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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 24 septembre 1999, n° 1996-15011

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

ACDC Productions (SARL)

Défendeur :

FR3 (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Régniez

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Olivier

Avocats :

Mes Théry, Le Floch, de Bouchony, de Paillerets.

T. com. Paris, 10e ch., du 14 juin 1996

14 juin 1996

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société ACDC d'un jugement rendu par le Tribunal de commerce de Paris qui l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de la société Nationale de Télévision France 3 et l'a condamnée au paiement d'une indemnité de 8 000 F par application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

ACDC, qui poursuit la réformation intégrale du jugement, indique agir sur le fondement de la concurrence déloyale et du parasitisme et reproche à FR3 d'avoir repris de manière quasi-servile dans des émissions Iktus et Destination Pêche des éléments d'un projet de magazine télévisé intitulé Sur le vif dont M. Nelson Cazeils lui avait consenti l'exclusivité de la réalisation et de l'exploitation par une lettre contrat du 21 octobre 1992. Elle fait grief au tribunal de l'avoir déboutée en retenant que la lettre contrat invoquée ne constituait ni une concession de droit d'auteur ni une convention de coproduction et n'avait connu aucune suite. Elle rappelle qu'elle n'invoque pas de droits d'auteur mais l'atteinte portée à l'option exclusive qui lui avait été accordée. Elle expose que les agissements de FR3 auraient vidé de sa substance le projet dans lequel elle avait engagé des efforts et des investissements importants et elle réclame que FR3 soit condamnée à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 6 315 544 F outre intérêts au taux légal ainsi qu'une indemnité de 40 000 F pour ses frais irrépétibles.

FR3 conclut à la confirmation du jugement et demande à la Cour de constater l'irrecevabilité de la demande de ACDC faute d'intérêt pour agir. Elle soutient que la lettre contrat qu'invoque son adversaire n'était qu'un projet qui ne lui transférait aucun droit et n'a pas été formalisé ni exécuté. A titre subsidiaire, elle soutient n'avoir commis aucune faute constitutive de concurrence déloyale et de nature à engager sa responsabilité. Elle réclame en toute hypothèse le débouté d'ACDC et demande que celle-ci soit condamnée à lui payer une indemnité de 30 000 F pour ses frais irrépétibles.

Par un arrêt avant dire droit du 5 mars 1999, la Cour a ordonné la réouverture des débats en relevant qu'alors qu'ACDC invoquait la lettre contrat conclue avec M. Cazeils à propos du projet Sur le vif, les éléments du dossier (un projet très similaire précédemment déposé par lui et Mme Fennec, sous le titre " Des poissons et des hommes ", des correspondances signées conjointement par M. Cazeils et Mme Fennec versées aux débats par ACDC) conduisaient à s'interroger sur la qualité d'unique auteur de M. Cazeils, et donc sur la force juridique d'une exclusivité qui aurait été consentie par un seul des deux créateurs sur des droits dont il n'aurait pu disposer seul.

A la suite de cet arrêt, ACDC, qui a conclu de nouveau, expose essentiellement que le contrat d'exclusivité établi en octobre 1992 ne visait que le projet Sur le vif, que celui-ci est différent du projet antérieur intitulé Des poissons et des hommes co-écrit par Mme Fennec et M. Cazeils, que M. Cazeils serait le seul auteur du projet Sur le vif ayant la nature d'une œuvre composite, et qu'il lui a valablement consenti l'exclusivité sur laquelle elle fonde ses prétentions.

FR3 relève qu'ACDC se prévaut exclusivement de pièces qui n'émanent que d'elle-même pour tenter d'établir la qualité d'auteur unique de M. Cazeils, et que " les pilotes de Sur le vif et Des poissons et des hommes ne diffèrent pas d'une seule virgule ". Elle fait valoir à nouveau que la lettre contrat du 21 octobre 1992 n'a transféré aucun droit à ACDC, qu'elle n'a jamais été complétée par les contrats ultérieurs dont elle prévoyait l'établissement et qu'ACDC ne justifie en conséquence d'aucun intérêt pour agir.

Sur ce, LA COUR,

Considérant qu'en ce qui concerne les faits - étant précisé que les vidéo cassettes communiquées par ACDC ont été visionnées par la Cour à l'audience - il importe d'indiquer :

- que le projet Sur le vif déposé au seul nom de M. Cazeils à la SACD par ACDC le 21 octobre 1992, soit le jour même de la signature de la lettre contrat qu'elle invoque, a été précédé d'un projet très similaire mais intitulé Des poissons et des hommes déposé conjointement par M. Cazeils et Mme Fennec à la SACD et la SGDL en 1991,

- que parallèlement à la présente action introduite contre FR3 devant le tribunal de commerce par ACDC invoquant son exclusivité sur le projet Sur le vif, M. Cazeils et Mme Fennec, ainsi que la société Nelfan à laquelle ils indiquaient avoir cédé leurs droits, avaient fait assigner FR3 devant le tribunal de grande instance en contrefaçon et concurrence déloyale en invoquant le projet Des poissons et des hommes,

- que par jugement du tribunal de grande instance en date du 12 mars 1997, devenu définitif, Nelfan a été déclarée irrecevable à agir (le contrat de cession qu'elle invoquait étant apparu avoir été antidaté) et les consorts Cazeils-Fennec ont été déboutés de leurs demandes tant au titre de la contrefaçon que de la concurrence déloyale, le tribunal estimant qu'il ne ressortait pas des grandes lignes du projet déposé que celui-ci aurait revêtu une nouveauté et une originalité particulières, et qu'on ne retrouvait pas dans les émissions incriminées le déroulement prévu par le projet invoqué ;

considérant qu'il ressort également du dossier :

- que la lettre contrat du 21 octobre 1992 signée par M. Cazeils et ACDC mentionnait un accord conférant à ACDC " l'exclusivité pendant deux ans du projet Sur le vif ... aux fins de réalisation et d'exploitation " et stipulait que les conditions financières de cette exclusivité seraient confirmées ultérieurement,

- qu'ACDC communique elle-même une lettre qu'elle a adressée à M. Cazeils le 30 mai 1994, en réponse à un courrier de l'avocat de celui-ci, dont elle indiquait que le contenu était totalement contraire à leurs conventions et partant inacceptable, et dans laquelle elle écrivait " ...non seulement vous refusez de formaliser la cession de droits dont nous étions convenus dès l'origine, mais encore vous niez semble-t-il le contenu de nos accords (...). Nous tenons à vous confirmer que nous n'entendons pas être privés, du fait de votre volte-face, de l'indemnisation du grave préjudice que nous subissons et qu'ainsi nous poursuivons en justice FR3 ",

- qu'ACDC ne verse aux débats qu'un seul échange de correspondances (des télécopies datées l'une et l'autre du 4 novembre 1992) avec M. Cazeils concernant le développement du projet Sur le vif, les trois autres télécopies par elles produites émanant de M. Cazeils, ou de celui-ci et de Mme Fennec conjointement, datées de février 1993 et février 1994, se rapportant aux emprunts qui auraient été faits par FR3 au projet Des poissons et des hommes,

- qu'ACDC ne justifie pas autrement le montant des dommages-intérêts (6 146 424 F) qu'elle réclame à FR3 qu'en indiquant qu'il correspond à la perte de chance et au manque à gagner résultant de la non-réalisation de 72 émissions et en affirmant qu'elle a exposé en pure perte des dépens relevant de ses frais généraux qu'elle estime à 169 120 F ;

Considérant qu'ACDC produisant un contrat du 21 octobre 1992 qui lui confère " l'exclusivité pendant deux ans du projet Sur le vif ... aux fins de réalisation et d'exploitation ", il sera admis que l'appelante justifie d'un intérêt à agir ; que l'exception d'irrecevabilité soulevée par FR3 sera rejetée ;

Considérant, sur le fond, que l'appelante expose dans ses conclusions signifiées le 28 octobre 1996 :

- qu'après avoir soumis le projet Sur le vif à TF1 et M6 qui n'ont pas donné suite à ses propositions, elle l'a également proposé au début de l'année 1993 à FR3 Paris, qui s'est montrée fort intéressée (et avec les services de laquelle ont été organisés deux rendez-vous le 25 février 1993 et le 17 mars suivant) mais dont par la suite elle n'a plus réussi à prendre l'attache,

- qu'elle a eu alors " la surprise en visionnant les émissions d'Iktus et en examinant un dossier de presse de France 3 PACA de découvrir que l'émission Iktus diffusée depuis octobre 1992 sur France 3 PACA reprenait de façon quasi-servile les éléments contenus dans le projet d'émission Sur le vif dans sa première version intitulée Des poissons et des hommes " ;

Considérant qu'ACDC qui soutient avoir relevé des similitudes fautives entres Des poissons et des hommes et Iktus développent longuement son argumentation à cet égard (pages 3 à page 7 de ses conclusions) ;

Considérant que ces griefs sont contestés par FR3 qui fait valoir notamment :

- que la première diffusion d'Iktus remonte à septembre 1992,

- que cette émission a été réalisée par M. Cornet à partir d'un projet d'émission intitulé Au fil de l'eau versé aux débats et qu'il avait déposé à la SGDL dès 1986,

- que les similitudes alléguées tiennent au thème commun des émissions et aux modes télévisuelles concernant les émissions d'un format de 26 minutes consacrées à la nature,

- que le tribunal, au demeurant, a écarté toutes les allégations des consorts Cazeils-Fennec concernant également de prétendus emprunts illicites à Des poissons et des hommes ;

Considérant, cela étant exposé, que les griefs ci-dessus rappelés d'ACDC ne peuvent manifestement pas fonder l'action en concurrence déloyale qu'elle indique exercer en s'appuyant sur l'exclusivité qui lui a été consentie sur le projet Sur le vif suivant la lettre contrat du 21 octobre 1992 alors :

- que, d'une part, l'émission incriminée a été diffusée dès septembre 1992 avant la signature de la lettre ci-dessus mentionnée et plusieurs mois avant les contacts noués entre ACDC et FR3,

- que, d'autre part, ACDC, qui, dans ses dernières écritures après l'arrêt de réouverture des débats, a insisté sur les différences qui opposeraient Des poissons et des hommes et Sur le vif, n'a aucun titre à critiquer des emprunt prétendument faits à Des poissons et des hommes, projet sur lequel ne lui a été consentie aucune exclusivité ;

Considérant qu'ACDC expose encore que " début 1994, elle s'est aperçue que France 3 avait procédé à une refonte d'Iktus qui reprenait en grande partie les éléments du projet Sur le vif " ; qu'elle verse aux débats un dossier de presse consacré à Iktus deuxième génération, et critique le fait qu'il ait été fait appel à EDF pour sponsoriser l'émission, qu'une rubrique baptisée ait été consacrée à l'environnement, qu'une autre rubrique baptisée " Des pêches d'ailleurs " ait eu pour sujet des personnages de pays lointains qui pratiquent le même sport avec des pratiques différentes ;

Mais considérant que le recours au sponsoring d'EDF apparaît banal pour ce type d'émission; que l'idée d'un rattachement à la politique de l'environnement, également banale, était développée dès 1986dans le projet " Au fil de l'eau " de M. Cornet, qui avait prévu une rubrique sur les " Pêches lointaines " dans son projet pour Iktus début 1992 ; que les griefs d'ACDC concernant la deuxième série d'Iktus ne sont donc pas fondés ;

Considérant enfin qu'ACDC fait valoir qu'elle " a pu constater qu'à compter du 5 novembre 1994, France 3 Bourgogne et Méditerranée diffusaient de manière régulière un nouveau magazine consacré à la pêche, intitulé " Destination pêche " qui s'inspirait très étroitement du magazine " Sur le vif " ... à trois égards :

- la reprise des deux dimensions de l'émission, la jeunesse et la protection de l'environnement,

- la reprise de la structure et du positionnement de l'émission Sur le vif,

- la durée similaire des deux émission 27 mn 45 (Sur le vif), 26 mn (Destination pêche) " ;

Considérant que FR3 réfute ces reproches en exposant qu'alors qu'elle diffusait sur le thème de la pêche, depuis 1990 en région Méditerranée l'émission Iktus (26 minutes), elles les a naturellement fusionnées fin 1994 en poursuivant ses formules d'émissions consacrées à la pêche depuis plusieurs années ; que les similitudes alléguées par exemple sur le thème de l'environnement portent sur des éléments banals pour des émissions consacrées à la pêche; que la structure de Destination pêche reprend celle des émissions dont elle est issue et celle décrite dans le projet de M. Cornet dès 1986 ; qu'ACDC, en outre, témoigne d'une audace certaine en revendiquant un droit exclusif sur le format des émissions de 26 minutes dont FR3 démontre qu'il est parfaitement courant ;

Considérant que les griefs d'ACDC concernant Destination pêche seront donc également rejetés, étant observé au surplus que cette émission a été diffusée, aux dires mêmes de l'appelante à compter du 5 novembre 1994, soit après l'expiration de l'exclusivité de deux ans qui lui avait été consentie par la lettre contrat du 21 octobre 1992 sur laquelle elle a déclaré fonder ses prétentions ;

Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il a débouté ACDC de toutes ses demandes ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à FR3 l'indemnité de 30 000 F qu'elle réclame pour ses frais irrépétibles d'appel ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges, Confirme le jugement entrepris ; Y ajoutant : Condamne la société ACDC à payer à la société Nationale de Télévision France 3 une indemnité supplémentaire de 30 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne la société ACDC aux dépens d'appel ; Admet Me Olivier au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.