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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 10 septembre 1999, n° 1995-08535

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Scarabé (SA)

Défendeur :

Christian Lacroix (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP AnnieBaskal, Roblin-Chaix de Lavarène

Avocats :

Mes Cayer-Barrioz, de la Myre Mory.

TGI Paris, 3e ch., du 27 janv. 1995

27 janvier 1995

Lacroix a créé divers bijoux au cours des années 1989/1990 qui associent notamment des formes de cours, de croix ou d'étoiles et des initiales CL, (ce signe étant également déposé à titre de marque). En septembre 1994, se référant à cinq de ses créations (n° 22 E 8102017, 22 E 8102018, 22 D 8102019, 22 H 8102002, 42 E 03610), elle a requis, en application de l'article L. 332-1 du Code de propriété intellectuelle, un commissaire de police afin de procéder à une saisie-contrefaçon au salon Bijorhca, à Villepinte, au stand d'exposition de Scarabé. La saisie a été pratiquée dans ces locaux le 6 septembre 1994, puis au siège social de Scarabé le même jour. Il a été procédé à la saisie de nombreux bijoux, Lacroix invoquant non seulement les créations citées dans la réquisition mais également de nouvelles œuvres (26 en tout).

Lacroix a fait assigner Scarabé devant le Tribunal de grande instance de Paris en contrefaçon de ses créations sur le fondement du droit d'auteur, contrefaçon de marque et concurrence déloyale, pour obtenir, outre des mesures d'interdiction, de confiscation et de publication, paiement de dommages-intérêts.

Scarabé s'était opposée à ces demandes, exposant que les bijoux invoqués étaient dénués d'originalité et subsidiairement qu'aucun de ceux saisis n'en était la reproduction. Elle avait en outre reconventionnellement formé une demande en contrefaçon et concurrence déloyale, prétendant que Lacroix avait reproduit cinq de ses créations et avait, à ce titre, sollicité paiement de dommages-intérêts.

Par le jugement critiqué, le tribunal a :

* dit que Scarabé avait commis des actes de contrefaçon des modèles dont Lacroix est titulaire en commercialisant les objets suivants :

- " boucles d'oreilles clip et broches en forme de coeur asymétrique doré, présentant une surface martelée (scellés 5 et 9 ", référence Lacroix A 610010990236 et A 61004090217),

- " boucles d'oreilles clip coeur avec coeur strass en son milieu, le coeur est dentelé et le pendant est en forme de croix comportant des entrelacs de dentelle avec les initiales CL (scellé 15, référence B0AE4 ", référence Lacroix : A 8100102008),

- " pendentif croix dentelle avec strass, les initiales " E.L " sont posées sur les entrelacs de la dentelle (scellé 16, référence CLAE3 ", référence Lacroix : A 81002020012),

- " boucles d'oreilles clip dorées travaillées en filigrane, avec un rond de strass en son milieu, un élément pendant en forme de goutte comportant un motif de dentelle avec une pierre de strass ronde (scellé 17, référence BOAE9 ", référence Lacroix : B42E8102624),

- " boucles d'oreilles en forme de coeur dentelle avec pierre strass au milieu (scellé 19, référence BOAE1 ", référence Lacroix : 42 E 810 2620),

- " broches coeur grand et petit modèle, à dentelle avec pierre strass au milieu (scellé 20 ", référence Lacroix : 42 E 810 3610 et 42 E 810 36 08),

- " boucles d'oreilles clip et broche croix asymétrique

Surface dorée martelée (scellé 7 ", référence Lacroix : A 61004090237 et A 61004090219),

* dit que Scarabé, en associant à ses anciens modèles, des bijoux contrefaisants, en utilisant ses initiales dans le même graphisme que celui de la marque " CL ", apposées sur les mêmes bijoux, en reprenant la même présentation de ses porte-clés, s'est livrée à une concurrence parasitaire,

* prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte avec exécution provisoire,

* condamné Scarabé à verser à Lacroix :

- 200 000 F en réparation du préjudice consécutif aux actes de contrefaçon,

- 500 000 F en réparation du préjudice consécutif à la concurrence déloyale,

- 20 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

* ordonné la remise des modèles contrefaisants à Lacroix afin de destruction,

* autorisé la publication dans trois journaux ou revues au choix de Lacroix aux frais de Scarabé dans la limite de 36 000 F hors taxes,

* dit irrecevables les demandes de Scarabé du chef de contrefaçon des " modèles déposés, et non déposés ", faute pour elle d'établir qu'elle est cessionnaire des droits d'auteur d'Edouard Rambaud,

* rejeté toute autre demande tant principale que reconventionnelle.

Scarabé, appelante, poursuit la réformation du jugement.

A titre principal, elle conclut :

- à la nullité de la saisie-contrefaçon en date du 6 septembre 1994 et en conséquence au débouté de Lacroix en toutes ses demandes, aucun document autre que ceux saisis le 6 septembre 1994 n'étant versé aux débats,

- à la recevabilité et au bien fondé de sa demande en contrefaçon formée à l'encontre de Lacroix pour le modèle BOD 27 pour lequel elle justifie être cessionnaire des droits patrimoniaux de l'auteur, et de sa demande en concurrence déloyale,

- au caractère abusif et vexatoire des saisies contrefaçon pratiquées le 6 septembre 1994.

A titre subsidiaire, elle soutient que bien qu'en cause d'appel, son adversaire ne maintienne ses demandes au titre de la contrefaçon que pour cinq modèles, elle a cependant intérêt à contester l'originalité de tous les bijoux opposés en première instance.

Elle conclut par ailleurs au rejet des demandes réitérées par son adversaire, les bijoux que celle-ci continue à lui opposer étant, selon elle, dénués d'originalité ou, à tout le moins, non reproduits. Elle conclut au rejet des demandes fondées sur la concurrence déloyale.

Elle prie en conséquence la Cour de :

- prononcer la nullité des saisies contrefaçons,

- débouter Lacroix de toutes ses demandes,

- ordonner la main-levée des saisies et la restitution de l'ensemble des scellés,

- subsidiairement, constater que les modèles revendiqués par Lacroix ne sont pas dignes de protection, à défaut d'être originaux,

- plus subsidiairement, dire qu'elle n'a contrefait aucun des modèles revendiqués, qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire,

- dire qu'elle est titulaire des droits patrimoniaux d'auteur portant sur le modèle BOD 27, et que Lacroix s'est rendue coupable de contrefaçon du modèle,

- interdire à Lacroix de fabriquer, faire fabriquer, offrir à la vente le modèle contrefaisant sous astreinte de 5 000 F par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt,

- ordonner la remise par Lacroix de l'ensemble du stock de modèles contrefaisants, sous astreinte et la destruction du stock sous contrôle d'huissier,

- condamner Lacroix au paiement de la somme de 1 million de francs à titre de dommages-intérêts,

- dire que la saisie présente un caractère abusif et condamner en conséquence Lacroix à lui payer la somme de 2 million de francs en réparation du préjudice subi du fait de ces agissements,

- ordonner la publication de l'arrêt et condamner Lacroix à payer la somme de 120 000 F par application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Lacroix s'oppose à la demande de nullité des saisies contrefaçon qui, selon elle, est irrecevable et mal fondée. Sur le fond, elle ne reprend pas l'ensemble de ses prétentions initiales, elle abandonne en effet les demandes en contrefaçon des bijoux référencés chez elle, 42 E 8 102624, A 8 100 102 0026, 42 E 8102 620, 42 E 81 03 610, 42 E 9103 608, et celle en concurrence déloyale en ce qui concerne le pendentif (scellé n° 16), bijou exploité par Lacroix sous la référence A 810 20 200 12.

Elle conclut à la confirmation du jugement :

- en ce qui concerne la contrefaçon de ses modèles A 8 100 102 008 (scellé 15), A 61 001 09236 et A 6100 40 90219 (scellé 17), A 61004 090 217 (scellé 9), A 810 20 200 12 (scellé 16), A 6100109236 (scellé 5),

- en ce qui concerne la concurrence déloyale portant sur ses modèles 22 E 810219, 22 E 8101002, 22 E 8105003, n° 07458, A 72007230036, et celui sans référence correspondant au scellé 21.

Elle conclut à la réformation du jugement en ce que sa demande en concurrence déloyale par imitation des bijoux référencés chez elle A 6100 1 090 237, 22 E 8403 130 SA, 22 E 8403 121 GC, 22 E 8403 122 GC, 22 H 8102005, a été rejetée.

Elle prie en conséquence la Cour de condamner Scarabé pour contrefaçon des bijoux ci-dessus précisés que pour les actes de concurrence déloyale spécifiés dans ses conclusions du 27 mai 1999, de confirmer le jugement sur le montant des indemnités allouées et de débouter Scarabé de l'intégralité de ses demandes.

Sur ce, LA COUR :

Sur la demande en nullité des saisies contrefaçon :

Considérant que Lacroix invoque l'irrecevabilité de cette demande formée pour la première fois en appel ;

Considérant que Scarabé fait toutefois exactement observer que sa demande de nullité des saisies contrefaçon est un moyen de défense susceptible de faire écarter les prétentions adverses et est donc recevable en appel, par application des dispositions de l'article 564 du Nouveau Code de Procédure Civile ; que l'exception d'irrecevabilité soulevée par Lacroix sera donc écartée ;

Considérant que sur le bien fondé de la demande en nullité des saisies, Scarabé expose que des voies de fait ont été commises en ce que :

- le commissaire a procédé à des saisies portant sur des bijoux qui ne correspondaient pas aux créations invoquées par Lacroix dans sa réquisition, alors qu'il était lié par les termes de la réquisition, et ne pouvait, sans autre réquisition, procéder librement à la saisie contrefaçon d'autres créations,

- il s'est fait assister lors des opérations de saisie par deux salariés de Lacroix ;

Mais considérant qu'il résulte de l'article L.332-1 du CPI que le commissaire de police est tenu de procéder à la saisie contrefaçon sollicitée par l'auteur, que cette réquisition ait eu lieu par écrit ou oralement ; qu'il ne peut en conséquence être reproché au commissaire de police d'avoir, en l'espèce, alors qu'il était sur les lieux de la saisie, placé sous scellé non seulement les objets qui auraient été la contrefaçon des créations décrites dans la réquisition écrite mais également ceux qui, selon les représentants de Lacroix sur les lieux, auraient été la contrefaçon d'autres œuvres revendiquées par elle ; que le commissaire de police n'a donc pas outrepassé ses pouvoirs (qui ne sont pas ceux qui lui permettent d'agir dans le cadre d'une procédure pénale), étant précisé que le poursuivi peut toutefois, s'il estime que la saisie lui a causé un préjudice, solliciter l'allocation de dommages-intérêts ;

Considérant qu'en outre, la présence de deux représentants de la société Lacroix n'est pas susceptible d'entraîner la nullité de la procédure de saisie contrefaçon, dès lors qu'il n'est pas prétendu que ces personnes auraient détourné la saisie de sa finalité afin de surprendre des secrets commerciaux et qu'aucun texte n'interdit la présence de l'auteur ou de son représentant, à condition toutefois que les constatations relevées aient été effectuées par le commissaire de police ;

Considérant que la voie de fait suppose de la part de l'administration une irrégularité flagrante, grossière et manifeste portant atteinte au droit de propriété ou à une liberté publique fondamentale ; que tel n'est pas le cas en l'espèce ; que la demande en nullité de la saisie sera rejetée ;

Sur les demandes en contrefaçon (sur le fondement du livre I du Code de la propriété intellectuelle) :

Considérant qu'en appel, Lacroix a abandonné partie de ses demandes comme il a été ci-dessus mentionné ; qu'il convient de lui en donner acte ; que Scarabé qui soutient néanmoins que les bijoux, sur lesquels Lacroix n'invoque plus de droit, sont dénués de toute originalité, n'a plus d'intérêt dans cette demande dès lors que ceux-ci ne lui sont plus opposés ; que seront examinées les seules demandes relatives aux bijoux que Lacroix oppose en appel à Scarabé ;

Sur le scellé n° 7 (réf. Scarabé : BOAF5 et BHAF8) qui serait la reproduction du bijou référencé chez Lacroix A 61001090237 et A 61004090219 :

Considérant que les bijoux revendiqués par Lacroix, créés en février 1990, consistent en un clip d'oreille et une broche représentant une croix martelée dont les quatre branches s'évasent vers l'extérieur ;

Qu'il est soutenu par l'appelante que cette croix est dénuée de toute originalité au regard des documents suivants (croix de Lainville de 1984, divers livres sur la joaillerie contenant des représentations de croix grecques et de croix de Malte, attestation de M. Archambaudière contenant la photographie d'une croix asymétrique) ;

Mais considérant que la croix créée par Lacroix n'est nullement la reprise des croix figurant sur les documents invoqués (chacune desdites croix présentant d'ailleurs des différences entre elles) ; que la combinaison des quatre branches asymétriques, (la branche inférieure plus courte que les branches latérales - à la différence notamment de la croix jointe à l'attestation de M. Archambaudière) et de la forme du bijou qui, par l'effet d'un martèlement présente des creux et des bosses également asymétriques, révèle l'empreinte de la personnalité de son auteur et lui confère son originalité ;

Considérant que c'est par des motifs pertinents que la Cour adopte, aucun argument nouveau n'étant soutenu en cause d'appel, que les premiers juges ont retenu que le bijou du scellé n° 7 en constituait la contrefaçon, les différences alléguées (l'aspect légèrement bombé là où la création Lacroix présente un effet de creux en son centre, des branches qui seraient plus irrégulières et plus douces) n'étant que des différences de détail qui n'altèrent nullement la ressemblance d'ensemble ; que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;

Sur le scellé n° 15 (référencé BOAE4) qui serait la reproduction du bijou référencé chez Lacroix A 8100102008 :

Considérant que le bijou de Lacroix (créé en septembre 1991) est constitué d'un clip boucles d'oreille en forme de coeur doré et lisse, entouré d'un feston dont la partie centrale est ornée d'un strass, lui-même en forme de coeur, et d'un pendant en forme de croix ourlée d'un feston, dont les quatre branches ajourées sont faites d'entrelacs de dentelle et comportent en leur partie centrale des initiales CL revêtues d'une succession de petits strass ;

Considérant que les premiers juges qui avaient relevé que l'originalité du bijou de Lacroix n'était pas discutée avait estimé que le scellé n° 15 en était la contrefaçon ;

Considérant que Scarabé soutient qu'elle avait au contraire justifié que la juxtaposition d'un coeur et d'une croix pour former une boucle d'oreille ne pouvait être protégée et que les bijoux présentant un effet de dentelle étaient connus depuis de nombreuses années ;

Considérant que les documents mis aux débats (livres sur les bijoux, notamment " bijoux des régions de France " de Joannis) démontrent que Lacroix a trouvé une source d'inspiration dans ce qui était connu, et que l'association coeur et croix dentelée ne suffit pas à caractériser l'originalité du bijou ; que cependant, la composition particulière des dentelles, le dessin d'un petit coeur de strass ainsi que les initiales dans la partie centrale de la croix, incrustées de petits strass, en ce que ces éléments révèlent la personnalité de son auteur, confèrent son originalité au bijou opposé par Lacroix ;

Considérant que la contrefaçon doit être appréciée en fonction des caractéristiques originales du bijou ; que sur ce point, Scarabé reproche aux premiers juges d'avoir, bien qu'ils aient constaté de nombreuses différences entre les bijoux en litige, néanmoins retenu la contrefaçon en raison de la physionomie d'ensemble similaire, et d'avoir ainsi accordé la protection d'un genre à Lacroix ;

Considérant cela exposé que le scellé n° 15 est constitué d'un clip boucles d'oreilles en deux parties :

- le clip constitué d'un gros strass en forme de coeur posé sur un soleil multibranches doré, serti de quatre griffes,

- le pendant en forme de croix, dentelée de manière asymétrique, la branche inférieure présentant les deux initiales ER sous forme également de dentelle, comportant en sa partie centrale, un gros strass rond serti de quatre griffes et posé sur un soleil multibranches semblables à celui du clip ;

Considérant que la description de ce bijou permet de relever qu'en dehors de l'association coeur et croix, de la présentation de la croix sous un aspect dentelé, tous éléments du domaine commun, les caractéristiques qui font l'originalité du bijou Lacroix tenant à l'incrustation de petits strass dans la partie centrale de la croix et de l'incrustation d'un strass sur une partie lisse dorée déjà en forme de coeur, ne sont pas reproduites ; que le jugement sera donc réformé et la demande de Lacroix en contrefaçon sera sur ce point rejetée ;

Sur le scellé n° 16 qui serait la reproduction du bijou de Lacroix référence 8 1002020012 :

Considérant que le bijou Lacroix est constitué d'un collier présentant un lien noir sur lequel est placé la croix en dentelle ci-dessus décrite avec les initiales CL incrustées de petits strass, sans l'adjonction du coeur ; que le scellé n° 16 incriminé est constitué de deux bijoux identiques (l'un en pendentif, l'autre en broche) reprenant la croix dentelée du scellé n° 15 ; que pour les motifs ci-dessus, retenus, la demande en contrefaçon sera rejetée, l'attache identique par un lien noir n'étant pas susceptible à elle seule d'appropriation de la part de Lacroix, Scarabé démontrant au surplus qu'un tel lien avait déjà été utilisé dans des bijoux fantaisie ; que le jugement sera également réformé de ce chef ;

Sur les scellés n° 5 et 9 qui seraient la reproduction des bijoux référencés chez Lacroix A 6100109236 et A 61004090217 :

Considérant que les bijoux invoqués par Lacroix (clip et broche, créés en juin 1989) présentent une forme de coeur asymétrique, martelé, doré dont la pointe inférieure est recourbée vers la gauche ;

Considérant que Scarabé fait grief aux premiers juges d'avoir reconnu un caractère original à ce bijou alors qu'elle-même avait commercialisé antérieurement une ceinture sur laquelle se trouvait apposé un motif coeur reproduisant toutes les caractéristiques revendiquées par Lacroix, seule la pointe étant recourbée vers la droite au lieu de la gauche ; qu'elle ajoute qu'un précédent arrêt de la cour en date du 22 mai 1996 a refusé la protection de ce coeur au titre du droit d'auteur ; qu'elle verse aux débats les documents et attestations déjà invoqués dans cette procédure ;

Considérant que Lacroix qui ne conteste pas les dates des antériorités opposées et plus précisément le coeur précédemment apposé par Scarabé sur une ceinture (cela dès janvier 1989), oppose que le coeur qu'elle a créé est néanmoins original par la position de la pointe ;

Mais considérant que cette seule modification par rapport au coeur figurant sur la ceinture commercialisée dès janvier 1989 par Scarabé ne révèle pas la personnalité de son auteur ; que le bijou revendiqué par Lacroix étant dénué d'originalité, le jugement sera sur ce point réformé ;

Sur la concurrence déloyale et agissements parasitaires :

Considérant que les premiers juges ont retenu des actes de concurrence déloyale en relevant que :

- " même les modèles non protégés sont utilisés dans les mêmes combinaisons (Cf. les colliers et bracelets à breloques, les boucles d'oreilles, scellé 18),

- dans une combinaison que Scarabé utilisait, elle glisse, désormais, un élément contrefaisant la rapprochant de la collection Lacroix (Cf. la ceinture où se trouve ajoutée la croix contrefaisante ; le bracelet et le collier breloques, constitués en 1989 exclusivement de soleils et de coeurs se sont enrichis de la croix caractéristique du modèle de la société Lacroix),

- elle adopte les mêmes procédés : initiales dans le même graphisme sur le même bijou (croix pendentif), même choix du soleil sur les porte-clefs, sur les porte-monnaie, présentation de sa vitrine où dominent les bijoux et articles de maroquinerie estimés contrefaisants des modèles Lacroix,

- il y a là une accumulation de faits, constituant des indices révélateurs de la volonté de se couler dans le style Lacroix,

- contrairement aux dénégations de Scarabé, le renom du couturier, réputé pour ses accessoires exubérants, n'est pas étranger à son parti de suivre au plus près les modèles Lacroix, allant parfois jusqu'à les contrefaire purement et simplement,

- la concurrence parasitaire est en conséquence caractérisée " ;

Considérant que Lacroix abandonne certains des griefs retenus par les premiers juges mais reprend sa demande en concurrence déloyale, trouvant chez son adversaire une volonté constante de se mettre dans son sillage par la reprise :

- de l'association sur des boucles d'oreilles clip (scellé n° 4) d'une étoile à sept branches et un pendant en forme de coeur bombé qu'elle a été la première à associer dans une boucle d'oreille,

- des associations des objets jugés contrefaisant (scellé n° 7),

- d'un collier et d'un bracelet constitués d'une chaîne à mailles rondes dites " forçat " agrémentées de breloques dorées (comportant dans sa collection coeur, croix, soleil et taureau) (scellé nos 10 et 11),

- d'une ceinture associant non seulement un soleil et un coeur martelés mais également une croix (scellés 21 et 22),

- de la ligne générale de sacs présentant des motifs en métal doré martelé, en forme de moustaches, et des boules martelées au départ des anses (scellé 24), références Lacroix 22 E 8403130SA, 22 E 8403121GG et 22 E 8403122GG,

- des éléments caractéristiques du sac Lacroix 22 H 8102005 (scellé 26),

- des incrustations dorées et martelées de coeur, croix, soleil et initiales dans le sac " IGIN " (reprise des incrustations du sac du soir référence Lacroix, A 72007230036 ;

Considérant cela exposé que, comme le fait valoir de manière pertinente Scarabé, il ne saurait lui être reproché des actes de concurrence déloyale par adjonction d'un motif, à des motifs qu'elle-même utilisait auparavant sans retourner ce même grief à l'encontre de Lacroix qui a repris une combinaison de motifs préexistants et commercialisés par son adversaire ; qu'ainsi les reproches tenant à l'introduction de la croix (jugée ci-dessus contrefaisante), associée à d'autres motifs (scellés 21 et 22) n'est pas pertinent puisque Scarabé les utilisait déjà (soleil et coeur) sur une ceinture ; qu'en outre, des différences notables existent entre ces ceintures : chez Lacroix : cinq motifs (coeur, la lettre " C ", croix, la lettre L, soleil) et chez Scarabé : soleil, coeur, spirale, croix, étoile ; qu'il en est de même pour le collier et le bracelet agrémentés de breloques (scellés nos 10 et 11) dont certains des motifs préexistaient à ceux des bijoux Lacroix et qui comportent des différences dans le nombre des motifs : chez Lacroix : un soleil, un coeur, une croix et un taureau, chez Scarabé : huit motifs : deux coeurs, deux croix, deux soleils et deux étoiles ; que les griefs tenant à la reproduction de tels motifs sur des sacs du soir ne sont pas davantage pertinents dès lors que les sacs ont des formes totalement différentes, utilisent des motifs à des emplacements autres dans des dimensions non identiques, que les initiales ne présentent pas de graphisme proche, celui de Lacroix étant beaucoup plus " mouvant " que celui de Scarabé, et qu'au surplus les initiales ne sont pas utilisées d'une manière identique, le logo " CL " étant placé notamment au centre de bijoux en strass, alors que les initiales " E.L. " sont fondues dans les volutes des créations de Scarabé (scellé n° 7) ; que les griefs de concurrence déloyale se rapportant aux objets placés sous scellés 24 et 26 ainsi qu'au sac IGIN ne sont donc pas fondés ;

Considérant ainsi qu'aucun élément ne permet de retenir une reprise systématique des " idées commerciales " de Lacroix par Scarabé, l'une et l'autre étant inspirées dans leur composition de bijoux par les tendances de la mode;

Considérant qu'un des motifs retenus par les premiers juges tenant à la présentation des produits dans les vitrines de chez Scarabé n'est pas repris par Lacroix ; qu'en outre, il n'est pas rapporté la preuve que Scarabé aurait de manière significative fait une présentation fautive dans sa vitrine de bijoux par des références aux créations de Lacroix ;

Considérant en définitive que la demande formée par Lacroix sur le fondement de la concurrence déloyale et des agissements parasitaires sera rejetéeet le jugement réformé de ce chef ;

Considérant qu'il sera fait droit à la demande en restitution des objets placés sous scellés qui n'ont pas été retenus au titre de la contrefaçon ;

Considérant, sur les mesures réparatrices ne se rapportant plus qu'à la contrefaçon d'un seul bijou, que la somme allouée par les premiers juges sera modifiée, ceux-ci ayant apprécié le dommage subi au regard de plusieurs objets retenus comme contrefaisants ceux de Lacroix ; que compte tenu de ces éléments, la Cour estime que le préjudice de Lacroix sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ; que le jugement sera également réformé de ce chef ;

Considérant qu'il convient de confirmer les mesures d'interdiction en ce qu'elles portent sur le bijou susvisé ;

Sur la demande reconventionnelle en contrefaçon du bijou référencé BOD 27 :

Considérant qu'il n'est plus discuté en appel que Scarabé justifie être cessionnaire des droits d'auteur Edouard Rambaud sur les cinq modèles invoqués en première instance ; que la décision des premiers juges sera donc réformée de ce chef ;

Considérant que par écritures du 31 mai 1999, Scarabé a indiqué que Lacroix, pour ces cinq modèles, avait, dans le cadre d'une autre procédure introduite par M. Edouard Rambaud titulaire du droit moral, été condamnée pour contrefaçon du modèle BOD 27 par décision de la Cour d'appel de Paris du 10 avril 1996, (ayant été déboutée de ses demandes en contrefaçon des autres bijoux), devenue définitive par rejet du pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 1er décembre 1998 et qu'elle ne saurait à nouveau discuter, ne communiquant au surplus aucune pièce nouvelle par rapport à celles communiquées dans le cadre de la procédure susvisée, le défaut d'originalité du modèle BOD 27 ou l'absence de contrefaçon ;

Considérant que Lacroix réplique en soutenant qu'il " sera montré à la Cour que la religion de la Cour d'appel de Paris avait été surprise et que même le bijou BOD 27 ne peut pas être retenu comme constituant une œuvre protégeable opposable aux créations de Lacroix " ;

Mais considérant que l'argumentation de Lacroix pas autrement développée dans ses écritures est dénuée de pertinence dès lors que comme le relève à juste titre Scarabé il n'est pas démontré par des documents qui n'auraient pas été versés aux débats dans la procédure ayant donné lieu à la décision devenue définitive que " la religion de la Cour d'appel aurait été trompée " ;

Considérant que par la décision du 10 avril 1996, il a été décidé que le bijou commercialisé par Lacroix était la contrefaçon du bijou BOD 27 ; qu'il convient en conséquence de dire qu'en commercialisant ces bijoux, Lacroix s'est rendue coupable de contrefaçon à l'égard du cessionnaire des droits de l'auteur ;

Qu'en ce qui concerne la réparation du préjudice subi, Scarabé réclame la somme de 1 000 000 de F ; que cependant, compte tenu des éléments très succincts portés à la connaissance de la Cour, la Cour n'ayant notamment aucun élément coupable sur l'importance des ventes de ce bijou BOD 27 par rapport aux autres bijoux du catalogue, le préjudice sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 100 000 F ;

Considérant qu'il convient de faire droit aux mesures d'interdiction, de confiscation sollicitées, ce dans les termes du dispositif ci-dessous énoncé ;

Sur la demande reconventionnelle en concurrence déloyale :

Considérant que Scarabé reproche à Lacroix des actes de concurrence par la copie servile du bijou BOD 27 ainsi que par le fait qu'elle se met dans son sillage par des reprises de produits similaires à ceux qu'elle commercialise et détournerait ainsi la clientèle attachée au nom d'Edouard Rambaud ; qu'elle vise à cet égard :

- un modèle de ceinture revêtu d'un motif coeur et d'un motif soleil qui a été repris par Lacroix en y ajoutant la croix,

- une gamme de produits Newport constituée de cabochons en résine de couleurs sertis d'un fil métallique doré martelé, plus particulièrement un modèle en forme de coeur et un soleil en résine référencés BOH4 et BOH6 qui aurait été repris par Lacroix pour un même type de produits, coeur et soleil en résine dans les mêmes couleurs et sertis d'un fil métallique doré martelé,

Mais considérant que pour des motifs identiques à ceux retenus pour écarter la demande en concurrence déloyale de Lacroix, rien ne permet de conclure à une reprise systématique des gammes de bijoux commercialisés par Scarabé, et la copie à l'identique du bijou BOD 27, déjà retenu comme acte de contrefaçon ne constituant pas un acte distinct de concurrence déloyale ; que cette demande sera donc rejetée ;

Sur la demande de dommages-intérêts pour saisie contrefaçon abusive :

Considérant que Scarabé se plaint de l'importance de la saisie dans un salon professionnel portant sur 26 créations alors qu'en réalité, Lacroix a en cours de procédure abandonné la plupart de ses demandes ; qu'elle ajoute que cette saisie a été effectuée de manière peu discrète à une heure de pleine affluence, que ces circonstances dénotent une volonté délibérée de son adversaire de donner une large publicité à la saisie et de ce fait détourner des clients, qu'elle y est d'ailleurs parvenue puisque certains de ses clients de longue date se sont adressés à Lacroix ;

Considérant que celui qui procède à une saisie contrefaçon le fait à ses risques et périls ; qu'en l'espèce, il est certain que Lacroix qui prétendait que son adversaire était contrefacteur a manqué de prudence avant de requérir le commissaire de police et au cours des opérations de saisie puisqu'elle a, à tort, fait placer sous scellé une multitude de bijoux qui, en définitive, n'étaient pas contrefaisants ; qu'elle a agi avec une légèreté caractérisée alors qu'il convient de rappeler qu'il est indispensable de faire preuve de prudence dans la mise en œuvre de la procédure de saisie contrefaçon ;

Considérant qu'en outre, les conditions dans lesquelles s'est effectuée cette saisie, à une heure d'affluence et de manière peu discrète, révèlent non pas le comportement normal de la personne qui s'estime lésée mais une volonté délibérée de porter préjudice à son concurrent ; que ce comportement fautif a causé un préjudice à Scarabé qui sera réparé par l'allocation de la somme de 100 000 F ;

Considérant que les mesures de publication sollicitées par chacune des parties ne sont pas nécessaires, les préjudices étant suffisamment réparés par les sommes allouées à titre de dommages-intérêts ;

Considérant qu'il y a lieu de laisser à la charge de chacune des parties qui succombent l'une et l'autre en divers chefs de leurs prétentions les frais non compris dans les dépens par elles exposés ainsi que les dépens ;

Par ces motifs : Confirme le jugement en ce que la contrefaçon a été retenue pour le bijou constituant le scellé n° 7 (références Lacroix n° A 61001090237 et A 61004090219) constitué par une croix asymétrique, présentant une surface dorée et martelée, et en ce que les mesures d'interdiction et de confiscation aux fins de destruction relatives à ce bijou ont été prononcées ; Réformant pour le surplus, statuant à nouveau et ajoutant : Condamne la société Scarabé pour contrefaçon du bijou ci-dessus mentionné à payer à la société Lacroix la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ; Ordonne la restitution des scellés à la société Scarabé à l'exception du bijou contrefaisant le scellé n° 7 ; Dit recevable la société Scarabé en sa demande en contrefaçon du bijou référencé BOD 27 ; La dit bien fondée ; Condamne la société Christian Lacroix à payer à la société Scarabé la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour réparer son préjudice patrimonial ; Fait interdiction à la société Christian Lacroix de fabriquer, faire fabriquer, exposer, offrir à la vente et vendre le bijou contrefaisant sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, passé le délai d'un mois de la signification du présent arrêt ; Ordonne la remise des articles contrefaisants à la société Scarabé, aux frais de la société Christian Lacroix sous astreinte de 1 000 F par jour de retard passé le délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt afin de destruction ; Dit que la saisie contrefaçon pratiquée le 6 septembre 1994 l'a été de manière abusive ; Condamne en conséquence la société Christian Lacroix à payer à la société Scarabé la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts ; Rejette toute autre demande ; Dit que chaque partie conservera la charge de ses dépens de première instance et d'appel.