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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 18 juin 1999, n° 1997-21449

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Groupe Moniteur (SA), Action Municipale (SARL)

Défendeur :

Observatoire des Marchés Publics (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Régniez

Avoués :

SCP Taze-Bernard-Belfayol-Broquet, Me Hardouin-Herscovici

Avocats :

SCP Stibbe-Simont, Me Nitot.

T. com. Paris, du 9 juill. 1997

9 juillet 1997

LA COUR statue sur l'appel interjeté par les sociétés Groupe Moniteur et Action Municipale (ci-après Groupe Moniteur) d'un jugement rendu le 9 juillet 1997 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige les opposant à la société Observatoire des Marchés Publics (OMP).

La société Groupe Moniteur est (depuis 1996 dans le cadre d'un contrat de location-gérance du fonds de commerce comprenant cette revue appartenant à la société GEM) l'éditeur de la revue Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, et elle est également locataire gérante du fonds de publication de revues de la société La Sécuritas qui édite L'Argus, Journal International des Assurances. La société l'Action Municipale est l'éditeur de la Gazette des Communes, des Départements et des Régions. Les deux sociétés font partie du groupe CEP Communication.

Le Moniteur comporte essentiellement trois parties : environ 150 pages rédactionnelles et de petites annonces, 70 pages d'informations sur les permis de construire et les marchés publics où les informations reçues sur ces sujets sont présentées, résumées, par les rédacteurs de la revue, enfin, 100 pages environ, imprimées sur papier saumon, sous l'intitulé " Appels d'offres et Marchés négociés " où selon les indications données dans la revue, " les maîtres d'ouvrage qui désirent une publication intégrale, où figurent toutes les mentions exigées par le Code des marchés publics peuvent faire figurer à titre onéreux leur avis ". Cette partie consacrée aux appels d'offres est celle qui donne lieu au présent litige.

La société Observatoire des Marchés Publics, créée en octobre 1994, est abonnée à l'ensemble des journaux et revues agréées par l'Etat pour la publication des avis d'appel à la concurrence. Elle compile ces avis, les analyse et les classe et adresse chaque semaine par télécopie une synthèse des avis correspondant aux critères de sélection indiqués par ses abonnés. Outre ce service dénommé par elle SAMP (Surveillance Automatique des Annonces de Marchés Publics), elle offre un service dit TLF (Trans Legal Fax) consistant à adresser aux abonnés qui en font la demande le texte des annonces de marchés publics qui ont retenu leur attention.

Par acte du 28 avril 1997, Groupe Moniteur a fait assigner OMP à bref délai devant le Tribunal de commerce de Paris. Elle reprochait à son adversaire d'avoir porté atteinte à ses droits d'auteurs en reprenant purement et simplement la présentation des annonces de marchés publics publiées dans Le Moniteur (prétendant que leurs choix de présentation et leur disposition témoignaient d'une création intellectuelle) et en adressant à ses clients des photocopies d'annonces. Elle réclamait qu'OMP soit condamnée à lui payer de ce chef à titre de dommages-intérêts, 500 000 F pour l'atteinte à son droit moral et la même somme pour l'atteinte à ses droits patrimoniaux. Elle faisait en outre grief à OMP d'avoir commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire en détournant à son profit le fruit de son savoir-faire et de ses investissements et en incitant sa clientèle à faire l'économie d'un abonnement au Moniteur. Elle demandait à ce titre la somme de 3 millions de francs à titre de dommages-intérêts. Groupe Moniteur réclamait en outre des mesures d'interdiction et de publication ainsi qu'une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale en sa qualité de locataire gérant du fonds de publication de La Sécuritas. L'Action Municipale demandait elle-même une somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour les actes de concurrence déloyale relatifs à la Gazette des Communes.

OMP avait conclu au débouté, en contestant l'originalité des annonces reprises dont elle observait qu'elles étaient rédigées par les seuls annonceurs en conformité avec les prescription du Code des marchés publics, en faisant valoir que ces annonces légales, que les revues de Groupe Moniteur étaient tenues de publier, ne leur conféraient aucun droit d'auteur, que dans ces conditions elle-même n'avait commis aucune faute en en diffusant des photocopies. Elle exposait par ailleurs qu'elle n'avait commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire parce qu'elle intervenait (en s'appuyant sur des investissements propres importants : abonnements à plusieurs centaines de journaux d'annonces légales, mise au point d'un dispositif informatique complexe, etc...) sur un marché différent de celui de ses adversaires et qu'aucun risque de confusion n'était à redouter. Elle contestait le préjudice allégué par ses adversaires et réclamait reconventionnellement des dommages-intérêts pour procédure abusive.

C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement entrepris. Estimant que la publication invoquée " constituait une base documentaire dominée par une fonction d'information, que cette information en faisait l'objet d'aucun véritable traitement ou regroupement thématique marquant l'œuvre d'un auteur, que c'était précisément ce qui justifiait la prestation d'OMP qui, à l'intention de ses clients, procédait à une consultation que la composition même de la revue n'organisait ni ne facilitait " le tribunal a dit infondés " les demandes tendant à la protection de prétendus droits d'auteur ". Il a retenu qu'OMP faisait de l'information publiée par Groupe Moniteur un usage conforme à sa vocation documentaire en la véhiculant sous une forme synthétisée jusqu'à ses destinataires, mais qu'en communiquant à ses clients le texte intégral des avis publiés par Groupe Moniteur, OMP dépassait le rôle de surveillance, s'interposait entre les lecteurs et la revue et causait à celle-ci un préjudice. Il a condamné de ce chef OMP à payer à Groupe Moniteur la somme de 80 000 F à titre de dommages-intérêts et repoussé toutes les autres demandes notamment celles se rapportant aux publications autres que Le Moniteur, de même que les demandes reconventionnelles d'OMP. Il a dit enfin que chaque partie supporterait les dépens par moitié.

Groupe Moniteur a interjeté appel et OMP a également fait appel incident du jugement en ses dispositions lui faisant grief.

L'affaire est venue pour plaidoiries à l'audience le 26 novembre 1998. La Cour, relevant que les explications données à la barre avaient fait apparaître que les parties étaient en désaccord sur la nature des annonces du Moniteur dont lieu au litige puisqu'à la différence de Groupe Moniteur, l'intimée soutenait que celles-ci avaient toutes la nature d'annonces légales, a ordonné la réouverture des débats par arrêt du 11 décembre 1999, en invitant les parties à " s'expliquer sur la question ci-dessus mentionnée et à déposer toute autre conclusion utile ".

Les parties ont de nouveau chacune conclu à plusieurs reprises.

Groupe Moniteur et Action Municipale, aux termes de leurs écritures récapitulatives, concluent au rejet de tous moyens nouveaux développés postérieurement à la réouverture des débats par OMP et prient la Cour :

" 1- Au titre de l'atteinte portée aux droits d'auteur de Groupe Moniteur :

- d'infirmer le jugement de première instance,

- de dire et juger que l'Observatoire des Marchés Publics s'est rendu coupable de contrefaçon, en portant atteinte aux droits d'auteurs dont Groupe Moniteur est titulaire sur sa base de données, intégrant la présentation des annonces de marchés publics, telles que publiées dans la revue Le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment,

- de condamner l'Observatoire des Marchés Publics à payer à Groupe Moniteur la somme de 500 000 F en réparation de l'atteinte portée à son droit moral,

- de condamner l'Observatoire des Marchés Publics à payer à Groupe Moniteur la somme de 500 000 F en réparation de l'atteinte portée à son droit patrimonial,

2- Au titre de la concurrence déloyale et parasitaire :

- de confirmer le jugement dont appel, en ce qu'il a partiellement admis la faute de l'OMP dans la communication à ses clients du texte intégral des avis publiés dans le Moniteur et l'infirmant pour le surplus,

- de condamner l'Observatoire des Marchés Publics à payer à Groupe Moniteur la somme de 3 000 000 F à titre de dommages-intérêts, en réparation du très important préjudice subi par Groupe Moniteur,

- d'enjoindre à l'OMP, sous astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard et par infraction, courant huit jours après signification de l'arrêt à intervenir, de supprimer, dans tout logiciel en sa possession et dans tout document adressé à la clientèle, toute référence directe ou indirecte au Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, à L'Argus - Journal des Assurances et à la Gazette des Communes, des Départements et des Régions et aux avis publiés dans ces revues.

- de faire interdiction à l'OMP sous astreinte définitive de 10 000 F par jour de retard et par infraction, courant huit jour après signification de l'arrêt à intervenir, de procéder à toute reproduction et envoi des avis, reproduits par photocopie ou par tout autre procédé, publiés dans le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, dans l'Argus - Journal des Assurances ou dans la Gazette des Communes, des départements et des régions,

- d'enjoindre, sous astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard et par infraction, courant huit jours après signification de l'arrêt à intervenir, de modifier ses documents contractuels ou publicitaires, par lesquels l'OMP incite directement ou indirectement ses clients à renoncer à l'abonnement à des publications, telles que le Moniteur, L'Argus - Journal des Assurances ou de la Gazette des Communes, des Départements et des Régions,

- de faire interdiction à l'OMP, sous astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard et par infraction, courant huit jours après signification de l'arrêt à intervenir, de diffuser les documents contractuels ou publicitaires visés ci-dessus,

- d'enjoindre à l'OMP de justifier, à première demande de Groupe Moniteur ou de l'Action Municipale, sous astreinte définitive de 5 000 F par jour de retard, courant 48 heures après la demande qui lui en sera faite, s'être conformé aux injonctions ci-dessus,

- d'ordonner à titre de dommages-intérêts complémentaires la publication du dispositif de l'arrêt à intervenir dans cinq journaux ou revues au choix de Groupe Moniteur et aux frais de l'OMP dans la limite de 30 000 F HT par insertion, Groupe Moniteur pouvant faire l'avance des frais de publication et en demander le remboursement sur justificatif à l'OMP,

- de condamner l'OMP à payer à Groupe Moniteur la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC.

Observatoire des Marchés Publics demande à la Cour :

- de déclarer tant irrecevables que mal fondées les sociétés Le Moniteur et l'Action Municipale en leur appel,

- de confirmer en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré que les sociétés Le Moniteur et l'Action Municipale ne pouvaient se prévaloir de la protection du Code de la propriété intellectuelle,

- d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré OMP fautive,

Et statuant à nouveau :

- de constater qu'OMP n'a commis aucun acte de concurrence déloyale ni d'agissement parasitaire,

- de débouter en conséquence les sociétés Le Moniteur et l'Action Municipale de leur demande d'indemnisation,

- de condamner les sociétés Le Moniteur et l'Action Municipale à lui payer la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'il sera d'abord relevé que l'arrêt avant dire droit du 11 décembre 1998, tout en invitant les parties à s'expliquer sur la question précise de la qualification des annonces litigieuses, les autorisait aussi à déposer " toute autre conclusion utile " ; qu'il s'ensuit que les moyens nouveaux que Groupe Moniteur - sans d'ailleurs les identifier - reproche à OMP d'avoir développés après la réouverture des débats ne sauraient en toute hypothèse être écartés ;

Considérant en fait que les appelantes se plaignent d'atteintes portées à leurs droits sur trois publications (Le Moniteur, L'Argus - Journal des Assurance et la Gazette des Communes) mais ne versent pas aux débats d'exemplaires de ces deux dernières publications et ne développent pratiquement leur argumentation qu'à propos du Moniteur.

Considérant qu'il convient de rappeler qu'en première instance les demanderesses ont :

- exposé " que Le Moniteur constitue une tribune privilégiée et un outil indispensable et de référence grâce à sa connaissance et à son expérience spécifique dans le domaine de la communication et de l'information destinées aux donneurs d'ordre et aux professionnels du domaine de la construction ... qu'il a mis en place en 1903 un réseau unique de journalistes permanents et de correspondants régionaux répartis sur l'ensemble du territoire qui lui permet d'avoir une excellente connaissance du terrain par des relations de proximité et garantit à ses lecteurs une remarquable densité d'informations ... qu'il édite une rubrique " Marchés ", où figurent des annonces de marchés publics, des informations relatives aux permis de construire et des avis d'attribution de marchés publics classés par département et domaine d'activité ... que les informations sur les marchés publics sont, soit publiées, après collecte auprès des donneurs d'ordre, par extraits rédigés par les soins de Groupe Moniteur, dans les pages blanches du Moniteur, soit publiées de façon plus complète, à la demande des annonceurs dans les pages saumon du Moniteur ",

- indiqué qu'elles reprochaient à " OMP d'avoir mis en place un service consistant à exploiter quotidiennement les annonces de marchés publics qui paraissent dans la presse et en particulier dans Le Moniteur en sélectionnant les annonces susceptibles d'intéresser ses clients sur la base de critères définis d'un commun accord avec eux (secteur géographique, secteur d'activité, etc...) sans se limiter à un traitement des informations brutes publiées mais en intégrant dans sa base de données la présentation des annonces de marchés publics faites par Le Moniteur ", d'une part, en citant dans ses rapports de surveillance la référence de publication dans cette revue à savoir le code du titre de la publication, la date de parution et le numéro de la page (ex " réf. Mon du 4/10/96 - 252/2 - c'est à dire Moniteur du 4 octobre 1996, page 252, 2e annonce), d'autre part, en envoyant sur demande des clients intéressés une photocopie pure et simple de la partie de la page concernée du Moniteur,

- précisé qu'elles formaient des demandes à deux titres :

- le droit d'auteur, en reprochant à OMP de contrefaire les droits d'auteur dont il est titulaire sur la présentation d'annonces de marchés publics réalisée par ses soins, alors que la préentation effectuée par la revue et la disposition des annonces révèleraient une création intellectuelle bénéficiant de la protection du droit d'auteur par application de l'article L. 111-1 et suivants du code de la propriété intellectuelle, et d'adresser en outre à ses clients des photocopies des pages du Moniteur, en violant les dispositions de l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle,

- la concurrence déloyale et parasitaire ;

Considérant que, devant la Cour, Groupe Moniteur fait pour la première fois référence à la notion de base de données, en invoquant partiellement la loi du 1er juillet 1998 portant transposition dans le code de la propriété intellectuelle de la directive 96/9 CE concernant la protection juridique des bases de données ; que tout en reprenant son argumentation initiale, écartée par les premiers juges, selon laquelle la présentation même des avis tels que publiés dans Le Moniteur serait protégeable au titre du droit d'auteur, elle ajoute que les avis d'appel d'offre à la concurrence qu'elle publie constituent une base de données bénéficiant de la protection du droit d'auteur (article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle), et qu'elle est en outre fondée à invoquer la protection spécifique conférée aux producteurs de bases de données par l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle ; qu'elle reproche encore à OMP des actes de concurrence déloyale et parasitaire, précisant de ce point de vue que OMP aurait usurpé ses investissements ainsi que sa notoriété et détourné sa clientèle ;

Considérant qu'une discussion s'étant élevée à ce sujet entre les parties, Groupe Moniteur a établi devant la Cour que Le Moniteur n'est habilité à recevoir des annonces légales que dans 11 départements ; qu'OMP a indiqué qu'elle n'avait pas eu connaissance de cette circonstance, que Le Moniteur qui comporte une rubrique annonces judiciaires et légales n'y insère que des avis relatifs aux sociétés et aux fonds de commerce ; que dans sa rubrique " Appels d'offres et marchés négociés " rien ne permet de distinguer entre les avis correspondant ou non à une publication obligatoire par application du code des marchés publics, que cette ambiguïté est " sans doute entretenue pour recueillir le maximum d'annonces auprès des maîtres d'ouvrage ", qu'elle a cessé fini 1998 d'exploiter la rubrique ci-dessus mentionnée du Moniteur pour les annonces ne se rapportant pas aux 11 départements dans lesquels cette revue est habilitée à recevoir des annonces légales ;

Considérant, cela étant exposé, que Groupe Moniteur indique elle-même qu'elle " ne revendique pas la protection des informations ou données contenues dans les avis, celles-ci étant de toute évidence libres de droits d'auteur " ;

Considérant que Groupe Moniteur soutient en revanche que la présentation des avis tels que publiés dans Le Moniteur, bénéficie contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges de la protection du droit d'auteur ; qu'elle expose :

- " que la présentation des avis n'est en aucun cas le résultat de contraintes extérieures, mais résulte de choix effectués librement par Groupe Moniteur et constitue une présentation originale portant l'empreinte de sa personnalité,

- qu'aucune réglementation n'impose une quelconque contrainte quant à la présentation des informations, Groupe Moniteur disposant d'une discrétion totale quant au choix du nombre de colonnes, à la largeur des colonnes, aux titres, aux caractères, à la typographie, à la mise en page...

- que le style des avis, la dénomination des différents titres, la forme, la structure, le graphisme, la couleur, la typographie et la mise en page des avis, caractéristiques propres au Moniteur, révèlent l'empreinte de sa personnalité,

- qu'ainsi la présentation des avis constitue bien une œuvre de l'esprit originale protégée au titre du droit d'auteur " ;

Mais considérant que cette argumentation, dont il y a lieu d'observer qu'elle-mêle des griefs d'atteinte à la présentation tant graphique que rédactionnelle, a été justement repoussée par le tribunal ; qu'il ressort des pièces versées aux débats par les appelantes elles-mêmes (ordres d'insertion et publication correspondantes, d'autant plus significatifs qu'ils ont été choisis dans des départements où Le Moniteur n'est pas habilité à recevoir des annonces légales) que le Moniteur se limite à éditer un texte préalablement et intégralement rédigé par l'annonceur, comportant et distinguant dès l'origine les différentes rubriques prévues à l'article 38 II du code des marchés publics ; que leur classement par départements et en six rubriques (Architectures et études, Bâtiment, Génie civil, Prestations et services, Fournitures, Avis d'attribution) est strictement fonctionnel, et correspond à une structure banale pour un journal d'annonces ; qu'indépendamment des intertitres (par ex : Ain 01) sous lequel sont regroupées les annonces de chaque département, chacune des annonces comporte un intitulé qui est la reprise des mentions communiquées par l'annonceur en ce qui concerne l'objet du marché et son lieu d'exécution, par exemple :

THOIRY

Extension de l'école les Gentianes ;

Que ni ces classements et mentions, ni la présentation graphique des pages consacrées aux annonces, disposées sur trois colonnes dans des caractères typographiques courants, faisant apparaître en majuscules ou en gras les titres (ex : " Avis d'appel public à la concurrence ") et les têtes de rubriques (ex : Identification de l'organisme qui passe le marché) ne caractérisent une création originale, témoignant d'une inspiration personnelle ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la présentation des avis tels que publiés dans Le Moniteur ne pouvait pas bénéficier de la protection du droit d'auteur ;

Que le tribunal a également justement décidé que le grief de contrefaçon de ces avis (par photocopies) n'était pas fondé ;

Considérant qu'alors que Groupe Moniteur n'avait pas invoqué devant le tribunal la qualité de créateur ou de producteur d'une base de données, les premiers juges ont, comme il a déjà été dit, estimé que la publication invoquée constituait : " une base documentaire dominée par une fonction exclusive d'information ; que cette information ne fait l'objet d'aucun véritable traitement ou regroupement thématique marquant l'œuvre d'un auteur " ;

Considérant que Groupe Moniteur critique le jugement de ce chef en se prévalant devant la Cour des qualités d'auteur et de producteur d'une base de données ;

Considérant que, sur le premier point, elle fait grief au tribunal de s'être contentée de rechercher l'originalité dans le traitement ou regroupement de caractère thématique des informations publiées alors que les critères à prendre en compte sont le choix ou la disposition des matières et elle lui reproche d'avoir porté un jugement de valeur sur son œuvre dans le but de dénier son originalité ; qu'elle expose que " Groupe Moniteur agence les informations choisies et recueillies, sous des rubriques (marchés publics, marchés privés), des sous rubriques (bâtiment, génie civil, fournitures, etc...) et, enfin, par département, au moyen d'une présentation structurée et organisée en fonction de considérations propres, marquant l'empreinte de sa personnalité " ;

Mais considérant que l'article L. 112-3 du code de la propriété intellectuelle, issu de la loi du 1er juillet 1998 - mais dont les parties ne contestent pas qu'il ne fait que reprendre des solutions précédemment acquises, en particulier depuis l'entrée en vigueur du traité ADPIC, dispose que " jouissent de la protection (du droit d'auteur) sans préjudice des droits de l'auteur de l'œuvre originale, ... les auteurs d'anthologies ou de recueils d'œuvres ou données diverses, tels que les bases de données, qui par le choix ou la disposition des matières, constituent des œuvres intellectuelles " ;

Considérant qu'au regard de ces critères, il sera relevé que les données recueillies par les appelantes sont, soit des annonces légales obligatoires qu'elles sont tenues de publier, soit (pour les départements pour lesquels Le Moniteur n'est pas habilité à recevoir des annonces légales) des annonces de marchés publics rédigées suivant les directives du code des marchés publics et dont les maîtres d'ouvrages publics commandent et payent la publication ; que Groupe Moniteur qui ne justifie pas choisir lesdites annonces ne démontre pas, comme il a été vu précédemment, les disposer d'une manière originale ; qu'il n'apparaît pas que sa publication témoigne d'une création d'œuvre de l'esprit, constituant une base de données protégeable par le droit d'auteur ;

Considérant que l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle, applicable aux bases de données fabriquées depuis le 1er janvier 1983 et donc susceptible d'être invoqué dans la présente espèce dispose que : " Le producteur d'une base de données, entendu comme la personne qui prend l'initiative et le risque des investissements correspondants, bénéficie d'une protection du contenu de la base lorsque la constitution, la vérification ou la présentation de celui-ci atteste d'un investissement financier, matériel ou humain substantiel. Cette protection, est indépendante et s'exerce sans préjudice de celles résultant du droit d'auteur ou d'un autre droit sur la base de données ou sur un de ses éléments constitutifs " ;

Considérant que la portée de cette disposition nouvelle est éclairée par les considérants de la directive communautaire dont elle est la transposition ; que cet acte énonce qu'outre " l'objectif d'assurer la protection du droit d'auteur en vertu de l'originalité du choix ou de la disposition du contenu de la base de données, la présente directive a pour objectif de protéger les fabricants de bases de données contre l'appropriation des résultats obtenus de l'investissement financier et professionnel consenti par celui qui a recherché et rassemblé le contenu, en protégeant l'ensemble ou les parties substantielles de la base de données contre certains actes commis par l'utilisateur ou par un concurrent (...) que l'objet de ce droit sui generis est d'assurer la protection d'un investissement dans l'obtention, la vérification, ou la présentation du contenu d'une base de données pour la durée limitée du droit ; que cet investissement peut consister dans la mise en œuvre de moyens financiers et/ou d'emploi du temps d'efforts et d'énergie " ;

Considérant que la " condition spécifique " de la protection établie par l'article L. 341-1 est donc l'existence d'un investissement substantiel ; qu'en l'espèce, s'il n'est pas douteux que la publication des annonces adressées au Moniteur procède de l'audience qu'à acquise depuis des décennies cette revue dans le secteur professionnel du bâtiment et des travaux publics, Groupe Moniteur ne justifie pas d'investissements substantiels dans leur obtention, leur vérification et leur présentation ; qu'elle ne démontre pas engager de frais de promotion auprès des annonceurs, ne vérifie pas les annonces, ne peut pas se prévaloir d'un travail onéreux de formalisation ; que tout (notamment l'exemple des journaux consacrés exclusivement aux annonces, souvent distribués gratuitement, et des journaux d'annonces légales) conduit en réalité à estimer que la publication de ces annonces, même si elle implique des charges, n'est pas au premier chef un objet d'investissement - à plus forte raison, d'investissement substantiels, mais au contraire, grâce à la perception des frais d'insertion, une activité lucrative et profitable en elle-même ; que Groupe Moniteur n'est donc pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle ;

Considérant que, sur la concurrence déloyale et parasitaire, les appelantes font grief à leur adversaire :

- d'usurper les investissements réalisés par Groupe Moniteur depuis l'utilisation des données jusqu'au " photocopiage " de l'avis,

- d'usurper indûment la notoriété de Groupe Moniteur,

- de procéder à un détournement de la clientèle de Groupe Moniteur ;

Considérant que l'argumentation d'OMP qui soutient que les appelantes ne sauraient simultanément agir sur le fondement du droit d'auteur et de la concurrence déloyale ne saurait prospérer dès lors que Groupe Moniteur qui a été déboutée de sa demande en contrefaçon invoque sur la concurrence déloyale des faits distincts de ceux argués de contrefaçon ;

Considérant qu'en soi, l'utilisation des données provenant d'annonces publiées par des maîtres d'ouvrages publics alors que Groupe Moniteur a elle-même indiqué qu'elle " ne revendique pas la protection des informations ou données contenues dans les avis " n'apparaît pas critiquable ; que les rapports de surveillance émis par OMP consacrent trois ou quatre lignes à chaque avis recensé et mentionnent la source de la publication (sous forme abrégée, la désignation du service acheteur, son adresse et son numéro de téléphone, la nature de l'appel d'offres, son objet, la date limite de réception des offres ; que le tribunal a justement estimé que ces rapports faisaient de l'information véhiculée par Groupe Moniteur un usage conforme à sa vocation documentaire en la véhiculant sous une forme synthétisée jusqu'à ses clients ;

Considérant que le grief de parasitisme et l'allégation selon laquelle l'intimée se serait indûment et sans bourse délier approprié indûment le travail d'autrui, ne sont pas fondés en ce qui concerne ces rapports de surveillance alors notamment qu'OMP, qui dépouille plusieurs centaines de journaux d'annonces légales, analyse les annonces, rapproche leurs caractéristiques des critères fournis par ses clients, et adresse par télécopie à ceux-ci les résumés qu'elle établit ;

Considérant que Groupe Moniteur ne peut pas non plus être suivie en ce qu'elle prétend qu'OMP aurait usurpé la notoriété du Moniteur, alors que l'intimée établit que Le Moniteur n'est qu'une des très nombreuses publications analysées par elle, et qu'aucune pièce versée aux débats ne démontre qu'elle mettrait en avant cette revue ; que les documents commerciaux produits (où il est indiqué que le génie civile et le bâtiment représentent 27 % des marchés publics) énoncent au titre des sources que " chaque jour nos spécialistes ... analysent des centaines d'annonces de marchés publics relevées dans le BOAMP (Bulletin Officiel des Annonces de Marchés Publics), le JOCE (Journal Officiel des Communautés Européennes), les principaux titre de PGR (Presse Quotidienne Régionale), de la PMS (Presse Magazine Spécialisée) ... " ;

Considérant que les documents commerciaux d'OMP, s'ils comportent le slogan " Ne ratez plus un marché important pour votre entreprise, économisez sur vos dépenses de surveillance (temps passé, abonnements, etc...) " mentionnent que les clients économisent le temps passé par leur personnel à la lecture des annonces et des coûts d'abonnements, mais insistent surtout sur le caractère exhaustif de l'information offerte et " l'amélioration des moyens de prospections des entreprises sur le secteur des marchés publics " ;

Que ces documents commerciaux ne peuvent pas être considérés comme constitutifs d'un acte fautif de détournement de clientèle au préjudice du Moniteur, alors notamment que cette revue a un important contenu rédactionnel en dehors des annonces donnant lieu au litige et qu'elle n'est qu'une des très nombreuses publications surveillées par OMP ;

Qu'OMP, dont il n'est pas prétendu qu'il aurait utilisé le fichier d'abonnés du Moniteur, ou démarché de manière déloyale les lecteurs de cette publication, ni créé de confusion entre ses prestations et la revue, ni dénigré celle-ci, n'a pas, en offrant son service Surveillance Automatique des Marchés Publics, commis d'actes de concurrence déloyale au préjudice de Groupe Moniteur ;

Considérant en revanche que c'est à juste titre que le tribunal a estimé que le service dit Trans Legal Fax, consistant à adresser aux clients qui en font la demande, après réception d'un rapport de surveillance, le texte intégral des avis photocopiés ou " scannés " dans le Moniteur, causait un préjudice à Groupe Moniteur, en s'interposant entre la revue et ses lecteurs; que cette prestation qui dispense ses clients de recourir à la revue, prive celle-ci des revenus qu'elle tire de ses ventes aux lecteurs ;

Considérant qu'en réparation de ce préjudice, qu'il a estimé être sans commune mesure avec celui invoqué par Groupe Moniteur, le tribunal a alloué à celle-ci la somme de 80 000 F ;

Que Groupe Moniteur reprend devant la Cour sa demande en paiement la somme de 3 millions de francs à titre de dommages-intérêts pour la concurrence déloyale et fait valoir qu'elle a " constaté une perte sensible d'abonnés en 1995, perte qui s'est accentuée en 1996, ce qui s'est traduit par une diminution de chiffre d'affaires de 9 600 000 F et une perte nette (frais, routage et approvisionnement déduits) de 6 557 745 F dont la moitié, soit 3 millions de francs peut être imputée aux agissements d'OMP " ;

Que cependant OMP, qui fait valoir exactement que Groupe Moniteur qui n'a pris le fonds de publication de la revue en location gérance qu'en 1996, n'est pas fondée à réclamer réparation d'un préjudice qui aurait été antérieurement subi par son cédant, et qu'elle ne démontre d'ailleurs pas l'existence d'un lien de causalité entre le début de l'activité d'OMP (constituée en octobre 1994 et qui aurait commencé ses activités courant 1995) et la perte d'abonnés éprouvée dès 1995 ; que Groupe Moniteur ne fournit aucune indication sur l'évolution de ses ventes après 1996, alors que deux exercices complets se sont écoulés ;

Considérant qu'eu égard aux éléments ci-dessus mentionnés, et à l'ensemble des circonstances de la cause, notamment au fait qu'OMP apparaît avoir poursuivi postérieurement au jugement son service Trans Legal Fax en ce qui concerne Le Moniteur (quoiqu'à une échelle restreinte depuis qu'elle n'exploite plus que les annonces se rapportant à 11 départements) la Cour estime par réformation du jugement que le préjudice de Groupe Moniteur sera exactement réparé par l'allocation de la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ;

Considérant que par réformation également du jugement, ils sera fait interdiction sous astreinte à OMP de poursuivre les actes fautifs ci-dessus mentionnés ;

Considérant que le tribunal a débouté Groupe Moniteur et l'Action Municipale de toutes leurs demandes concernant L'argus - Journal des Assurances et la Gazette des Communes au motif qu'elles n'étaient assorties d'aucune justification ; que les appelantes qui ne versent pas aux débats les publications ci-dessus mentionnées, ne démontrent pas qu'elles auraient été citées dans un rapport de surveillance, ni effectivement concernées par l'activité Trans Legal Fax d'OMP ; que celle-ci, qui en cours d'instance a retiré L'Argus de la liste des publications par elle surveillées, l'avait initialement placé dans cette liste, de même que la Gazette des Communes ; que dans ces conditions, il convient, par réformation également du jugement, et en tant que de besoin, de prononcer à l'encontre d'OMP pour ce qui concerne ces publications les mêmes mesures d'interdiction que celle se rapportant au Moniteur ;

Considérant que les mesures de publication sollicitées ne sont pas nécessaires ;

Considérant que l'équité n'exige pas qu'il soit fait droit aux demandes formées par l'une ou l'autre des parties au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; que chacune succombant en quelque chef de leurs prétentions, les parties supporteront chacune leurs dépens d'appel ;

Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts le débouté des demandes formées par la société Groupe Moniteur ès qualités et l'Action Municipale, et le rejet des demandes d'interdiction ; Réformant de ces seuls chefs, statuant à nouveau et ajoutant : Condamne la société Observatoire des Marchés Publics à payer à la société Groupe Moniteur la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ; Fait interdiction à la société Observatoire des Marchés Publics sous astreintes de 2 000 F par jour de retard et par infraction, courant huit jour après signification du présent arrêt, de procéder à l'envoi de sa clientèle de reproductions par photocopie ou par tout autre procédé des avis publiés dans le Moniteur des Travaux Publics et du Bâtiment, dans L'Argus - Journal des Assurances ou dans la Gazette des Communes, des Départements et des Régions ; Rejette toute autre demande ; Dit que chaque partie supportera ses dépens d'appel.