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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 8 septembre 1999, n° 1997-19472

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Eurodis (SA)

Défendeur :

Montceaux International (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarenne, Me Pamart

Avocats :

Mes Axelroude, Boisneault.

T. com. Evry, 3e ch., du 23 juill. 1997

23 juillet 1997

Faits et procédure :

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société Eurodis dont l'activité est la vente de fourniture et articles de bureaux et pédagogiques a employé en qualité de VRP : M. Gielzakowski, M. Lambert, M. Vancaemelbeke et Mme Brécheux ;

Le premier a démissionné le 5 avril 1994, suivi de M. Lambert le 10 mai, de Mme Brécheux le 16 mai 1994 et de M. Vancaemelbeke le 25 mai 1995 ;

Tous ont été engagés par la société Montceaux International, société concurrente de la société Eurodis, Mme Brécheux était seule liée par une clause de non-concurrence ;

La société Eurodis a adressé une lettre recommandée avec avis de réception en date du 8 juin 1994 à la société Montceaux International lui précisant que Mme Brécheux était tenue par cette clause pour une durée d'un an ;

Cette société n'ayant pas répondu, les termes de cette lettre lui ont été rappelés le 26 janvier 1995 ;

En l'absence de réponse et la société Eurodis estimant que Mme Brécheux démarchait ses clients au profit de la société Montceaux International, elle a, après avoir diligenté à l'encontre de son ancienne salariée une procédure devant le conseil de prud'hommes de Villeneuve St Georges, assigné par exploit en date du 1er août 1995 cette société devant le Tribunal de commerce d'Evry pour acte de concurrence déloyale ;

Elle sollicitait sa condamnation à lui payer la somme de 400 000 F à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

La société Montceaux International concluait au rejet des prétentions de la société Eurodis et reconventionnellement réclamait le versement d'une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive outre celle de 20 000 F pour ses frais hors dépens ;

Le tribunal retenant que la société Montceaux International dans l'ignorance où elle était de l'existence de la clause de non-concurrence n'avait commis aucune faute en employant Mme Brécheux, que le détournement de clientèle n'était pas établi non plus que la désorganisation du réseau commercial et la diminution du chiffre d'affaires de la société Eurodis a débouté celle-ci de ses demandes et l'a condamnée à payer à la société Montceaux International la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

La société Eurodis qui a interjeté appel de cette décision le 5 août 1997, demande à la Cour de dire que la société Montceaux International a commis un acte de concurrence déloyale, de désigner un expert aux fins de déterminer après vérification comptable, le chiffre d'affaires réalisé par Mme Brécheux sur son ancien secteur géographique visé par la clause de non-concurrence et ce pour le compte de la société Montceaux International et de relever le nom des clients pour lesquels est intervenue Mme Brécheux ;

Par ailleurs, elle sollicite le versement d'une indemnité provisionnelle de 400 000 F et l'attribution d'une somme de 20 000 F pour ses frais hors dépens ;

La société intimée poursuit la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté la société Eurodis et réclame le versement d'une somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Sur ce, LA COUR,

I- Sur la demande principale :

Considérant que la société Eurodis fait tout d'abord valoir que la société Montceaux International s'est rendue complice de la violation de la clause de non-concurrence en acceptant de Mme Brécheux des commandes, alors qu'elle avait connaissance de l'interdiction posée par la clause de non-concurrence ;

Considérant que la société intimée réplique qu'elle n'a commis aucune faute dès lors qu'elle a mis fin au contrat de travail de Mme Brécheux dès le 27 juin 1994, qu'elle n'a pas commissionné celle-ci sur les commande qu'elle avait prises et que les trois commandes passées entre la date de rupture du contrat de travail de Mme Brécheux et son deuxième engagement le 1er septembre 1995 sont passées inaperçues du fait de leur faible montant ;

Considérant ceci exposé, que se rend coupable de concurrence déloyale l'employeur qui, informé de l'existence d'une clause de non-concurrence, embauche ou continue à employer le salarié tenu par une telle clause ;

Considérant qu'en l'espèce, le contrat de travail de Mme Brécheux contenait une clause ainsi rédigée :

" A la cessation du présent contrat, quelqu'en soit la cause et quelque soit la partie à laquelle elle sera imputée, le représentant s'interdit pendant une durée de deux ans, toute activité portant directement ou indirectement, ou par personne interposée sur la commercialisation d'articles susceptibles de concurrencer les produits ayant fait l'objet de la représentation, à lui confiée par la société. Cette interdiction est limitée aux départements indiqués à l'article 4 du présent contrat (Val de Marne, Essonne, Seine et Marne, Loiret) " ;

Considérant que Mme Brécheux a démissionné le 16 mai 1994 de la société Eurodis laquelle lui a rappelé par lettre en date du 19 mai suivant qu'elle devait effectuer son préavis de trois mois d'une manière exclusive et constante, et ce jusqu'au 16 août 1994 et qu'à l'issue de son préavis elle restait tenue par une clause de non-concurrence pour les départements susvisés, la durée de l'interdiction étant toutefois ramenée à un an ;

Considérant que Mme Brécheux est entrée au service de la société Montceaux International le 21 mars 1994 pour y exercer une activité de représentant dans les départements du Val de Marne, Essonne, Loiret et Seine et Marne et ce afin de placer pour le compte de la société : " la fourniture générale de matériels et articles de bureau et de formation scolaire " ;

Que Mme Brécheux a donc été embauchée par la société Montceaux International pour une activité identique à celle qu'elle avait au sein de la société Eurodis et dans le même secteur géographique ;

Considérant que dès le 8 juin 1994, la société Eurodis a informé par lettre recommandée avec avis de réception la société Montceaux International de ce que Mme Brécheux se trouvait en période de préavis au sein de son entreprise et qu'elle était liée par une clause de non-concurrence dont la teneur lui était indiquée ;

Or considérant que la société Montceaux International a conservé Mme Brécheux à son service jusqu'au 27 juin 1994 et a exécuté outre les commandes prises par celle-ci en mars, avril, mai et le 1er juin 1994, trois commandes des 13 juin et 21 novembre 1994 et 24 mars 1995 concernant des clients implantés dans l'Essonne et le Val de Marne ;

Considérant qu'en agissant ainsi la société Montceaux International s'est rendue complice de la violation de la clause de non-concurrence liant Mme Brécheux à la société Eurodis et a commis une faute au sens de l'article 1382 du code civil ;

Que le fait qu'aucune commission n'a été versée sur ces commandes à Mme Brécheux n'est pas de nature à exonérer la société Montceaux International de sa responsabilité vis-à-vis de la société Eurodis ;

Que le jugement sera en conséquence réformé sur ce point ;

Considérant que la société Eurodis fait également valoir que son réseau commercial s'est trouvé désorganisé par le départ concomitant de trois de ses salariés lesquels ont été embauchés par la société Montceaux International et ajoute que l'un d'entre eux, M. Gielzakowski s'est livré à des actes de dénigrement à son encontre ;

Mais considérant que la société intimée lui oppose à juste titre que les propos qu'auraient tenus M. Gielzakowski n'engageait que celui-ci, observation étant faite qu'il apparaît qu'un contentieux personnel l'opposait aux dirigeants de la société Eurodis ;

Considérant qu'il résulte par ailleurs des pièces mises aux débats que :

- M. Gielzakowski et M. Lambert tous deux visiteurs représentants placiers au sein de la société Eurodis ont respectivement démissionné les 5 avril et 10 mai 1994 de la société Eurodis pour être embauchés par la société Montceaux International le 1er septembre suivant en tant que responsable recrutement et formation d'une part, VRP exclusif d'autre part,

- M. Vancaemelbeke a démissionné quant à lui le 25 mai 1995 pour entrer également le 1er septembre au sein de la société Montceaux International ;

Mais considérant que la société Eurodis ne démontre pas que le départ de Mme Brécheux et de ces trois salariés qui eux n'étaient liés par aucune clause de non-concurrence, a désorganisé son réseau commercial ;

Que les attestations produites de part et d'autre par des salariés de chacune des parties étant contradictoires, il n'est pas davantage établi que la société Montceaux International aurait essayé de débaucher des représentants de la société Eurodis en usant de manœuvres contraires aux usages loyaux du commerce ;

Que le jugement doit donc être confirmé de ce chef ;

Considérant sur la réparation du préjudice subi par la société Eurodis à la suite du départ de Mme Brécheux que l'appelante soutient qu'elle avait engagé des frais pour sa formation et son perfectionnement et qu'elle s'est trouvée contrainte de faire face à de nouvelle dépenses pour pourvoir à son remplacement ;

Qu'elle ajoute qu'elle a également subi une perte de chiffre d'affaires, les ventes réalisées par Mme Brécheux ayant fortement chuté au cours de sa période de préavis par rapport à l'année précédente dans la mesure où de plus elle travaillait parallèlement pour la société Montceaux International ;

Considérant que s'il ne peut être soutenu que les surcommissions versées par la société Eurodis à Mme Chinier et Gielzakowski, représentant cadre, l'ont été exclusivement pour la formation, le perfectionnement et le suivi de Mme Brécheux et si les pièces produites par cette société pour justifier des frais de recherche d'un nouveau VRP sont inexploitables en raison de leur imprécision, il demeure que Mme Brécheux a été au service de la société Eurodis pendant 10 ans ;

Que par ailleurs il est établi par les fiches de paie de Mme Brécheux qu'au cours des mois d'avril, mai, juin et juillet 1994 ses commissions et donc son chiffre de ventes ont été nettement inférieurs à ceux qu'elle avait atteints pour les mêmes mois de l'année précédente au sein de la société Eurodis ;

Que cette baisse s'explique indéniablement par le fait que Mme Brécheux qui n'a démissionné que le 16 mai 1994 et qui devait effectuer son préavis jusqu'au 16 août suivant, avait en réalité commencé à travailler pour le compte de la société Montceaux International dès le 21 mars 1994, date de son embauche par cette société ;

Que dans ces conditions et sans qu'il soit besoin de recourir à une mesure d'expertise, le préjudice subi par la société Eurodis du fait de l'acte de concurrence déloyale commis par la société Montceaux International sera indemnisée par le versement d'une somme de 150 000 F (22 867,35 euros) ;

II- Sur la demande reconventionnelle :

Considérant que la société Montceaux International qui succombe ne saurait qualifier d'abusive la procédure diligentée à son encontre ;

Que le jugement sera en conséquence confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts ;

III- Sur l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile à la société Montceaux International ;

Qu'en revanche, il y a lieu d'allouer à la société Eurodis pour les frais hors dépens par elle engagés tant en première instance qu'en appel une somme de 20 000 F (3 048,98 F).

Par ces motifs, Infirme le jugement du Tribunal de commerce d'Evry du 23 juillet 1997 sauf en ce qu'il a débouté la société Montceaux International de sa demande en paiement de dommages et intérêts, Le confirmant de ce seul chef et statuant à nouveau, Dit que la société Montceaux International s'est rendue complice de la violation de l'obligation de non-concurrence à laquelle Mme Brécheux était tenue envers la société Eurodis, La condamne à payer à la société Eurodis la somme de 150 000 F (22 867,35 euros) à titre de dommages et intérêts et celle de 20 000 F (3 048,98 euros) sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, La condamne aux dépens de première instance et d'appel, Admet la SCP Roblin Chaix de Lavarenne au bénéfice de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.