CA Paris, 14e ch. B, 2 avril 1999, n° 1998-22952
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Equilibre Attitude (SARL)
Défendeur :
Laboratoire Complémentaire Alimentaire Recherches (SARL), Pharmassist (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cuinat
Conseillers :
MM. André, Valette
Avoués :
SCP Annie Baskal, SCP Barrier-Monin
Avocats :
Mes Cuvier, Sentex.
Statuant sur l'appel formé par la société Equilibre Attitude d'une ordonnance de référé rendue le 8 juin 1998 par le Président du Tribunal de commerce de Paris, lequel a :
- débouté la société Equilibre Attitude de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société Laboratoire Complémentaire Alimentaire Recherches ;
- fait interdiction aux parties d'invoquer par écrit ou oralement ou tout autrement une quelconque exclusivité, qui n'existe pas au profit de l'une ou l'autre d'entre elles, sur la fourniture à leur profit ou sur l'usage du Tonalin ;
- condamné la société Equilibre Attitude au paiement aux sociétés Laboratoire Complémentaire Alimentaire Recherches et Pharmassist solidaires, la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ;
- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;
- condamné la société Equilibre Attitude aux dépens.
A l'appui de son recours, la société Equilibre Attitude expose qu'elle est spécialisée depuis 1989 dans la mise au point, l'achat et la vente de compléments nutritionnels destinés tant au grand public qu'aux sportifs et à toutes personne relevant d'une alimentation particulière ; que ces produits sont distribués dans toute la France auprès des pharmacies et des magasins pharmaceutiques ; qu'elle a acquis de la société de droit américain Pharmanutrients des produits de base constitués d'une molécule dite Tonalin ayant pour effet d'éliminer la masse graisseuse, inclus dans un nouveau produit qu'elle diffuse sous le nom de " CLA 500 ", lequel est destiné à accompagner un régime alimentaire amincissant ; que cette commercialisation est la source d'un conflit avec les sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist, lesquelles ont également acquis la molécule dite " Tonalin " de la société américaine Pharmanutrients dans le but d'être les seules à le distribuer sur le marché.
Elle fait grief au premier Juge de ne pas avoir statué sur les actes de dénigrement commis à son encontre par lesdites sociétés.
Elle reproche notamment à celles-ci, afin de l'évincer sur le marché, de ne pas avoir hésité à répandre de fausses informations auprès de tous les professionnels du secteur et en particulier de grandes centrales d'achat du domaine parapharmaceutique selon lesquelles elle aurait été incapable d'assurer le réassortiment de son produit " CLA 500 " ; que cette fausse nouvelle a paralysé l'action de ses représentants ; qu'en outre le trouble commercial ainsi créé a ruiné l'impact de la campagne publicitaire qu'elle avait lancée.
Elle dénonce ensuite les actes de concurrence et parasitaire dont se sont rendues également coupables les sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist en se plaçant délibérément dans son sillage alors qu'elle bénéficie dans le secteur d'activité concernée d'une réelle notoriété.
Elle leur reproche en premier lieu d'avoir modifié leur flaconnage jusque là petit et carré, pour adopter un flacon identique à celui qu'elle utilise qui est rond et plastifié.
Elle leur fait grief en second lieu d'avoir apposé sur ce flacon une étiquette reproduisant la photographie d'un profil féminin qui était utilisée depuis le mois d'avril 1997 dans le catalogue qu'elle distribue.
Qu'elles ont en outre choisi d'intituler leur produit " Minci Tonic ", alors que, depuis plus de deux ans, elle désigne sa gomme minceur sous le slogan " Minceur Tonic ".
Elle estime dans ces conditions qu'il y a une volonté délibérée de leur part de copier ses arguments publicitaires en tirant parti des investissements publicitaires qu'elle a réalisés et qu'elles ont failli à leur obligation de loyauté et de prudence.
Pour ces raisons, elle demande à la Cour :
- d'infirmer l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau : - d'interdire aux sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist de faire fabriquer, détenir, offrir à la vente ou vendre les produits Minci Tonic à base de Tonalin sous la présentation existante à la date d'introduction de l'instance, et ce, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée ;
- de condamner à titre provisionnel et solidairement les sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist à lui verser la somme de 200 000 F en réparation des préjudices d'ores et déjà subis, quitte à parfaire à dire d'expert ;
- d'ordonner la publication de la décision dans deux journaux ou magazines de son choix et aux frais solidaires des intimées ;
- de condamner solidairement les sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist à lui verser la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'à supporter les entiers dépens en ce compris les frais de constat.
Les intimées répondent tout d'abord que depuis de nombreuses années la société Laboratoire CAR a pour activité de concevoir et de fabriquer des produits innovants, notamment en ce qui concerne les compléments alimentaires, lesquels sont distribués par la société Pharmassist auprès des établissements de parapharmacie ; que la société Laboratoire CAR s'est intéressée à la fin de l'année 1997 aux propriétés conjuguées de diminution des graisses et de tonicité musculaire mises au point par la société américaine Pharmanutrients dénommées acides linoléiques conjugués, (en abréviation en anglais " CLA ") ;
qu'elle a demandé à la société Seah, distributrice en France du produit Tonalin comprenant 60 % de CLA, fabriqué par la société Pharmanutrients, d'avoir l'exclusivité de la vente en France de ce produit ; que par lettre du 21 novembre 1997, la société Seah lui a confirmé sous certaines conditions de quantités d'approvisionnement, le bénéfice de cette exclusivité pour la France pendant un an ;
que c'est dans ces conditions qu'elle a fabriqué et mis sur le marché le produit Minci Tonic dès le 8 janvier 1998 ;
que ce n'est que le 17 février 1998 que la société Equilibre Attitude a commercialisé un produit quasiment identique à base de Tonalin sous la dénomination CLA 500 ;
que s'étant étonnée auprès de la société Seah International de ce qu'un concurrent avait obtenu d'être approvisionné en Tonalin, malgré l'exclusivité dont elle bénéficiait, elle a alors appris que la société Equilibre Attitude avait obtenue la livraison de Tonalin dans le cadre d'accords directs avec le fabriquant américain sans aucune exclusivité ; qu'à l'exception de la société Equilibre Attitude, elle continuait néanmoins à bénéficier de l'exclusivité dudit produit jusqu'au moins à la fin de l'année 1998 ;
qu'il est donc acquis que les produits " Minci Tonic " d'une part, et " CLA 500 " d'autre part, sont en libre concurrence sur le marché français.
Elles contestent les actes de dénigrement qui leur sont prêtés par la société Equilibre Attitude, lesquels ne reposent sur aucun fondement ; elles estiment que les pièces produites par l'appelante ne sont pas probantes.
Elles réfutent également les prétendues similitudes qui existeraient entre le conditionnement de leur produit Minci Tonic et celui du produit CLA 500 conçu par la société Equilibre Attitude.
Estimant qu'il ne saurait leur être reproché d'avoir commis les actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Equilibre Attitude, elles concluent à la confirmation de l'ordonnance entreprise.
Formant une demande reconventionnelle, elles sollicitent la condamnation de la société Equilibre Attitude au paiement de la somme de 30 000 F pour procédure abusive, outre celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du NCPC, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.
La clôture de l'instruction a été prononcée par ordonnance du 25 février 1999.
Par conclusions du 3 mars 1999, les sociétés intimées demandent par application de l'article 16 du NCPC de rejeter la pièce communiquée le 25 février 1999 par la société Equilibre Attitude.
Sur ce,
Considérant que la pièce communiquée le 25 février 1998 par la société Equilibre Attitude, soit le jour même de la clôture, dont les parties étaient informées de la date suffisamment à l'avance, fait manifestement échec au respect du principe de la contradiction en ne permettant pas aux intimées de pouvoir la discuter le cas échéant utilement ; qu'elle sera rejetée des débats par application des articles 15 et 16 du NCPC ;
Considérant tout d'abord sur les actes de dénigrement, que la société Equilibre Attitude produit une lettre que lui a adressée le 28 février 1998 la société Eurosanté au terme de laquelle cette société l'interrogeait sur l'assurance d'avoir un approvisionnement régulier du produit " CLA 500 " à la suite de l'intervention auprès des Laboratoires CAR prétendant avoir l'exclusivité du produit Tonalin et que la société Equilibre Attitude n'était pas en mesure de toute façon d'assurer un " réassort " ;
qu'elle verse également une lettre du 10 avril 1998 de la société Biotc, distributrice exclusive de ses produits, faisant état de ce que les représentants du Laboratoire CAR tenaient des propos auprès des clients selon lesquels la société Equilibre Attitude avait perdu les droits de commercialisation sur certains de ces produits " et en particulier Absorbitol et Tonalin (CLA) ", ce qui portait atteinte à leur crédibilité respective ;
Considérant qu'il est ainsi suffisamment établi que la société Laboratoire CAR et son distributeur, la société Pharmassist, ont divulgué, sans la moindre vérification préalable, des renseignements inexacts sur le compte de la société Equilibre Attitude avec laquelle elles étaient en concurrence, de nature à entraîner la confusion dans l'esprit de la clientèle sur ses droits à distribuer le produit litigieux;
que ces actes caractérisés de dénigrement sont constitutifs de concurrence déloyale;
que, si le préjudice commercial allégué par la société Equilibre Attitude est insuffisamment démontré, les agissements illicites de la société Laboratoire CAR et de la société Pharmassist lui ont causé incontestablement un préjudice moral résultant de l'atteinte qui a été ainsi portée à son image de marque auprès de ses clients ;
qu'il sera alloué à la société Equilibre Attitude la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels ;
Considérant par ailleurs qu'il ne ressort pas à l'évidence de l'examen comparé du conditionnement des produits respectivement fabriqués et distribués par les parties que les similitudes alléguées par la société Equilibre Attitude concernant le flaconnage, la reproduction d'une silhouette féminine figurant dans son catalogue publicitaire, et une dénomination commerciale voisine soient de nature véritablement à induire en erreur la clientèle ; qu'une telle appréciation ne peut relever que du Juge du fond ; qu'ainsi, en l'absence de trouble manifestement illicite caractérisé, il n'y a pas lieu, ainsi que l'a décidé à juste titre le premier Juge, de prescrire la mesure d'interdiction sollicitée par la société Equilibre Attitude ;
Considérant qu'il ne se révèle pas nécessaire d'ordonner la publication de la présente décision ainsi que le demande également la société Equilibre Attitude ;
Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la société Equilibre Attitude les frais non compris dans les dépens qu'elle a exposés ;
Considérant que les sociétés Laboratoires CAR et Pharmassist dont les agissements déloyaux ont été en partie sanctionnés doivent supporter les entiers dépens ;
Par ces motifs, LA COUR, Rejette des débats comme tardive la pièce communiquée le 25 février 1998 par la société Equilibre Attitude ; Confirme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a : - fait interdiction aux parties d'invoquer par écrit ou oralement ou tout autrement une quelconque exclusivité qui n'existe pas au profit de l'une ou l'autre d'entre elles, sur la fourniture à leur profit ou sur l'usage du Tonalin ; - rejeté les demandes de la société Equilibre Attitude en interdiction aux sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist de commercialiser les produits Minci Tonic sous leur forme existante et en publication de la décision à intervenir ; L'infirme pour le surplus en toutes ses dispositions ; Statuant à nouveau : Condamne in solidum les sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist à payer à la société Equilibre Attitude la somme de 50 000 F à titre de dommages et intérêts provisionnels ; Condamne in solidum les sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist à payer à la société Equilibre Attitude la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du NCPC ; Condamne in solidum les sociétés Laboratoire CAR et Pharmassist aux entiers dépens de première instance et d'appel avec le droit au profit de la SCP Annie Baskal, Avoué, de les recouvrer directement dans les conditions de l'article 699 du NCPC.