CA Paris, 4e ch. B, 18 décembre 1998, n° 1996-18292
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
K par K (SA)
Défendeur :
Illouz, Popa
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Duboscq-Pellerin, SCP Bommart-Forster
Avocats :
Mes Illouz, Marcellin.
LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société K par K d'un jugement du Tribunal de grande instance d'Evry rendu le 2 mai 1996 dans un litige l'opposant à Messieurs Illouz et Popa.
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
K par K est titulaire de la marque complexe " K par K change votre fenêtre cas par cas ", déposée à l'INPI le 11 septembre 1989 sous le n° 153 658 et enregistrée sous le n° 1 721 996, avec revendication des couleurs noir pantone et rouge pantone 185, pour désigner des produits et services dans les classes 6, 20 et 37 et notamment, d'une part, des profilés d'aluminium pour fenêtres, des produits en bois ou en succédanés du bois, plus particulièrement moulures pour fenêtres, des profilés moulés, expansés, extrudés tels que chambranles dormants ou ouvrants, panneaux plats ou ouvrés, volets et, d'autre part, des services de pose, entretien, réparation et reconstruction des produits susvisés.
K par K est également propriétaire de la dénomination sociale et du nom commercial K par K depuis 1989 et exerce son activité dans le domaine du commerce de gros de bois et de produits dérivés. Elle utilise enfin une enseigne blanche et rouge comportant la dénomination K par K dans laquelle le second K est de couleur rouge.
Exposant avoir constaté que deux de ses anciens salariés, Messieurs Illouz et Popa, exerçaient une activité de commercialisation et d'installation de fenêtres en PVC, bois ou aluminium, 79, avenue de la Cour de France à Juvisy-sur-Orge et 134 route de Corbeil à Sainte-Geneviève des Bois, non loin de son propre magasin, en utilisant comme nom commercial, enseigne et marque de service la dénomination ISO K comportant en combinaison une fenêtre ouverte stylisée, des lettres penchées de couleur sur fond blanc et la lettre K de couleur rouge et en reproduisant dans les propositions de contrat ses propres conditions générales de vente, la société K par K a, par actes des 30 novembre, 1er et 2 décembre 1994, fait assigner " Monsieur Illouz et Monsieur Popa, en qualité de conseiller ISO K " aux fins de :
- " dire que le choix du signe K, seul ou en combinaison avec les autres éléments caractéristiques de la marque, et son utilisation à titre de nom commercial et d'enseigne par Monsieur Illouz constituaient la contrefaçon par reproduction ou l'imitation illicite de la marque " K par K change votre fenêtre au cas par cas " dont elle était propriétaire,
- dire que le choix ainsi que l'usage du nom commercial et de l'enseigne ISO K constituait une imitation frauduleuse de sa propre de sa propre enseigne,
- prononcer des mesures d'interdiction sous astreinte, de destruction et de publication,
- condamner solidairement les défendeurs à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qui lui a été causé par la contrefaçon,
- les condamner sous la même solidarité à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice qui lui avait été causé par l'usurpation de sa dénomination sociale et de son nom commercial, l'imitation frauduleuse de son enseigne et les autres actes de concurrence déloyale ou parasitaire : confusion délibérément créée dans l'esprit du public par l'installation de ses anciens salariés à quelques mètres de distance de son propre magasin sous le nom commercial et l'enseigne litigieuses et par lez reproduction à l'identique de ses conditions générales de vente ".
Messieurs Illouz et Popa ont conclu au débouté de ses demandes. Ils ont fait observer que c'était Monsieur Illouz qui exploitait le fonds de vente de matériel de bâtiment utilisant l'enseigne ISO K. Ils ont ensuite fait valoir que la marque protégée " K par K change votre fenêtre au cas par cas ", n'était pas reprise dans la dénomination ISO K, non plus que le jeu de mots né de la répétition de la lettre K et que s'il y avait effectivement un K dans ISO K, cette lettre que l'on retrouve notamment dans la marque K-Way n'était pas la propriété de la demanderesse, qu'elle était en elle-même dépourvue de tout caractère distinctif et qu'étant couramment utilisée comme coefficient d'isolation thermique des vitrages elle figurait dans le nom commercial de nombreuses sociétés du bâtiment qui n'avaient pas été poursuivies. Ils ont encore soutenu que la calligraphie de la lettre K utilisée n'avait rien d'original, que les couleurs choisies pour ISO K étaient différentes de celles de K par K, le bleu et le rouge, le fond blanc étant quant à lui commun à la plupart des commerçants, et que le dessin de la fenêtre stylisée utilisée dans l'enseigne d'ISO K comme il est habituel chez les vendeurs de fenêtre se différenciait nettement de celui de la fenêtre figurant dans la marque dont K par K était propriétaire, s'agissant d'une fenêtre à deux ouvrants de douze carreaux chacun, bleue et blanche sur fond rouge et non d'un fenêtre à un dormant et un ouvrant de quatre carreaux, noire et rouge sur fond blanc. Ils ont enfin réfuté l'argumentation relative aux actes de concurrence déloyale qui leur étaient reprochés.
K par K a répliqué que ce n'était pas parce que la lettre K aurait désigné un coefficient d'isolation thermique des vitrages dans le bâtiment qu'elle n'était pas distinctive pour désigner les produits visés dans l'acte de dépôt de marque, cette lettre ne désignant pas une caractéristique de ces produits. Soulignant que l'imitation illicite s'appréciait d'après les ressemblances, elle a fait remarquer qu'ISO K employait le même graphisme qu'elle pour la lettre K, la même combinaison de couleurs rouge et blanc, le même genre de fenêtre stylisée et le même nombre de syllabes précédant la lettre K, semant ainsi la confusion avec son ancien employeur.
Le jugement retenant que " Monsieur Illouz exploitait directement le fonds de vente de matériel de bâtiment utilisant l'enseigne ISO K et qu'aucune personnalité juridique du nom d'ISO K n'avait été constituée a déclaré nulles les assignations délivrées à l'encontre d'ISO K. Reprenant sur le fond l'argumentation de Messieurs Illouz et Popa, il a débouté la société K par K de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée à payer aux défendeurs, pris indivisément la somme de 10 000 F à titre de dommages-intérêts.
K par K poursuit la réformation de cette décision. Réitérant son argumentation de première instance et insistant sur le fait que la contrefaçon s'apprécie par les ressemblances et non par les différences, elle fait valoir que la lettre K, seule ou en combinaison est parfaitement distinctive pour désigner les produits protégés par le dépôt de marque invoqué. Elle prie en conséquence la Cour de :
- dire que le choix du signe K, seul ou en combinaison avec les autres éléments caractéristiques de la marque invoquée, et son utilisation à titre de nom commercial et d'enseigne par M. Illouz ont porté atteinte à ses droits sur la marque " K par K change votre fenêtre au cas par cas " et constituent la contrefaçon par reproduction ou à tout le moins l'imitation illicite de cette marque pour désigner les produits visés au dépôt,
- dire que le choix ainsi que l'usage du nom commercial et d'une enseigne ISO K en 1993 pour exercer le commerce de gros matériaux de construction, et notamment de fenêtres, constituent l'usurpation de la dénomination sociale et du nom commercial dont elle est titulaire pour le commerce de gros de bois et de produits dérivés, principalement de fenêtres, depuis le 20 septembre 1989,
- dire que l'enseigne ISO K constitue également l'imitation frauduleuse de l'enseigne de K par K,
- prononcer des mesures d'interdiction sous astreinte, de destruction de l'enseigne et des prospectus publicitaires comportant la reproduction incriminée,
- condamner in solidum les intimés à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé à celle-ci par la contrefaçon de marque,
- les condamner sous la même solidarité à lui payer la somme de 500 000 F du chef d'usurpation des dénominations sociales et nom commercial, d'imitation frauduleuse de l'enseigne et des autres actes de concurrence déloyale et parasitaire,
- ordonner des mesures de publication.
Messieurs Illouz et Popa ont conclu banalement à la confirmation.
Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que comme cela été relevé par les premiers juges Monsieur Illouz exploite directement le fonds de vente de matériel de bâtiment sous l'enseigne ISO K ; qu'il n'est produit aux débats aucun document, faisant apparaître les fonctions de Monsieur Popa, en dehors de celle de " conseiller d'ISO K " ; qu'au surplus les faits de contrefaçon incriminés sont reprochés par K par K au seul Monsieur Illouz ; qu'il en résulte que Monsieur Popa sera mis hors de cause ;
Considérant que la marque " K par K change votre fenêtre cas par cas " est déposée en couleur sur un fond blanc, à savoir : 1) noir pantone pour " K par K " et " change votre fenêtre cas par cas " et 2) rouge pantone 185 pour le battant droit d'une fenêtre ouverte stylisée à gauche du vocable K par K ainsi que pour le second " K " ; que la dénomination " K par K " est elle-même déposée dans un graphisme particulier, les lettres étant notamment légèrement inclinées vers la droite ;
Considérant qu'il résulte du document publicitaire et du formulaire contractuel versés aux débats que Monsieur Illouz emploie pour désigner le fonds de commerce de vente de matériel de bâtiment et spécialement de fenêtres en PVC, bois ou aluminium, qu'il a créé en mai 1993, le nom d'ISO K, en lettres d'imprimerie, très légèrement penchées vers la droite, de couleur bleue pour la dénomination ISO et rouge pour la lettre K ;
Qu'il est constant que les produits commercialisés par Monsieur Illouz sont identiques ou similaires aux produits revendiqués dans le dépôt de marque de l'appelante ;
Considérant que pour débouter K par K de sa demande en contrefaçon de marque les premiers juges ont retenu que " si la locution " K par K " prise dans sa globalité constitue un élément caractéristique essentiel de la marque " K par K change votre fenêtre cas par cas ", tel n'est pas le cas de la lettre K qui, prise isolément, étant dépourvue de tout pouvoir d'identification de celle-ci, n'est pas susceptible d'exercer en l'espèce de fonction distinctive. Cette lettre, quoique non descriptive dès lors qu'elle n'exprime pas de façon exclusive la qualité essentielle du produit ou service considéré, est au surplus banale, étant souvent employée en adjonction à un autre terme qui seul lui donne sens, comme dans la marque K-Way ou pour désigner certains produits de vitrerie. Elle exprime une unité de mesure de température, le Kelvin, rappelant alors le terme utilisé par les fabricants pour définir le coefficient d'isolation thermique qu'ils attribuent à leurs vitrages " ;
Que les premiers juges ont également retenu que le nom ISO K ne constituait pas non plus une imitation illicite de la marque invoquée ; que selon eux " les seules similitudes pouvant être observées, le nombre identique de syllabes entre ISO K et K par K et la même terminaison en K, le graphisme étant quant à lui trop banal pour être relevé, sont trop vagues pour entraîner un risque de confusion ... Le nom ISO K se distingue au contraire nettement dans son aspect d'ensemble de la marque protégée et spécialement en ce qui concerne son élément caractéristique essentiel, la locution K par K, tant sur le plan visuel, étant formé d'un mot de trois lettres uni par un trait d'union à une lettre isolée et non de deux lettres isolées reliées par une préposition, que sur le plan phonétique, la syllabe d'attaque ISO prédominant dans le nom critiqué tandis que la répétition du son K caractérise la marque protégée, et sur le plan intellectuel, ISO K évoquant l'isolation thermique alors que K par K, par le jeu de mots né de l'homonymie avec l'expression " cas par cas " qu'il utilise, évoque le produit sur mesure et l'individualisation du service ".
Qu'ils sont enfin estimé que l'enseigne ISO K " faute de reproduire de façon servile ou quasi-servile non seulement la lettre K de la marque protégée, qui séparément n'a aucun pouvoir d'identification de celle-ci, mais au moins son élément vedette, la locution K par K " n'était pas constitutive d'un acte de contrefaçon ;
Mais considérant que dans la marque " K par K change votre fenêtre cas par cas ", la lettre K prise isolément dans son graphisme particulier, est détachable de l'ensemble de la marque, arbitraire pour les produits désignés, protégeable en elle-même et susceptible d'exercer, au moins pour partie, la fonction distinctive de cette marque ;
Considérant qu'en adoptant pour désigner un fonds de commerce de vente de matériel de bâtiment le nom commercial et l'enseigne ISO K, la lettre K reproduisant le graphisme du K de la marque invoquée et son inclinaison, quoique moins prononcée, Monsieur Illouz a commis les actes de contrefaçon de marque, par imitation qui lui sont reprochés, dès lors que l'adjonction du mot ISO à l'élément K, ne créé pas un tout indivisible ayant une signification propre et que les deux signes en présence entraînent pour le consommateur d'attention moyenne un risque de confusion ;
Considérant que le choix et l'usage de ce nom commercial ISO K pour désigner le fonds de commerce ci-dessus décrit, ont porté atteinte à la dénomination sociale et au nom commercial de la société K par K et ont constitué des actes de concurrence déloyale à l'encontre de cette dernière ;
Considérant qu'il résulte du constat d'huissier effectué à la demande de K par K et des photographies prises à cette occasion que l'enseigne ISO K utilisée par Monsieur Illouz pour distinguer son local commercial sis 134 route de Corbeil à Sainte-Geneviève des Bois reproduit tant le graphisme particulier de la lettre K (rouge et penchée) dont il a été vu qu'elle était arbitraire, que la combinaison des couleurs rouge et blanc ainsi que le style de la fenêtre dessinée, (seul variant le nombre de carreaux), de l'enseigne de la société K par K; que l'utilisation de cette enseigne par Monsieur Illouz peut faire naître dans l'esprit de la clientèle un risque de confusion avec l'enseigne K par K et est constitutive à l'égard de cette dernière d'actes de concurrence déloyale;
Considérant qu'il résulte de la comparaison des formulaires de propositions de contrat de vente des deux parties que Monsieur Illouz a purement et simplement recopié les formulaires de son ancien employeur, dans des conditions relevant de la concurrence déloyale;
Considérant en revanche qu'à juste titre les premiers juges ont rejeté le moyen tiré du fait que Monsieur Illouz se soit réinstallé à proximité de chez son ancien employeur, celui-ci en l'absence de clause de non-concurrence pouvant s'établir où il l'entendait ;
Considérant que les demandes de dommages-intérêts formées par K par K tant au titre des actes de contrefaçon que de ceux de concurrence déloyale apparaissent très excessifs, alors au surplus qu'aucune justification n'est apportée à la Cour ; qu'il convient au regard des éléments de la cause, de condamner Monsieur Illouz à payer à K par K la somme de 30 000 F au titre des actes de contrefaçon et de 40 000 F au titre de la concurrence déloyale.
Considérant qu'il sera prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication, comme indiqué au dispositif ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société K par K la somme de 18 000 F pour ses frais irrépétibles ;
Par ces motifs : Réforme le jugement déféré ; Statuant à nouveau et ajoutant : Met hors de cause Monsieur Popa ; Condamne Monsieur Illouz à payer à la société K par K la somme de 30 000 F au titre des actes de contrefaçon de la marque " K par K change votre fenêtre cas par cas " et la somme de 40 000 F au titre des actes de concurrence déloyale ; Fait interdiction à Monsieur Illouz, sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, passé le délai de 3 mois suivant la signification du présent arrêt, de faire usage de la dénomination K dans le graphisme particulier de la marque invoquée, à titre de nom commercial ou d'enseigne ; Ordonne la publication de l'arrêt dans un journal au choix de la société K par K et aux frais de Monsieur Ilouz, sans que le coût de ces publications n'excède la somme de 15 000 F ; Condamne Monsieur Illouz à payer à la société K par K la somme de 18 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne Monsieur Illouz aux dépens ; Admet la SCP Bommart Forster au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.