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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 31 mars 1999, n° 1997-06549

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Brice Berger Créations (SARL)

Défendeur :

Séraphin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Jobin, SCP Annie Baskal

Avocats :

Mes Maguet, Hoffman.

T. com. Paris, 15e ch., du 13 déc. 1996

13 décembre 1996

Faits et procédure

La société Séraphin qui a pour principale activité la création, la fabrication et la commercialisation de vêtements de prêt-à-porter et essentiellement de vêtements en cuir et peaux, déclare avoir créé à la fin de l'année 1993 un modèle de blouson réalisé en " veau médiéval " référencé dans sa collection sous le numéro B52 qu'elle a présenté au salon de l'Elégance et de l'Habillement masculin au mois de janvier 1994 pour la collection Hiver 1994/1995.

Outre qu'elle a commercialisé ledit modèle à compter du mois de juin de la même année, elle indique également l'avoir déposé 14 février 1995 à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le numéro 950885.

Alléguant que la société Brice Berger Création avait mis en vente un modèle identique au sien, le président directeur général de la société Séraphin, en présence d'un huissier de justice, a fait le 18 septembre 1995 l'acquisition d'un blouson en cuir dans un magasin à l'enseigne Oliver situé à Paris.

Une procédure de saisie-contrefaçon a ensuite été diligentée le 1er décembre 1995 dans les locaux de la société Brice Berger Création à Lyon qui a révélé que celle-ci commercialisait depuis le mois de juillet 1995 un modèle de blouson appelé Tanguy.

Par acte du 11 janvier 1996, la société Séraphin a assigné la société Brice Berger Création devant le tribunal de commerce de Paris pour que son modèle de blouson référencé B52, " nouveau et original ", bénéficie de la protection de la loi du 11 mars 1957 codifiée par la loi du 1er juillet 1992, que la société Brice Berger Création en fabriquant et en commercialisant un modèle exactement similaire au sien doit déclarée responsable des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale qu'elle a commis, que des mesures d'interdiction et de publication soient ordonnées et que la société Brice Berger Création soit condamnée à lui payer, outre la somme de 30 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, celle de 500 000 F à titre de dommages et intérêts pour les actes de contrefaçon et celle d'un même montant pour ceux de concurrence déloyale.

La société Brice Berger Création a conclu, d'une part au rejet de l'ensemble des demandes formées par la société Séraphin du fait de l'absence d'originalité et de nouveauté du modèle B52 avec plastron, d'autre part à la condamnation de la société demanderesse à lui payer les sommes de 100 000 F pour procédure abusive, de 200 000 F en réparation de son préjudice économique, de 500 000 F en réparation de son " préjudice de déloyauté ", et de 30 000 F pour ses frais hors dépens.

Par jugement du 13 décembre 1996 partiellement assorti de l'exécution provisoire, le tribunal saisi, outre les habituelles mesures d'interdiction et de publication a :

- dit que le modèle de blouson créé par la société Séraphin était original et protégeable au titre du droit d'auteur,

- dit que la société Brice Berger Création avait commis des actes de contrefaçon " du dessin original " et des actes de concurrence déloyale,

- condamné la société Brice Berger Création à payer à la société Séraphin les sommes de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et de 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

La société Brice Berger Création a interjeté appel du jugement par déclaration au greffe du 6 février 1997.

Elle conclut à l'infirmation de la décision susvisée en reprenant à titre principal, l'intégralité de ses prétentions contenues dans son assignation de première instance.

A titre subsidiaire, elle demande de constater que la société Séraphin n'a subi aucun préjudice pécuniaire, que le chiffre d'affaires de cette société réalisé avec le modèle B52 a au contraire augmenté pendant qu'elle même commercialisait le modèle argué de contrefaçon, que la faible marge qu'elle a réalisée ne permet de réparer le préjudice invoqué qu'à hauteur de la somme de 16 686 F.

Elle évalue en tout état de cause ses frais non compris dans les dépens à la somme de 30 000 F.

La société Séraphin sollicite la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, à l'exception de celles se rapportant aux condamnations pécuniaires qui devront être augmentées et fixées pour la réparation de son préjudice résultant des actes de contrefaçon à la somme de 500 000 F, à celle de 500 000 F pour les actes de concurrence déloyale et ses frais non compris dans les dépens devant être évalués à la somme de 40 000 F.

Sur quoi, la Cour

- Sur les actes de contrefaçon

Considérant que le modèle dont la société Séraphin revendique la protection se présente sous la forme d'un blouson pour homme en cuir dit médiéval qui présente les caractéristique suivantes :

- une partie amovible prenant la forme d'un plastron à l'intérieur du blouson et attaché au corps du blouson par deux fermetures à glissière sur le devant du vêtement, ainsi que par deux boutons pressions sur le bas, fermé par une autre fermeture à glissière et surpiqué au milieu à l'horizontal,

- un col en fausse fourrure qui fait partie du plastron amovible,

- un autre col en cuir formant partie intégrante avec le blouson,

- des poches en biais sur le devant qui s'inscrivent dans une grande surpiqûre en légère courbe qui part du centre de la manche pour rejoindre le bas du vêtement,

- une poche à glissière à l'horizontal sur la partie en haut à gauche du blouson,

- une fermeture à glissière sur le devant à fermer le blouson,

- des surpiqûres spécifiques au niveau du col, du dos et des manches,

- un tricotage réalisé en mailles côtelées au bas à la ceinture du vêtement et partiellement au niveau des poignets.

Considérant que la société Séraphin justifie par la production de factures datées des 28 juin, 6 et 18 juillet 1994 avoir commercialisé ce modèle de blouson avec plastron référencé B52.

Considérant que la société Brice berger Création soutient pour détruire tout caractère d'originalité au modèle dont la société Séraphin réclame la protection qu'il existe de nombreuses antériorités à celui-ci.

Qu'elle produit à l'appui de cette affirmation :

- un document extrait de l'ouvrage Mondo uomo intitulé " Les bests sellers ne s'inventent pas " de Marithé et François Girbaub dans lequel il est indiqué que : " En 82, les poches-sac se transforment en un plastron : un col en tricot donne l'impression de deux vêtements superposés. En 83, les poches sont dans le gilet plastron ",

- une photographie de la revue italienne L'uomo Vogue datée du mois d'octobre 1983 qui présente un modèle de blouson en cuir comportant un col en peau et sur le devant une fermeture à glissière ainsi qu'un plastron présentant lui-même une fermeture à glissière,

- une illustration du catalogue Gap datée du 1er septembre 1985 représentant un blouson de la marque Chevignon avec des bords côtes au col, aux poignets et à la ceinture, deux poches biais et une zippée sur la poitrine,

- des photocopies de dessins non datés représentant divers blousons,

et soutient que figure dans le cahier de tendance pour la collection Automne-Hiver 1995-1996 réalisée deux années auparavant en 1993 un certain nombre de modèles sous le titre " Les hautes protections " reprenant la ligne " blouson aviateur " assortie d'un plastron avec un col en laine et cuir.

Qu'elle indique également que son modèle Tanguy argué de contrefaçon a été confectionné en s'inspirant d'un modèle n° 308 créé en 1989 par Mireille Viricel épouse Bonneau pour la société Mireille Circe et que ce modèle a été commercialisé selon Patrick Gauthey au cours des années 1989 à 1991 par la société CB Cuir.

Qu'elle oppose en outre à la société Séraphin les attestations de professionnels de la création et de la mode, telles celles de Pierre Hollier, Garbis Devar, Gilles Cormignon et Ralph Crolla qui mentionnent que les " blousons à effet plastron " étaient connus depuis de nombreuses années.

Considérant ceci exposé que la société Séraphin dont la qualité de titulaire de l'œuvre litigieuse n'est pas contestée et qui fonde exclusivement son action sur les dispositions du livre I du Code de la propriété intellectuelle a pour obligation de démontrer que le blouson B52 dont elle revendique la protection au titre des droits d'auteur constitue une œuvre originale qui porte l'empreinte de la personnalité de son auteur.

Que l'originalité d'un modèle peut résulter de la combinaison nouvelle d'éléments connus qui donne une physionomie propre à l'ensemble de l'œuvre, révélatrice de la personnalité de son créateur.

Mais considérant que la caractéristique du blouson B52 porte essentiellement sur le plastron avec col en fourrure qui était connu depuis le mois d'octobre 1983 comme le démontre la photographie de la page 398 de la revue L'Uomo Vogue qui représente un blouson en cuir avec :

- un plastron assorti d'un col en peau de mouton retournée,

- deux poches plaquées et deux autres verticales à fermeture à glissière,

- une ceinture serrée par un cordon.

Considérant que l'assemblage d'un plastron associé à d'autres éléments connus, tels le col en fausse fourrure qui fait partie du plastron amovible, les poches en biais, les surpiqûres, les fermetures à glissière verticales et celle horizontale destinée à la poche horizontale, ainsi que la ceinture et les poignées en mailles tricotées ne sauraient conférer au blouson commercialisé par la société Séraphin sous la référence B52 une originalité révélatrice de la personnalité de son créateur susceptible de lui faire bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur.

Qu'il s'ensuit que les actes de contrefaçon imputés par la société Séraphin à la société Brice Berger Création ne sont pas fondés et que le jugement déféré devra être infirmé de ce chef.

- Sur les actes de concurrence déloyale

Considérant que la société Séraphin reproche également à la société Brice Berger Création des actes de concurrence déloyale aux motifs que cette dernière reproduit de façon servile son modèle avec l'intention de créer une confusion dans l'esprit d'un acheteur d'attention moyenne.

Considérant que la société intimée réplique que le modèle Tanguy qui a été commercialisé selon Patrick Gauthey et Pierre Hollier à partir de l'année 1989 sous l'appellation Challenge ne constitue pas la copie servile de celui créé par la société Séraphin en raison de ce que son modèle ne possède pas de poche poitrine et de couture séparative au niveau du dos, et qu'il présente un double surpiquage d'un centimètre aux emmanchures et aux épaules, une fermeture à glissière centrale recouverte par une patte de trois centimètres, des pignets en cuir et une ceinture droite et en cuir " smokée " sur les côtés.

Que celle-ci ajoute que la société Séraphin n'a pas eu à souffrir de sa concurrence en l'absence de démarchage de sa clientèle et de vente à vil prix de son modèle Tanguy qui n'a au surplus pas été massivement commercialisé.

Qu'elle complète son argumentation en indiquant s'être s'inspirée au moment de la création de son modèle " du goût du jour, des tendances et des styles actuels ".

Mais considérant ceci exposé que la société Brice Berger Création qui ne fournit à la Cour aucune preuve objective à l'appui de ses affirmations ne démontre pas à l'aide des seules attestations qu'elle verse aux débats que le modèle Challenger qu'elle aurait acquis avec le fonds de commerce de la société Brice Berger est antérieur à son modèle Tanguy.

Que celui-ci constitue en revanche une réplique quasi servile du modèle B52 de la société Séraphin commercialisé au mois de juin 1994.

Qu'à l'exception des minimes particularités évoquées par la société Brice Berger Création, le modèle Tanguy conduit nécessairement à induire en erreur le consommateur d'attention moyenne qui n'aurait pas les deux produits sous les yeux et à lui faire croire qu'ils ont la même origine de fabrication.

Que les ressemblances constatées entre les modèles opposés ne permettent pas à la société Brice berger Création de soutenir qu'elle a puisé son inspiration dans les éléments communs et connus dans l'état antérieur de la mode.

Que si la différence de prix de l'ordre de 600 F entre les deux modèles ne saurait à elle seule constituer le grief de concurrence déloyale, elle a contribué toutefois à lui donner une telle qualification lorsqu'associée à des actes de copie quasi servile, elle a permis à la société appelante de se dispenser d'engager des frais de recherche, de création et développement de son produit et de dégager à son seul profit un avantage financier au détriment de la société intimée.

Qu'au surplus, la société Brice Berger Création ne démontre pas qu'elle n'a pas eu à exposer de tels frais du fait qu'elle aurait puisé son inspiration dans les modèles et patrons qu'elle a acquis dans le cadre du rachat du fonds de commerce de la société Brice Berger dans la mesure où l'acte de vente ne détermine pas précisément les modèles cédés et ne fait que mentionner que la cession porte notamment sur " les modèles existant à ce jour ".

Que la société Brice Berger Création ne peut également pas contester les actes de concurrence déloyale en arguant une absence de commercialisation massive de son modèle Tanguy qui n'aurait été vendu qu'à vingt deux exemplaires.

Qu'en effet, cette explication qui ne saurait être agréée que pour expliquer le préjudice subi n'affecte pas la faute commise par la société Brice Berger Création à l'encontre de la société Séraphin.

Considérant que la société Séraphin prouve au contraire à l'aide des attestations de Gilles Masson selon lesquelles " un agent représentant la maison lyonnaise Brice Berger " lui aurait présenté des modèles inspirés de la collection de la société Séraphin " ce dont l'agent ne s'est d'ailleurs pas caché ", de M. Di Micheli qui indique qu' " à différentes reprises, cette société (Brice Berger Création) l'avait démarché et proposé de lui faire des modèles similaires, à des prix nettement moins chers ", de Patrick Berber et de la société Ico que la société appelante a cherché à profiter de l'engouement de la clientèle pour le modèle de blouson B52 pour s'insinuer dans le sillage de la société Séraphin.

Que la société Brice Berger Création ne peut s'insurger comme elle le fait contre le contenu des attestations délivrées en faveur de la société Séraphin qu'elle considère comme mensongères sans étayer cette affirmation par des contre preuves pertinentes.

Qu'il s'ensuit que le jugement déféré en ce qu'il a reconnu la société Brice Berger Création responsable d'actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Séraphin devra être confirmé.

- Sur le préjudice

Considérant que la société Brice berger Création en commettant des actes de concurrence déloyale a infligé un préjudice tant moral que commercial à la société Séraphin dont le modèle B52 a été fautivement déprécié et banalisé.

Considérant qu'il est justifié par les factures communiquées que le modèle Tanguy veau médiéval avec Plastron a été vendu 2 650 F hors taxes par la société Brice Berger Création.

Considérant que le nombre d'articles litigieux commercialisés serait selon la société Brice Berger Création de vingt deux représentant pour la société Séraphin un préjudice d'un montant de 17 736 F.

Mais considérant que si celle-ci n'a pu exactement déterminé le nombre de blouson B52 commercialisé, elle justifie toutefois en produisant une attestation datée du 12 mars 1996 de son expert-comptable avoir engagé des frais dans le cadre de son budget de style et de publicité pour faire connaître ses modèles parmi lequel nécessairement celui litigieux.

Que la Cour dispose des éléments suffisants pour fixer la somme de 250 000 F les dommages intérêts dus par la société Brice Berger Création à la société Séraphin.

- Sur les autres demandes

Considérant que la société Séraphin reproche à la société Brice Berger Création d'avoir abusivement interjeté appel du jugement entrepris et d'avoir engagé contre elle devant le premier président de la cour d'appel de Paris, puis devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Lyon des procédures abusives.

Mais considérant que le jugement déféré ayant été partiellement infirmé, la société Séraphin ne saurait faire grief à la société Brice Berger Création d'avoir interjeté appel.

Que s'agissant des procédures connexes engagées, la société Brice Berger Création qui a pu se méprendre sur l'étendue et la portée de ses droits ne saurait se voir reprocher par la société Séraphin d'avoir abusivement agi en justice.

Considérant que l'infirmation partielle du jugement déféré ne permet pas à la société Brice Berger Création de prétendre que la société Séraphin a agi à son encontre avec " une particularité légèreté et une singulière mauvaise foi " et qu'elle lui a causé les divers préjudices qu'elle invoque.

- Sur la mesure de publication

Considérant qu'elle devra être confirmée comme il sera indiqué dans le dispositif du présent arrêt.

- Sur les frais hors dépens

Considérant qu'il apparaît inéquitable de laisser à la charge de la société Séraphin la totalité des frais qu'elle a dû engager en cause d'appel qui ne sont pas compris dans les dépens et qu'il convient de compenser à hauteur de la somme de 25 000 F.

Par ces motifs : Confirme le jugement rendu le 13 décembre 1996 par le tribunal de commerce de Paris en toutes ses dispositions, à l'exception de celles portant sur les actes de contrefaçon et sur la réparation du préjudice subi par la société Séraphin. L'infirme de ce chef, et statuant à nouveau, Dit que le modèle de blouson référencé B52 dans la collection de la société Séraphin n'est pas original et ne peut bénéficier de la protection au titre du droit d'auteur, Dit que la société Brice Berger Création a commis des actes de concurrence déloyale à l'encontre de la société Séraphin, Condamne en conséquence la société Brice Berger Création à payer à la société Séraphin la somme de 250 000 F à titre de dommages et intérêts, Dit que le dispositif du présent arrêt sera publié en entier dans les conditions fixées par le jugement frappé d'appel, Rejette toute demande autre, contraire ou plus ample des parties, Condamne la société Brice Berger Création à payer à la société Séraphin la somme de 25 000 F en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, Condamne la société Brice Berger Création aux entiers dépens d'appel dont distraction au profit de la SCP d'Avoués Annie Baskal dans les conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.