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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 15 février 1999, n° 98-02425

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

France Acheminement Exploitation (SA), France Acheminement (SARL)

Défendeur :

La Poste

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Foulon

Conseillers :

MM. Coleno, Charras

Avoués :

SCP Boyer Lescat Merle, SCP Nidecker Prieu

Avocats :

SCP Matheu Mariez Rivière-Sacaze, SCP Saint Sernin Lehmann.

TGI Toulouse, du 30 avr. 1998

30 avril 1998

Faits et procédure

La Poste, personne morale de droit public en charge notamment du service public du courrier sous la tutelle du ministre chargé des postes et télécommunication, est titulaire dans les diverses classes de son activité, depuis un dépôt effectué à l'origine par l'Etat français à I'INPI en date du 07.12.89, de la marque "La Poste" sous la forme d'un logotype constitué des mots "La Poste" suivis d'un oiseau stylisé, le tout de couleur bleu pantone 109 sur fond jaune pantone 286.

Estimant que la Sarl France Acheminement avait déposé le 27.03.92 une marque et en faisait un usage constituant une imitation illicite de la sienne, La Poste, autorisée à cette fin par Ordonnance du président du Tribunal de Grande Instance de Toulouse en date du 28.02.96, a fait procéder le 08.03.96 à une saisie-contrefaçon dans les locaux des Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation à Toulouse, route de Saint-Simon.

Au vu des éléments du procès-verbal établi le 08.03.96, La Poste a, suivant acte d'huissier en date du 18.03.96, fait citer ces deux Sociétés devant le Tribunal de Grande Instance de Toulouse en contrefaçon et concurrence déloyale.

Par le jugement déféré en date du 30.04.98 assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal, faisant droit aux demandes en leur principe, a annulé la marque arguée de contrefaçon, fait défense aux Sociétés France Acheminement d'en faire usage sous astreinte, ordonné la destruction de tous articles ou documents portant celle-ci et alloué à La Poste les sommes de 100.000 Francs à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon et autant en réparation des actes de concurrence déloyale.

La Poste a déposé des conclusions le 30.11.98, après l'ordonnance de clôture du 16.11.98 dont elle demande la révocation, sauf pour la Cour a déclarer irrecevables les conclusions signifiées le 12.11.98 par les appelantes ainsi que les pièces communiquées à la même date.

Demandes des parties

Prétentions des Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation

Les sociétés France Acheminement et France Acheminement Exploitation concluent à la réformation du jugement déféré et au rejet de l'ensemble des prétentions de La Poste. Elles réclament une indemnité de 30.000 Francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Elles soutiennent:

- que la marque n'est pas imitante et qu'il n'existe aucun risque de confusion, l'impression visuelle étant totalement différente, ce sur quoi les premiers juges ne se sont pas expliqués:

- les mots France et Acheminement, qui n'ont aucun point commun avec La Poste, étant rédigés à l'aide de polices de caractères totalement différentes, les couleurs utilisées étant différentes et l'oiseau stylisé de même;

- l'oiseau de la marque litigieuse est stylisé par un graphisme arrondi qui n'a aucun rapport avec celui de La Poste, sa forme est totalement différente, il est à l'envol;

- c'est de façon artificielle qu'il est soutenu que le pointillé en quart de cercle évoquerait la forme de l'oblitération d'un timbre ou la dentelure de celui-ci;

- aucune explication n'est donnée pour justifier que l'emploi du mot "France" serait trompeur alors qu'il indique seulement que l'entreprise couvre un réseau de franchise s'étendant sur l'ensemble du territoire national;

- qu'il est inexact de prétendre, et en réalité sur la seule base des éléments de la contrefaçon, qu'elles rechercheraient délibérément la confusion entre le service qu'elles offrent et celui rendu par La Poste;

- qu'il est inexact de soutenir qu'elles auraient déjà été condamnées pour des faits de même nature;

- que le préjudice allégué ne fait l'objet d'aucun commencement de preuve.

Prétentions de La Poste :

La Poste conclut à la confirmation de la décision entreprise mais, par voie d'appel incident, demande à la Cour d'élever les condamnations aux sommes de 300.000 Francs à titre de dommages-intérêts en réparation des actes de contrefaçon, et 200.000 Francs en réparation des actes de concurrence déloyale. Elle réclame en outre les sommes de 50.000 Francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et 20.000 Francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La Poste souligne que les appelantes se sont contentées de reproduire mot pour mot leurs conclusions de première instance, et, sur le préjudice, que la contrefaçon est très étendue, tant sur les territoire national que sur l'ensemble des documents commerciaux, factures et véhicules, et que les Sociétés appelantes récidivent leurs agissements déloyaux malgré une précédente condamnation.

Motifs de la décision :

Attendu que l'ordonnance de clôture a été rendue le 16.11.98;

Attendu que La Poste a signifié le 30.11.98 un jeu de conclusions pour tout à la fois solliciter la révocation de I' ordonnance de clôture motif pris d'une violation du principe de contradiction et répondre aux écritures jugées tardives déposées par les appelantes le 12.11.98 et aux pièces communiquées par elles le 13;

Attendu que par leurs conclusions déposées le 12.11.98 en réponse à celles signifiées par La Poste le 18.09.98, les appelantes ne font en réalité que développer les moyens résultant de leurs précédentes écritures sans introduire de moyen réellement nouveau;

Que La Poste, qui n'a pas manifesté en temps utiles sa volonté d'y répondre à nouveau comme elle le pouvait, ne peut se prévaloir ni d'une violation du principe de contradiction, ni de l'existence d'une cause grave;

Attendu qu'il résulte des dispositions de l'article 783 du Nouveau Code de Procédure Civile qu'après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, et des dispositions de l'article 784 que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue;

qu'il suit de l'ensemble de ces constatations et règles que les écritures signifiées le 30.11.98 par La Poste doivent être écartées des débats;

Attendu que les appelantes se bornent à reprendre devant la Cour exactement les mêmes moyens que ceux soumis au Tribunal, sans formuler de critique sérieuse à la décision déférée;

que le premier juge a, par des motifs précis, complets et pertinents que la Cour adopte, répondu point pour point à l'ensemble de ces moyens;

qu'il sera seulement ajouté:

- sur la contrefaçon:

* que la différence qui existe entre les couleurs de la marque attaquée et celles effectivement pratiquées ne modifie pas l'appréciation en ce que, non seulement les couleurs revendiquées dans le dépôt litigieux contiennent également le bleu et le blanc qui se retrouvent dans l'usage qui est fait de la marque déposée, mais elles laissent intacts l'ensemble des autres points de similitude contrefaisante mis en évidence;

* qu'il est sans portée de faire valoir que d'autres entreprises utiliseraient certaines un oiseau stylisé dans leur logotype, d'autres les couleurs bleu et jaune, la contrefaçon étant appréciée par un ensemble de similitudes et La Poste ne pouvant ni ne prétendant s'approprier chaque élément séparé de son signe distinctif;

- sur l'existence d'une relation de concurrence, qu'il importe peu que La Poste n'ait créé un service identique à celui exploité par les appelantes que postérieurement à celles-ci, dès lors d'une part que leur service a toujours été étroitement lié à celui assumé par La Poste, et que la situation au moment des faits incriminés est bien celle d'une concurrence directe;

Attendu, sur l'appel incident, qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 02.07.90 portant organisation du service public de la Poste et des Télécommunications, La Poste a notamment pour objet, outre celui d'assurer le service public du courrier, celui d'assurer, dans le respect des règles de la concurrence, tout autre service de collecte, de transport et de distribution d'objets et de marchandises;

qu'il n'est pas sérieusement discuté que les Sociétés appelantes exercent leur activité dans ce même domaine particulier, la marque contrefaisante ayant été déposée pour la classe 39, c'est-à-dire distribution de courrier express, services de transport rapide;

Attendu que les faits antérieurement condamnés résultent d'un jugement assorti de l'exécution provisoire en date du 19.09.94 confirmé par adoption pure et simple de motifs le 13.09.95 par la Cour de céans, portant condamnation de l'une des appelantes au paiement de deux fois 100.000 Francs à titre de dommages-intérêts des chefs de contrefaçon de la même marque et concurrence déloyale; qu'ils concernaient l'apposition par la Société France Acheminement, sur des bornes collectives de courrier installées sur la voie publique, d'un bandeau publicitaire comportant le message suivant: "France Acheminement, Vos relations avec La Poste sur mesure, Point Courrier" dans lequel la marque était reproduite à l'identique, avec son graphisme et ses couleurs;

Attendu que les faits objets de la présente instance ont été constatés le 08.03.96, soit bien postérieurement; qu'ils concernent certes des faits qui ne sont pas les mêmes, mais qui, sous une forme différente, viennent renouveler les mêmes catégories d'infractions et fautes; que l'examen du procès-verbal de saisie-contrefaçon fait apparaître que c'est avec raison que La Poste souligne combien est organisé et étendu le pillage de ses droits, tant les variantes dont les Sociétés appelantes usent des inversions et des proportions de couleurs associées à leur logo, sur l'ensemble de leurs moyens matériels, et tout particulièrement les factures, rendent frappante la similitude d'impression et le caractère délibéré et élaboré de la recherche d'imitation;

Attendu que ces faits particulièrement caractérisés établissent que les Sociétés France Acheminement et France Acheminement Exploitation ne conçoivent leur relation de concurrence avec La Poste que par parasitisme, au mépris tant des règles les plus élémentaires de la concurrence que des décisions de justice;

Attendu qu'à l'époque actuelle où, sous l'effet de la mise en place de l'espace économique européen, les services publics tendent soit à se privatiser, soit à se dissocier pour s'ouvrir à la concurrence, et particulièrement ceux ici en litige concernant les communications et l'ensemble des activités qu'ils avaient agglomérées, le risque de confusion devient d'autant plus important que le contenu et la portée exacte des dissociations et privatisations successives constituent autant d'évolutions qui ne sont pas aisées à suivre pour le public, fût-il celui de professionnels de tous horizons; que le respect des règles de la concurrence n'en est que plus nécessaire; qu'au passage, il doit être noté que cette observation donne toute sa force à l'argumentation de La Poste concernant, par l'usage dans le contexte contrefaisant du mot France associé à Acheminement, l'évocation de la dissociation de l'ancienne administration des postes et télécommunications (PU, P&T) en deux personnes publiques, dont l'une est justement dénommée France Telecom;

Attendu que le pillage systématique, réitéré et de longue date, des droits de La Poste ne peut qu'aggraver le préjudice qui en résulte:

- tant au niveau de l'affaiblissement du caractère distinctif de sa marque par les assauts répétés et systématiques dont elle est l'objet de la part des appelantes, qui conduira à élever à 300.000 Francs le montant des dommages-intérêts alloués par le premier juge de ce chef,

- qu'au niveau de sa place dans une concurrence sans cesse croissante, ainsi parasitée avec assiduité depuis plusieurs années, dans des conditions d'autant plus préjudiciables, qui conduira à élever à 200.000 Francs le montant des dommages-intérêts alloués par le premier juge de ce chef;

Attendu que le montant de l'astreinte doit également être élevé, La Poste démontrant précisément qu'elle a dû faire liquider l'astreinte prononcée par le précédent arrêt, la Société France Acheminement ayant réitéré les infractions alors jugées;

Attendu, sur les demandes accessoires, qu'il suit nécessairement de la décision qui précède que celle des Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation qui succombent et seront tenues des dépens doit être rejetée;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble des circonstances précédemment rappelées que l'appel interjeté n'avait d'autre objet, associé à une demande en référé aux fins de suspension d'exécution provisoire qui n'a finalement pas été accueillie, que de gagner du temps au bénéfice de la poursuite d'une activité illicite, alors que les appelantes n'avaient aucun moyen sérieux à faire valoir contre un jugement parfaitement, précisément et complètement motivé tant en droit qu'en fait, qui les avait parfaitement informées, s'il était besoin, du mal-fondé de leur résistance;

que La Poste est ainsi fondée à se plaindre du préjudice que lui cause cet appel purement dilatoire et qu'il sera fait droit à sa demande de dommages-intérêts;

qu'il serait de plus inéquitable de laisser à sa charge la totalité des frais non inclus dans les dépens qu'elle a dû exposer pour défendre à un appel dépourvu de fondements.

Par ces motifs la Cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, déclare irrecevables aux débats les conclusions déposées le 30.11.98 par La Poste; déclare les appels recevables en la forme, confirme la décision déférée en ce qu'elle a retenu comme constituée la contrefaçon poursuivie, annulé la marque déposée le 05.02.92 par la Société France Acheminement, fait défense aux Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation d'en faire usage sous astreinte, ordonné la destruction de tous supports de la marque contrefaisanté, et déclaré les Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation responsables d'actes de concurrence déloyale; réformant partiellement, élève à 5.000 Francs (cinq mille francs) le montant de l'astreinte prononcée; élève à 300.000 Francs (trois cent mille francs) le montant des dommages-intérêts que les Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation sont condamnées à payer à La Poste en réparation du préjudice causé par les actes de contrefaçon, élève à 200.000 Francs (deux cent mille francs) le montant des dommages-intérêts que les Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation sont condamnées à payer à La Poste en réparation du préjudice causé par les actes de concurrence déloyale; y ajoutant, condamne la Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation à payer à La Poste: 1°) la somme de 20.000 Francs à titre de dommages-intérêts pour appel abusif et dilatoire; 2°) la somme supplémentaire de 15.000 Francs sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile; déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples; condamne Sarl France Acheminement et SA France Acheminement Exploitation aux entiers dépens de l'instance en appel, et reconnaît à la SCP Nidecker & Prieu-Philippot, Avoué qui en a fait la demande, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile;