CA Paris, 4e ch. B, 11 juin 1999, n° 1996-12777
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
LCF Production (SA)
Défendeur :
Beiersdorf (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
Me Pamart, SCP Teytaud
Avocats :
Mes Payrat, Boespflug.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société LCF Production d'un jugement rendu le 22 mars 1996 par le Tribunal de Commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Beiersdorf.
Référence était faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent :
Beiersdorf vend sous la marque "Nivea" une crème de soin pour la peau, conditionnée dans une boîte de couleur bleue sur le couvercle de laquelle sont reproduits en caractères différents de couleur blanche la marque Nivea et le terme "crème", et comportant au dos en caractères blancs ou dans une cartouche blanche la dénomination du produit et un texte mentionnant ses propriétés et sa composition. Beiersdorf indique qu'en raison de l'ancienneté et de l'importance de son exploitation, ce conditionnement est notoirement connu du public.
En 1995, Beiersdorf, reprochant à LCF Production d'avoir mis sur le marché une crème de soin dénommée "Callinea" dans une boîte ronde de couleur bleue sur le couvercle de laquelle étaient reproduits en caractères de couleur blanche la dénomination "Callinea" et le terme "crème" a fait assigner celle-ci, par acte du 31 juillet 1995, aux fins de la voir condamner pour actes de concurrence déloyale.
Beiersdorf priait le Tribunal de condamner LCF Production à lui payer au titre de la concurrence déloyale une provision de 500 000 F et d'ordonner une mesure d'expertise pour évaluer le préjudice subi. Elle réclamait en outre que soient prononcées des mesures d'interdiction sous astreinte de publication.
LCF Production ne s'est pas constituée mais a écrit à la demanderesse le 7 novembre 1995, avec copie au Tribunal, qu'elle ne commercialisait plus le produit litigieux et n'utilisait plus la marque "Callinea".
A la demande du magistrat rapporteur, le conseil de Beiersdorf a indiqué à LCF Production, par courrier du 22 novembre 1995, qu'elle était disposée à renoncer à son action à la double condition que celle-ci n'utilise plus non seulement la marque "Callinea" mais encore le conditionnement incriminé et qu'elle lui verse une indemnité de 50 000 F.
LCF Production ayant refusé cette proposition par lettre du 29 novembre 1995, et ayant sollicité de son côté une indemnité de 100 000 F "en réparation de certains abus", Beiersdorf a maintenu l'intégralité de ses demandes par un courrier adressé au Tribunal le 6 février 1996.
Le jugement a condamné LCF Production à payer à Beiersdorf la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des actes de concurrence déloyale et lui a fait interdiction sous astreinte de commercialiser les conditionnements litigieux. Il a en outre ordonné des mesures de publication et condamné LCF Production à payer à Beiersdorf une somme de 20 000 F pour ses frais irrépétibles.
LCF Production poursuit la réformation de cette décision. Elle prie la Cour de :
- rejeter des débats les écritures et les pièces signifiées par Beiersdorf le 26 mars 1999,
- autoriser la communication des pots litigieux faite après le 15 avril 1999 ou reporter l'ordonnance de clôture pour permettre leur communication,
- dire qu'elle a, en retirant de la vente le produit "Callinea" dès le 12 juillet 1995, et avant même l'introduction de la présente procédure par Beiersdorf, montré sa bonne volonté,
- dire que Beiersdorf n'a pas apporté la preuve de son préjudice,
- dire que la publication ordonnée n'a pas tenu compte du fait qu'il s'était écoulé 9 mois entre l'introduction de la demande, le retrait par elle du produit "Callinea" et le jugement rendu.
Beiersdorf conclut à la confirmation. Y ajoutant, elle prie la Cour d'interdire à LCF Production d'exploiter le conditionnement litigieux quelle que soit la dénomination reproduite sur celle-ci et ce sous astreinte de 100 F par unité proposée à la vente à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et de la condamner à lui payer une somme supplémentaire de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour la période postérieure au jugement.
Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que l'ordonnance de clôture ayant à la demande des parties été repoussée à la date du 5 mai 1999, la demande de LCF Production tendant au rejet des écritures de son adversaire et à l'admission de ses propres pièces est devenue sans objet ;
Considérant que Beiersdorf invoque l'existence d'une imitation des boites et des conditionnements servant à sa crème Nivea ;
Considérant qu'il résulte des pièces versées aux débats que LCF Production a conçu et commercialisé en 1995 des conditionnements de crème pour soins de peau constitués par des boîtes de forme ronde, de couleur bleue sur lesquelles figurait en caractères blancs la dénomination "Callinea" suivi du terme "crème" ; que si LCF Production a modifié le nom porté sur son conditionnement pour le transformer en "Calibelle", les boîtes "Calibelle" présentaient les mêmes caractéristiques, à savoir la même forme ronde de couleur bleue sur lesquelles figurait en caractères blancs la marque "Calibelle" et le terme "crème".
Considérant que pour dénier toute particularité aux boîtes de crème commercialisées par Beiersdorf avec la marque Nivea sous d'autres couleurs que la couleur bleue ; que l'appelante indique encore que les nuances de bleu utilisées par Beiersdorf pour sa crème Nivea varient parfois et que le bleu qu'elle a elle-même utilisé est différent de celui figurant sur les pots de crème Nivea ;
Mais considérant que l'emploi de la même couleur bleue à une nuance près, de la même forme géométrique à savoir une boîte ronde de taille similaire, l'usage de la même couleur blanche pour figurer le terme "crème" ainsi que la marque, créent une impression d'ensemble de nature à induire en erreur une clientèle identique; que le risque de confusion pour le consommateur d'attention moyenne est encore aggravé du fait de l'ancienneté de la commercialisation du produit Nivea de sorte que sont caractérisés de la part de LCF Production des agissements constitutifs de concurrence déloyale;
Considérant que Beiersdorf est maître du choix de ses poursuites de sorte que LCF Production ne peut tirer argument de l'existence d'actes de concurrence déloyale qui auraient pu être impunément commis par d'autres concurrences ;
Considérant que LCF Production ne peut non plus être suivie dans son argumentation tendant à prétendre que Beiersdorf ne saurait se plaindre des conditionnements des crèmes "Callinéa" puis "Calibelle" dans la mesure où c'est elle-même qui aurait vendu les étiquettes incriminées à LCF Production ; qu'en effet Beiersdorf n'a vendu que les étiquettes et non les boîtes et que c'est l'ensemble et non l'étiquette seule qui constitue l'imitation reprochée ;
Considérant enfin que le fait que la crème Nivea soit parfois vendue sous d'autres conditionnements n'enlève rien à l'imitation illicite de la boîte bleue Nivéa ;
Considérant qu'en ce qui concerne le préjudice subi par Beiersdorf et contrairement aux dénégations de LCF Production, celui-ci s'est prolongé au-delà de juillet 1996 ; qu'en effet la société P3M, fournisseur de LCF Production, atteste le 23 novembre 1998, avoir commencé à livrer à celle-ci les nouveaux pots blancs uniquement à partir d'avril 1997 ; que par ailleurs sur les catalogues de l'appelante datant de septembre 1997, figuraient encore les conditionnements de crème "Calibelle" incriminés ;
Considérant dans ces conditions que les faits de concurrence déloyale s'étant poursuivis postérieurement au prononcé du jugement de première instance la Cour dispose de suffisamment d'éléments pour fixer le préjudice subi par Beiersdorf à la somme totale de 200 000 F ;
Considérant que les mesures d'interdiction sous astreinte seront confirmées ; qu'il y sera ajouté à la demande de l'intimée que cette interdiction visera le conditionnement litigieux quelle que soit la dénomination reproduite sur celui-ci ; que l'astreinte courra du fait de cette précision à compter d'un délai de quinze jour passé la signification du présent arrêt ;
Considérant que compte tenu de l'ancienneté et de la cessation des faits de concurrence déloyale, il ne convient pas de confirmer les mesures de publication ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à Beiersdorf la somme de 20 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ;
Par ces motifs : Confirme le jugement déféré sauf en ce qui concerne le montant du préjudice subi par la société Beiersdorf et les mesures de publication ; Réformant de ces chefs et ajoutant : Condamne la société LCF Production à payer à la société Beiersdorf la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour les actes de concurrence déloyale ; Dit n'y avoir lieu à mesures de publication ; Dit que les mesures d'interdiction sous astreinte s'appliqueront aux conditionnements litigieux quelle que soit la dénomination apposée sur ceux-ci ; Dit que l'astreinte courra à compter d'un délai de quinze jours passé la signification du présent arrêt ; Condamne la société LCF Production à payer à la société Beiersdorf la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la société LCF Production aux dépens ; Admet la SCP Teytaud au bénéfice des dispositions de l'article 69 du nouveau code de procédure civile.