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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 31 mars 1999, n° 1997-03691

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pyramide Voyage (SARL)

Défendeur :

Varenne Voyage (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Lachacinski

Avoués :

SCP Taze Bernard Balfayol Broquet, SCP Hardoin Herscovici

Avocats :

Mes Tily, Domisse.

T. com. Corbeil-Essonnes, 2e ch., du 19 …

19 novembre 1996

La SARL Pyramide Voyages qui exerce une activité d'agence de voyages, a engagé :

- par avenant du 27 mai 1991 à un contrat de travail conclu du 1er avril 1983 par l'ancienne propriétaire du fonds de commerce qu'elle exploite, la STRAV, Catherine Brizemeure, épouse divorcée Guyon en qualité d'employée du service administratif,

- le 10 août 1989, Mary-André Mercier épouse Pedeutour en tant que chef d'agence.

Ces deux salariées ont été licenciées pour motif économique, respectivement les 24 novembre et 1er décembre 1993.

Par acte sous seing privé du 21 janvier 1994, enregistré le 24 janvier 1994 et publié le 6 février 1994, a été créée une Sarl dénommée Varennes Voyages dont :

-l'objet était " l'organisation de voyages en France et à l'étranger ",

- le capital social de 50 000 F était divisé en 500 parts, attribuées également à Mary-André Pedeutour et Catherine Brizemeure,

- le gérant, aux termes d'une annexe 2 du 22 janvier 1994, était Mary-André Pedeutour,

Cette société a été immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés d'Evry, le 11 février 1994.

Alléguant que celle-ci s'était livrée à son préjudice à des actes de concurrence déloyale, la Société Pyramide Voyages l'a assignée devant le Tribunal de commerce de Corbeil-Essonnes à l'effet de la voir condamner au paiement d'une indemnité de 200 000 F et d'une somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et de voir ordonner les habituelles mesures d'interdiction et de publication.

La juridiction saisie a, par jugement du 6 juin 1995, écarté l'exception d'incompétence soulevée par la défenderesse au profit du Conseil de Prud'hommes.

Un arrêt de la Cour du 20 décembre 1995 ayant rejeté le contredit formé à l'encontre de cette décision, le tribunal, par jugement du 19 novembre 1996, constatant :

- d'une part, la légèreté des agissements de mesdames Pedeutour et Guyon au titre de la création de la Société Varennes Voyages et du début de leur prospection commerciale,

- d'autre part, que cette légèreté était due pour une part à la mise en sommeil par la Société Pyramide Voyages, suite à sa réorganisation interne,

- enfin, que la demanderesse ne démontrait pas les dommages qu'elle aurait subis du fait d'une société dont l'activité s'exerçait différemment,

a :

- débouté les parties de leurs prétentions respectives,

- condamné chacune d'elles au paiement de ses dépens.

La Société Pyramide Voyages a, le 15 janvier 1997, formé à l'encontre de cette décision, un appel aux termes duquel elle poursuit l'adjudication de ses demandes initiales.

La Société Varennes Voyages conclut à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a rejeté la demande en dommages et intérêts et sollicite l'attribution d'une somme de 20 000 F pour ses frais hors dépens.

Sur ce,

I - Sur la concurrence déloyale

Considérant que la Société Pyramide Voyages impute à la Société Varennes Voyages une double faute délictuelle : la complicité de la violation d'une clause de non-concurrence et le démarchage systématique et déloyal de sa propre clientèle.

1 - Sur la violation d'une clause de non-concurrence

Considérant que l'appelante expose que le contrat de travail du 10 août 1989 comportait à l'usage de Mary-André Mercier épouse Pedeutour la disposition suivante :

En cas de cessation du contrat de travail pour une cause quelconque, il vous est interdit, à dater de cette cessation, d'entrer au service d'une entreprise concurrente ou de vous intéresser directement ou indirectement à tous commerces pouvant concurrencer les produits vendus par la Société Pyramide Voyages.

Vous ne pourrez exercer les activités ci-dessus dans un rayon de 10 km autour de Brunoy. La durée de cette interdiction de concurrence sera de 3 ans.

Qu'elle soutient que la Société Varennes Voyages ne pouvait ignorer l'existence de cette clause par laquelle était tenue l'une de ses associées fondatrices.

Considérant que l'intimée réplique que la violation d'une telle clause s'apprécie au regard de la similitude des activités en présence d'une part, de l'activité exercée par le salarié, lors de la rupture du contrat de travail, d'autre part.

Qu'elle allègue que, par circulaire du 22 janvier 1993, la Société Pyramide Voyages avait informé ses employés de son intention de supprimer le département " Groupes " dont faisaient partie Mary-André Mercier-Pedeutour et Catherine Bizemeure-Guyon pour se consacrer à la seule activité d'agence de voyages " classique ", alors qu'elle-même exerce une activité susvisée en ce qu'elle consiste en produits conçus par la société sur mesure pour la clientèle et non pas à faire de la billetterie ou de la vente de séjours sur catalogues.

Mais considérant qu'il convient d'opposer à la Société Varennes Voyages qu'elle a :

- été créée le 21 janvier 1994 soit dans le délai de trois ans imposé par la clause de non-concurrence à Mary-André Mercier-Pedeutour, sa gérante,

- son siège social à Varennes Jarcy, c'est-à-dire à une distance inférieure à dix kilomètres de la Société Pyramide Voyages sise à Brunoy.

- pour objet, aux termes de ses statuts (Titre I, article 2) l'organisation de voyages en France et à l'étranger et de l'extrait Kbis délivré le 1er décembre 1998, une activité d'agence de voyages sans plus de précisions.

Considérant, outre que les parties exercent ainsi la même activité que, quand bien même l'organisation de déplacement de groupes constituerait une spécialité à part entière et serait de surcroît exercée de manière exclusive par l'intimée -ce qui n'est pas démontré-il est établi qu'à la date de constitution de la Société Varennes Voyages et ultérieurement l'appelante se livrait encore à cette activité particulière, depuis son agence de Brunoy comme le révèlent une Brochure Groupes 1994, éditée par ses soins et les divers documents produits (commandes, devis, factures) datés de 1994 et concernant des voyages prévus jusqu'en mai 1995.

Qu'il en résulte qu'en enfreignant une clause de non-concurrence qu'elle pouvait d'autant moins ignorer que celle-ci pesait sur sa représentante légale, la Société Varennes Voyages a commis une faute engageant sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil.

2. Sur le démarchage de clientèle

Considérant que la Société Pyramide Voyages fait valoir que le 10 et le 16 février 1994, elle a reçu plusieurs lettres de clients lui indiquant qu'ils avaient été démarchés par Mesdames Pedeutour et Brizemeure, auxquelles était jointe une lettre circulaire portant le cachet de la Société Varennes Voyages.

Qu'elle soutient que celle-ci a ainsi commis des actes de concurrence déloyale en démarchant systématiquement sa clientèle, grâce aux renseignements qu'elle a recueillis de ses fondatrices.

Considérant que l'intimée réplique que la plainte déposée par la Société Pyramide Voyages à l'encontre desdites fondatrices, du chef de vol de fichiers informatiques a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu et que, par conséquent, l'appelante n'apporte aucune preuve tangible à l'appui du grief qu'elle formule.

Considérant, ceci exposé, que les 9, 10 et 11 février 1994, Monsieur et Madame Raymond Boulet, Monsieur Gervais et Madame Vincent, clients de la Société Pyramide Voyages, ont informé celle-ci qu'ils avaient reçu un courrier circulaire et une documentation de la Société Varennes Voyages.

Que le courrier leur annonçait la création de cette société et précisait :

" ... Vous nous connaissez déjà. Nous sommes Cathy et Mary-André et nous nous occupions de vous chez Pyramide Voyages. La direction de cette dernière ayant choisi d'arrêter ce service, nous avons décidé de ne pas baisser les bras et de continuer l'activité. Pour vous, rien ne change, les points de ramassage sont sensiblement les mêmes et nos voyages sont toujours d'un bon rapport qualité-prix... ".

Considérant qu'en application des principes de la liberté du commerce et de la libre concurrence, une société ne peut se prévaloir d'un droit privatif sur sa clientèle.

Que ses concurrents peuvent ainsi démarcher celle-ci sous réserve cependant de respecter les usages loyaux du commerce lesquels excluent notamment le recours à des informations inexactes ou mensongères.

Or, considérant que le courrier du 28 janvier 1993, adressé par la Société Pyramide Voyages à Catherine Brizemeure Guyon et Mary-André Mercier Pedeutour ne faisant état que de l'éventualité de la cessation d'activité de son département " groupes ", la Société Varennes Voyages n'était pas en droit d'affirmer à la clientèle de sa concurrente en février 1994, que celle-ci avait choisi d'arrêter ce service alors que ce dernier a fonctionné en tout état de cause jusqu'en mai 1995.

Qu'elle ne pouvait non plus ajouter que ses fondatrices avaient décidé de ne pas baisser les bras sans dénigrer implicitement l'appelante, eu égard au caractère péjoratif de l'expression employée, ni préciser qu'elle entendait continuer cette activité et se présenter ainsi, de manière indue dans l'esprit de la clientèle, comme la remplaçante et non pas la concurrente de la société visée. Qu'il en résulte que ce second grief est également établi.

II - Sur la réparation du préjudice

Considérant que la Société Pyramide Voyages allègue que son chiffre d'affaires de 2 628 668,25 F en 1993 est tombé à 282 056 F en 1994 alors que la Société Varennes Voyages réalisait la même année un chiffre de 1 048 128 F dont 416 767 F provenant de ses anciens clients. Qu'elle en déduit qu'elle est bien fondée à solliciter l'attribution d'une somme de 200 000 F à titre de réparation.

Considérant que la Société Varennes Voyages ne conteste pas, dans ses écritures du 15 septembre 1997 (page 5) avoir réalisé pour sa première année d'activité (1994) un chiffre d'affaires de 1 048 128 F dont les conditions relevées ci-avant (clients s'étant rapprochés de la Société Varennes Voyages parce qu'il leur avait été répondu par Société Pyramide Voyages que l'activité " Groupes " n'existait plus) ".

Considérant que les clients ainsi mis en cause ont fait état d'une suppression du " Service groupes " à une date non précisée (attestation de Jean-Jacques Guettard du 29 juillet 1994 ou de Claude Desnoyer du 10 février 1995) ou en septembre 1994 (attestation de Jean-François Danvin du 18 février 1995) étant rappelé ainsi que précisé ci-dessus que l'organisation effective de ce type de voyages a pris fin au plus tôt en mai 1995.

Qu'il ne saurait donc être contesté que la somme susvisée de 416 767 F doit être prise en compte dans l'appréciation du préjudice de sa réparation.

Considérant qu'il résulte des griefs retenus et du dommage en découlant ainsi que des différents éléments d'information versés aux débats que la Société Varennes Voyages une somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts.

Qu'il convient également d'ordonner non pas l'affichage sollicité mais la publication du dispositif du présent arrêt (par extraits ainsi que demandé par l'appelante).

III - Sur les frais non taxables

Considérant que la Société Varennes Voyages qui succombe, sera déboutée de la demande par elle fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Qu'il est, en revanche, équitable d'allouer de ce chef une somme de 20 000 F à la Société Pyramide Voyages.

Par ces motifs, Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau, Dit la demande en concurrence déloyale de la Société Pyramide Voyages recevable et bien fondée, Condamne la Société Varennes Voyages à payer à la Société Pyramide Voyages les sommes de : - cent mille francs (100 000 F) à titre de dommages et intérêts, - vingt mille francs (20 000 F) en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Autorise la Société Pyramide Voyages à publier par extraits, passé le délai de quinze jours à compter de la signification, le dispositif du présent arrêt dans trois périodiques de son choix, aux frais de la Société Varennes Voyages dans la limite d'un coût de 5 000 F HT par insertion, Rejette toutes autres demandes, Condamne la Société Varennes Voyages aux dépens de première instance et d'appel. Admet la SCP Taze Bernard Belfayol Broquet, titulaire d'un office d'avoué, au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.