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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 30 septembre 1999, n° 99-2402

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Conserverie Davin (SARL)

Défendeur :

Traiteurs du Soleil (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Conseillers :

MM. Bestagno, Bancal

Avoués :

Me D'Everlange, SCP Aldebert Pericchi

Avocats :

Me Vertut, SCP Penard Marin.

T. com. Carpentras, du 12 mars 1999

12 mars 1999

Faits et procédure :

Par le jugement dont elle a interjeté appel, le 7 avril 1999, la SARL Conserverie Davin, convaincue d'agissements de concurrence parasitaire, a été condamnée à faire cesser immédiatement la commercialisation des produits présentés dans des conditionnements du type " chaudron " de la gamme " terrines provençales " (300 g) et de la gamme " recettes provençales " (580 g) revêtus des étiquettes ayant servi de support à l'action de parasitisme, à retirer lesdits produits dans un délai de huit jours, sous peine d'astreinte, et à payer à la Société " Les Traiteurs du Soleil " les sommes de 300 000 F, à titre de dommages et intérêts, et de 15 000 F, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens.

Selon les énonciations dudit jugement :

- La SA Les Traiteurs du Soleil dont le siège est à Embrun (05) a pour objet la fabrication et la commercialisation sous les marques " Louise Finet " et " Pot Gourmand " des produits alimentaires, tels que terrines ou plats cuisinés issus du terroir,

- la Société Conserverie Davin, dont le siège est à Carpentras, a pour objet une activité similaire,

- par exploit en date du 17 août 1998, la première de ces sociétés a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Carpentras statuant en matière commerciale la seconde à l'effet, sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, pour agissements parasitaires :

. de voir ordonner à la SARL Conserverie Davin le retrait immédiat de la vente de tous les produits litigieux présentés dans les conditionnements " stylisés chaudron " revêtus des étiquettes litigieuses (cavalier) sous astreinte de 2 500 F par jour de retard,

. de faire interdiction à la même société d'utiliser les conditionnements " stylisés chaudron " revêtus des étiquettes litigieuses (cavalier) pour la mise sur le marché et la commercialisation de ses produits,

. de prononcer l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- la Société Conserverie Davin ne peut soutenir utilement que la société demanderesse ne justifie pas d'une notoriété suffisante à l'appui de sa demande, ni de l'antériorité ;

- les produits de la Société Conserverie Davin représentent des copies quasi serviles, donnant le sentiment d'une communauté d'origine ;

- cette manière d'opérer traduit précisément une volonté de concurrence parasitaire, une impression d'ensemble étant recherchée, de nature à établir une confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne ne s'attachant pas exclusivement aux différences de détail ;

- Monsieur Gérard Torres, anciennement directeur commercial dans la Société Les Traiteurs du Soleil, a pu servir de vecteur à cette concurrence, qui apparaît bien dans un document émanant des Etablissements Davin intitulé " coordonnées fiche fournisseur " comme ayant la qualité de " directeur commercial ".

- les faits de parasitisme occasionnent nécessairement un préjudice résultant d'une perte de clientèle, qui mérite réparation sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil.

Moyens et prétentions des parties :

A l'appui de son appel la Société Conserverie Davin expose :

- que le chaudron de verre n'est pas une création de la Société intimée, qu'utilisent nombre d'autres entreprises du secteur agro-alimentaire :

- que les produits réellement commercialisés en 1998 par la Société " Les Traiteurs du Soleil " ne peuvent être confondus avec les siens ;

- que les verrines de 300 g ne sont plus commercialisées par son adversaire, qui ne justifie, par ailleurs, d'aucune notoriété ,

- qu'elle n'a jamais eu comme salarié Monsieur Torres, ancien directeur commercial de la Société " Les Traiteurs du Soleil " ;

- que la preuve n'est pas apportée d'une perte de clientèle.

Aussi la Société appelante conclut-elle au rejet de toutes les fins, demandes et conclusions de la SA " Les Traiteurs du Soleil " ; à la condamnation de cette dernière au paiement des sommes de 50 000 F, à titre de dommages-intérêts, et de 30 000 F, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens.

La Société " Les Traiteurs du Soleil " conduit à la confirmation du jugement entrepris, SAUF en ce qu'il a évalué son préjudice à la somme de 300 000 F ; à l'allocation d'une indemnité compensatrice de 450 000 F ; à la publication de l'arrêt à intervenir ; au paiement des sommes de 50 000 F, à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive, et de 35 000 F, au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, outre les dépens.

Sur quoi :

Attendu que sur des marchés identiques la Société Conserverie Davin a décidé d'introduire des produits de sa fabrication, relevant de la même spécialité que celle dont se réclamait la Société " Les Traiteurs du Soleil ", à savoir la préparation et la vente de plats cuisinés de qualité dite traditionnelle ;

Attendu que pour les produits dont s'agit les deux sociétés susmentionnées sont bien en situation de concurrence;

Attendu que les conditionnements de ces produits sont absolument identiques pour ce qui concerne l'utilisation de bocaux en verre reproduisant la forme d'un chaudron ancien, et d'un bandeau cartonné, où figurent les caractéristiques du produit ;

Attendu que des simples alignement et superposition de tous ces bocaux entourés de leurs cavaliers résulte une impression immédiate de similitude de forme, de couleurs et de présentation ;

Attendu que cette ressemblance frappante ne peut être, en effet, considérée comme le fruit du hasard, qui procède chez la Société Conserverie Davin, de la volonté délibérée, et parfaitement accomplie, d'imiter les produits de son concurrent, par la recherche et la reproduction des principaux caractères du conditionnement conçu antérieurement par la Société " Les Traiteurs du Soleil " ;

Attendu que pour le choix et la description de ces caractères il convient de se référer aux termes du jugement déféré, qui sont particulièrement appropriés et pertinents, et qui ne peuvent qu'être repris ;

Attendu qu'en glissant ses propres produits dans la masse de ceux exposés par un concurrent, dans le sillage duquel elle a voulu se placer, la Société Conserverie Davin a profité de l'attrait exercé par la présentation d'une gamme homogène et originale de produits sur la clientèle illégitimement abusée dans son choix par une confusion sérieusement organisée sur l'origine de produits apparemment semblables mais de provenance différente;

Attendu que la société appelante a ainsi fait acte de parasitisme, et exercé une concurrence dont le caractère déloyal se trouve amplement démontré par les premiers Juges ;

Attendu, toutefois, que la société intimée reconnaît et qu'il résulte de l'examen de son catalogue 1998, qu'au début de ladite année, une modification notable a été apportée dans la présentation de sa gamme de produits ;

Attendu, principalement, qu'à l'ovale d'un bleu presque noir à l'intérieur duquel figurait en lettres blanches la nature du plat cuisiné, et qui se trouvait entouré d'un bandeau ovale de couleurs différentes selon les produits, a été substituée, dans la même forme ovale, la reproduction d'un paysage alpin stylisé, entouré d'un bandeau pareil mais d'une couleur bleue, uniformément, pour tous les produits de la gamme;

Attendu que ce changement opéré par la Société " Les Traiteurs du Soleil " ôte présentement à la présentation de la gamme des produits Davin toute possibilité d'une confusion que ne caractérisait pas la seule combinaison d'une " verrine " (bocal en verre de forme chaudron) et d'un cavalier de forme ovale ;

Attendu que si pendant un temps les présentations classique (imitée) et nouvelle (catalogue 1998) des produits traiteurs du Soleil ont pu coexister sur le marché, il n'est pas établi qu'en maintenant sa présentation coexister sur le marché, il n'est pas établi qu'en maintenant sa présentation la société Davin a bénéficié de la clientèle attachée uniquement à la présentation ancienne des produits de la Société Traiteurs du Soleil comme cette dernière le prétend :

Attendu que celle-ci ne démontre pas qu'à ce jour la commercialisation de ses produits se poursuit actuellement sous l'ancienne présentation dont la Société Davin prétend qu'elle a définitivement disparu, et qui ne figure plus, en effet, sur le catalogue 1998 ;

Attendu que, présentement, les conditions ne se trouvent plus réunies d'une concurrence déloyale dont l'arrêt et la sanction pourront être, à nouveau, réclamés, s'il était démontré que la présentation classique des produits " Traiteurs du Soleil " était reprise;

Attendu qu'en raison du changement de présentation susmentionné et de l'absence de détournement d'une clientèle captée par la présentation dite classique des produits " Traiteurs du Soleil ", le retrait ordonné par les premiers Juges n'a plus, à ce jour, d'intérêt, ni l'arrêt de la commercialisation des produits de la Société Davin, présentés dans des conditionnements de type chaudron de la gamme " terrines provençales " et de la gamme " recettes provençales " (580 g) ;

Attendu, enfin, que si n'ont pu être fournis en première instance les résultats réels de l'exercice 1998, il en va de même, présentement ;

Attendu, cependant, qu'il n'est pas toujours fait état que de prévisions et que le bilan dudit exercice n'est pas produit, duquel pourrait, en effet, résulter la baisse alléguée du chiffre d'affaires ;

Attendu, ensuite, que le dommage subi du fait de la concurrence déloyale, dont il n'est justifié que pendant l'année 1998, consiste dans la seule marge bénéficiaire, et non dans le chiffre d'affaires lui-même ;

Attendu qu'en considération de ces deux facteurs l'indemnité compensatrice dudit préjudice doit être évaluée à la somme de 200 000 F ;

Attendu, à cet égard, que la preuve n'est pas établie que les référencements obtenus par la Société Davin auprès de la Centrale d'achat Promodes, et des distributeurs Auchan, Continent et Champion, sont le résultat de l'action personnelle de Monsieur Torres, ancien directeur commercial de la Société " Traiteurs du Soleil ", d'une part ;

Attendu, d'autre part, que la preuve dudit préjudice ne saurait résulter de l'augmentation du chiffre d'affaires de la Société Davin, à défaut de tout lien de causalité justifié entre cette augmentation et ledit préjudice ;

Attendu qu'en considération du bien fondé partiel des prétentions émises en cause d'appel par la Société Davin, celle-ci ne saurait, comme le réclame la Société intimée, être condamnée au paiement d'une somme de 50 000 F, que ce soit à titre d'amende civile, ou à titre d'indemnité pour résistance abusive;

Attendu, pour la même raison, que la demande de publication de la présente décision ne peut prospérer ;

Attendu que le bien fondé de la demande initiale demeurant en grande partie, formée par la Société Les Traiteurs du Soleil, et le principe de la condamnation étant confirmé, celle-ci ne doit pas supporter les dépens d'appel ;

Par ces motifs, la cour : Statuant publiquement, contradictoirement ; Déclare recevables en la forme les appels principal et incident ; Déclare non fondée la Société les Traiteurs du Soleil en son appel incident ; Confirme le jugement entrepris, sauf en ce qu'il a ordonné l'arrêt de la commercialisation des produits de la gamme Davin sous le conditionnement ancien, et le retrait desdits produits, d'une part, et en ce qu'il a évalué l'indemnité compensatrice du préjudice subi par la Société " Les Traiteurs du Soleil " à la somme de trois cent mille francs (300 000 F) ; Et statuant à nouveau sur ces deux points, Dit et juge n'y avoir lieu à arrêt de la commercialisation des produits Davin sous leur forme initiale, ni à retrait desdits produits, et déboute de cette demande la Société les Traiteurs du Soleil ; Evalue à la somme de deux cent mille francs (200 000 F) ladite indemnité compensatrice ; Condamne, en tant que de besoin, la Société Davin à payer à la société Les Traiteurs du Soleil ladite somme de deux cent mille francs (200 000 F), à titre de dommages-intérêts ; Déboute la Société les Traiteurs du Soleil de ses demandes de publication de la présente décision, et de sa demande de paiement d'une somme de 50 000 F ; Déboute la Société Davin de sa demande de dommage et intérêts pour résistance abusive ; Dit et juge n'y avoir lieu à application des disposition de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la Société Davin aux dépens d'appel, et autorise la SCP Aldebert Pericchi, avoués, à recouvrer directement ceux de ces dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.