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Décisions

CA Douai, 1re ch., 20 septembre 1999, n° 97-06193

DOUAI

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Spatz et Fils (SA)

Défendeur :

Capucine Puerari Diffusion (SARL), Bouychou (ès qual.), Thoux (ès qual.), Les Trois Suisses France (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président de chambre :

M. Le Corroller

Conseillers :

Mme Laplane, M. Méricq

Avoués :

SCP Le Marc'Hadour-Pouille-Groulez, SCP Levasseur-Castille-Lambert, SCP Carlier-Regnier

Avocats :

Mes Masset, Maurel-Aubert, Barbry.

TGI Lille, du 29 mai 1997

29 mai 1997

Procédure et prétentions des parties

Par jugement du 29 mai 1997 auquel référence expresse est faite quant à l'exposé du litige, des prétentions et moyens des parties, le tribunal de grande instance de Lille a :

- constaté que la société Capucine Puerari Diffusion a absorbé la Société Capucine Puerari Création ;

- déclaré ces sociétés recevables à agir ;

- déclaré le jugement opposable à Maîtres Thoux et Bouychou pour la SA Capucine Puerari Diffusion ;

- dit que par application des articles L. 335-2 et suivants de la loi du 1er juillet 1992, les sociétés SARL Capucine Puerari et SA Capucine Puerari Diffusion étaient en droit de revendiquer la protection des modèles créés en février 1992 sous les numéros 9016 et 9021 pour la première et exploités par la seconde ;

- dit que les modèles fabriqués et distribués par la société Spatz et Fils d'une part et commercialisés par la Sté Trois Suisses d'autre part constituent des contrefaçons des modèles créés et exploités par lesdites sociétés et en réparation, condamne in solidum la SA Trois Suisses et la SA N. Spatz et Fils à payer à la SA Capucine Puerari Diffusion venant aux droits de la SARL Capucine Puerari Création la somme de 100.000 F ;

- dit que la SA Trois Suisses et la SA N. Spatz et Fils ont commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la Société Capucine Puerari Diffusion et en réparation, les a condamnées in solidum à payer à la Sté Capucine Puerari Diffusion la somme de 100.000 F à titre de dommages et intérêts ;

- interdit toute fabrication et commercialisation des modèles contrefaisants par la SA N. Spatz et Fils et Trois Suisses sous astreinte de 100 F par infraction constatée ;

- ordonné la publication du jugement des deux journaux au choix de la Sté Capucine Puerari Diffusion sans que le coût de chacune de ces publications ne puisse excéder la somme de 30.000 F et aux frais solidaires des sociétés défenderesses ;

- débouté la SA N. Spatz et Fils de sa demande en dommages et intérêts ;

- condamné les sociétés défenderesses à payer à la SA Capucine Puerari Diffusion une indemnité procédurale de 10.000 F ;

- ordonné l'exécution provisoire.

La SA Spatz et Fils qui a relevé appel du jugement demande à la Cour de le réformer et de :

- déclarer la Sté Capucine Puerari Diffusion irrecevable en son action, faute de justifier avoir créé les modèles qu'elle invoque, conformément à l'article 111-2 du Code de la Propriété Intellectuelle ;

- la dire mal fondée en son action en ce que les modèles du litige sont d'une grande banalité, composés d'éléments appartenant au domaine public et donc la combinaison ne présente en elle-même aucune originalité ;

- constater en outre que les modèles invoqués sont antériorisés par ses soins depuis 1985 ;

- constater que les éléments de protection invoqués relève de procédés techniques, de matière ou d'éléments de confort insusceptibles d'être protégés par la loi sur les droits d'auteur ;

- dire l'action en concurrence déloyale mal fondée en ce qu'elle repose sur les éléments invoqués au titre de la contrefaçon ;

- constater qu'aucune preuve des préjudices invoqués n'est apportée ;

- débouter en conséquence la société Capucine Puerari Diffusion de toutes ses demandes ;

- dire n'y avoir lieu à publication du jugement ;

- reconventionnellement, condamner la société Capucine Puerari Diffusion à lui payer une somme de 1.000.000 F à titre de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 1382 du code civil outre une indemnité procédurale de 50.000 F.

La SA Capucine Puerari Diffusion, Maître Bouychou pris en sa qualité d'administrateur judiciaire et de commissaire à l'exécution du plan de ladite société en redressement judiciaire et Maître Thoux pris en sa qualité de représentant des créanciers concluent à la confirmation du jugement et à la condamnation de la société Spatz et Fils au paiement d'une indemnité procédurale supplémentaire de 100.000 F.

Ils soutiennent en réplique :

- sur la recevabilité, que les modèles ont été créés par Mme Capucine Puerari, fondatrice et salariée de la Sté Capucine Puerari Création que la société Capucine Puerari Diffusion était bien diffuseur exclusif des modèles créés par la Sté Capucine Puerari Création, sa filiale à 100 % lors de l'assignation, qu'elles étaient recevables à agir toutes deux à l'époque et que surtout la Sté Capucine Puerari Diffusion détient les droits de la société Capucine Puerari Création absorbée, outre les droits qu'elle détenait en sa qualité de distributeur exclusif ;

- sur l'originalité des modèles, que le tribunal a bien retenu l'aspect visuel du modèle pour la contrefaçon ;

- sur l'antériorité de la Sté Spatz, que celle-ci ne démontre pas qu'elle aurait créé des articles de lingerie se caractérisant par la combinaison de l'ensemble des éléments qui en font l'originalité ;

- que l'absorption de la filiale par la société mère ne prive pas cette dernière de l'action en concurrence déloyale ;

- que le préjudice est constitué par l'atteinte à la notoriété de la marque dont la réparation est indépendante du chiffre d'affaires ;

- que la publication de la décision est justifiée par la nécessité de protéger les modèles français.

La SA Les Trois Suisses conclut à l'infirmation du jugement et au débouté des demandes de la Sté Capucine Puerari Diffusion. A titre subsidiaire, elle sollicite la confirmation du jugement en ce qu'il a condamné la Sté Spatz et Fils à la garantir des condamnations prononcées à son encontre.

Elle fait siens les arguments développés par son fournisseur, la société Spatz et Fils, mais fait observer en outre :

1°) que son catalogue " Chuchotements " est un catalogue de grande qualité principalement consacré à la lingerie ;

2°) qu'à supposer établi le manque à gagner de la société Capucine Puerari Création elle n'a vendu que 203 exemplaires du soutien gorge litigieux et 178 exemplaires de la combinaison litigieuse.

Le Ministère Public conclut à la confirmation du jugement pour ce qui concerne les faits de contrefaçon et s'en rapporte quant à l'évaluation du préjudice à réparer de ce chef.

Motifs

Sur l'irrecevabilité de l'action

La Société Spatz et Fils met en doute la création des modèles litigieux par Mme Capucine Puerari et soutient que la cession de droits doit résulter d'un contrat spécifique régularisé entre l'auteur et le cessionnaire.

Il résulte de l'extrait K-bis de la SARL Capucine Puerari Création qu'elle a notamment pour objet social le dessin de vêtements et la création artistique et toute prestation de service se rapportant à la fabrication, à la commercialisation et à la diffusion de tous articles de prêt à porter et de lingerie.

Elle est donc présumée être titulaire des droits d'auteur des modèles qu'elle exploite et la Société Spatz n'a pas qualité pour contester les conditions dans lesquelles Mme Capucine Puerari -personne physique présentée comme créatrice des modèles dans les articles de presse- a cédé ses droits à la SARL fondée par elle, portant son nom et gérée par son mari.

Il est par ailleurs établi au vu des pièces produites (dessins, instructions aux façonniers, revues) que la société Capucine Puerari Création a créé pour la collection 1992 cinq articles de lingerie féminine ayant comme élément commun un soutien gorge balconnet en satin matelassé dont :

- un modèle de soutien gorge N° 9016 présenté dans la revue Biba de septembre 1992 ;

- un modèle de combinaison N° 9021, étant observé que les modèles N° 9018 et 9019 ont respectivement paru dans la revue Madame de septembre 1992 et la revue Elle de novembre 1992.

Au vu des commandes et factures, ces articles de lingerie ont été commercialisés dès février 1992.

L'action a donc été valablement intentée en janvier 1994 par la SARL Capucine Puerari Création, filiale à 100 % de la SA Capucine Puerari Diffusion dont Mme Capucine Puerari est administrateur.

A ce jour, la SA se trouve aux droits de sa filiale par suite de la fusion-absorption qui a pris effet à compter du 1er mai 1994, ce qui rend inopérant le moyen tiré de l'absence supposée de concession du droit d'exploitation de l'une à l'autre.

Sur l'action en contrefaçon :

* Sur l'originalité des modèles litigieux :

Les articles de mode sont dans leur ensemble composés d'éléments appartenant au domaine public tels que bonnets, basque ou petits noeuds pour les soutiens gorge. Ils ne sont pas pour autant exempts de protection si leur combinaison offre un aspect particulier révélant une œuvre nouvelle, originale et personnelle.

Les deux autres modèles litigieux comportent :

- des bonnets en forme de balconnets confectionnés avec du satin matelassé à petits losanges, dont la couture horizontale a été réalisée à la " deux aiguilles " bordés d'un biais à cheval coupé dans un même satin,

- de fines bretelles en satin stretch à la base desquelles a été cousu un noeud également de satin.

Le modèle de soutien gorge comprend en outre une basque en satin matelassé et un dos extensible en satin, stretch ; la combinaison est composée en outre d'une pièce de tissu synthétique bordée d'un ourlet de satin identique à celui des bonnets.

L'assemblage de ces divers éléments, joint à l'unicité de couleur et de matière ainsi que la pose du tissu matelassé dans le sens vertical en opposition avec le biais et la couture horizontale qui accentue l'impression visuelle de bonne tenue du soutien-gorge donnent une originalité particulière à ce modèle à la fois élégant, confortable et luxueux qui le différencie nettement des modèles déjà connus tels que le " pointed bra " des années cinquante ou le soutien gorge multi surpiqûres de 1986 ou la lingerie en maille cloquée de 1987 (?) ou même des modèles figurant en pages 6 et 16 de la revue Linéa Intima de mai-juillet 1992 qui leur sont postérieurs.

* Sur l'antériorité alléguée par la Société Spatz :

La Société Spatz produit au soutien de ses prétentions divers documents sans valeur probante quant à l'antériorité dont elle cherche à se prévaloir :

- les croquis de sa collection 1985, concernent tous des vêtements de nuit dont l'usage et les spécificités sont distincts d'un soutien gorge ou d'une combinaison portée de jour ; de plus le seul modèle N° 808098 prévoyant l'usage de matelassé pour couvrir les seins ne figure pas dans son listing d'articles commercialisés ;

- les croquis de 1990 et 1991 n'ont pas date certaine en l'absence de toute autre pièce corroborant leur création ou leur commercialisation.

Aussi, contrairement à ce que soutient la société Spatz, ces modèles étaient protégeables en raison de leur esthétique et de leur forme. Elle ne pouvait donc mettre sur le marché courant 1993, un soutien gorge et une combinaison quasi-identiques, bien que confectionnés en matériaux moins luxueux, ne présentant que quelques différences minimes peu apparentes au premier regard (troisième noeud, basque plus haute non matelassée, bretelles doubles,.) ;

La contrefaçon -constatée au siège de la société Les Trois Suisses par la saisie d'un soutien-gorge et d'une combinaison contrefaisants fabriqués par a société Spatz ainsi que du catalogue "Chuchotements -Le Plaisir d'être Femme" portant en couverture le modèle N° 9016 et proposant à la vente par correspondance les deux articles litigieux- est donc établie.

* Sur le préjudice :

Lors de la saisie contrefaçon, il a été présenté à l'huissier des ordres fermes pour 200 soutiens-gorge et un ordre ferme pour un nombre ignoré de combinettes. Selon la personne interrogée par ses soins, il aurait été vendu 300 articles de chaque sorte et le catalogue aurait été diffusé à 500.000 exemplaires.

La Société Les Trois Suisses verse aux débats deux relevés selon lesquels elle a vendu 178 combinettes et 203 soutiens-gorge.

Ces ventes ont engendré un manque à gagner pour la société Capucine Puerari Diffusion qui peut être évalué au vu des factures émises courant 1992 et de la marge bénéficiaire habituelle en matière de produits de luxe à une somme globale de 30.000 F.

Sur l'action en concurrence déloyale :

Cette action fondée sur l'article 1382 du Code Civil peut être cumulée avec l'action en contrefaçon si des faits distincts sont établis à l'encontre du contrefacteur.

Il est établi par les commandes et factures produites par la Société Capucine Puerari Diffusion (pièces Amatchi par exemple) qu'elle assurait la commercialisation des articles créés par sa filiale. Elle a donc vocation en sa qualité de distributeur exclusif à agir sur ce fondement.

En faisant appel à une société de vente par correspondance pour diffuser des articles auprès d'un large public et les vendre à un prix au détail inférieur au prix pratiqué par la société Capucine Puerari Diffusion à l'égard de ses clients grossistes, la Sté Spatz et Fils a manifestement profité de la notoriété de la Sté Capucine Puerari Création et de ses efforts de publicité dans des revues féminines pour faire connaître ses modèles.

Même si le catalogue "Chuchotements" présente un aspect soigné et des articles relativement de bonne qualité -ce qui minimise l'atteinte portée à l'image de la marque Capucine Puerari- ce fait de parasitisme constitue un acte de concurrence déloyale générateur d'un préjudice distinct de celui de la contrefaçon. Celui-ci peut être évalué à 50.000 F.

Sur les rapports entre la Sté Spatz et Fils et la Sté Les Trois Suisses :

Il est constant que la société Spatz et Fils a fabriqué et fourni les produits contrefaisants à la Sté Les Trois Suisses qui en a assuré la publicité et la commercialisation.

La Sté Spatz et Fils ne conteste pas que conformément aux conditions générales d'achat qu'elle a expressément acceptées par écrit le 29 avril 1985, et qui sont versées aux débats, elle donne entière garantie à la société de vente par correspondance pour la présente action en sa qualité de fournisseur.

Sur la publication de la décision :

La SA Spatz et Fils conteste le caractère luxueux des produits Capucine Puerari et fait valoir que la vente par correspondance diffuse des produits de marque pour soutenir que la publication de la décision est injustifiée.

La référence qu'elle fait au Bon Marché contredit son assertion car ce magasin suppose une clientèle beaucoup moins diversifiée que celle des Trois Suisses.

En tout état de cause, la publication des décisions en matière de contrefaçons étant non seulement un moyen de réparer aux yeux du public l'atteinte à l'image du concurrent, mais aussi une mesure de nature à mettre en garde les autres commerçants contre de tels agissements, la décision sera confirmée sur ce point en réduisant à 20.000 F le coût de la publication.

Sur les autres demandes :

Il convient eu égard à l'équité de mettre à la charge de la seule SA Spatz et Fils les frais irrépétibles exposés par la Sté Capucine Puerari Diffusion et évalués globalement à 22.000 F, la partie succombante ne pouvant prétendre ni à dommages et intérêts, ni à indemnité procédurale.

Par ces motifs, Confirme le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qui concerne le quantum des dommages et intérêts alloués à la société Capucine Puerari Diffusion, le coût de la publication et l'indemnité procédurale. Statuant à nouveau de ces chefs, Condamne la SA Spatz et Fils à payer à la Sté Capucine Puerari Diffusion à titre de dommages et intérêts la somme de 30.000 F au titre de la contrefaçon et la somme de 50.000 F au titre de la concurrence déloyale avec intérêts au taux légal à compter du jugement. Dit que le coût de la publication du présent arrêt dans deux journaux au choix de la Sté Capucine Puerari Diffusion ne pourra excéder la somme de 20.000 F. Condamne la SA Spatz et Fils à payer à la SA Capucine Puerari Diffusion la somme globale de 22.000 F en vertu de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. La condamne aux dépens de première instance et d'appel. Autorise la SCP Carlier Regnier et la SCP Levasseur Castille Lambert à recouvrer directement les dépens d'appel, conformément à l'article 699 du nouveau code de procédure civile.