif de première instance.

La société Imprimerie Perfect conclut à la confirmation de la décision déférée à la Cour, sauf en ce qu'elle n'a pas fait droit à ses demandes de dommages et intérêts pour procédure abusive et accusation malveillante et sollicite paiement d'une somme de 100.000 F à ce titre ainsi que de la somme de 10.000 F pour les frais hors dépens de première instance et de celle de 10.000 F pour ceux engagés devant la Cour.

Sur quoi, la Cour,

- Sur les griefs de concurrence déloyale

Considérant que la société Atelier Quatre fait grief à la société Imprimerie Perfect d'avoir orchestré le détournement de la clientèle d'Atelier Quatre (le budget EDF) par les soins de Gilles Turenne, alors que celui-ci était encore " son " employé et qu'elle a promis en contrepartie d'employer et avec l'aide de Jean Bourrel qu'elle a nommé administrateur " ;

Qu'elle soutient avoir mené une prospection de plus de quatre ans pour nouer des relations et gagner la confiance d'EDF et avoir par l'intermédiaire de Gilles Turenne et Jean Bourrel effectué un investissement financier important pour obtenir ce budget pour les années 1992 et 1993 ;

Qu'elle dénonce le comportement de Jean Bourrel lequel n'étant pas un tiers par rapport à elle ne disposait d'aucun pouvoir pour l'attribution de ce budget EDF qui a été accordé à la société Imprimerie Perfect avec l'aide active de celui-ci et de Gilles Turenne qui demeurait son salarié jusqu'au 28 décembre 1994 pendant la campagne d'affichage litigieuse qui s'est déroulée du 20 décembre 1994 au 2 janvier 1995 ;

Qu'elle reproche encore à la société Imprimerie Perfect d'avoir eu à son égard un comportement déloyal en modifiant intentionnellement son objet social pour l'ouvrir aux prestations de communication, d'avoir économisé à son détriment des frais de prospection et profité des investissements qu'elle a exposés ainsi que des connaissances de Gilles Turenne et enfin d'avoir utilisé le même sous-traitant qu'elle pour faire réaliser les travaux de publicité commandés par EDF ;

Considérant que la société Imprimerie Perfect réplique ne pas avoir débauché Gilles Turenne qui a été licencié pour des motifs économiques par la société appelante et l'avoir régulièrement embauché par lettre datée du 29 décembre 1994 à compter du 2 janvier 1995 pour un salaire beaucoup moins élevé que celui perçu antérieurement, ne pas avoir commis de détournement fautif de clientèle au préjudice de la société Atelier Quatre dans la mesure où le contrat EDF lui a été spontanément apporté par Jean Bourrel à la suite du licenciement de Gilles Turenne ;

Qu'elle précise encore que la modification de son objet social ne constitue pas un fait de concurrence déloyale et soutient n'être à l'origine d'aucune manœuvre frauduleuse destinée à dénigrer ou à désorganiser la société Atelier Quatre ;

Considérant ceci exposé que si la compétition économique telle que caractérisée par l'offre de produits ou de services satisfaisant des besoins égaux ou proches par la conquête d'une clientèle ou d'une portion de marché est régie par le principe de la liberté de la concurrence, celui-ci est tempéré par le fait que tout procédé déloyal employé dans la lutte concurrentielle, constitue une faute qui engage la responsabilité de son auteur et le contraint à réparer les conséquences dommageables de ses actes ;

Considérant que la concurrence ainsi prohibée peut résulter de la violation d'une obligation contractuelle ou d'un fait de nature délictuelle ou quasi délictuelle ;

Considérant qu'il n'est pas contesté que Gilles Turenne était contractuellement lié en sa qualité de directeur des ventes à son employeur, la société Atelier Quatre, jusqu'au 28 décembre 1994 et que Jean Bourrel exerçait au profit de cette même société des fonctions de prospection de clientèle lesquelles, si elles n'étaient pas rétribuées, donnaient lieu à des défraiements divers qui ne sont pas contestés ;

Que si la clientèle en vertu des principes ci-dessus énoncés ne peut être considérée comme exclusivement attachée à une entreprise, la société Imprimerie Perfect se devait d'avoir à l'encontre de la société appelante un comportement loyal en n'employant pas les services tant de Gilles Turenne que de Jean Bourrel dans le but de s'approprier un marché jusqu'alors traité par la société Atelier Quatre ;

Qu'il est en effet démontré par la lettre datée du 14 novembre 1994 transmise par EDF GDF Services à la société Perfect Communication que dès le 14 octobre 1994, la société intimée lui avait offert ses services pour l'affichage de sa campagne à une date où tant Gilles Turenne que Jean Bourrel exerçaient encore leurs fonctions respectives au sein de la société Atelier Quatre ;

Qu'il est également établi par la comparaison des factures datées des 31 janvier et 30 décembre 1994 que les prestations fournies par la société sous-traitante Insert ainsi que les prix pratiqués sont exactement identiques pour les deux sociétés opposées démontrant ainsi que les travaux pour l'année 1993 étaient exactement les mêmes que ceux de la campagne 1994 ;

Que la société Imprimerie Perfect, en contractant avec EDF GDF Services pendant la période au cours de laquelle Gilles Turenne était encore le salarié de la société Atelier Quatre un contrat identique à celui que cette dernière avait conclu au cours des deux années antérieures avec le même organisme, en embauchant Gilles Turenne en qualité de salarié, fusse pour une durée de six mois et en attribuant à Jean Bourrel une fonction d'administrateur dans sa société à compter du 3 janvier 1995 a eu à l'encontre de la société appelante un comportement déloyal dans la mesure où elle a pu sans efforts de démarchage ou de prospection et sans engagement de frais particuliers bénéficier d'un marché qui ne lui était pas naturellement destiné et qu'elle n'a pu obtenir que grâce à l'accueil des deux personnes sus-visées en provenance de la société Atelier Quatre ;

Que la société Imprimerie Perfect ne peut pour contester la faute qu'elle a commise à l'encontre de la société Atelier Quatre soutenir que Jean Bourrel, en sa qualité de " conseil EDF, était " le décisionnaire " qui seul possédait le pouvoir d'affecter le budget de publicité de la campagne EDF à la société de son choix et qu'elle n'a fait que profiter passivement du marché qui lui était apporté ;

Qu'en effet, les contrats de publicité 1992 et 1993 avait été conclu entre la société Atelier Quatre et les services EDF-GDF et non pas entre ceux-ci et Jean Bourrel personnellement lequel ne pouvait accéder à la demande de Gilles Turenne " de confier la campagne d'affichage d'EDF à la société Perfect " au motif que ce dernier n'a pas eu son contrat de travail prolongé par la société Atelier Quatre jusqu'à son départ à la retraite le 30 juin 1995 ;

Que de l'aveu même de Jean Bourrel lequel a écrit dans une attestation : " ... Les choses évoluèrent en août 1994 lorsque Gilles Turenne m'informa qu'Atelier Quatre allait le licencier à la fin décembre 1994. J'ai donc approché Monsieur Moisant, Directeur d'Atelier Quatre afin de voir avec lui s'il n'était pas possible de garder Turenne jusqu'à sa retraite le 30 juin 1995 mais il m'a été répondu qu'il s'était mis d'accord avec l'intéressé et qu'il ne pouvait agir autrement. Par la suite, Gilles Turenne me confia que la société Perfect l'embaucherait pour une durée déterminée de six mois jusqu'à son départ à la retraite. J'ai donc pris contact avec cette société et nous nous sommes mis d'accord pour une collaboration. J'ai été nommé administrateur de la société et tout naturellement, je lui ai confié le budget EDF 1994 ... ", le transfert du contrat EDF au profit de la société Imprimerie Perfect a été la conséquence directe du licenciement de Gilles Turenne par la société Atelier Quatre ;

Qu'il s'en déduit que ladite société laquelle justifie des avantages financiers qu'elle a pendant de nombreuses années consentis tant à Jean Bourrel qu'à Gilles Turenne qui ne les contestent pas dans le but d'approcher EDF afin de conclure des contrats de publicité a été déloyalement concurrencée par la société Imprimerie Perfect qui a accepté au détriment de la société Atelier Quatre de promouvoir la publicité d'EDF que Jean Bourrel lui proposait ;

- Sur le préjudice :

Considérant que la société Atelier Quatre est en droit d'obtenir réparation de son préjudice en raison des marchés EDF qu'elle n'a pas obtenu en 1994 et en 1995 du fait de la société Imprimerie Perfect ;

Considérant que la campagne de publicité ayant été facturée par la société Atelier Quatre à EDF pour la somme annuelle de 597.500 F HT en 1992 et en 1993 et le coût des travaux effectués par la société Insert s'élevant à la somme annuelle de 365.725 F HT, la demande d'indemnisation formée par la société intimée pour un montant total de 430.000 F est justifiée ;

Considérant que la désorganisation de l'entreprise n'étant en revanche pas démontrée, la société Atelier Quatre devra être déboutée de sa demande de ce chef ;

- Sur la demande reconventionnelle :

Considérant que la société Imprimerie Perfect ayant succombé en cause d'appel, sa demande reconventionnelle pour procédure abusive sera rejetée ;

- Sur les frais hors dépens :

Considérant qu'il convient d'allouer à la société Atelier Quatre la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Que la société Imprimerie Perfect sera en revanche déboutée de sa demande de ce chef ;

Par ces motifs : Infirme le jugement rendu le 27 mars 1996 par le Tribunal de Commerce de Créteil en toutes ses dispositions, Et statuant à nouveau, Condamne la société Imprimerie Perfect à payer à la société Atelier Quatre la somme de 430.000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice, Rejette les autres demandes formées par les parties, Condamne la société Imprimerie Perfect à payer à la société Atelier Quatre la somme de 20.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne la même société aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP Monin, avoué, dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.