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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 4 décembre 1998, n° 1996-10626

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

G et C (Sté), Clunia Arte Decorativo (SA)

Défendeur :

Pierre Frey (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

Me Cordeau, SCP Valdelièvre-Garnier

Avocats :

Mes Skaarup, Drubigny.

T. com. Paris, 15e ch., du 2 févr. 1996

2 février 1996

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société de droit danois G & C d'un jugement rendu à son encontre le 2 février 1996 dans un litige l'opposant, ainsi que la société de droit espagnol Clunia Arte Decorativo, à la société Pierre Frey.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

Pierre Frey a conclu en 1991 avec la société anglaise Royal Doulton un contrat aux termes duquel celle-ci lui a consenti " le droit exclusif d'utiliser le nom, les dessins et les représentants visuelles de motifs " de tasses et saucières pour la fabrication de " tissus d'ameublement, linge de table, draps de lits, papiers peints, gravures et illustrations ". Elle diffuse des tissus d'ameublement et des produits finis (nappes, serviettes, plateaux, etc...) reproduisant ces motifs. Ayant constaté à l'occasion du salon " Scènes d'intérieur " de 1994 où elle était présente qu'une autre exposante, la société danoise G & C, proposait des encadrements reproduisant certains des mêmes motifs, elle a fait procéder à une saisie-contrefaçon, le 6 septembre 1994, puis fait assigner devant le tribunal de commerce de Paris G & C et son fournisseur, la société Clunia. Elle invoquait la contrefaçon et la concurrence déloyale pour demander que ses adversaires, outre les mesures habituelles d'interdiction, de confiscation et de publication soient condamnées à lui payer une provision de 300 000 F dans l'attente des résultats d'une expertise également sollicitée.

G & C qui a seule comparu a conclu à l'irrecevabilité des demandes de Pierre Frey au titre de la contrefaçon (soutenant que celle-ci n'était pas titulaire de droits d'auteur) et de la concurrence déloyale (prétendant qu'elle n'invoquait à cet égard aucun fait distinct de la contrefaçon).

G & C a fait assigner Clunia en garantie. Les procédures ont été jointes.

C'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement entrepris par lequel le tribunal a estimé que Pierre Frey " propriétaire de l'exploitation du modèle " avait qualité pour agir en contrefaçon, que celle-ci était constituée, de même que la concurrence déloyale, et a condamné la seule société G & C à payer à Pierre Frey la somme de 150 000 F à titre de dommages intérêts (précision ayant été donnée dans les motifs que 100 000 F étaient attribués pour la contrefaçon et 50 000 F pour la concurrence déloyale), a prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication (pour un coût total de 50 000 F HT). Le Tribunal qui a ordonné l'exécution provisoire, a rejeté la demande en garantie de G & C et condamné celle-ci au paiement d'une indemnité de 30 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Appelante, G & C poursuit la réformation intégrale du jugement. Elle réitère son argumentation de première instance sur l'irrecevabilité de Pierre Frey à agir en contrefaçon ou en concurrence déloyale, sollicite l'annulation de la saisie-contrefaçon et subsidiairement, fait valoir sa bonne foi et conteste l'existence et l'importance du préjudice allégué par Pierre Frey. Elle a fait assigner et réassigner Clunia dont elle réclame la garantie. Cette société n'a pas comparu.

Pierre Frey conclut à la confirmation du jugement dans son principe, mais formant appel incident, sollicitant que G & C et Clunia soient déclarées coupables de contrefaçon et concurrence déloyale, subsidiairement de concurrence déloyale, elle réclame qu'elles soient condamnées solidairement à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts qu'il leur soit fait interdiction sous astreinte de 10 0000 F par infraction constatée de poursuivre les actes litigieux, que soit ordonnée la confiscation des produits litigieux, qu'elle soit autorisée à faire procéder à 5 mesures de publication dans la limite d'un coût HT de 80 000 F à la charge de ses adversaires.

G & C et Pierre Frey réclament chacune l'application à leur profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que G & C reconnaît avoir présenté au salon " scènes d'intérieur " une série de dix illustrations encadrées qu'elle avait achetées à la société espagnole Clunia, et qui reproduisaient des dessins de tasses et soucoupes créés par la manufacture anglaise Royal Doulton ; que poursuivant la réformation du jugement entrepris, elle conteste toutefois la qualité de Pierre Frey à agir tant en contrefaçon qu'en concurrence déloyale ;

Considérant qu'il résulte du contrat conclu entre Royal Doulton et Pierre Frey qu'il n'a été cédé aucun droit d'auteur à celle-ci, le contrat précisant qu'elle acquérait seulement " le droit exclusif d'utiliser le nom, les dessins et les représentations visuelles " de la concédante ; que si aucune disposition contractuelle ne réserve à Royal Doulton, contrairement à ce que soutient G & C, le droit d'agir en justice, en cas d'atteinte aux droits concédés, il est constant que le licencié, qui n'est pas investi de droits d'auteur (le contrat ayant d'ailleurs disposé expressément - art VI ii - que Pierre Frey ne " prétendait pas avoir de droits sur le copyright " de Royal Doulton) n'a pas qualité pour agir en contrefaçon ; que le jugement sera réformé en ce qu'il a déclaré Pierre Frey recevable dans son action de ce chef ; que la saisie-contrefaçon diligentée par Pierre Frey sera en conséquence annulée ;

Considérant que l'appelante soutient que Pierre Frey est également irrecevable à agir en concurrence déloyale parce qu'elle n'invoquerait à cet égard aucun fait distinct de la contrefaçon écartée par ailleurs, et parce qu'elle ne justifierait d'aucun préjudice, en l'absence de clientèle commune puisqu'elle ne commercialisait pas de gravures ou illustrations reproduisant les dessins de Royal Doulton ;

Considérant cependant que Pierre Frey, invoquant des faits distincts de l'atteinte aux droits d'auteur, fait valoir à juste titre qu'alors qu'elle s'était fait concéder le droit exclusif d'exploiter les dessins précédemment mentionnés, notamment pour des " gravures et illustrations ", la commercialisation par ses adversaires de gravures reproduisant lesdits dessins est un acte fautif de concurrence déloyale, en ce, qu'outre qu'elle constitue une exploitation indue de ses efforts de promotion, elle a produit un effet de désorganisation de son activité commerciale, lui ayant causé préjudice particulièrement en ce que les actes incriminés ont galvaudé ses propres productions qui consistent non seulement en des tissus d'ameublement, mais aussi en des objets décoratifs pour la cuisine ou la table tels que des plateaux, visant la même clientèle que celle à laquelle s'adresse G & C ;

Considérant qu'ainsi, tant Clunia que G & C (qui argue vainement de sa bonne foi, alors que la concurrence déloyale est constituée même en l'absence de faute intentionnelle, et qu'en tant que professionnelle elle a commis une faute de négligence et d'imprudence en commercialisant des gravures reproduisant des motifs dont l'exploitation par Pierre Frey faisait l'objet d'une importante publicité) se sont donc rendues coupables d'actes de concurrence déloyale au préjudice de Pierre Frey ;

Considérant que Pierre Frey expose que ses produits comportant les motifs de Royal Doulton ont rencontré un succès important puisqu'entre 1992 et 1994 elle a réalisé, pour les tissus et produits finis (coussins, plateaux etc) des chiffres d'affaires excédant respectivement 8 et 5 millions de francs et s'est acquittée de redevances de 360 000 F auprès de Royal Doulton ; que renonçant devant la Cour à sa demande initiale d'expertise, elle sollicite que ses deux adversaires - G & C ayant seule été condamnée par les premiers juges - soient solidairement condamnées à lui payer une somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts ;

Considérant qu'il est établi que Clunia, fabricant des cadres incriminés, a vendu 150 pièces litigieuses à G & C pour un prix de 5 600 F et que G & C en a revendu 60 exemplaires ; qu'eu égard à l'ensemble des circonstances la somme de 150 000 F allouée à Pierre Frey à titre de dommages-intérêts par les premiers juges apparaît réparer exactement son préjudice au titre de la concurrence déloyale ; que la condamnation devra incomber in solidum à Clunia et à G & C, étant précisé que le rôle et l'importance des actes de celle-ci, simple distributeur, conduit à limiter au tiers des sommes allouées le montant mis à sa charge ;

Considérant que les mesures de publication ordonnées par les premiers juges (cinq publications pour un coût total de 50 000 F HT à la charge de G & C) apparaissent exagérées ; qu'il sera ordonné 3 mesures de publication pour un coût total de 30 000 F, incombant in solidum dans les même proportions que ci-dessus à Clunia et G & C ; que les mesures d'interdiction sous astreinte et de confiscation seront maintenues et étendues à Clunia ;

Considérant que le tribunal n'a pas statué sur la demande en garantie formée par G & C contre Clunia ; que l'appelante invoquant à juste titre la garantie due par le vendeur aux termes de l'article 42 de la Convention de Vienne sur les contrats de vente internationale de marchandises, Clunia sera condamnée à la garantir de toutes condamnations ;

Considérant que la condamnation au paiement d'une indemnité de 30 000 F prononcée au titre de l'article 700 par les premiers juges apparaît suffisante ; qu'elle sera supportée dans les proportions déjà mentionnées in solidum par Clunia et G & C ; que l'équité n'exige pas qu'il soit fait droit à la demande formée du même chef par G & C contre Clunia ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a dit que la société G & C avait commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Pierre Frey et fixé à 150 000 F et 30 000 F respectivement le montant des dommages intérêts et de l'indemnité pour frais irrépétibles alloués à celle-ci ; Réformant pour le surplus, statuant à nouveau et ajoutant : Annule la saisie-contrefaçon pratiquée à l'initiative de la société Pierre Frey le 6 septembre 1994 ; Dit que la société Clunia Arte Decorativo a commis des actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Pierre Frey ; Condamne in solidum la société Clunia Arte Decorativo et la société G & C, celle-ci dans la limite du tiers de la condamnation, à payer à la société Pierre Frey la somme de 150 000 F à titre de dommages-intérêts ; Dit que les mesures d'interdiction sous astreinte et de confiscation prononcées par les premiers juges à l'encontre de la seule société G & C s'appliqueront également à la société Clunia Arte Decorativo ; Autorise la société Pierre Frey à faire publier le présent arrêt dans trois journaux ou revues de son choix dans la limite d'un coût global de 30 000 F à la charge in solidum de la société G & C (dans la limite d'un tiers pour celle-ci) et de la société Clunia Arte Decorativo ; Condamne la société Clunia Arte Decorativo à garantir la société G & C de toutes condamnations ; Rejette toute autre demande ; Dit que l'indemnité allouée à Pierre Frey pour ses frais non taxables de procédure incombera in solidum aux sociétés Clunia Arte Decorativo et G & C, celle-ci n'étant tenue que dans limite d'un tiers ; Condamne in solidum les sociétés Clunia Arte Decorativo et G & C aux dépens de première instance et d'appel ; Admet la SCP Valdelièvre & Garnier au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.