CA Paris, 4e ch. A, 9 juin 1999, n° 1997-16643
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Cabinet L. Roux (Sté)
Défendeur :
Joly, Cabinet Joly (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Duvernier
Conseillers :
Mme Mandel, M. Lachacinski
Avoués :
SCP Bernabe-Ricard-Chardin-Cheviller, Me Nut
Avocats :
Mes Maury, Lemoine.
La société Cabinet L. Roux spécialisée dans l'administration de biens immobiliers, a employé en qualité de gestionnaire de copropriété, du 1er juin 1981 au 31 janvier 1990, Patrick Joly.
Ultérieurement, celui-ci est devenu le gérant d'une SARLCabinet Joly, immatriculée au Registre du Commerce de Paris le 19 avril 1990, dont l'objet est la gérance et l'administration de tous biens, l'achat, la location et la vente d'immeubles. Alléguant que cette société et son gérant avaient détourné une partie de sa clientèle, la société Cabinet L. Roux les a assignés, le 1er juillet 1995, devant le Tribunal de grande instance de Paris à l'effet de voir, avec le bénéfice de l'exécution provisoire :
- juger que les défendeurs s'étaient livrés à des actes de concurrence déloyale à son préjudice,
- condamner in solidum les sus-nommés au paiement des sommes de 300 000 F à titre de dommages et intérêts et de 20 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Patrick Joly et la société Cabinet Joly ont conclu au rejet de la demande. La société Cabinet Joly a sollicité reconventionnellement l'attribution des sommes de 50 000 F en réparation d'une procédure qualifiée d'abusive et de 20 000 F pour ses frais hors dépens.
Par jugement du 20 mars 1997, le Tribunal a :
- débouté la société Cabinet L. Roux de sa demande,
- rejeté la demande de dommages et intérêts de la société Cabinet Joly,
- condamné la société Cabinet L. Roux à verser à la société Cabinet Joly la somme de 8 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La société Cabinet L. Roux a interjeté à l'encontre de cette décision, le 4 juillet 1997, un appel aux termes duquel elle poursuit la condamnation in solidum des intimés au paiement des sommes de :
- 300 000 F à titre de dommages et intérêts avec intérêts de droit à compter de l'assignation et anatocisme,
- 25 000 F pour les frais non taxables.
Patrick Joly et la société Cabinet Joly sollicitent la confirmation du jugement et l'attribution d'une somme complémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Sur ce,
I - Sur la demande principale
Considérant que la société Cabinet L. Roux allègue que les intimés se sont livrés à son préjudice à des actes de concurrence déloyale par détournement de clientèle. Qu'elle soutient en effet que, peu de temps avant de lui remettre sa démission, Patrick Joly a acquis un fonds de commerce de gérance et d'administration de biens situé à proximité de son propre siège et a créé une société familiale dont l'activité a commencé dès le 11 janvier 1990.
Qu'elle ajoute que cet intimé, en conservant par devers lui les coordonnés des conseils syndicaux et les responsables des immeubles dont il était le gestionnaire pour le compte de son employeur puis en prospectant cette clientèle, a manqué à l'obligation de réserve et de loyauté qui s'imposait à lui. Considérant que Patrick Joly et la société Cabinet Joly répliquent que les demandes du Cabinet L. Roux sont abusives parce que contraires au principe de la liberté du travail et de la concurrence.
Considérant ceci exposé, qu'il résulte d'un extrait Kbis du 24 septembre 1997, que l'acte de constitution de la société Cabinet Joly a été publié le 21 janvier 1990, soit antérieurement au 31 janvier 1990, date à laquelle Cabinet Joly a quitté la société Cabinet L. Roux. Que Geneviève Lecointe, employée retraitée de cette société a attesté, le 2 avril 1996, qu'il a gardé en partant un petit carnet où il inscrivait toutes les coordonnées des conseils syndicaux et des responsables des immeubles dont il était le gestionnaire pour le Cabinet L. Roux.
Qu'il est de même établi que la société Cabinet Joly a, aux lieu et place de la société Cabinet L. Roux, été désignée en qualité de syndic de copropriété :
- le 6 décembre 1990, de l'immeuble sis 12 rue Alphonse Daudet 75014 Paris,
- le 17 décembre 1990, de l'immeuble 13 rue Alphonse Daudet 75014 Paris,
- le 12 avril 1991, de l'immeuble sis 63 rue de Bagneux 91120 Montrouge,
- le 18 mais 1991, de l'immeuble sis 224 avenue du Maine 75014 Paris,
- le 28 mai 1991, de l'immeuble sis 122 rue de la Tombe Issoire 75014 Paris,
- le 4 juin 1991, de l'immeuble sis 3 rue Clotaire 75005 Paris,
- le11 décembre 1991, de l'immeuble sis 224 avenue du Maine 75014 Paris,
- le 25 février 1992, de l'immeuble sis 9 rue de la Mairie 92320 Châtillon,
- le 19 mars 1992, de l'immeuble sis 6 rue Adolphe Focillon 75014 Paris,
- le 11 mai 1992, de l'immeuble sis 39 rue Jouvenet 75016 Paris,
- le 13 mai 1992, de l'immeuble sis 3 rue Sophie Germain 75014 Paris,
- le 9 juin 1992, de l'immeuble sis 202 avenue du Maine 75014 Paris,
- le 30 mai 1994, de l'immeuble sis 15 rue d'Alésia 75014 Paris,
- le 29 septembre 1994, de l'immeuble sis 36 rue Bezout 75014 Paris,
- le 15 mars 1995, de l'immeuble sis 24 rue Montbrun 75014 Paris,
Considérant qu'il ne saurait ainsi être contesté que la société Cabinet Joly s'est appropriée une partie de la clientèle de la société Cabinet L. Roux.
Mais considérant que le principe fondamental de la liberté du commerce permet de s'attacher les clients d'un concurrent sans que soit engagée la responsabilité de l'instigateur du déplacement ainsi opéré, aucune clientèle ne pouvant en toute hypothèse faire l'objet d'un droit privatif.
Que l'application de ce principe n'est limitée que par l'obligation de respecter les usages loyaux du commerce, dont la preuve de la violation incombe à l'ancien employeur.
Or considérant qu'en l'absence de toute convention expresse restrictive de concurrence, Patrick joly, à l'expiration de ses fonctions au sein de la société Cabinet L. Roux recouvrait à l'égard de celle-ci une pleine et entière liberté qui l'autorisait à reprendre pour le compte d'une autre entreprise une activité similaire à celle qu'il exerçait précédemment.
Que le fait d'avoir conservé par devers lui un carnet sur lequel étaient consignés les noms des clients de la société Cabinet L. Roux avec lesquels il avait entretenu des relations professionnelles n'était pas à lui seul susceptible de constituer un procédé de désorganisation de la société appelante dans la mesure où, comme l'a observé pertinemment le tribunal, cet intimé "qui assumait depuis de nombreuses années la gestion de copropriétés, connaissait à l'évidence les coordonnées des responsables".
Que, de même, la décision de diverses copropriétés de lui confier la fonction de syndic précédemment dévolue à la société Cabinet L. Roux, en l'absence de preuve de manœuvres ou pratiques illicites qui auraient concouru à cette fin, est insuffisante à fonder le grief incriminé, la décision entreprise relevant à juste titre d'une part, qu'il était concevable que le départ d'un collaborateur apprécié des clients ait entraîné un déplacement de la clientèle de la société qui l'employait vers la société dont il était devenu le gérant, d'autre part que ce déplacement de clientèle s'était effectué sur une période de quatre ans.
Qu'il résulte que l'appel formé contre le jugement déféré par le Cabinet L. Roux doit être rejeté.
II - Sur les frais non taxables
Considérant que le Cabinet L. Roux qui succombe, sera déboutée de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile.
Qu'en revanche il est équitable d'allouer à la société Cabinet Joly, en sus de la somme fixée de ce chef par les premiers juges à 8 000 F., une somme de 10 000 F. au titre des frais par elle exposés en appel non compris dans les dépens.
Par ces motifs, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Condamne la société Cabinet L. Roux à payer à la société Cabinet Joly une somme de 10 000 F (1 524,49 euros) par application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile Condamne la société Cabinet L. Roux aux dépens d'appel, Admet Maître Bruno Nut, avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.