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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 15 janvier 1999, n° 1995-26234

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Jacques Bogart (SA)

Défendeur :

Créative Parfums International (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Lecharny-Cheviller, Me Baufume

Avocat :

Me Hollier Larrousse.

T. com. Paris, 6e ch., du 25 sept. 1995

25 septembre 1995

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Créative Parfums d'un jugement rendu le 25 septembre 1995 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Jacques Bogart.

Référence étant faite aux jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

Jacques Bogart exerce son activité dans la commercialisation de produits de parfumerie. Elle commercialise depuis 1991 une eau de toilette sous la marque Chevignon. Elle a déposé à l'INPI le 6 mai 1992 sous le numéro 922838 la modèle de conditionnement de Chevignon.

Créative parfums a commercialisé postérieurement au lancement du modèle Chevignon une eau de toilette dénommée Cow Boy. Reprochant au conditionnement de Cow Boy de contrefaire son modèle Chevignon, Jacques Bogart a fais assigner Créative Parfums en contrefaçon de modèle et concurrence déloyale. Elle réclamait outre des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication une somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts.

Le jugement a débouté Jacques Bogart de ses demandes, détenant, d'une part, que l'emballage de Cow Boy, malgré des couleurs ressemblantes, n'était pas la contrefaçon du modèle Chevignon et, d'autre part, que la dissemblance des conditionnements ne permettait pas à un consommateur, même médiocrement averti, de confondre Cow Boy et Chevignon. Il a condamné Créative Parfums à payer à Jacques Bogart la somme de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Jacques Bogart poursuit la réformation de ce jugement. Elle fait valoir qu'elle a la propriété exclusive du modèle déposé sous le n° 922838 caractérisé par :

- à la partie supérieure un bandeau strié au centre duquel est apposé un cartouche comportant un sceau, avec diverses inscriptions concentriques, l'ensemble pouvant évoquer une ceinture de Cow Boy,

- au dessus, en arc de cercle, la dénomination " Chevignon " écrite en lettres surlignées afin de leur donner un relief particulier.

L'appelante prie la Cour de :

- dire qu'en commercialisant de l'eau de toilette dans un conditionnement constitué d'un fond de couleur marron-clair, comportant un bandeau strié de couleur brun-rouge, au centre duquel est apposé un sceau de couleur argentée, au dessus duquel est inscrit en arc de cercle la dénomination " Cow Boy " en lettres surlignées, Créative Parfums s'est rendue coupable de contrefaçon de modèle, et de concurrence déloyale et parasitaire,

- prononcer des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication,

- condamner Créative Parfums à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts, quitte à parfaire.

Créative Parfums conclut à la confirmation. Elle fait valoir que l'emballage de Cow Boy n'est pas une copie servile ou quasi servile du modèle Chevignon, tant par les couleurs que par les sigles distinctifs portés sur les conditionnement en présence. Elle ajoute qu'aucune concurrence déloyale ou parasitaire ne peut lui être reprochée. Elle prie la Cour de condamner Jacques Bogart à lui payer la somme de 1 F pour procédure abusive.

Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR :

Sur la contrefaçon de modèle

Considérant que le modèle invoqué est nouveau au sens des dispositions de l'article L. 511-3 du Code de propriété intellectuelle, ce qui n'est pas contesté par Créative Parfums ;

Considérant qu'à tort Créative Parfums soutient que son adversaire a limité ses demandes du chef de la contrefaçon, au conditionnement de son produit ; qu'en effet Jacques Bogart, au soutien de sa demande en contrefaçon précise qu'il se fonde sur le modèle qu'il a déposé en noir et blanc sans revendications de couleurs le 6 mai 1992, dont les éléments caractéristiques auraient été repris par le conditionnement de Créative Parfums ;

Considérant qu'il ressort de l'examen comparatif du modèle de Chevignon et de l'emballage Cow Boy que ce dernier se distingue du modèle tant par son aspect d'ensemble que par les mentions qui y figurent ainsi que leur disposition, leur taille et leur graphisme ; qu'ainsi Cow Boy comporte trois bandeaux au lieu d'un seul bandeau central pour Chevignon, et placés différemment de ce dernier ; que le sceau argenté Cow Boy est un ovale comportant des inscriptions concentriques et le dessin d'un aigle, l'ensemble évoquant un badge américain alors que le sceau Chevignon se présente comme un losange inscrit à l'intérieur d'un rectangle où figure sobrement et en petits caractères le terme " brand ", l'ensemble pouvant évoquer un ceinture ; que la dénomination Cow Boy est très différente de celle de Chevignon ;

Que ces différences sont prépondérantes dans la perception que l'ont peu avoir et excluent toute ressemblance d'ensemble entre l'emballage Cow Boy et le modèle Chevignon dont les caractéristiques essentielles ne sont pas reprises ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté la demande en contrefaçon formée par Jacques Bogart ;

Sur la concurrence déloyale :

Considérant que Jacques Bogart fait valoir qu'elle exploite son modèle dans les caractéristiques de couleurs suivantes :

- " un fond de couleur marron-clair, évoquant la couleur des cartons d'emballage,

- diverses inscriptions de couleur brun-rouge,

- le bandeau strié en relief,

- l'élément central du sceau de couleur argentée,

- la marque " Chevignon " écrite, en arc de cercle, en lettres brun-rouge surlignées, pour leur donner un effet de relief' ;

Considérant qu'elle soutient que ces éléments de couleur et de relief sont reproduits par Créative Parfums qui reprend en outre les éléments figuratifs évoquant les Etats-Unis ; que ces agissements selon l'appelante sont constitutifs de concurrence déloyale et parasitaire ;

Considérant que l'emballage Cow Boy reproduit en effet, en dehors des éléments non retenus pour la contrefaçon du modèle, les caractéristiques de couleurs et relief de l'emballage Chevignon ; qu'ainsi :

- le fond est de couleur marron-clair évoquant celle des cartons d'emballage, sans qu'il soit établi par l'intimée que cette couleur soit usuelle dans le domaine des parfums,

- le bandeau comporte des stries en relief,

- la dénomination Cow Boy est inscrite en haut de l'emballage en arc de cercle et dans un graphisme similaire à celui utilisé par Jacques Bogart pour la marque Chevignon ;

Considérant que ces ressemblances, qui résultent de la comparaison des emballages effectivement exploités et non de celle du modèle déposé en noir et blanc avec le conditionnement Cow Boy, ne sont pas fortuites et entraînent un risque de confusion entre les produits en présence; qu'elles sont constitutives de concurrence déloyale;

Considérant que les agissements de Créatives Parfums ont causé à Jacques Bogart un préjudice commercial et ont déprécié son produit; que la Cour eu égard à la notoriété des produits Chevignon réparera exactement ce préjudice par l'allocation d'une somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts; qu'il ne sera pas fait droit, dès lors que la contrefaçon n'a pas été retenue, aux mesures sollicitées d'interdiction sous astreinte et de publication ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Jacques Bogart une indemnité complémentaire de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : Confirme le jugement en ce qu'il a débouté la société Jacques Bogart de sa demande de contrefaçon de modèle ; Le réforme pour le surplus et y ajoutant : Condamne la société Créative Parfums à payer à la société Jacques Bogart la somme de 100 000 F à titre de dommages-intérêts pour le préjudice qu'elle a subi du fait des agissements de concurrence déloyale et la somme de 8 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la société Créative Parfums aux dépens ; Admet la SCP Lecharny, avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.