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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 19 mai 1999, n° 1997-06379

PARIS

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Pavec (és qual.)

Défendeur :

Planet Marketing (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Varin-Petit, Goirand

Avocats :

Mes Chiche, Koskas.

T. com. Créteil, 4e ch., du 23 févr. 199…

23 février 1996

Faits et procédure :

La société Agence Takao spécialisée dans la conception et la réalisation de publicités ainsi que dans la vente d'espaces publicitaires a embauché David Brami à compter du 14 janvier 1994 en qualité de consultant commercial.

Après avoir été expulsée de ses locaux à la suite d'une procédure qui a fait l'objet d'une décision d'annulation, elle les a réintégrés le 5 janvier 1995 et a constaté la disparition d'un certain nombre de ses documents ainsi que les clés et le véhicule automobile qu'elle avait mis à la disposition de David Brami.

Ayant eu connaissance que ce dernier a été employé par la société Planet Marketing laquelle aurait selon elle par l'entremise de ce dernier détourné un certain nombre de ses clients, la société Agence Takao l'a assignée le 3 mai 1995 devant le Tribunal de commerce de Créteil en lui reprochant des actes de concurrence déloyale et en sollicitant sa condamnation à lui payer les sommes de 486 213 F en réparation de son préjudice et de 15 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Planet Marketing a sollicité à titre principal le rejet des demandes présentées, et à titre subsidiaire, la réduction des condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle.

Elle a également demandé qu'il soit sursis à statuer sur les prétentions de la société Agence Takao jusqu'à ce que le litige prud'homal opposant cette dernière à David Brami soit tranché.

Par jugement du 23 février 1996, le Tribunal de commerce de Créteil a ordonné la liquidation judiciaire de la société Agence Takao et désigné Me Pavec en qualité de liquidateur.

Par décision du 20 novembre 1996, cette même juridiction a :

- donné acte à Me Vergnaud et à Me Pavec es-qualités respectivement de mandataire liquidateur et d'administrateur judiciaire de leur intervention au nom de la société Agence Takao,

- déclaré irrecevable et mal fondée la demande de sursis à statuer formée par la société Planet Marketing,

- déclaré les sociétés Agence Takao et Planet Marketing mal fondées en leurs demandes respectives,

- rejeté la demande d'exécution provisoire,

- débouté les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- condamné Me Vergnaud et Me Pavec es-qualités pour la société Agence Takao aux entiers dépens.

Me Pavec es-qualités de représentant des créanciers et de liquidateur judiciaire de la société Agence Takao a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 27 septembre 1997.

Il conclut à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable et mal fondée la demande de sursis à statuer formée par la société Planet Marketing qui a été déboutée de l'ensemble de ses demandes reconventionnelles et à son infirmation pour le surplus aux motifs que la société intimée a commis à son encontre des actes de concurrence déloyale qui justifient sa condamnation à lui payer, outre la somme de 40 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, celles de 600 000 F à titre de dommages-intérêts et de 500 000 F pour son préjudice moral.

La société Planet Marketing demande, à titre principal, la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Agence Takao de toutes ses prétentions mais de l'infirmer en ce qu'il a rejeté les siennes.

Elle sollicite, à titre subsidiaire, la réduction des condamnations susceptibles d'être prononcées contre elle, et en tout état de cause conclut à la condamnation de la société appelante à lui payer, outre la somme de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, celle d'un même montant pour procédure abusive.

Sur quoi La Cour:

Considérant que la société Planet Marketing ne conclut pas sur la demande de confirmation du jugement déféré en ce qu'il a déclaré irrecevable et mal fondé la demande de sursis à statuer qu'elle a formée devant les premiers juges.

Qu'il convient en conséquence, comme le sollicite Me Pavec es-qualités, de confirmer la décision sur ce point.

- Sur les faits de concurrence déloyale :

Considérant que la société Agence Takao reproche au jugement déféré de ne pas avoir tenu compte du débauchage irrégulier et en connaissance de cause de David Brami par la société Planet Marketing et d'avoir estimé qu'il n'y avait également pas eu de désorganisation et de dénigrement de son entreprise, de détournement de clientèle à son préjudice du fait de la soustraction des listes et fichiers effectuée par son ancien salarié.

Considérant que la société Planet Marketing réplique qu'elle n'a commis aucun des actes qui lui sont reprochés et que l'action engagée abusivement contre elle par la société Agence Takao n'est que la conséquence pour cette dernière de la perte du marché publicitaire que lui avait confié la société Direct Price laquelle le lui a retiré en créant une nouvelle structure juridique qui devait effectuer pour son compte ces différents travaux.

Qu'elle indique que le départ de David Brami, libre de tous engagements, était justifié par des motifs légitimes qui ont pour cause la situation financière de la société Agence Takao.

Considérant ceci exposé que David Brami a été embauché à compter du 15 janvier 1994 pour une durée indéterminée par la société Agence Takao en qualité de consultant commercial.

Considérant qu'il résulte d'une lettre datée du 4 janvier 1995 de la société Twing Computer que David Brami l'a démarchée le 30 décembre 1994 en indiquant que la société Agence Takao n'existait plus, qu'il s'était approprié tous les disques optiques contenant toutes les publicités, que les prochains travaux devront être réalisés par son intermédiaire et être réglés à la société Planet Marketing, que les dernières factures émises ne devaient pas être payées à la société Agence Takao, qu'elle aurait intérêt à avoir de bonnes relations avec lui et ne pas faire confiance à son ancien employeur.

Considérant qu'il résulte de cet écrit que David Brami avait dès le mois de décembre 1994 commencé à travailler pour le compte de la société Planet Marketing sans avoir donné auparavant à la société Agence Takao sa démission par lettre recommandée avec demande de réception comme le prévoyait expressément le deuxième paragraphe de l'article II de son contrat de travail.

Considérant que le fait d'avoir embauché David Brami le 2 janvier 1995, comme le révèle le bulletin de salaire versé aux débats, sans justification par une attestation régulière que celui-ci était libre de tous engagements à l'égard de son ancien employeur, la société Agence Takao, alors qu'il se trouvait encore dans les liens d'un contrat de travail, constitue de la part de la société Planet Marketing qui a agi en connaissance de cause, un acte de concurrence déloyale.

Que la société intimée ne peut prétendre pour contester la faute commise qu'elle pouvait se contenter de la lettre rédigée le 28 décembre 1994 par David Brami dans laquelle celui-ci affirmait être libre de tous engagements.

Qu'elle ne peut également pas soutenir que la situation juridique dans laquelle se trouvait la société Agence Takao ne lui permettait également pas d'attendre la production de ce document ou puiser dans le certificat de travail daté du 7 février 1995 qui mentionne que David Brami a occupé ses fonctions du 15 janvier au 31 décembre 1994 ou encore dans la lettre datée du 13 janvier 1995 dans laquelle la société Agence Takao admettait le principe de la démission de David Brami à compter du 31 décembre 1994 la preuve de la disponibilité de celui qu'elle a engagé à compter du 1er janvier 1995.

Considérant que la société Agence Takao reproche également à la société Planet Marketing de l'avoir dénigrée et d'avoir détourné sa clientèle et en particulier les sociétés A + Groupe, Datajet, LCDI, Litec, PC Univers, Awa et Direct Price.

Qu'elle soutient que les publicités parues dans le magazine PC Direct du mois de février 1995 réalisées par la société Planet Marketing n'ont pu l'être sans les maquettes contenues sur les disques informatiques qui ont été emportés par David Brami.

Considérant que la société Planet Marketing réplique qu'à la suite de l'expulsion de la société Agence Takao, David Brami n'a fait que reprendre ses effets personnels dont il avait l'usage habituel constitués par un classeur facturation, un " press book ", un répertoire adresse agence, un cahier de tenue de vente, 15 disques optiques 128 mégas, un sysquest 44 mégas, une référence pantôme, et une encyclopédie Deschaliers.

Qu'elle soutient que le refus de restitution opposé le 6 janvier 1995 par la société Agence Takao à l'huissier venu à l'initiative de David Brami des objets, ainsi que du véhicule automobile de la société, de même que la mise en demeure d'avoir à le faire adresser à son salarié le 9 janvier 1995 démontrent la " machination intentionnelle ourdie par la société Agence Takao ... dans le seul but ... de tirer un avantage financier substantiel de la situation ".

Qu'elle indique encore qu'il n'est pas démontré que David Brami a eu l'intention de lui communiquer la teneur des documents qu'il a emportés, que le fait d'avoir été créée à l'initiative de la société Direct Price et de concurrencer la clientèle de la société Agence Takao n'est pas déloyal, que les publicités qu'elle a réalisées au mois de janvier pour le mois de février 1995 l'ont été à partir d'éléments détenus par la société Direct Price qui les avaient confiés à la société Agence Takao pour la réalisation de ses travaux, et que quand bien même elle a pu faire paraître les publicités sollicitées par les clients dans un délai extrêmement rapide, il n'est pas prouvé qu'elle les ait conçues à partir des disques optiques emportés par David Brami.

Considérant ceci exposé qu'il résulte de la comparaison des publicités parues dans les magazines PC Direct des mois de janvier et février 1995 réalisées respectivement par les sociétés Agence Takao et Planet Marketing qu'elles présentent une parfaite identité et similitude visuelle (PC Univers, Data Jet, LCD International, Litec, Direct Price).

Qu'il est ainsi démontré que la société Planet Marketing a été en mesure de réaliser rapidement comme elle le reconnaît un travail qui selon l'attestation de Jean-Christophe Camus datée du 7 novembre 1995 est " impossible de recréer à l'identique des textes, matières et retouches photo à moins de " nous " remettre les fichiers déjà existants ".

Qu'il apparaît dès lors que la société Planet Marketing à l'aide de documents détenus par David Brami a été en mesure de fournir aux anciens clients de la société Agence Takao des prestations identiques à celles que celle-ci leur proposait antérieurement au 1er janvier 1995.

Qu'il se déduit de l'ensemble de ces éléments que les clients ont été à l'aide des informations contenues dans les fichiers emportés par David Brami déloyalement détournés par la société Planet Marketing et que ce détournement d'informations a permis le développement économique et financier de la société Planet Marketing au préjudice de la société Agence Takao.

Que la société Planet Marketing ne peut donc valablement soutenir que son seul objet était d'assurer la promotion publicitaire de la société Direct Price dont elle dépend qui consacrait à cet effet une somme annuelle de 200 000 F alors que son bilan pour l'année 1995 démontre qu'elle a réalisé un chiffre d'affaires d'un montant de 1 972 801 F qui nécessairement inclut les prestations réalisées au profit d'autres sociétés.

Qu'elle ne peut également pas affirmer que la société Agence Takao aurait elle-même repris les maquettes initialement utilisées par la société Direct Price sans démontrer que la société appelante n'était pas la véritable titulaire de droits sur lesdites maquettes.

Considérant que la société Agence Takao soutient également que la société intimée est à l'origine de la désorganisation de son entreprise.

Mais considérant que la société Agence Takao ne fournit aucun élément comptable et financier permettant d'accréditer cette thèse, la présentation des bilans des années 1993 et 1994, en l'absence de celui de l'année suivante et de la part dans le chiffre d'affaires des clients détournés ne démontrant pas qu'il y a eu du fait de la société Planet Marketing une désorganisation de la société appelante qui était au surplus en cessation de paiement à compter du 12 septembre 1994.

- Sur le préjudice :

Considérant que la société Agence Takao évalue son préjudice matériel à la somme de 600 000 F qu'elle détermine à partir de la perte d'une année au moins de chiffre d'affaires des clients détournés.

Que la société Planet Marketing répond que le préjudice ne doit être évalué qu'en fonction de la marge réalisée en excluant le chiffre d'affaires généré par la société Direct Price, mais en tenant compte de ce que la société Agence Takao était en état de cessation de paiement depuis le 12 septembre 1994 et que ses activités ont été interrompues du 30 décembre 1994 au 6 janvier 1995.

Considérant que la société Agence Takao verse aux débats les factures d'un montant total de 573 003,58 F émises au cours de l'année 1994 à destination des clients détournés par la société Planet Marketing.

Considérant que le préjudice matériel subi par la société appelante ne saurait effectivement pas correspondre à la perte de son chiffre d'affaires qui ne tient pas compte des différents frais qu'elle aurait dû engager pour parvenir à le réaliser.

Que l'état de cessation de paiements ainsi que l'interruption d'activités pendant une courte période ne sont cependant pas de nature à réduire le préjudice matériel subi par la société Agence Takao dans la mesure où rien ne justifie que les clients détournés, à l'exception de la société Direct Price, n'auraient pas sans l'initiative de la société Planet Marketing continué à contracter avec elle au cours de l'année 1995.

Considérant que la société Agence Takao fonde sa demande en réparation de son préjudice moral sur la désorganisation que lui ont occasionnée les actes de concurrence déloyale commis par la société Planet Marketing laquelle a abouti à un jugement déclaratif de redressement judiciaire.

Mais considérant qu'en l'absence de désorganisation démontrée, la demande formée sur ce seul fondement juridique sera rejetée.

Que toutefois pour les causes sus-énoncées, la société Planet Marketing doit être condamnée à payer à Me Pavec es-qualités de mandataire liquidateur de la société Agence Takao la somme de 300 000 F en réparation de son préjudice matériel.

Considérant que les demandes reconventionnelles formées par la société Planet Marketing seront rejetées.

- Sur les frais non compris dans les dépens :

Considérant qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Agence Takao la totalité des frais qu'elle a du engager en cause d'appel qui ne sont pas compris dans les dépens et qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 25 000 F.

Par ces motifs : Confirme le jugement rendu le 20 novembre 1996 par le Tribunal de commerce de Créteil en ce qu'il a rejeté toutes les demandes formées par la société Planet Marketing ; L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau ; Dit que la société Planet Marketing a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Agence Takao ; Condamne la société Planet Marketing à payer à Me Pavec es-qualités de liquidateur judiciaire de la société Agence Takao la somme de 300 000 F à titre de dommages-intérêts et celle de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Planet Marketing aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction pour ces derniers au profit de la SCP d'avoués Varin-Petit dans les conditions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.