CA Grenoble, ch. com., 21 octobre 1999, n° 97-03974
GRENOBLE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Calzados Magnanni (Sté)
Défendeur :
Shoes Général International (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Beraudo
Conseillers :
M. Baumet, Mme Landraud
Avoués :
SCP Calas, SELARL Dauphin & Neyret
Avocats :
Mes Rambaud, Arduin
Attendu que la société SGI, cliente de la société Magnanni fabricant de chaussures, depuis novembre 1993, pour les saisons hiver-été 1994, affirme s'être adressée, à nouveau, à la société Magnanni, à l'automne 1994, pour lui commander la fabrication de chaussures, devant être commercialisées sous la marque Pierre Cardin, pour la saison d'été 1995 ;
Qu'elle indique avoir passé différentes commandes entre le 03 octobre 1994 et la 17 janvier 1995 pour un total de 8 651 paires ;
Que la société Magnanni nie avoir reçu une telle commande ;
Que la société SGI affirme avoir appris au téléphone le 19 janvier 1995, le refus de livrer de la société Magnanni ;
Que la société SGI dit avoir eu recours à des fabricants de remplacement mais trop tard pour livrer à temps les détaillants qui lui ont retourné 2 125 paires invendues, pour un montant total de 712 879 F ;
Que la société SGI allègue, également, une perte d'image commerciale auprès des détaillants mécontents des livraisons tardives ;
Attendu que, par ailleurs, la société SGI allègue que la société Magnanni a commercialisé directement 800 paires de chaussures de marque " Pierre Cardin ", en métropole et surtout dans les départements et territoires d'outre-mer ;
Attendu, en outre, que la société SGI se plaint de ce que la société Magnanni a copié le modèle de chaussure Pierre Cardin dont elle lui avait confié la fabrication et le commercialise en Europe et dans les départements d'Outre Mer sous la dénomination " Cartoufle " ;
Que la société Magnanni contredit ces affirmations en indiquant qu'elle a toujours commercialisé sur le marché français ses fabrications sous ses propres marques " Julio Blanco " et " Magnanni "
Qu'elle ajoute que le modèle de chaussure litigieux, de forme mocassin souple, est très courant et se trouve largement représenté sur le marché ;
Sur ce :
Attendu, sur le droit applicable, que les deux parties admettent que la Convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises régit leur contrat pour avoir été conclu entre un vendeur et un acheteur établis dans des Etats différents, parties à la convention, et pour avoir comme objet une vente de marchandises à fabriquer dont les éléments matériels essentiels -autres que les semelles et une décoration métallique caractéristique de la marque Pierre Cardin- nécessaires à la fabrication, ont été fournis par le vendeur ;
Attendu, sur la réalité de la commande passée par la société SGI, que la société Magnanni se fonde sur l'article 18.1 de la Convention de Vienne et fait valoir que son silence ou son inaction à eux seuls ne peuvent valoir acceptation " ;
Qu'il convient que la Cour se penche sur les pratiques suivies par les parties lors des commandes précédentes et examine les circonstances de fait qui entourent le présent litige ;
Attendu que la société Magnanni ne produit pas d'acceptation de commandes pour les commandes passées en 1993 ; que la COUR en déduit qu'elle fabriquait sans faire connaître son acceptation à la société SGI ;
Qu'à partir d'un discriminant fondé sur la forme informatique ou manuelle des bons de commande, la société Magnanni opère des déductions ayant trait à l'existence ou à l'absence de commande ; Mais que la société SGI est maître de se moderniser en utilisant l'informatique pour passer commande à la fin de l'année 1994 ;
Que la Cour ne suit pas la société Magnanni dans ces déductions ; Que les bons de commande manuels auraient pu aussi bien que des listes informatiques être forgés pour les besoins du procès ;
Qu'en outre, la Cour observe que l'attestation de Monsieur Lautiat, en date du 20 septembre 1996, prolixe sur le mode de paiement des commandes, est taisante sur les formes revêtues par les commandes qu'il transmettait ;
Qu'il résulte des pratiques suivies par les parties, en 1993 et début 1994, que la société Magnanni exécutait les commandes sans exprimer son acceptation ;
Que l'appel aux dispositions de l'article 18.1 de la Convention de Vienne est donc inopérant ;
Attendu, sur la preuve de la commande afférente aux chaussures de l'hiver 94-95, que la société SGI verse aux débats les listes informatiques dont la société Magnanni affirme qu'elle ne les a pas reçus ;
Qu'elle produit aussi des échanges de correspondances et de télécopies intervenues les 17, 19, 20 et 24 janvier 1995 portant sur le refus de livrer de la société Magnanni dans lesquels cette dernière ne mentionne pas qu'elle n'a pas reçu commande ; Qu'avec retard, le 24 janvier, en réponse à une télécopie du 19 janvier, elle précise en termes abstraits, qu'elle n'a pas changé d'idée à propos de ce qu'elle disait la semaine précédente et offre de restituer le matériel de fabrication qui est la propriété de la société SGI ;
Que la société Magnanni ne produit aucun écrit, en réponse aux nombreuses correspondances de la société SGI s'étalant jusqu'au 31 mars 1995, où elle aurait affirmé ne pas avoir reçu commande ;
Et que la société SGI produit encore une commande de chaussures d'échantillon passée, en juillet 1994, pour être exécutée le 22 août 1994 ;
Que cette commande a donné lieu à une facturation de la part de la société Magnanni en date du 23 août 1994 ; Que cette facture porte le n°304 ;
Que, dans une lettre du 29 novembre 1994, la société Magnanni réclame le paiement de cette facture 304 " envio de Muestras " (envoi d'échantillons) ;
Que la société Magnanni qui avait fabriqué les échantillons de la saison d'été 1995 et n'avait pas reçu de lettre les critiquant connaissait l'intention de la société SGI d'être présente sur le marché de la chaussure pour l'été 1995 ; Que, conformément à l'article 8.1 de la Convention de Vienne elle devait interpréter " les indications et les autres comportements " de la société SGI " selon l'intention de celle-ci qu'elle connaissait " ;
Que même si elle n'avait pas reçu de commande, elle devait, après avoir fabriqué des échantillons et être restée en possession du matériel original, tels les emporte-pièces de la société SGI, interroger la société SGI sur le sens à donner à l'absence de commande ;
Que la Cour a déjà indiqué que sa conviction est que la société Magnanni a reçu commande puisqu'elle ne l'a jamais nié devant les multiples correspondances indignée de la société SGI à elle adressées de janvier à mars 1995 ;
Que le refus d'honorer une commande reçue, sans motif légitime, en affirmant de façon mensongère qu'elle n'a pas été passée, constitue de la part du vendeur une contravention essentielle au sens de l'article 25 de la Convention de Vienne en ce qu'elle " prive substantiellement l'acheteur de ce qu'il était en droit d'attendre du contrat ;
Que la société Magnanni ne reprend pas, devant la Cour, le moyen subsidiaire présente devant le Tribunal que le refus de livrer était motivé par les difficultés rencontrées pour recevoir paiement ;
Attendu, sur le préjudice subi par la société SGI, du fait du refus de fabriquer et de vendre de la société Magnanni, que cette dernière verse aux débats des annulations de commandes et des refus de prise de livraison motivés par le retard de la livraison et la proximité de la période des soldes émanant de dizaines de détaillants ainsi qu'un nombre plus important d'avis de souffrance établis par la société de Transports Calberson pour des marchandises refusées ou non retirées ;
Qu'elle fait ainsi la preuve de son préjudice direct ;
Que la société SGI produit aussi des attestations de deux représentants faisant état du mécontentement des détaillants et des difficultés qu'ils rencontreront pour les conserver dans le futur ;
Mais que ces attestations en date des 06 et 11 juillet 1995 ne sont qu'hypothétiques au regard de la perte de clientèle pour les saisons futures et des rabais à consentir pour la conserver ;
Que l'article 74 de la Convention de Vienne prévoit, en réparation d'une contravention au contrat, des dommages et intérêts égaux à la perte subie et au gain manqué ; que la détérioration de l'image commerciale n'est pas réparée en elle-même si elle n'a pas entraîné un préjudice pécuniaire prouvé ;
Que la Cour confirme donc le jugement en ce qu'il a alloué 712 879 F en réparation du préjudice subi du fait du refus de livraison ;
Qu'elle le réforme en ce qu'il a condamné la société Magnanni à payer 100 000 F à titre de dommages et intérêts, en réparation de la perte d'image de marque ;
Attendu, sur le droit applicable aux actes de concurrence déloyale, qu'il est de tradition que la loi applicable aux délits civils est la " lex loci delicti "; Que, lorsque comme en l'espèce, les actes reprochés, de concurrence déloyale, ont été voulus dans un Etat et ont produit effet dans un autre, la jurisprudence statue que ce lieu s'entend aussi bien de celui du fait générateur du dommage que du lieu de réalisation de ce dernier; que la Cour, constatant que le préjudice dénoncé est situé par la société SGI sur le marché français, fait application du droit français ;
Attendu que le droit français sanctionne comme des actes de concurrence déloyale le fait de créer dans l'esprit de la clientèle une confusion de nature à rallier à l'auteur des actes la clientèle de son concurrent;
Qu'au vu des chaussures litigieuses, la Cour constate qu'il est de fait que les chaussures, en forme de mocassin, commandées par la société SGI, licenciée Pierre Cardin, portaient sur la languette, en cuir repoussé de même couleur que la chaussure, les lettre PR et que les chaussures de la société Magnanni, commercialisées sous la marque Julio Blanco comportaient au même endroit, en cuir repoussé de même couleur également, la lettre M, élargie de telle façon qu'elle occupait le même espace que les deux lettres PR ;
Qu'il est aussi de fait qu'à droite du bas de la languette, la société Magnanni a placé un motif métallique, certes plus petit, mais de même forme ronde que celui qui orne les chaussures portant la marque Pierre Cardin ;
Que ces ressemblances sont de nature à attirer la clientèle qui rechercherait normalement des mocassins Pierre Cardin;
Que le risque de confusion est délibéré, ainsi que le démontre la réponse faite par un détaillant de Lyon à Maître Fradin, huissier de justice :
Je n'ai pas le droit de vendre du Pierre Cardin, je ne vends que du dégriffé, c'est la même chose que les Cartoufles. C'est la maison qui fabriquait les Cartoufles Pierre Cardin qui fabrique ces chaussures.
Que la confusion règne dans l'esprit même des professionnels, puisque le magasin Audrey de Chambéry a adressé à la Société SGI, pour réparation, à cause d'un talon cassé, un modèle vendu par la société Magnanni sous la marque Julio Blanco;
Et que la société Magnanni ne justifie par aucune pièce son affirmation que les chaussures de type Cartoufle qu'elle commercialisait à Lyon, en 1996, étaient commercialisées par elle avant qu'elle lui soient commandées par la société SGI, en 1993, ni qu'elles sont des chaussures courantes sur le marché ;
Que la circonstance que les semelles choisies par la société SGI pour donner de la souplesse aux chaussures étaient fabriquées par la société Astra de Saint-Etienne et pouvaient être vendues à quiconque les achetait, n'est pas de nature à gommer l'imitation de la société Magnanni dès lors qu'elle n'est pas le concepteur de l'ensemble, empeigne, languette décorée en deux endroits et semelle ;
Qu'il résulte, encore, d'une lettre de la société Clervy de Birmingham adressée à ses clients, le 10 septembre 1996, que la société Magnanni se fait présenter comme un fabricant qui produit des chaussures classiques homme d'une qualité supérieure et indiquer que Pierre Cardin, Bailly et Jean-Louis Sherrer (France) sont clients de cette firme alors que le contrat portant sur la fabrication des chaussures portant la marque Pierre Cardin était rompu depuis janvier 1995 ;
Que l'entreprise Bergeron de Fort de France, en Martinique, fait état dans une lettre du 20 août 1996 des produits similaires à la Cartoufle Pierre Cardin dont la société Magnanni inonde le marché des Dommages et intérêts-Tom à un 540 F-480 F, alors que les marchandises fabriquées par SGI se vendent 790 F environ ;
Attendu, sur le préjudice subi par la société SGI du fait de la concurrence déloyale de la société Magnanni, que, tenant compte de la présence des produits d'imitation fabriqués par la société Magnanni sur les marchés de métropole et d'Outre-Mer ainsi qu'au Royaume-Uni, de la stagnation du chiffre d'affaires de la société SGI, en 1995, de sa baisse de 4,4 MF, en 1996, jusqu'à sa reprise en 1997, la Cour fait droit à la demande de dommages et intérêts à hauteur de 700 000 F ;
Attendu, sur la demande de 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile présentée par la société SGI, que la Cour constate qu'elle est inférieure au total des dommages et intérêts pour procédure abusive (50 000 F) et de l'indemnité au titre de l'article 700 proprement dite (20 000 F) sollicités par la société Magnanni ; Que la société SGI a donc eu une meilleure gestion économique des coûts internes et externes du procès ; Que la Cour fait droit à la demande ;
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, Après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement en ce qu'il a alloué à la société SGI 712 879 F (sept cent douze mille huit cent soixante dix neuf francs), à titre de dommages et intérêts pour faute contractuelle ; La réforme en ce qu'il a alloué 100 000 F (cent mille francs), à titre de dommages et intérêts pour perte de l'image de marque, préjudice non réparé par la Convention de Vienne indépendamment d'une perte subie ou d'un gain manqué ; Y ajoutant : Juge que la société Magnanni a commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant à son profit des chaussures de nature à provoquer la confusion avec les chaussures dont la société SGI lui avait confié la fabrication et à rallier la clientèle de celle-ci ; Condamne la société Magnanni à payer à la société SGI 700 000 F (sept cent mille francs) à titre de dommages et intérêts de ce chef ; Condamne la société Magnanni à payer 50 000 F (cinquante mille francs), à titre de dommages et intérêts à la société SGI ; La condamne aux dépens.