Livv
Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 14 janvier 1999, n° 97-3104

NÎMES

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Codetel (SARL)

Défendeur :

Société Nouvelle Elecktron (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Espel

Conseillers :

MM. Bestagno, Bancal

Avoués :

Me d'Everlange, SCP Pomies Richaud Astraud

Avocats :

SCP Penard Geiger Marin, Me Maillet

T. com. Nîmes, du 30 mai 1997

30 mai 1997

Faits et procédure :

La SA Elektron qui commercialisait notamment du matériel électronique et dont le siège était alors à Pernes-les-Fontaines dans le département du Vaucluse, avait recruté successivement le 1er août 1992, Christophe Schoenenburg, en qualité d'ingénieur de recherches et développement, puis le 28 septembre 1992, Frédéric Lassus, en qualité d'attaché à la Direction Commerciale. Leurs contrats de travail comportaient une clause de non-concurrence concernant le territoire de la région PACA. Le 31 mars 1995, Frédéric Lassus quittait la SA Elektron.

Le 8 avril 1995 étaient signés les statuts d'une Sarl Codetel, constituée entre Frédéric Lassus, Christophe Schoenenburg et Michel Lassus, les deux premiers apportant 45 % du capital social, et Frédéric Lassus devenant gérant. Cette société avait notamment pour objet la vente et la location de matériels électroniques et de détecteurs de métaux. Ayant son siège social aux Angles (département du Gard), elle était immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de Nîmes à compter du 11 mai 1995, pour un commencement d'exploitation au 2 mai 1995. Christophe Schoenenbug démissionnait de la Société Elektron à la fin de l'année 1995, (préavis à compter du 15 septembre 1995 pour une démission effective au 15 décembre 1995).

A compter du 1er août 1996, il était embauché en qualité d'ingénieur par la Sarl Codetel.

La SA Elektron apprenait que la Sarl Codetel distribuait en France, du matériel fabriqué par une société allemande, la société Ebinger à Cologne. Elle protestait auprès de ce fournisseur, au motif qu'elle avait un contrat de distribution exclusive sur le territoire français. Puis, la SA Elektron engageait trois procédures, devant les juridictions françaises. En premier lieu, elle saisissait le Conseil de Prud'hommes de Carpentras d'une action en dommages et intérêts, dirigées contre Frédéric Lassus et Christophe Schoenenburg.

Par jugement du 28 mars 1997, cette juridiction condamnait Frédéric Lassus et Christophe Schoenenburg à payer chacun à la Société Elektron :

- 180 000 F à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence.

Ce jugement était frappé d'appel, appel qui serait toujours pendant devant la Cour de ce siège.

D'autre part, la SA Elektron faisait assigner la Sarl Codetel, Frédéric Lassus et Christophe Schoenenburg devant le Tribunal de commerce de Nîmes.

Par jugement du 30 mai 1997, cette juridiction :

- donnait acte à la SA Elektron de son désistement d'instance à l'égard de Messieurs Lassus et Schoenenburg,

- considérait que la Sarl Codetel, nouvel employeur de Messieurs Lassus et Schoenenbug, les avait employés sciemment en violation de la clause de non-concurrence figurant dans leur contrat de travail

- disait qu'elle avait commis une faute délictuelle à l'égard de la Société Elektron,

- la condamnait à payer à la SA Elektron 1 200 000 F à titre de dommages et intérêts pour préjudice commercial,

- ordonnait sous astreinte de 2 500 F par jour de retard, le retrait de toute mention, pouvant laisser planer une confusion commerciale entre la Sarl Codetel et la SA Elektron, et en particulier le logo de la société Ebinger,

- avec exécution provisoire,

- outre 5 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Ayant saisi le Premier Président de la Cour de ce siège, elle obtenait de ce magistrat, une ordonnance en date du 13 août 1997, par laquelle il ordonnait l'arrêt de l'exécution provisoire, concernant la condamnation au paiement de la somme de 1 200 000 F. Enfin, par assignation du 7 janvier 1998, la SA Elektron engageait une troisième procédure, devant le Tribunal de commerce d'Avignon en faisant assigner la société Ebinger, pour rupture fautive d'un contrat de distribution exclusive. A l'audience du 26 novembre 1998, l'ordonnance de clôture du 30 octobre 1998 était révoquée, la clôture étant fixée à nouveau à cette dernière date.

Prétentions et moyens des parties

Après avoir conclu une première fois par écritures signifiées le 24 octobre 1997, la Sarl Codetel faisait signifier le 26 octobre 1998 des conclusions récapitulatives.

Elle y demande à titre principal :

- de surseoir à statuer dans l'attente de la décision concernant l'instance prud'homale,

- de joindre les procédures opposant d'une part la SA Elektron à la Sarl Codetel, et d'autre part la société Ebinger,

-sauf à surseoir à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue dans le litige opposant la SA Elektron et la société Ebinger.

Au fond, elle conclut au débouté de la demande de la Sarl Codetel, au motif qu'aucune faute constitutive de concurrence déloyale n'est démontrée, pas plus qu'il n'est justifié selon elle, de l'existence du préjudice qui en résulterait. Faute d'un débouté pur et simple, elle sollicite une expertise comptable. Elle estime enfin que la SA Elektron doit être déboutée de sa demande tendant à lui interdire de citer, notamment sur son papier à entête, la société Ebinger. Enfin, elle sollicite la condamnation de la SA Elektron à lui payer la somme de 60 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Elle fait notamment valoir que son activité ne touche pas les écoutes judiciaires, qui constituent 95 % du chiffre d'affaires de la SA Elektron. Elle s'interroge sur le fait que la SA Elektron puisse saisir trois juridictions différentes pour demander réparation du même préjudice.

Par écritures signifiées les 26 mars 1998 et 25 novembre 1998, la SA Elektron :

- s'oppose au sursis à statuer,

- sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné la Sarl Codetel à lui payer la somme de 1 200 000 F,

- demande la réformation en ce qu'il n'a pas été fait droit à la demande de dommages et intérêts,

- sollicite donc la somme de 2 000 000 F à titre de dommages et intérêts, outre 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Elle estime en effet que la Sarl Codetel a eu une activité sur un territoire interdit par la clause de non-concurrence, où elle a contacté une clientèle, et exercé une activité commerciale de façon déloyale, contribuant notamment à la perte du marché Ebinger. Elle stigmatise l'attitude d'un responsable commercial qui a mis en place la constitution d'une entreprise commerciale, alors qu'il était encore salarié, avec l'aide du responsable technique. Elle estime donc avoir été gravement désorganisée et avoir connu une baisse importante de son chiffre d'affaires.

Motif de la décision :

La recevabilité de l'appel principal, et celle de l'appel incident, ne sont ni contestables, ni contestées.

Sur les exceptions de procédure :

Alors que le litige concernant l'instance prud'homale est actuellement pendant devant la Chambre sociale de la Cour de ce siège, que l'action concernant les conditions de rupture du contrat de distribution exclusive, semble le présent litige ne concerne que la Sarl Codetel pour des faits de concurrence déloyale, il n'a pas lieu d'ordonner la moindre jonction de faire droit à une exception de litispendance ou connexité, voire de surseoir à statuer.

Sur la concurrence déloyale :

S'il est de principe, qu'un ancien salarié a le droit de s'établir à son compte, et d'exercer une activité identique à celle de son ancien employeur, encore faut-il :

- qu'il ne viole pas une clause de non-concurrence figurant dans son contrat de travail,

- et qu'il n'ait pas un comportement tel qu'il puisse lui être reproché des actes de concurrence déloyale.

Il en est ainsi pour l'ancien secrétaire commercial d'une entreprise qui devient, dans la semaine de son départ, cogérant statutaire d'une société concurrente, faisant profiter cette dernière de son expérience technique, de sa connaissance du marché, acquise dans la société précédente et notamment des fournisseurs, des prix et de la clientèle ; c'est-à-dire de son savoir-faire. Constitue également un acte de concurrence déloyale le fait pour une société d'embaucher l'ancien salarié d'une société concurrente, en vue de détourner tout ou partie de la clientèle, en exploitant les connaissances acquises par ce salarié dans son emploi précédent.

En l'état des pièces produites devant la Cour et notamment :

- des contrats de travail de Messieurs Lassus et Schoenenbug,

- des statuts de la Sarl Codetel,

- des extraits du Registre du Commerce et des sociétés concernant les sociétés Elektron et Codetel,

- du jugement précité du Conseil de prud'hommes de Carpentras,

- des documents contractuels liant la société Ebinger à la SA Elektron,

- des documents échangés entre la SA Elektron et la société Ebinger,

- des attestations de Madame Percebois, de Madame Taig,

- de la lettre de la Sarl Codetel à la société Gérand du 8 juin 1995,

il est établi :

. qu'un mois après le départ de Frédéric Lassus de la société SA Elektron, une Sarl Codetel dont il était le gérant a commencé à avoir une activité concurrente, à partir d'un siège social situé dans le département du Gard, à la limite du Vaucluse ;

. que cette société a en réalité été créée, peu après le départ de Frédéric Lassus, puisque ses statuts ont été signés le 8 avril 1995, et que ses principaux associés seront Frédéric Lassus, apporteur de 45 % du capital, et Christophe Schoenenbug, toujours employé par la SA Elektron également apporteur de 45 % de capital social ;

. que cette société nouvelle Codetel a ensuite embauché Christophe Schoenenbug pour exercer la même fonction d'ingénieur ;

. qu'elle va être amenée dès 1995, à proposer le matériel fabriqué par la société Ebinger, que commercialisait depuis plusieurs années la SA Elektron ;

. qu'ainsi, les premiers juges ont pu estimer que la Sarl Codetel avait commis des actes de concurrence déloyale en travaillant dans le même secteur d'activités que la SA Elektron, avec deux de ses anciens employés, qui apportaient donc tout leur savoir-faire.

Par contre, la SA Elektron ne peut se fonder sur l'attestation de Madame Gobineau, puisqu'elle concerne des faits reprochés à Frédéric Lassus qui n'est pas dans la cause, qui auraient été commis pendant une période où il était encore salarié de la SA Elektron, et non des faits imputables à la Sarl Codetel.

Si la SA Elektron demande à être indemnisée à hauteur d'une somme de 3 200 000 F, elle ne rapporte pas pour autant la preuve d'un tel préjudice. Elle a incontestablement subi un préjudice commercial comme l'a signalé le premier juge, préjudice qui doit être apprécié au moment où la Cour statue. Cependant si cette société impute à la Sarl Codetel une prétendue baisse de chiffre d'affaires, la Cour ne peut que constater qu'elle n'a pas cru devoir produire l'ensemble de ses états comptables correspondant aux exercices antérieurs au départ de ses deux anciens salariés, et postérieurs à cet événement. Enfin, si elle fait état, selon un document dressé par elle-même (pièce 26) d'une baisse de ses achats auprès de la société Ebinger, force est de constater, que l'examen de ce document révèle que la baisse est intervenue dès 1992, s'est poursuivie en 1993 et 1994, et que donc, elle ne peut être imputable aux agissements de la Sarl Codetel qui ne sera constituée qu'en 1995.

Le fait de verser en photocopie, parfois difficilement lisible, les imprimés fiscaux concernant les comptes de résultat de 1994 à 1997 ne suffit pas à établir qu'une variation de chiffre d'affaires ou de résultat puisse être imputable à la Sarl Codetel. Dès lors, le jugement déféré doit être réformé en ce qu'il a fixé l'indemnisation du préjudice à une somme de 1 200 000 F. En l'état du seul préjudice démontré, la Cour fixe son indemnisation à la somme de 300 000 F. Compte tenu des explications précédemment données, et des seules pièces produites devant la Cour, la demande de condamnation sous astreinte formulée par la SA Elektron n'est nullement justifiée, la Sarl Codetel ayant obtenu l'autorisation de commercialiser les produits d'Ebinger. Enfin, alors qu'une mesure d'instruction ne peut être ordonnée pour suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve, il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise.

Sur l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

L'équité et la situation économique respective des parties ne justifient nullement d'allouer à la Sarl Codetel la moindre somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Par contre il y a lieu de réformer le jugement déféré quant à la fixation de l'indemnité allouée à la SA Elektron en allouant à cette dernière société, compte tenu des circonstances de la cause et notamment de l'équité, une somme de 15 000 F au titre des frais irrépétibles.

Sur les dépens :

Succombant la Sarl Codetel supportera les dépens.

Par ces motifs, la COUR : Statuant publiquement, contradictoirement, En la forme, Reçoit des appels ; Rejette les exceptions soulevées par la Sarl Codetel ; Au fond, Confirme partiellement le jugement déféré en ce qu'il a : - considéré que la Sarl Codetel avait commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la SA Elektron, - dit que la Sarl Codetel devait payer des dommages et intérêts à la SA Elektron au titre du préjudice commercial, - débouté la Sarl Codetel de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; - Condamné la Sarl Codetel aux dépens ; Le réforme pour le surplus ; Et statuant à nouveau, Condamne la Sarl Codetel à payer à la SA Elektron : 1°) la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, 2°) celle de 15 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; Déboute la SA Elektron de ses autres demandes ; Le complétant, Déboute la Sarl Codetel de sa demande d'expertise ; Condamne la Sarl Codetel aux dépens, et autorise la SCP Pomies Richaud Astraud, avoués, à les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.