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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 22 septembre 1999, n° 1997-14338

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Can Publishing (Sté)

Défendeur :

M6 Interactions (SA), Métropole de Télévision (SA), Tournon Egmont (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseiller :

Mme Mandel

Avoués :

SCP Hardouin-Herscovici, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Escande, Barthelemy, SCP Deprez Dian Guignot & Associés.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 25 avr. …

25 avril 1997

La SA Métropole Télévision, dite M6, qui a pour activité l'étude et l'exploitation de programmes de télévision a durant cinq années diffusé une série de films intitulée " Classe Mannequin ".

La SA M6 Interactions, filiale de la précédente dont l'objet est l'exploitation des droits dérivés de ses principaux produits, a, le 25 janvier 1994, déposé à l'Institut National de la Propriété Industrielle la marque dénominative Classe Mannequin laquelle a été enregistrée sous le n° 94.503.434 dans les classes de produits ou services 9, 16, 25, 38, 41 et 42 pour désigner notamment les livres, journaux, périodiques et plus généralement tous produits de l'imprimerie.

Aux termes d'un contrat du 10 mai 1994, la société M6 Interactions a concédé à la SA Tournon Egmont une licence d'exploitation et de reproduction des droits dérivés de la série pour les produits suivants :

" Albums collecteurs de vignettes, cartes à collectionner, un magazine mensuel (dont la diffusion sera assurée par les NMPP) composé pour un tiers d'un roman-photo, pour un tiers de conseils pratiques, pour un tiers d'interviews, anecdotes etc... ".

En exécution de cette convention, la société Tournon Egmont édite depuis le mois de juillet 1994 une revue mensuelle destinée aux adolescents, intitulée Classe Mannequin Magazine et commercialise des produits dérivés tels que vêtements, articles de parfumerie, jeux téléphoniques, livres, disques sous la marque Classe Mannequin.

Alléguant que la société de droit suisse Can Publishing avait fait paraître en décembre 1994 dans le n° 75 de la revue Union un article de huit pages, illustré de photographies d'une jeune femme largement dévêtue, sous le titre Classe Mannequin, les sociétés M6 Interactions, Métropole Télévision et Tournon Egmont ont, le 21 avril 1995, assigné ladite société devant le Tribunal de Grande Instance de Paris à l'effet de voir avec le bénéfice de l'exécution provisoire :

- constater la contrefaçon de la marque et du titre Classe Mannequin et l'atteinte portée à la série télévisée et au magazine du même nom par l'association de cette dénomination à des photographies pornographiques,

- condamner la défenderesse à payer à chacune d'elles les sommes de :

1.000.000 F pour la contrefaçon,

1.000.000 F pour le préjudice commercial,

30.000 F en vertu des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile.

Ultérieurement, les sociétés Métropole Télévision et Tournon Egmont invoquant l'existence d'actes de parasitisme et de dénigrement par reproduction de leur marque et de leur titre, ont poursuivi l'allocation d'une somme de 500.000 F sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

La société Can Publishing a conclu à l'irrecevabilité et au mal fondé de la demande et sollicité l'attribution d'une somme de 30.000 F pour ses frais hors dépens.

Par jugement du 25 avril 1997, le Tribunal a :

- dit irrecevable la demande fondée sur l'atteinte au titre de la série télévisée et de la revue Classe Mannequin des sociétés Métropole Télévision et Tournon Egmont,

- dit que la société Can Publishing en intitulant un reportage photographique Classe Mannequin avait commis un acte de contrefaçon de la marque Classe Mannequin dont est titulaire la société M6 Interactions ainsi que des actes de dénigrement de cette marque, de la série télévisée dénommée Classe Mannequin diffusée par la société Métropole Télévision et de la revue intitulée Classe Mannequin, éditée par la société Tournon Egmont.

Il a en conséquence condamné la société Can Publishing à payer :

- à la société M6 Interactions la somme de 60.000 F en réparation de la contrefaçon de marque,

- à chacune des demanderesses la somme de 15.000 F en indemnisation des actes de dénigrement,

- la somme de 12.000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Can Publishing a, le 23 juin 1997, interjeté à l'encontre de cette décision un appel aux termes duquel elle poursuit son infirmation en ce qu'elle a retenu les griefs de contrefaçon de marque et de dénigrement.

Elle sollicite en outre l'attribution d'une somme de 15.000 F pour ses frais non taxables.

Les sociétés M6 Interactions, Métropole Télévision et Tournon Egmont concluent à la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la société Can Publishing pour contrefaçon de la marque Classe Mannequin et pour dénigrement.

Y ajoutant, elles demandent à la Cour de dire que ladite société a également commis des actes de contrefaçon du titre Classe Mannequin et de la condamner de ce chef à verser à la société M6 Interactions une indemnité de 300.000 F.

Elles évaluent les sommes non comprises dans les dépens exposées par chacune d'elles à 15.000 F.

Sur ce,

I - Sur la demande principale

Sur la contrefaçon de la marque Classe Mannequin

Considérant que la société M6 Interactions se fondant sur les dispositions de l'article L.713-2 du Code de la Propriété intellectuelle, soutient que l'emploi de l'expression Classe Mannequin pour intituler un reportage photographique publié par le magazine Union constitue la contrefaçon de la marque dont elle est titulaire qui désigne des produits identiques.

Considérant que la société Can Publishing réplique que "l'usage d'un signe ne peut être constitutif d'une infraction que s'il est destiné à désigner un produit ou un service visé par le dépôt d'une marque antérieure constituée du même signe" et " qu'il est constant que le titre d'une œuvre n'a pas vocation à être protégé par le droit des marques ".

Qu'elle en déduit que le fait d'avoir employé la dénomination Classe Mannequin pour annoncer un article de revue, œuvre de l'esprit et non pas pour désigner le produit que constitue la revue elle-même, exclut tout grief au sens du texte invoqué.

Considérant, ceci exposé, que l'article L.713-2 du code de la Propriété intellectuelle dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement.

Considérant qu'il ne saurait être contesté qu'en application de ce principe, la contrefaçon n'est pas constituée lorsque la reproduction ou l'imitation de la marque n'est nullement destinée à la désignation d'objets qui échappent à la portée de son enregistrement.

Mais considérant qu'il apparaît en l'espèce que l'appelante a utilisée la dénomination litigieuse pour désigner un article illustré de photographies.

Que la société M6 Interactions lui oppose à bon droit qu'un reportage photographique, élément composant une revue périodique, constitue un produit semblable aux " photographies, journaux, périodiques et produits de l'imprimerie " visés par l'acte de dépôt de sa propre marque.

Qu'il en résulte que le Tribunal a exactement retenu que la société Can Publishing en intitulant un article de sa revue Classe Mannequin avait commis un acte de contrefaçon au préjudice de la société M6 Interactions.

Sur le dénigrement :

Considérant que les intimées allèguent que "l'utilisation de l'expression Classe Mannequin pour désigner un reportage photographique d'un goût douteux porte atteinte à l'image et la notoriété de la série télévisée et du magazine édité sous ce nom" au motif que "le succès du concept Classe Mannequin, construit autour du thème de l'innocence et de la jeunesse qu'incarnent les protagonistes de la série, s'accorde mal avec le caractère pornographique de la revue Union".

Considérant que la société Can Publishing réplique que "la nature très particulière de la revue Union" qui existe depuis 1969, dispose de sa propre image de marque, d'un lectorat fidèle et (qui) n'a nullement besoin d'utiliser en page 34 d'un de ses numéros spéciaux l'image de marque de la série télévisée pour augmenter ses ventes " exclut tout dénigrement des émissions et de la revue diffusées sous ce titre ".

Mais considérant que le recours pour intituler un article illustré de photographies représentant une jeune femme dévêtue dans des poses suggestives, d'une dénomination antérieurement destinée à désigner une série de films télévisés et une revue destinés à des adolescents, construites " autour du thème de l'innocence et de la jeunesse ", est, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, de nature à porter atteinte à cette image et suffit à caractériser le dénigrement dénoncé.

Sur la contrefaçon du titre Classe Mannequin :

Considérant que la société M6 Interactions se fondant sur les dispositions des articles L.112-4 alinéa 1 et L.122-4 du Code de la Propriété intellectuelle et invoquant sa qualité de titulaire des droits d'auteur sur le titre Classe Mannequin, soutient que la société Can Publishing en reproduisant l'expression Classe Mannequin a commis un acte de contrefaçon dudit titre à son préjudice.

Considérant que l'appelante lui oppose que le titre est dépourvu d'originalité et que son utilisation exclut tout risque de confusion.

Considérant qu'aux termes de l'article L.112-4 du Code de la Propriété intellectuelle, le titre d'une œuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'œuvre elle-même.

Que l'originalité requise qui s'apprécie à la date de la première utilisation, peut notamment résulter d'une combinaison distinctive de mots.

Or considérant, en l'espèce, que l'expression Classe Mannequin dont il n'est pas démontré qu'elle ait fait l'objet d'une précédente exploitation, désigne un magazine qui s'il se réfère à une série de films télévisés consacrée aux aventures de jeunes mannequins apprenant leur métier, comporte des entretiens, des tests de personnalité et des rubriques de beauté, de diététique, de mode à l'usage de l'ensemble des adolescentes et ne constitue pas de ce fait le mode normal de désignation de la création à laquelle il s'applique.

Que l'article L.122-4 du Code de la propriété intellectuelle incriminant toute reproduction faite hors le consentement de l'auteur sans qu'il y ait lieu d'établir un risque de confusion, la seule reprise du titre invoqué suffit à établir l'existence de la contrefaçon alléguée.

Sur le préjudice :

Considérant que les sociétés intimées sollicitent à juste titre la confirmation des dispositions du jugement entrepris relatives à la contrefaçon de marque et au dénigrement, ladite décision ayant fait une exacte appréciation du préjudice subi et de sa réparation.

Considérant que si la société M6 Interactions évalue à la somme de 300.000 F l'indemnisation du dommage résultant de la contrefaçon du titre Classe Mannequin, la Cour possède les éléments d'information suffisants pour fixer celle-ci à 100.000 F (15.244,9 euros).

II - Sur les frais hors dépens :

Considérant que la société Can Publishing qui succombe, sera déboutée de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile.

Considérant en revanche qu'il convient d'allouer de ce chef à chacune des sociétés intimées une somme de 10.000 F (1.524,49 euros) pour les sommes non comprises dans les dépens par elles exposées en première instance et en appel.

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit irrecevable la demande fondée sur l'atteinte au titre Classe Mannequin et à l'exception de la condamnation fondée sur l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile, Le réformant de ce premier chef y ajoutant et statuant à nouveau, Condamne la société Can Publishing à payer : - la somme de 100.000 F (15.244,9 euros) à la société M6 Interactions à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice par elle subi du fait de la contrefaçon du titre Classe Mannequin, - la somme de 10.000 F (1.524,49 euros) à chacune des intimées en application des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne la société Can Publishing aux dépens d'appel ; Admet la S.C.P Roblin Chaix de Lavarene titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure civile.