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Décisions

CA Nîmes, 1re ch. A, 23 février 1999, n° 4636-97

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Seuil (GAEC)

Défendeur :

Carreau Gaschereau (Consorts)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Deltel

Conseillers :

M. Puech, Mme Miquel-Pribile

Avoués :

SCP Fontaine Macaluso Jullien, Me Aldebert

Avocats :

Mes Moreau, Bonnafons.

TGI Avignon, du 11 juin 1997

11 juin 1997

Faits, procédure et prétentions des parties :

Philippe et Janine Carreau Gaschereau (ci-après dénommés les consorts Gaschereau), sont propriétaires de la marque " Le Seuil ", déposée le 29 avril 1988 à Aix-en-Provence sous le n° 3070, enregistrée sous le n° 1527749 auprès de l'Institut National de la Propriété Industrielle (INPI) pour des vins rouges, rosés, blancs, tranquilles, effervescents, AOC, de pays ou de table, classe 33.

Ils ont procédé au renouvellement de cette marque par déclaration à l'INPI effectuée le 28 avril 1998.

Ils commercialisent sous cette marque du vin étiqueté " Château du Seuil ", d'appellation " Coteaux d'Aix-en-Provence " provenant de leur propriété sise à Le Seuil, commune de Puyricard (13).

Le GAEC Le Seuil, propriétaire de terres viticole à Campagne le Seuil, commune de Beaumont de Pertuis (84), commercialise ses vins sous la dénomination " Domaine Le Seuil " depuis 1989.

Il a déposé le 17 septembre 1993 à Marseille une marque complexe, enregistrée à l'INPI sous le n° 93484846, correspondant à l'étiquette utilisée pour la commercialisation de ses vins constituée notamment de la dénomination " Domaine Le Seuil " " Cuvée du Jas " - " Côtes du Lubéron " pour des vin d'Appellation d'Origine Contrôlée - Côtes du Lubéron provenant de l'exploitation exactement dénommée Domaine Le Seuil, classe 33.

Les consorts Gaschereau reprochant au GAEC Le Seuil de se rendre coupable de contrefaçon et de concurrence déloyale, l'ont fait assigner devant le Tribunal de grande instance d'Avignon par acte du 3 mars 1994 aux fins d'obtenir :

- l'interdiction au défendeur d'utiliser les appellations " Domaine Le Seuil " ou " Le Seuil ",

- la radiation de l'enregistrement " Domaine Le Seuil " n° 93484846,

- le prononcé de ces mesures sous une astreinte définitive de 5 000 F par infraction constatée et par jour de retard,

- la désignation d'un expert ayant pour mission de déterminer le chiffre d'affaires réalisé par le défendeur sous la marque " Domaine Le Seuil ",

- la condamnation du défendeur à payer :

-- une provision de 2 000 000 F en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon de la marque " Le Seuil " et de sa dévalorisation,

-- la somme de 2 000 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire,

- la publication du jugement à intervenir dans cinq journaux professionnels aux frais du défendeur, sans que le Cour de chaque publication ne puisse excéder la somme de 20 000 F,

- la transcription du jugement à intervenir sur le Registre National des Marques,

- l'exécution provisoire du jugement à intervenir,

- la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Le GAEC " Le Seuil " a conclu au débouté et à l'irrecevabilité de la demande fondée sur la concurrence déloyale.

Il a réclamé en outre :

- 50 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

- l'exécution provisoire,

- ainsi que la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Par jugement du 11 juin 1997, le Tribunal de grande instance d'Avignon a :

- Constaté que le GAEC " Le Seuil " a contrefait la marque " Le Seuil ", enregistrée à l'INPI sous le n° 1527749 au préjudice de leurs propriétaires les époux Gaschereau ;

- Interdit au GAEC " Le Seuil " ou à ses membres, la reproduction ou l'apposition, pour la désignation ou la commercialisation directe ou indirecte du vin (produit de classe 33), des dénomination " Le Seuil " ou " Domaine Le Seuil ", sous astreinte provisoire de cinq mille francs (5 000 F) par infraction constatée, étant entendu qu'il sera compté autant d'infractions que d'unités de conditionnement portant contrefaçon (notamment bouteille) ;

- Prononcé la nullité de l'enregistrement de la marque " Domaine Le Seuil ", répertoriée sous le n° 93484846 ;

- Ordonné la radiation du registre de la propriété industrielle de la marque " Domaine Le Seuil " n° 93484846 ;

- Enjoint au GAEC " Le Seuil " de faire procéder à la radiation de cet enregistrement dans le délai de un mois, à compter de la signification du présent jugement, sous astreinte provisoire de cinq mille francs (5 000 F) par jour de retard ;

- Condamné le GAEC " Le Seuil " à verser aux consorts Gaschereau la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts ;

- Ordonné la publication aux frais du GAEC " Le Seuil ", du jugement dans les journaux suivant :

- Le Vaucluse Agricole,

- Le Provençal,

- Les Bouches du Rhône Agricoles,

- la Revue des Vins de France,

- Cuisine et Vins de France,

- Sans que le coût de chaque publication ne puisse excéder la somme de 20 000 F ;

- Condamné le GAEC " Le Seuil " à verser aux consorts Gaschereau la somme de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- Débouté les parties de leurs autres demandes ;

- Condamné le GAEC " Le Seuil " aux dépens.

Le GAEC " Le Seuil " a régulièrement relevé appel de ce jugement le 8 septembre 1997.

Le GAEC " Le Seuil " soutient qu'en matière de marque vinicole, il est de jurisprudence constante qu'un droit à l'homonyme existe au profit des propriétaires de vignobles dans un tènement portant le même nom que celui utilisé par le propriétaire d'une marque déposée antérieurement, sous réserve de lui apporter un suffixe de nature à éviter toute confusion,

Que ce principe repose sur la combinaison des dispositions de l'article 284 du Code des Vins et de l'article L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle (CPI),

Que la dénomination litigieuse " Domaine Le Seuil " utilisée pour le vin exploitée par le GAEC correspond au nom du lieu du vignoble,

Que le tribunal a considéré qu'il n'existait aucun risque de confusion vu les différences entre les étiquettes, et se devait de reconnaître conformément au droit au toponyme, le droit au GAEC Le Seuil d'utiliser la dénomination Domaine Le Seuil.

Le GAEC Le Seuil fait valoir qu'en l'état de la restriction des produits visés dans le dépôt de marque et des termes utilisés, il ne s'agit ni d'une copie servile ni d'une imitation de la marque invoquée,

En l'absence de risque, il considère donc qu'il convient de constater l'absence de contrefaçon, il considère donc qu'il convient de constater l'absence de contrefaçon et de concurrence déloyale et de débouter les consorts Gaschereau de leurs demandes.

Subsidiairement sur le préjudice, GAEC Le Seuil souligne que les consorts Gaschereau n'apportent pas la preuve d'un préjudice, et sollicite la réduction des dommages et intérêts à de plus justes proportions en l'absence de risque de confusion et de baisse de chiffre d'affaires des consorts Gaschereau.

Le GAEC Le Seuil demande donc d'infirmer le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le grief de concurrence déloyale,

- De débouter les consorts Gaschereau de leur demande,

- Les condamner aux dépens et à payer au GAEC Le Seuil 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Les consorts Carreau Gaschereau font principalement valoir :

Que la dénomination Domaine Le Seuil n'est pas et n'a jamais été l'appellation d'un lieudit ou d'un tènement, mais le nom d'un domaine identifiant une propriété,

Qu'elle n'est pas un nom géographique au sens de l'article L. 711-1 a du code de la propriété intellectuelle,

Que le litige ne porte pas sur l'utilisation des termes clos, Château ou Domaine visée par l'article 284 4e du Code des vins,

Que la référence à l'article L. 713-6 a du code de la propriété intellectuelle est inopportune, le GAEC, appelant, n'étant pas un tiers de bonne foi employant son nom patronymique,

Que la dénomination Domaine Le Seuil, reproduit quasi servilement la marque Le Seuil et constitue une contrefaçon,

Qu'il n'y a pas lieu de rechercher si la reproduction entraîne ou non un risque de confusion puisqu'en l'espèce la marque Le Seuil est totalement et brutalement reproduite,

Que le rajout de la mention " Cuvée du Jas " sur la marque de l'appelant ne fait pas disparaître la contrefaçon.

Les consorts Gaschereau soutiennent que la commercialisation du produit contrefaisant, en l'espèce un bouteille de vin à un prix inférieur au produit contrefait, est un fait distinct de la contrefaçon et mérite indemnisation au titre de la concurrence déloyale.

Ils soulignent que la commercialisation en grandes surfaces depuis 1993 du produit contrefaisant, dévalorise l'image de marque de leur vin " Château du Seuil ", et qu'il convient de porter à 2 000 000 F le montant des dommages et intérêts qui doivent leur être alloués.

Les consorts Gaschereau demandent donc à la Cour de :

- " Confirmer en son principe, le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a rejeté le grief de concurrence déloyale et illicite ;

- Dire et juger que l'offre à la vente et la vente par l'appelant de bouteilles de vin sous l'appellation Domaine Le Seuil, constituent la contrefaçon de la marque dénominative française Le Seuil, déposée le 29 avril 1988 sous le n° 3070 et enregistrée sous le n° 1527749 pour désigner des vins rouges, rosés, blancs, tranquilles, effervescents, AOC, de pays ou de table en classe 33 de la classification internationale des produits et des services aux fins de l'enregistrement des marques, conformément aux dispositions des articles L. 713-2-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle ;

- Dire et juger qu'en procédant au dépôt manifestement tardif et contrefaisant, le 17 septembre 1993, de l'enregistrement Domaine Le Seuil, n° 93484846, l'appelant a également violé les dispositions des articles L. 713-2-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle ;

- Dire et juger qu'en créant une confusion dans l'esprit du public par la diffusion d'un vin d'un terroir voisin, d'une qualité médiocre et à un prix inférieur au vin contrefait sous l'appellation Domaine Le Seuil, l'appelant s'est rendu coupable de concurrence déloyale et illicite, au préjudice des intimés, légitimement fondés à bénéficier d'une situation de monopole sur cette appellation ;

- Dire et juger que ce comportement commercial déloyal et parasitaire devra être sanctionné sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil ainsi que sur le fondement des dispositions de la loi du 2 juillet 1963 ;

- Faire droit à leur appel incident ;

- Voir interdire à l'appelant, l'utilisation à quelque titre que ce soit de l'appellation Domaine Le Seuil ou Le Seuil, ce qui constitue une violation des dispositions des articles L. 713-2-3 et L. 716-1 du code de la propriété intellectuelle, afin de ne plus se rendre coupable du délit de contrefaçon de marque ;

- Voir ordonner l'annulation et la radiation de l'enregistrement Domaine Le Seuil n° 93484846 en date du 17 septembre 1993 ;

- Dire et juger que les mesures d'interdiction et de publication ordonnées par les premiers juges seront confirmées en toutes leurs dispositions ;

- Voir désigner un expert afin de déterminer l'importance du chiffre d'affaires réalisé par l'appelant qui a vendu dans toute la France et notamment à partir de l'année 1993, des quantités extrêmement importantes de bouteilles de vin en grandes surfaces et dans des hypermarchés sous la marque Domaine Le Seuil et qui a continué à en vendre durant toute l'instance en cause d'appel ;

- S'entendre, dès à présent, condamner l'appelant à payer aux concluants la somme de 2 000 000 F à valoir sur les dommages et intérêts définitifs qui leur seront alloués, en réparation de leur préjudice moral occasionné par la contrefaçon de la marque dont ils sont propriétaires ainsi qu'en réparation des préjudices résultant de la dévalorisation et de la dépréciation de ladite marque ;

- S'entendre, dès à présent, condamner l'appelant à payer aux concluants la somme de 2 000 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire résultant de la commercialisation d'un vin d'un terroir voisin, s'adressant à une même catégorie de clientèle, mais produit de qualité médiocre et vendu à un prix inférieur au vin commercialisé par les concluants et ce, en violation des articles 1382 et 1383 du code civil ainsi que des dispositions de la loi du 2 juillet 1963 ainsi enfin que pour les raisons qui ont été sus énoncées ;

- Dire et juger que l'arrêt à intervenir sera transcrit sur le Registre National des Marques, conformément aux dispositions de l'article 25 du décret n° 92-100 du 30 janvier 1992 ;

- Condamner l'appelant au paiement d'une somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

- Condamner l'appelant en tous les dépens. "

En réponse, le GAEC Le Seuil sollicite le bénéfice de ses écritures et le débouté des consorts Gaschereau de leurs demandes ;

Il maintient que le droit applicable en la matière résulte des articles L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle et 284 du code des vins, que le dépôt d'un toponyme à titre de marque n'interdit pas à un tiers de faire usage d'un toponyme homonyme, qu'il remplit les conditions lui permettant de bénéficier de l'usage de la dénomination Domaine Le Seuil, nonobstant le dépôt de la marque Seuil, que l'indication Domaine Le Seuil correspond à un tènement mais aussi à un lieudit figurant au cadastre depuis 1708 et sur le plan cadastral de 1838,

Que le GAEC Le Seuil est de bonne foi dans l'utilisation de la dénomination Domaine Le Seuil pour des vins produits sur la propriété de la famille Auquier comme dénomination correspondant depuis longtemps au toponyme de son exploitation viticole,

Que la comparaison des étiquettes établit l'absence de risque de confusion, que les étiquettes sont de dimensions et de caractères différents et concernent des vins de coteaux distincts.

En conséquence, le GAEC Le Seuil considère que les griefs de contrefaçon et de concurrence déloyale qui lui sont reprochés ne sont pas établis.

Il s'oppose aux demandes en dommages et intérêts des intimés qu'il qualifie d'injustifiées et exorbitantes.

Il fait observer que l'expertise sollicitée tend à pallier la carence de la preuve des intimés et ne peut être ordonnée.

Il relève l'incohérence des intimés qui d'une part affirment que leur produit est haut de gamme, vendu personnellement, et le produit du GAEC médiocre et vendu en grades surfaces, et d'autre part prétendent que le second peut leur porter préjudice.

En réplique les consorts Gaschereau demandent le bénéfice de leurs précédentes écritures. Il font observer que les appelants persistent à commercialiser du vin revêtu d'étiquettes contrefaisantes à un prix moindre et dans des réseaux de grande distribution et ils précisent qu'ils en justifient par l'achat le 20 juillet 1998 de deux bouteilles étiquetées " Domaine Le Seuil " auprès des établissements Hyper U à Pertuis.

Ils soulignent d'autre part que l'appelant avait fait valoir le rajout de la mention " Cuvée du Jas " sur sa marque et ses étiquettes constituant une adjonction faisant disparaître la contrefaçon.

Or ils relèvent que les deux bouteilles de vin acquises le 20 juillet 1998 étaient revêtues de la marque " Domaine Le Seuil " sans adjonction de la mention " Cuvée du Jas " et ils affirment que cela est démonstratif de la mauvaise foi de l'appelant.

Motifs :

Sur l'usage de la dénomination " Le Seuil " ou " Domaine Le Seuil " :

Il résulte certes de la combinaison des articles L. 713-6 du code de la propriété intellectuelle et 284 du code des vins que le dépôt d'un toponyme à titre de marque n'interdit pas à un tiers de faire usage d'un toponyme homonyme ;

Pour bénéficier de ce droit d'usage, il appartient cependant au GAEC Le Seuil d'établir que son vin provient d'une exploitation viticole implantée sur le tènement portant ce toponyme, que l'usage du toponyme est effectué de bonne foi, qu'il ne crée pas un risque de confusion avec la marque homonyme déposée ;

Ces conditions sont cumulatives, le défaut de l'une d'elles ne permet pas au GAEC Le Seuil de bénéficier du droit d'usage de la dénomination " Le Seuil " ou " Domaine Le Seuil " qu'il revendique ;

En l'espèce, on peut admettre que le terme " Le Seuil " ou " Domaine Le Seuil " est un toponyme pour le GAEC Le Seuil dont la propriété est dénommée Le Seuil (cf. acte notarié produit de 1935 relatif a Domaine sis à Beaumont de Pertuis appelé " Le Seuil ") et est localisée Quartier du Seuil, sur le cadastre actuel, sur le cadastre de 1708 et le plan cadastral de 1838 ainsi que sur les cartes d'état major produits ;

De même l'absence de risque de confusion avec la marque homonyme déposée a été exactement caractérisée par les premiers juges ;

Mais la condition d'usage de bonne foi fait défaut en l'espèce ;

En effet, il ressort des pièces produites que le GAEC Le Seuil a été constitué en 1978 entre les héritiers de Gustave Auquier et continue l'exploitation viticole entreprise par Gustave Auquier depuis 1938, or la famille Auquier n'a jamais utilisé la dénomination " Le Seuil " ou " Domine Le Seuil " pour les vins produits sur sa propriété, et le GAEC Le Seuil reconnaît dans ses écritures avoir commercialisé ses vins sous la dénomination " Domaine Le Seuil " depuis 1989 ;

Il apparaît ainsi que la commercialisation du vin du GAEC Le Seuil sous la dénomination litigieuse est intervenue postérieurement au dépôt de la marque " Le Seuil " par les consorts Gaschereau, viticulteurs établis sur un domaine proche de celui du GAEC, et alors que les vins des consorts Gaschereau avaient acquis une notoriété certaine ainsi que le révèlent les extraits de revues spécialisées en la matière versées au débat ;

Ces circonstances établissent que l'emploi de la dénomination " Le Seuil " dans l'appellation " Domaine Le Seuil " était destiné à faire profiter le vin du GAEC Le Seuil de la notoriété des vins de la marque " Le Seuil " des consorts Gaschereau, et suffisent à caractériser la mauvaise foi du GAEC Le Seuil ;

Dans ces conditions, celui-ci ne peut se prévaloir du droit au toponyme et doit être débouté de sa demande tendant à se voir reconnaître l'usage de la dénomination " Le Seuil " ou " Domaine Le Seuil " comme étant celui du siège de son exploitation ;

Sur la contrefaçon de la marque " Le Seuil " :

En droit, les premiers juges ont exactement rappelé que ne peut être adopté comme marque :

- un signe portant atteinte à une marque antérieurement enregistrée (article L. 711-4 § a du code de la propriété intellectuelle),

que sont notamment interdits, sauf autorisation du propriétaire :

- l'usage ou l'apposition d'une marque même avec l'adjonction de mot générique, pour désigner des produits ou services identiques à ceux désignés dans l'enregistrement (article L. 713-2 § a),

que le propriétaire d'une marque déposée dispose d'un droit de propriété sur cette marque pour les produits et services désignés (article L. 713-1). L'atteinte portée à ce droit constitue une contrefaçon et lui permet :

- d'engager la responsabilité civile de son auteur (article L. 716-1),

- de demander en justice l'annulation de l'enregistrement d'une marque qui n'est pas conforme aux dispositions des articles L. 711-1 à L. 711-4 (article L. 714-3 alinéa 1 du code de la propriété intellectuelle),

que l'adjonction à la marque protégée, de termes purement usuels ou génériques pour désigner un type de produit, n'est pas de nature à supprimer son individualité et sa fonction distinctive, et ne saurait écarter la protection due,

que la reproduction de la marque seule, suffit à caractériser la contrefaçon, qu'il y ait ou non possibilité de confusion ;

En l'espèce les consorts Gaschereau justifient être propriétaires de la marque " Le Seuil " pour désigner du " vin rouge, rosé, blanc, tranquille, effervescent, AOC, ou de pays ou de table ", marque enregistrée le 29 avril 1988 et exploitée sous la dénomination " Château du Seuil ". Ils bénéficient à ce titre d'un monopole d'exploitation de la marque " Le Seuil " ;

Le GAEC " Le Seuil ", commercialise un vin sous l'appellation " Domaine Le Seuil " depuis une date postérieure à l'enregistrement de la marque " Le Seuil " et ne justifie de l'enregistrement de sa marque complexe " Domaine Le Seuil - Cuvée du Jas " qu'au 17 septembre 1993 ;

En matière d'appellation vinicole les expressions " Domaine " et " Château " sont usuelles et ont pour fonction identique de désigner des vins d'Appellation d'Origine Contrôlée ; dans la marque " Domaine Le Seuil ", seul le terme "seuil" a un caractère distinctif. Dès lors, en ajoutant à ce terme, dûment protégé, au titre d'un vin l'expression " Domaine ", le GAEC Le Seuil n'a pas fait perdre à cette marque son individualité et son pouvoir distinctif propre et il a reproduit quasi servilement la marque " Le Seuil " ;

En commercialisant du vin sous la dénomination " Domaine Le Seuil ", le GAEC le Seuil a ainsi fait l'usage d'une marque protégée en empruntant l'élément caractéristique " Le Seuil ". Cette atteinte à une marque antérieure constitue une contrefaçon sans qu'il y ait lieu de prendre en considération l'existence ou non d'une possibilité de confusion entre les 2 produits ;

L'adjonction d'une mention à une marque reproduite ne supprime pas la contrefaçon ;

Ainsi l'adjonction de la mention " Cuvée du Jas ", sous la marque contrefaisante Domaine Le Seuil, ne fait pas disparaître la contrefaçon de la marque " Le Seuil ". Les consorts Gaschereau établissent par ailleurs que le GAEC Le Seuil commercialise des bouteilles de vin (acquis par les intimés le 20 juillet 1998 auprès des Etablissements Hyper U à Pertuis) revêtues de la marques " Domaine Le Seuil " sans adjonction de la mention " Cuvée du Jas "... ce qui confirme en tant que de besoin le caractère insignifiant pour le GAEC de cette mention dans la lecture de la marque litigieuse ;

Dans ces conditions, les premiers juges ont à bon droit estimé que le GAEC Le Seuil avait contrefait la marque Le Seuil enregistré à l'INPI sous le n° 1527749 au préjudice de ses propriétaires les époux Gaschereau, et fait interdiction au GAEC Le Seuil sous l'astreinte provisoire qu'ils ont fixée, d'utiliser à quelque titre que ce soit, l'appellation " Domaine Le Seuil " ou " Le Seuil " ;

Il convient cependant de préciser le point de départ de l'astreinte, et de la fixer par infraction constatée à l'expiration du délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ;

L'annulation de la marque Domaine Le Seuil enregistrée sous le n° 93484846, a été justement prononcée en application de l'article L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle, s'agissant d'une marque non conforme aux dispositions de l'article L. 711-4 dudit code ;

En revanche, la décision d'annulation ayant un effet absolu, il est inutile de prononcer la radiation de la marque ;

Le jugement entrepris sera donc réformé en ce qu'il ordonne cette radiation sous astreinte ;

Sur le préjudice résultant de la contrefaçon :

Il est constant que le GAEC Le Seuil commercialise, sous une marque appartenant aux consorts Gaschereau, un produit de catégorie identique au leur et depuis 1989 ;

Les consorts Gaschereau ne démontrent pas que cette situation leur cause un préjudice matériel ;

En effet, ils produisent au débat les bilans de leur exploitation pour les années 1993 à 1995 et ces documents ne font apparaître aucune baisse significative de leur chiffre d'affaires, aucune variation significative de leur résultat d'exploitation ;

En revanche, les documents produits établissent que le vin " Château du Seuil ", produit et commercialisé directement par les consorts Gaschereau, bénéficie d'une notoriété et d'une image de marque induisant dans l'esprit du public une idée de qualité certaine alors que le vin du GAEC Le Seuil est commercialisé en grandes surfaces à un prix moindre et se présente ainsi comme un produit de qualité moindre et plus ordinaire que le produit contrefait ;

La contrefaçon de marque commise par le GAEC Le Seuil est, dans ces conditions, de nature à causer un préjudice moral aux époux Gaschereau par la dévalorisation de l'image de marque de leur vin ;

En l'état de ces éléments d'appréciation et sans qu'il soit utile de recourir à un mesure d'expertise, il apparaît que ce préjudice sera réparé par l'allocation de 50 000 F de dommages et intérêts et que le jugement déféré doit être réformé en ce qu'il évalue à 300 000 F ledit préjudice ;

Sur la concurrence déloyale :

En l'espèce, il ressort des pièces produites qu'aucun risque de confusion n'existe entre le vin des consorts Gaschereau et celui du GAEC Le Seuil ; en effet :

- les étiquettes des bouteilles sont de dimensions différentes, leurs caractères sont de taille et de couleur différentes, elles indiquent en gros caractères pour le premier vin qu'il s'agit d'un côteau d'Aix-en-Provence, pour le deuxième vin qu'il s'agit d'un Côtes du Lubéron, elles portent pour le premier vin un dessin figurant 2 lions portant des armoiries, pour le second vin un dessin figurant un mas provençal avec cyprès ;

- d'autre part, les consorts Gaschereau ont effectivement démontré que leur vin est d'une notoriété supérieure à celle du vin du GAEC Le Seuil est plus onéreux et commercialisé personnellement alors que celui du GAEC Le Seuil d'une qualité inférieure et d'un coût moindre, est commercialisé en grandes surfaces ;

Il n'y a donc ni confusion possible ni même véritable situation de concurrence entre les vins des parties qui sont différentes, destinés à des clientèles différentes et commercialisés par des circuits différents ;

Le GAEC Le Seuil n'a donc commis aucun acte constitutif de concurrence déloyale et parasitaire en vendant son vin à un prix inférieur à celui des consorts Gaschereau ;

Sans qu'il soit utile de recourir à une mesure d'expertise, il y a donc lieu de débouter les consorts Gaschereau de leur demande en dommages et intérêts pour concurrence déloyale et parasitaire et de confirmer à cet égard le jugement entrepris ;

Sur la publication :

Le jugement entrepris ordonne justement des mesures de publicité dans les journaux qu'il décrit, pour faire cesser l'atteinte portée à la marque des consorts Gaschereau ;

Il y a lieu de confirmer ses dispositions à cet égard sauf à préciser que la décision qui doit être publiée est le présent arrêt et non le jugement entrepris, et à réduire le coût maximal de chaque publication à 8 000 F, le plafond de 20 000 F fixé par les premiers juges étant excessif eu égard aux circonstances de la cause ;

Sur la transcription de l'arrêt :

Conformément aux dispositions de l'article R 714-3 du code de la propriété intellectuelle issu de l'article 25 du décret 92-100 du 30 janvier 1992, il y a lieu d'ordonner la transcription de l'arrêt à intervenir sur le registre national des marques, sur réquisition de la partie la plus diligente ;

Sur la demande en dommages et intérêts du GAEC Le Seuil :

La procédure engagée à son encontre par les consorts Gaschereau est principalement justifiée au titre de la contrefaçon de marque ; elle ne revêt aucun caractère fautif ; le GAEC Le Seuil doit donc être débouté de sa demande en dommages et intérêts ;

Sur les dépens et l'article 700 du nouveau code de procédure civile :

Le GAEC Le Seuil qui succombe principalement doit être condamné aux entiers dépens de première instance et d'appel et à payer aux consorts Gaschereau la somme complémentaire de 5 000 F au titre des frais non compris dans les dépens qu'ils ont dû exposer devant la Cour, en sus de l'indemnité justement allouée par le tribunal, en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs, LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement, en matière civile et en dernier ressort, En la forme : Reçoit le GAEC Le Seuil en son appel principal, les consorts Gaschereau en leur appel incident ; Au fond : Confirme le jugement entrepris en qu'il : Constate que le Groupement Agricole d'Exploitation Commun " Le Seuil ", a contrefait la marque " Le Seuil ", enregistrée à l'Institut National de la Propriété Industrielle sous le n° 1527749 au préjudice de leurs propriétaires, les époux Gaschereau ; Interdit au Groupement Agricole d'Exploitation Commun " Le Seuil " ou à ses membres, la reproduction ou l'apposition, pour la désignation ou la commercialisation directe ou indirecte du vin (produit de classe 33) des dénominations " Le Seuil " ou " Domaine Le Seuil ", sous astreinte provisoire de cinq mille francs (5 000 F) par infraction constatée, étant entendu qu'il sera compté autant d'infraction que d'unités de conditionnement portant contrefaçon (notamment bouteille) ; Prononce la nullité de l'enregistrement de la marque " Domaine Le Seuil ", répertorié sous le n° 96484846 ; Ordonne des mesures de publicité ; déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne le GAEC Le Seuil aux dépens et à payer 15 000 F aux consorts Gaschereau au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Réforme le jugement entrepris en ce qu'il : - ordonne la radiation de la marque Domaine Le Seuil et fixe une astreinte à la charge du GAEC Le Seuil pour y faire procéder, - condamne le GAEC Le Seuil à payer 300 000 F de dommages et intérêts aux consorts Gaschereau, - fixe à 20 000 F le plafond des publications ordonnées, Réformant de ces seuls chefs ; Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris : - dit qu'il est inutile de prononcer la radiation de la marque Domaine Le Seuil n° 93484846 dont la décision d'annulation a un effet absolu, - condamne le GAEC Le Seuil à payer 50 000 F de dommages et intérêts aux consorts Gaschereau ; Ordonne la publication aux frais du GAEC Le Seuil du présent arrêt dans les journaux suivants : - le Vaucluse Agricole, - Le Provençal, - Les Bouches du Rhône Agricoles, - La Revue des Vins de France, - Cuisines et Vins de France, Dit que le coût de chacune des publications ordonnées ne pourra excéder 8 000 F ; Dit n'y avoir lieu de procéder à la publication du jugement entrepris ; Dit que l'astreinte qui assortit la mesure d'interdiction fait au GAEC Le Seuil court par infraction constatée à l'expiration du délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt ; Déboute les consorts Gaschereau de leur demande d'expertise, de leur demande en dommages et intérêts plus ample au titre de la contrefaçon, de leurs demandes au titre d'une concurrence déloyale et parasitaire ; Déboute Le GAEC Le Seuil de sa demande en dommages et intérêts pour procédure abusive ; Condamne le GAEC Le Seuil aux dépens d'appel et à payer la somme complémentaire de 5 000 F aux consorts Gaschereau en application de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; Autorise Maître Aldebert à recouvrer directement ceux des dépens dont il a fait l'avance sans recevoir provision ; Dit qu'il sera procédé à la transcription du présent arrêt conformément aux dispositions de l'article L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle sur réquisition de la partie la plus diligente.