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Décisions

CA Paris, 1re ch. A, 24 mars 1999, n° 1998-11123

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Polygram (SA)

Défendeur :

Cosma, Larguetto Music (BV)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Premier président :

M. Canivet

Président :

Mme Fabre

Conseiller :

M. Mc Kee

Avoués :

SCP Teytaud, SCP Verdun-Gastou

Avocats :

Mes Boespflug, Pourrinet.

TGI Paris, 1re ch., 1re sect., du 9 mars…

9 mars 1998

Reprochant à la société Polygram d'avoir commercialisé sous le titre Diva, contenu dans le double compact-disque intitulé " Palmarès du cinéma ", un enregistrement de l'air original de l'opéra La Wally de Catalani, tombé dans le domaine public et ne correspondant nullement à la musique du film qu'il a composée, Vladimir Cosma l'a fait assigner, pour acte de concurrence déloyale afin d'obtenir l'interdiction sous astreinte pour la société Polygram de fabriquer et/ou de faire fabriquer, vendre et/ou faire vendre, distribuer et/ou faire distribuer le double compact " Palmarès du cinéma " avec la mention Diva et le paiement des sommes de 150 000 F en réparation de son préjudice patrimonial en qualité de compositeur-interprète, 150 000 F au titre de son préjudice patrimonial en tant que titulaire exclusif de tous les droits d'exploitation de la bande sonore du film, 50 000 F au titre du préjudice moral consécutif à l'utilisation déloyale du titre Diva et 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure Civile.

Le jour du prononcé de l'ordonnance de clôture, la société LAM Larguetto Mucic BV est intervenue volontairement à l'instance pour demander la condamnation de la société Polygram à lui payer 150 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice patrimonial en qualité de producteur de phonogrammes et 15 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Par jugement du 9 mars 1988, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté l'exception de nullité de l'assignation soulevée par la défenderesse, a déclaré la société LAM Larguetto Music BV irrecevable en son intervention et a condamné la société Polygram à payer à Vladimir Cosma la somme de 70 000 F à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice, toutes causes confondues, causé par ses actes de concurrence déloyale, ainsi que celle de 10 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La cour,

Vu l'appel formé par la société Polygram contre la décision précitée ;

Vu les conclusions de l'appelante, en date des 21 juillet, 30 décembre 1998 et 5 février 1999, tendant, par infirmation du jugement attaqué, à ce que Vladimir Cosma soit déclaré irrecevable et mal fondé en sa demande à toutes fins qu'elle comporte et, subsidiairement, à sa réformation en ce qu'il l'a condamnée au paiement de la somme de 70 000 F à titre de dommages et intérêts et à la réduction très sensible de cette somme, à l'irrecevabilité des demandes de la société LAM Larguetto Music BV et à la condamnation in solidum de Vladimir Cosma et de la société LAM Larguetto Music BV à lui verser la somme de 30 000 F en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, aux moyens :

- qu'elle s'est parfaitement conformée aux usages qui régissent sa profession de sorte que son comportement ne peut être qualifié de déloyal et ce, d'autant moins qu'aucun consommateur ne s'est plaint d'avoir été trompé,

- que le préjudice subi par Vladimir Cosma, qui a cédé ses droits d'interprète au producteur de la banque sonore originale du film Diva, serait très limité,

- que l'intervention volontaire de la société LAM Larguetto Music BV est tardive et qu'au surplus cette société ne justifie pas être cessionnaire des droits qu'elle invoque ; qu'enfin, le préjudice éventuellement subi serait sans aucun rapport avec ses prétentions ;

Vu les conclusions de Vladimir Cosma et de la société LAM Larguetto Music BV en date des 20 octobre 1998 et 26 janvier 1999 tendant à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a reconnu que la société Polygram avait commis une faute au préjudice de Monsieur Cosma au sens de l'article 1382 du Code Civil, mais, par infirmation du surplus, à la recevabilité des prétentions de la société LAM Larguetto Music BV et à la condamnation de la société Polygram à payer à Monsieur Cosma la somme de 150 000 F en réparation de son préjudice moral, et à la société LAM Larguetto Music BV la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts enfin, respectivement à chacun des intimés la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, au moyens que :

- la présentation générale de la jaquette du coffret litigieux prête indubitablement à confusion,

- l'utilisation du terme " musique " en association avec le nom du film " Diva " pour désigner l'air original de Catalani est abusive,

- l'arrangement, œuvre composite, n'en constitue pas moins une œuvre distincte, nouvelle, qui est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée,

- la société LAM Larguetto Music BV a intérêt et qualité pour agir en sa qualité de producteur des phonogrammes reproduisant la bande sonore du film Diva,

- les préjudices sont importants, compte tenu de la notoriété du film, du manque à gagner et du préjudice moral nés à l'occasion de chaque vente de compact-disque, de l'utilisation abusive et déloyale du titre Diva ;

Sur ce,

Sur la recevabilité de l'intervention de la société LAM Larguetto Music BV

Considérant, d'une part, que le juge ne peut, en raison du pouvoir qu'il tient de l'article 326 du nouveau Code de Procédure Civile, déclarer irrecevable une intervention volontaire pour des raisons tirées du caractère tardif de la signification des conclusions ;

Considérant, d'autre part, que l'intervenant volontaire doit justifier de sa qualité et de son intérêt à agir ;

Qu'en l'espèce, la société LAM Larguetto Music BV a déclaré intervenir aux fins de reprendre à son bénéfice la demande formée par Monsieur Vladimir Cosma en sa qualité de producteur de phonogrammes ;

Que dans les écritures de première instance du 14 janvier 1998, la société Polygram, pour s'opposer aux prétentions de Monsieur Cosma, a indiqué :

" le disque compact reproduisant la bande sonore originale révèle que ce dernier a rétrocédé les droits en question à une société dénommée Larguetto Music puisque le disque compact en question comporte la mention " P. 1993 Larguetto Music ", reconnaissant ainsi à cette société sa qualité de producteur de phonogrammes ;

Que cet aveu fait foi contre elle et s'oppose à ce qu'elle puisse aujourd'hui discuter la qualité à agir de la société LAM Larguetto Music ; Qu'il s'ensuit que le jugement déféré doit être réformé pour avoir déclaré celle-ci irrecevable en son intervention

Sur la recevabilité des demandes de Monsieur Vladimir Cosma

Considérant qu'il n'est articulé aucun moyen au soutien de la demande tendant à voir dire Monsieur Cosma irrecevable en ses prétentions, de sorte que cette demande ne peut qu'être rejetée ;

Au fond

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que la société Polygram a distribué en France un double compact-disque intitulé " Palmarès du cinéma " dont la jaquette, illustrant un grand écran et l'intérieur d'un cinéma mentionne : " les plus belles musiques de films: Autant en emporte le vent, Love Story, Orange mécanique, Apocalypse now, Out of Africa, Diva, Amadeus et beaucoup d'autres " ; qu'au dos de la pochette, le critique cinématographique Henry Chapier a écrit : " Personnage clé des films à succès, la musique partage le plus souvent le destin des stars : véhicule de l'action, reflet des émotions, elle crée avec chacun d'entre nous un lien particulier qui prend place dans nos journaux intimes... L'originalité du disque que vous allez découvrir aujourd'hui tient à cette fabuleuse rencontre entre des films cultes et des musiques entrées dans la légende " ;

Qu'ainsi, tout concourt à faire penser que les musiques enregistrées sont les bandes originales des films;

Que s'agissant du titre Diva, il est mentionné au dos du coffret en caractère gras et large, avec seulement en dessous, en petits caractères et entre parenthèses l'indication " Catalani : La Wally " ;

Or, considérant que l'enregistrement litigieux n'est, ni la bande originale du film, ni même la version du film, mais l'air de l'opéra " La Wally " du compositeur italien Catalani, tombé dans le domaine public, dont Vladimir Cosma a écrit l'arrangement et dont il a dirigé l'interprétation par la chanteuse Wihelmina Wigging Fernandez pour composer la partition musicale du film Diva, inscrite à la Sacem sous ce titre " Diva " ;

Que la société Polygram fait vainement valoir que le terme " musique " pouvait licitement être associé au titre d'un film pour désigner un enregistrement distinct de celui dont est constituée la bande sonore originale du film en question, la musique désignant une œuvre musicale indépendamment de ses enregistrements, dès lors que la présentation globale de la jaquette prêtait à confusion, même si le terme " original " n'était pas utilisé, et que l'utilisation du terme " musique " en association avec le nom du film Diva pour désigner l'air original de Catalani, préexistant au film, est abusif puisqu'il ne s'agit pas de l'arrangement de Vladimir Cosma qui a été synchronisé dans la bande sonore du film, lequel, même s'il constitue une œuvre composite, n'en est pas moins une œuvre distincte et nouvelle qui est la propriété de l'auteur qui l'a réalisée ; Que c'est donc à juste titre que les premiers juges ont retenu que la présentation du disque était trompeuse et traduisait la volonté délibérée de la société Polygram de s'emparer de la notoriété conférée à la partition de Catalani par l'arrangement de Vladimir Cosma, afin de distribuer le compact-disque à un large public pour lequel la musique faisait partie intégrante du film ;

Que, ce faisant, la société Polygram a commis une faute, s'apparentant à un acte de parasitisme, et doit réparer les préjudices patrimoniaux et moraux causés tant à Vladimir Cosma, auteur et artiste-interprète, qu'à la société LAM Larguetto Music BV, producteur du phonogramme, titulaire des droits d'exploitation de la bande sonore du film; que, pour évaluer ces préjudices, il y a lieu de tenir compte de la notoriété de Diva, musique indissociable du film du même nom, qui a incontestablement participé au succès du comptact-disque litigieux, vendu d'après les justificatifs produits, à près de 65 000 exemplaires, la société Polygram profitant à l'occasion de chaque vente de façon déloyale de la notoriété du titre Diva sans verser la moindre contrepartie aux intimés ;

Que, dans ces circonstances, le préjudice subi par Vladimir Cosma sera entièrement indemnisé par l'allocation de la somme de 150 000 F à titre de dommages et intérêts et celui de la société LAM Larguetto Music BV par celle de 80 000 F ; Considérant, enfin, que l'équité commande de condamner la société Polygram à payer à chacun des intimés la somme de 10 000 F au titre des frais de procédure non compris dans les dépens qu'ils ont dû engager en cause d'appel ;

Par ces motifs: confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a déclaré la société LAM Larguetto Music BV irrecevable en son intervention et en ce qu'il a fixé les dommages et intérêts à la somme de 70 000 F ; Réformant de ces chefs et y ajoutant : Dit la société LAM Larguetto Music BV recevable en ses demandes ; Condamne la société Polygram à payer, à titre de dommages et intérêts à Monsieur Vladimir Cosma la somme de 150 000 F et à la société LAM Larguetto Music BV celle de 80 000 F ; Condamne la société précitée à payer à chacun des intimés la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Condamne la société Polygram aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du même Code.