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Décisions

CA Orléans, ch. com., économique et financière, 25 mars 1999, n° 97-02898

ORLÉANS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Talenton

Défendeur :

CRPI (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lardennois

Conseillers :

M. Puechmaille, Mme Boury

Avoués :

SCP Laval-Lueger, SCP Duthoit-Desplanques

Avocats :

SCP Leroy-Langeron, Me Rousseau.

T. com. Orléans, du 10 sept. 1997

10 septembre 1997

Monsieur Robert Talenton est régulièrement appelant d'un jugement du Tribunal de Commerce d'Orléans en date du 10 septembre 1997, qui l'a condamné à payer à la société CRPI la somme de 350 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale, outre 6 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et a ordonné la cessation des manœuvres déloyales de Monsieur Talenton à l'encontre de ladite société et, en particulier, l'embauche de salariés liés à cette dernière par un contrat stipulant une clause de non-concurrence.

Il convient de rappeler que Messieurs Sylvain Graveleine et Domingos Araujo ont été engagés en qualité de VRP par la Société CRPI, qui a pour activité la vente et l'entretien de matériel de lutte contre l'incendie par contrat en date pour le premier du 26 septembre 1994 et pour le second du 22 octobre 1993. Monsieur Graveleine a démissionné le 3 août 1994 et travaillé du 12 septembre 1994 jusqu'en janvier 1995 pour le compte de la SNI, société concurrente de la Société CRPI, avant d'être à nouveau embauché depuis cette date par un autre concurrent, la CIF.

Monsieur Araujo a démissionné quant à lui le 28 mars 1995, pour être aussitôt réembauché par la CIF dès l'expiration de son préavis le 1er juin 1995.

Par acte du 11 juillet 1995 la Société CRPI a fait délivrer assignation à Monsieur Robert Talenton, exerçant le commerce sous la dénomination " Cif Centre Incendie ", aux motifs qu'en embauchant ses deux anciens salariés, Messieurs Graveleine et Araujo, tenus par une clause de non-concurrence, celui-ci se serait rendu complice de la violation de l'obligation de non-concurrence de ces deux salariés, et qu'il serait en outre responsable des procédés utilisés par ces derniers pour capter la clientèle de la Société CRPI constitutifs d'autant de manœuvres de concurrence déloyale. Elle a sollicité en conséquence sa condamnation à lui verser en réparation 500 000 F de dommages et intérêts à cesser de conserver à son service ou d'embaucher tout collaborateur de la Société CRPI tenu d'une obligation de non-concurrence en vigueur, et à cesser enfin toute manœuvre constitutive de concurrence déloyale à son préjudice. C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement entrepris dont Monsieur Robert Talenton exerçant le commerce sous la dénomination " CIF Centre Incendie " poursuit l'infirmation en concluant au débouté des demandes de la Société CRPI et à sa condamnation à lui payer la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Il conteste avoir débauché les anciens salariés de la Société CRPI Messieurs Graveleine et Araujo, affirmant au contraire que ceux-ci ont été embauchés en suite de leurs candidature spontanées.

Il prétend qu'il ignorait l'existence des clauses de non-concurrence, ajoutant que celle qui liait Monsieur Graveleine à la Société CRPI a d'ailleurs été déclarée nulle par un jugement du Conseil des Prud'Hommes d'Orléans du 22 novembre 1995 confirmé par un arrêt de cette Cour.

Il affirme n'avoir jamais cherché à détouner la clientèle de la Société CRPI pas plus qu'il n'a utilisé le prétendu fichier de cette dernière qu'auraient détenu Messieurs Graveleine et Araujo.

Il soutient enfin que le préjudice n'est pas prouvé, et qu'il ne pourrait en toute hypothèse être indemnisé deux fois, se prévalant à cet égard de l'arrêt de cette Cour en date du 15 janvier 1998 ayant condamné Monsieur Araujo pour violation de son obligation de non-concurrence envers la Société CRPI à payer à cette dernière 50 000 F à titre de dommages et intérêts. La Société CRPI conclut à la confirmation du jugement, y ajoutant une demande de 8 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Elle soutient que Monsieur Talenton a engagé à son égard sa responsabilité de nature délictuelle tant en son nom propre (article 1382 du Code Civil) qu'en sa qualité de commettant de ses représentants auprès de la clientèle (article 1384 alinéa 5 du Code Civil).

Elle lui reproche d'avoir embauché successivement ses deux anciens VRP sans s'assurer qu'ils étaient libres de tout engagement de non-concurrence, et en les laissant se livrer ensuite à une prospection " sauvage " de la clientèle de leur ancien employeur, dont ils auraient notamment utilisé le fichier clientèle et vis-à-vis duquel ils auraient eu en outre un comportement de dénigrement systématique.

Sur ce :

Attendu qu'aux termes de leur contrat avec la Société CRPI, Messieurs Graveleine et Araujo étaient chacun tenus par une clause de non-concurrence et de secret professionnel ;

Que saisi de la violation de cette clause, le Conseil des Prud'hommes d'Orléans a débouté la Société CRPI de son action contre Monsieur Graveleine estimant que l'engagement de non-concurrence souscrit par celui-ci ne remplissait pas les conditions de la loi ; que l'appel interjeté par la Société CRPI a été déclaré irrecevable par la Cour de céans dans un arrêt en date du 5 juin 1997, qui a fait l'objet d'un pourvoi en cassation ;

Qu'en revanche, ce même Conseil des Prud'Hommes a validé ladite clause en ce qui concerne Monsieur Araujo et l'a condamné à indemniser la Société CRPI, décision confirmée par un arrêt de la Cour de céans, non frappé de pourvoi, en date du 15 janvier 1998, qui a cependant ramené à 50 000 F les dommages et intérêts alloués à la demanderesse ;

Que la Société CRPI verse aux débats, différentes pièces (attestation de clients, bons de commande annulés), démontrant qu'après s'être fait immédiatement embaucher par un concurrent direct, la CIF, Monsieur Araujo a fait bénéficier cette dernière de sa connaissance non seulement précise des clients de son ancien employeur sur le secteur géographique qu'il prospectait auparavant, mais surtout des dates de vérification des appareils installés puisqu'elles sont très régulières et résultent tout aussi bien de la date de cette installation (un an après) ou s'agissant d'un appareil ancien, de la mention qui y est apposée ;

Qu'il a ainsi visité en juin et juillet 1995, 11 de ses anciens clients dans le Loiret ;

Que parfois, il a même donné à Monsieur Graveleine les dates de vérification des appareils qu'il avait vendus pour le compte de la Société CRPI et c'est ce dernier qui se rendra pour le compte de la CIR chez les anciens clients de Monsieur Araujo ;

Que le Conseil des Prud'hommes a pu à juste titre considéré dans ces conditions que Monsieur Araujo avait de manière " parfaitement grossière et flagrante " violé son obligation de non-concurrence.

Attendu que Monsieur Graveleine s'est également livré en ce qui le concerne à un démarchage systématique des clients de la Société CRPI dans son ancien secteur ;

Que bien plus, il n'a pas hésité à induire ces mêmes clients en erreur, en se présentant comme un concessionnaire de cette société qui venait de s'installer à son compte, en disant qu'il continuait à vérifier les extincteurs pour le compte de la Société CRPI qu'il prenait la suite de celle-ci qui n'interviendrait plus, en faisant état de la pseudo-disparition de cette société, ou bien encore en disant ne plus faire partie de la Société CRPI mais effectuer les contrôles 20 % moins cher, et en dénigrant à l'occasion son ancien employeur ;

Que s'il ne peut y avoir, compte tenu de la décision de justice sus rappelée le concernant, violation par Monsieur Graveleine de son obligation de non-concurrence, les éléments qui précèdent démontrent en revanche à l'évidence ses agissements déloyaux vis-à-vis de son ancien employeur et au seul profit de la CIF Centre Incendie " ;

Que Monsieur Talenton, qui exerce le commerce sous cette dénomination, a incontestablement engagé de ce chef à l'égard de la Société CRPI, sa responsabilité de commettant dans les termes de l'article 1384 alinéa 5 du Code Civil ;

Qu'en présence d'autre part d'une clause de non-concurrence identique à celle de Monsieur Araujo et dont la validité n'était pas encore discutée, il aurait dû à tout le moins s'agissant de Monsieur Graveleine, et en tout état de cause s'agissant de Monsieur Araujo, faire préciser par ceux-ci au moment de leur embauche quels étaient les produits dont ils assuraient auparavant la représentation, et vérifier s'ils avaient bien informé leur ancien employeur de son acceptation de la nouvelle carte de représentation qui leur était proposée ;

Que ces négligences, qui leur ont permis de prospecter ainsi une partie de la clientèle de l'entreprise concurrente, engagent incontestablement la responsabilité de Monsieur Talenton dans les termes des articles 1382 et 1383 du Code Civil, en rendant celui-ci complice à l'égard de la Société CRPI de la violation d'une obligation de non-concurrence et de l'utilisation de procédés contraires à la simple loyauté en matière commerciale ;

Que le comportement de Monsieur Talenton a eu pour conséquence inéluctable la perpétration des actes de concurrence déloyale sus-décrits et l'apparition d'un dommage à court ou moyen terme lié aux répercussions de ces agissements sur le chiffre d'affaires de l'ancien employeur ;

Que ce dommage déjà en partie indemnisé par les 50 000 F alloués à la Société CRPI dans le cadre de l'instance prud'hommale en vertu de l'arrêt précité du 15 janvier 1998, ne justifie pas pour autant la somme exagérée de 350 000 F au paiement de laquelle Monsieur Talenton a été condamné par le jugement entrepris ;

Qu'infirmant en définitive sur le seul point ledit jugement, il convient, au vu des éléments de la cause limités en l'occurrence à la seule vingtaine d'anciens clients de la Société CRPI dont il a pu être rapporté la preuve certaine d'un démarchage contraire à la loyauté commerciale, de fixer le préjudice indemnisable de cette dernière à la somme de 8 000 F ;

Qu'il serait inéquitable de laisser l'intimé supporter la charge de ses frais irrépétibles en cause d'appel, qui seront fixés à 80 000 F

Que l'appelant qui succombe, aura la charge des dépens de l'instance.

Par ces motifs: La COUR, Réforme le jugement entrepris quant aux dommages et intérêts alloués à la Société CRPI ; le confirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Fixe à 80 000 F (quatre vingt mille francs) le montant de la condamnation pécuniaire de Monsieur Talenton envers la Société CRPI, Déboute les parties du surplus de leurs prétentions, Condamne Monsieur Talenton à payer à la Société CRPI au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, la somme de 8 000 F, Condamne le même aux dépens d'appel, Accorde à la SCP Duthoit-Desplanques, avoués associés, le droit prévu à l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile, et le présent arrêt a été signé par le Président et le Greffier.