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Décisions

CA Rouen, 2e ch. civ., 29 avril 1999, n° 9800532

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Disval (SA)

Défendeur :

Aguera (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Credeville

Conseillers :

MM. Dragne, Perignon

Avoué :

Me Couppey SCP Gallière-Lejeune

Avocats :

Mes Lacroix, Criqui

T. com. Rouen, prés., du 26 janv. 1998

26 janvier 1998

Faits et procédure

La société Sanac qui exploite depuis 1945 une activité de grossiste en produits alimentaires a effectué une déclaration de cessation des paiements et, par jugement du 5 août 1997, le Tribunal de commerce de Rouen a ouvert une procédure de redressement judiciaire, Maître Blery étant désigné en qualité d'administrateur ;

Entre le 26 novembre 1997 et le 11 décembre 1997, cette société a reçu la démission massive de nombreux membres de son personnel : 4 attachés commerciaux, 4 chauffeurs livreurs, et 4 employés de bureau ;

Lors d'un constat effectué le 9 janvier 1998, dans les locaux de la société Disval, 3 autres étant partis prospecter la clientèle ; La société Sanac accusant la société Disval de débauchage massif de ses salariés et d'acte de concurrence déloyale l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Rouen.

Le 26 janvier 1998, par ordonnance de référé, le président du Tribunal de commerce de Rouen a fait interdiction à la société Disval :

- de débaucher l'un quelconque des salariés encore au service de la société Sanac,

- de démarcher les clients de la société Sanac tels qu'ils figurent sur la liste produite aux débats et remise à la société Disval,

- le tout pendant une durée de 2 ans et sous astreinte de 20 000 F par infraction constatée.

La société Disval a interjeté appel de cette décision et par conclusions signifiées le 23 juin 1998 a demandé la reformation de cette ordonnance, c'est-à-dire l'annulation de l'interdiction d'embauche et de concurrence, et formé une demande reconventionnelle contre la société Sanac en demandant sa condamnation in solidum avec Maître Blery, es qualités d'administrateur au redressement judiciaire, et Maître Aguera, es qualités de représentant des créanciers, à lui payer la somme de 2 millions de francs à titre de dommages et intérêts.

Elle soutient qu'aucune preuve de manœuvre de débauchage n'est apportée, la démarche des salariés étant volontaire et sans aucune surenchère de salaires. Le Tribunal de commerce de Rouen, par jugement du 25 août 1998, a prononcé la liquidation judiciaire de la société Sanac et désigné Maître Aguera en qualité de liquidateur judiciaire. Maître Aguera, agissant es qualités d'administrateur de la société Sanac, demande à la Cour de débouter la société Disval de ses prétentions.

Il prétend qu'elle est irrecevable en sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts qui n'a pas fait l'objet de déclaration de créances entre les mains du représentant des créanciers au redressement judiciaire de la société Sanac. Sur le fond, il conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise et à la condamnation de la société Sanac à lui payer une indemnité de 50 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, la COUR

Attendu que selon la société Disval dans l'hypothèse où l'embauche se réalise alors qu'aucune disposition ne vient restreindre la liberté du salarié, le comportement du nouvel employeur ne peut pas être qualifié de déloyal et les juges du fond ne peuvent condamner pour concurrence déloyale sur le fondement de la présomption de débauchage alors que la preuve d'aucune manœuvre de débauchage n'est apportée ; que la démission même massive des salariés peut être justifiée par les notifications prévisibles du contrat de travail à intervenir ;

Mais attendu que le débauchage massif de salariés sort du cadre du respect de la loyauté de la concurrence et constitue une manœuvre de concurrence déloyale peu important que ce comportement ait un caractère intentionnel ou non dès lors qu'il a pour effet de s'approprier le savoir-faire d'un concurrent:

- qu'il est destiné ou a pour effet de permettre le détournement de la clientèle d'un concurrent,

- que son caractère massif est de nature à entraîner la désorganisation de l'entreprise d'un concurrent ;

Attendu qu'en l'espèce, la société Disval ne peut pas contester des opérations de débauchage massif dès lors qu'il résulte du constat de Maître Léger, huissier de justice, que pour s'implanter dans le secteur d'activité de la Sanac, la société Disval à l'époque n'employait que d'anciens salariés de son concurrent dont 4 étaient des attachés commerciaux ayant une parfaite connaissance de la clientèle, représentant 80 % de la force de vente de la société Sanac, dont 4 étaient des chauffeurs livreurs au contact quotidien de cette clientèle et connaissant par conséquent les tournées et les détaillants, et 4 étaient des employés de bureau ayant une parfaite connaissance des modes de facturation de la société Sanac et de ses tarifs ;

Qu'il est d'ailleurs établi que ces manœuvres ont commencé avant même la fin des contrats de travail des salariés concernés, à une époque où le départ massif des salariés de l'entreprise ne pouvait entraîner à l'évidence que sa désorganisation mais risquait également de mettre en péril le plan de redressement en cours d'élaboration ;

Attendu qu'ainsi l'ordonnance attaquée ne peut qu'être confirmée ;

Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge de Maître Aguera es qualités, les frais non compris dans les dépens qu'il a exposés à l'occasion du présent litige à hauteur de 6 000 F ;

Attendu que la demande reconventionnelle de la société Disval n'étant dès lors pas fondée, il n'y a lieu d'examiner sa recevabilité ;

Par ces motifs, Confirme l'ordonnance de référé du 26 janvier 1998 ; En conséquence, rejette la demande reconventionnelle en dommages et intérêts de la société Disval ; y ajoutant : Dit que la société Disval devra payer à Maître Aguera, es qualités, une indemnité de six mille francs (6 000 F) sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Lui laisse la charge des dépens de première instance et d'appel que la SCP Gallière-Lejeune, avoués, sera autorisée à recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.