CA Douai, 2e ch., 3 décembre 1998, n° 98-03988
DOUAI
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
GMEP (SA)
Défendeur :
B et L Associés (SARL), Bracq Muller (Epoux), Lallemant Pyckaert (Epoux)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gosselin
Conseillers :
Mmes Schneider, Fontaine
Avoués :
Mes Cocheme-Kraut, Masurel-Thery
Avocats :
Mes Deschryver, Dupont.
FAITS - PROCEDURE :
La société Gestion Moderne d'Edition et Publicité (GMEP) est spécialisée dans l'édition publicitaire et possède une vingtaine d'agences sur toute la France soit environ 150 salariés. Son activité se déroule en deux phases : la première consiste à rechercher les donneurs d'ordres (communes, associations, offices de tourisme, hôpitaux...) et la seconde à démarcher des annonceurs publicitaires pour financer l'édition.
Deux de ses salariés MM. Bracq et Lallemant décident après avoir démissionné, de créer la société B et L Associés qui possède deux agences l'une à Tourcoing et l'autre à Montigny-les-Metz.
La SA GMEP reprochant divers faits de concurrence déloyale à la société B et L Associés engage une action devant le Tribunal de commerce de Tourcoing.
Par jugement rendu le 4 mars 1998, ce dernier la déboute de ses demandes et la condamne à payer à la société B et L Associés, M. Bracq, Mme Bracq, M. Lallemant, Mme Lallemant à chacun la somme de 4 000 F au titre de l'article 700 du NCPC ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration du 6 avril 1998, la SA GMEP forme appel de ce jugement. Par acte du 5 mai 1998 et en vertu d'une ordonnance rendue par M. le Premier Président de la Cour d'appel le 9 avril 1998, elle a assigné à jour fixe la société B et L Associés, les époux Lallemant et les époux Bracq,
La SA GMEP conclut à la réformation du jugement entrepris et sollicite la somme de deux millions de francs à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et celle de 50 000 F au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle demande en outre la désignation d'un expert chargé d'apprécier l'étendue de la concurrence déloyale, demande de faire interdiction à la société B et L Associés, aux époux Bracq et aux époux Lallemant de faire tous actes de concurrence déloyale sous peine d'astreinte de 10 000 F par infraction constatée.
Elle fait valoir à titre liminaire que la société B et L et Associés ayant renoncé à son action en rétractation de l'ordonnance ayant désigné un huissier de justice pour se rendre dans les locaux de Montigny-les-Metz, elle est fondée à produire le constat établi à cette occasion.
Elle soutient que les faits de concurrence déloyale s'articulent autour de trois axes principaux ;
- débauche de salariés :
Elle prétend que sur les douze démissions enregistrées en quelque semaines dix salariés sont intéressés par le projet de la société B et L Associés, et que cette dernière a dissimulé ce débauchage lors de l'établissement du constat, alors qu'il était prémédité.
Elle ajoute que plusieurs de ces salariés ont méconnu leurs obligations à son égard : soit ils n'ont pas respecté leur préavis (Mme Dohr, Mme Bracq) soit ils n'ont pas respecté la clause de non-concurrence insérée à leur contrat de travail (M. Bracq, M. Lallemant, Mme Bracq).
- détournement de clientèle :
Ce fait est caractérisé par la signature de conventions avant même la constitution de la société B et L Associés, par le détournement de fichier clients plusieurs documents internes à la société GMEP ayant été retrouvés au siège social de la société concurrente.
- détournement des contrats :
La société GMEP énumère plusieurs contrats que la société B et L Associés aurait détournés.
- parasitisme - confusion - dénigrement :
Il a été relevé la copie des conventions d'édition et des cahiers de prospect.
La société B et L Associés a fait référence à la précédente édition de l'agenda de la ville de Champs-sur-Marne pour obtenir le marché.
M. Bracq a dénigré la société GMEP auprès de la ville de Saverne.
La SARL B et L Associés, les époux Bracq et les époux Lallemant concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté la société GMEP de ses demandes et l'a condamnée aux dépens et au titre de l'article 700 du NCPC.
Elle forme appel incident et demande la réformation du jugement en ce qu'il a débouté la société B et L Associés de sa demande de dommages et intérêts de 50 000 F pour concurrence déloyale.
Elle soutient que les faits de concurrence déloyale qui lui sont reprochés sont dépourvus de tout fondement.
Elle demande que conformément à l'engagement qui avait été pris par la société GMEP, le constat établi le 16 septembre 1997 dans l'agence de Montigny-les-Metz soit écarté.
Elle fait valoir que tous les salariés intéressés étaient dégagés de leurs obligations envers leur employeur. Elle indique que les attestations versées au débat par la société GMEP sont de complaisance et ont été obtenues sous la contrainte.
Elle conteste avoir détourné la clientèle et réfute avec précision chacun des arguments de l'appelant.
Elle ajoute que la preuve du préjudice n'est pas rapportée et qu'en tout état de cause, seule la société B et L Associés à l'exclusion des époux Lallemant et Bracq pourrait être condamnée.
Enfin, elle estime avoir été elle-même dénigrée par la société GMEP dans un courrier qu'elle a adressé à l'un des clients.
MOTIFS :
1) Sur la production du constat établi les 23-24 octobre 1997 à Montigny-les-Metz :
Attendu que suivant courrier du 26 novembre 1997 le conseil de la société GMEP a indiqué au conseil de la société B et L Associés, qu'afin de ne pas différer l'évocation de l'affaire au fond, il retirait des débats le procès-verbal de constat dressé les 23/24 octobre 1997 à Montigny-les-Metz ;
Qu'ensuite de cette déclaration, la société B et L Associés s'est désistée de l'action engagée aux fins de rétractation de l'ordonnance rendue par M. le Président du Tribunal de grande instance de Metz ;
Que la société GMEP est dès lors mal fondée à produire cette pièce au débat ;
2) Sur les faits de concurrence déloyale :
Le débauchage :
Attendu qu'outre M. Lallemant et M. Bracq, fondateurs de la société B et L Associés, quatre anciens salariés de la sociétés GMEP ont été engagés ;
Qu'il s'agit que Mme Bracq, Mme Dohr, Mme Solnichkin et Mme Baudouin ;
Que parmi les autres salariés ayant démissionné de la société GMEP, aucun d'entre eux n'a été embauché par la société B et L Associés ;
Que si deux anciens salariés ont également créé une société concurrente " B et C Associés " sur le secteur de Rouen, celle-ci est indépendante de B et L Associés ;
Attendu que le débauchage n'est constitutif de concurrence déloyale que si le salarié est encore sous contrat avec un autre employeur ou s'il est lié par une clause de non-concurrence ;
Attendu qu'en l'espèce tous les anciens salariés ont démissionné de leur poste à la société GMEP et ont effectué leur préavis, à l'exception de MM. Bracq et Lallemant, qui en étaient dispensés ;
Que certains d'entre eux avait déjà un contentieux important avec leur employeur ce qui explique leur décision ; qu'à titre d'exemple M. Lallemant percevait un salaire de moins en moins important tandis que M. Bracq était mis en examen pour faux témoignage en raison d'une attestation qu'il avait été contraint de rédiger à la demande de son employeur ;
Attendu que les allégations de M. Frisch suivant lesquelles il avait vu Mme Dohr travailler pour le compte de la société B et L Associés, alors que son préavis n'était pas expiré, sont démenties par M. Grundhertz qui qualifie ces déclarations de complaisantes ;
Qu'enfin, le fait d'avoir retrouvé au siège de la société B et L Associés des documents portant la signature de Mme Bracq ne permet pas d'établir qu'elle a travaillé pour son compte avant la fin de son préavis ;
Attendu qu'il appartient à la société GMEP, qui s'en prévaut, de démontrer l'existence et la violation des clauses de non-concurrence;
Attendu que la preuve de l'existence d'une telle clause concernant les époux Bracq n'est pas démontrée;
Que la société GMEP se contente à cet effet de produire aux débats un avenant au contrat de travail lequel n'est pas signé ;
Que par ailleurs les attestations tendant à démontrer l'existence de cette clause sont à prendre avec précaution, comme émanant de collaborateurs de la société GMEP, et en tout état de cause sont inexploitables en raison de leur imprécision quant à la durée et au secteur géographique de l'obligation de non-concurrence ;
Attendu que M. Lallemant conteste fortement avoir signé le 31 août 1992 l'avenant au contrat de travail faisant état d'une clause de non-concurrence ;
Qu'au surplus, au vu de la motivation retenue par le premier juge concernant l'illégalité de cette clause au regard de l'article 74 alinéa 2 du code de commerce alsacien la société GMEP a renconcé à s'en prévaloir en cause d'appel ;
Qu'enfin il n'est pas démontré que les clauses de non-concurrence figurant sur les contrats de travail de Mme Dohr et Solnichkin aient été violées ; qu'au contraire, la société B et L Associés a prévu le respect de cette obligation dans les contrats de travail qu'elle a fait signer auxdites personnes ;
Attendu qu'il résulte de ce qui précède que les salariés ont rempli leurs obligations envers leur précédent employeur, que leur embauchage ne s'est pas produit à la suite d'offres de salaires alléchantes et ne présentent aucun caractère massif susceptible de désorganiser la société GMEP qui connaît par ailleurs une importante rotation de personnel ;
Qu'il s'ensuit que le " débauchage " allégué ne revêt aucun caractère illicite;
Le détournement de clientèle :
1) Par détournement de documents commerciaux :
Attendu que la société GMEP prétend que les associés de B et L Associés ont emporté avec eux divers documents commerciaux ;
Que parmi ceux-ci figurent trois fiches contacts datant des 19 mai 1995, 25 mars 1996 et 26 février 1997 ;
Attendu que la seule présence de trois fiches sur 18 000 fiches existantes rend invraisemblable la subtilisation volontaire de ces documents en vue d'une exploitation commerciale ; qu'ils ne peuvent d'ailleurs faire défaut à GMEP puisqu'il s'agit d'un simple tirage informatique ;
Attendu que M. Bracq a indiqué que le cahier de prospection du Lycée Anguier à Eu retrouvé au siège social de la société B et L Associés lui avait été adressé de façon anonyme par un salarié de l'agence GMEP de Rouen ;
Qu'en toute hypothèse, ces cahiers sont inexploitables dès lors que de nouvelles prospections sont inévitables lors de la mise en place d'un nouveau produit et sont conduites d'après la liste des annonceurs figurant dans le précédent support que toute personne peut se procurer ;
Attendu qu'enfin, la détention de la plaquette publicitaire éditée par la GMEP de ce même lycée ne peut être reprochée à la société B et L Associés, dès lors que destinée à être diffusée dans le public, sa simple possession ne peut constituer un acte de concurrence déloyale ;
2) Par détournement de contrats :
Attendu qu'aux termes de ses conclusions, la sociétés GMEP écrit que les commanditaires d'une entreprise d'édition et de régie publicitaire sont majoritairement des organismes ou institution publics ou parapublics (collectivités territoriales, centres hospitaliers, lycées etc...) ;
Qu'elle reconnaît ainsi la spécificité d'une clientèle qui se trouvant dans le domaine public est accessible à tous ;
Attendu néanmoins que la société GMEP affirme que la société B et L Associés a détourné plusieurs contrats, qui étaient précédemment gérés par les démissionnaires ;
Qu'il convient d'examiner point par point les différentes conventions :
- agenda 1997 de la ville de Champs-sur-Marne : la société GMEP n'avait aucune convention avec le commanditaire mais avait été chargée pour une année de la régie publicitaire par la société Prest Action 2000 qui était titulaire d'une convention d'édition avec la ville.
- le Centre Régional d'Information Jeunesse (CRIJ) de Bourgogne.
Il est exact que la société GMEP avait signé le 4 décembre 1996 une convention de partenariat (et non d'édition) avec cet organisme, concernant le plan de Dijon. Or la convention signée par la société B et L Associés porte sur le guide de loisirs, qui est un support tout à fait différent.
Contrairement aux allégations de la société GMEP, il n'est pas établi que M. Lallemant, alors non salarié ait formulé une proposition pour l'édition de ce guide.
- La mairie de Montigny-Les-Metz : cette commune a dénoncé le 15 avril 1997, comme elle l'avait déjà fait en 1993 la convention d'édition la liant à la société GMEP. La société B et L Associaés avait donc la possibilité de contacter ce commanditaire.
- CCA BTP Paris : il n'est pas démointré que cet organisme ait signé une convention avec la société GMEP. Au demeurant, la société B et L Associés n'en a pas davantage signé.
- Office du Tourisme de Strasbourg (OTSR) : la convention avec GMEP a été dénoncée le 19/09/1997 par cette ville en raison d'une parution trop tardive au guide.
- Lormed : la convention avec GMEP avait été dénoncée le 14 décembre 1995. De surcroît la société B et L Associés n'a conclu aucune convention avec cet organisme.
- Lycée M. Anguier à Eu : la convention avait été dénoncée le 24 septembre 1996.
- CRIJ de Lille : cet organisme avait conclu une convention de régie le 25 octobre 1996 avec la GMEP pour deux ans portant sur les carnets du CRIJ et l'agenda 1997. Mme Lombard, responsable du CRIJ atteste que, mécontente de l'agenda 1997, et ayant gardé toute liberté quant à ce support, elle a confié la réalisation de l'agenda 1998 à B et L Associés.
- Mairie de Saverne : les attestations (Pluchino-Lebailleur) invoqués par la société GMEP concernant le détournement de ce client au profit de B et L Associés sont démenties en totalité par M. Arbogast, responsable de cette collectivité.
Attendu que le démarchage de la clientèle d'un concurrent, fût-il effectué par d'anciens salariés, est une pratique commerciale normale et ne peut être considérée comme constitutif de concurrence déloyale dès lors que le comportement déloyal n'est pas établi ;
Qu'en l'espèce, la société GMEP ne rapporte pas la preuve que B et L Associés ait usé de procédés déloyaux ou ait systématiquement démarché d'anciens clients ;
Le dénigrement :
Attendu que la société GMEP prétend que la société B et L Associés et ses associés fondateurs l'auraient dénigrée auprès de commanditaires et annonceurs ;
Attendu qu'il convient de noter que ces accusations doivent être relativisées car reposant sur des attestations établies par les propres salariés de GMEP, dont certains se sont rétractés (Solnichkin) en indiquant qu'ils avaient témoigné sous la contrainte ou dans l'espoir d'une récompense ;
Qu'en revanche les témoignages produits par la société B et L Associés sont plus crédibles car ils émanent des commanditaires encore clients de la société GMEP et attestent tous de l'absence de dénigrement ;
Que les faits de dénigrement ne sont donc pas établis ;
Le parasitisme - la confusion :
Attendu que la société GMEP prétend que la société B et L Associés a utilisé la convention d'édition dont elle se servait ;
Mais attendu que le document d'une part ne revêt aucune originalité, ni aucun signe distinctif particulier ; qu'il se présente comme un document type reprenant les obligations de chacune des parties qui quelles que soient les parties en cause sont quasiment toujours identiques ;
Qu'en outre, il n'est pas démontré que la société B et L Associés ait effectué une copie servile, quelques différences notables pouvant être relevées ;
Attendu que la société GMEP invoque également la lettre adressée à B et L Associés émanant de la ville de Champs-Sur-Marne pour son agenda de poche 1998 et notamment la phrase " l'an dernier, cette publication avait été fort appréciée par notre population " pour stigmatiser la confusion entre les deux sociétés ;
Que la société GMEP ne peut toutefois déduire de cette phrase que la société B et L Associés s'est prévalue de la précédente édition réalisée par GMEP pour obtenir le marché ;
Qu'au surplus, il y a lieu de rappeler que la société GMEP n'était liée par aucune convention à la commune mais simplement mandatée par une société tiers ;
Attendu qu'aucun acte de concurrence déloyale n'étant démontrée, la société GMEP sera déboutée de l'intégralité de ses demandes et en particulier de sa demande d'expertise dont l'objet ne vise qu'à pallier sa carence dans l'administration de la preuve ;
3) Sur l'appel incident formé par la société B et L Associés :
Attendu que les deux exemples allégués par cette société pour reprocher à son tour des actes de concurrence déloyale commis par la société GMEP sont insuffisants à caractériser une telle concurrence ;
Qu'en outre, le préjudice allégué est inexistant dès lors que la société B et L Associés a signé une convention d'édition avec la commune de Montigny-les-Metz devant laquelle elle aurait été dénigrée et qu'elle n'était pas en mesure d'obtenir une convention avec l'OTSR de Strasbourg dès lors que cet organisme gère directement la mise en œuvre de son guide ;
Attendu qu'il est inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais exposés au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ; qu'il convient de leur allouer à chacun la somme de 6 000 F à ce titre ;
Par ces motifs, LA COUR statuant publiquement et contradictoirement, Déclare recevable l'appel formé par la société GMEP, Confirme le jugement entrepris. Y ajoutant, Condamne la SA GMEP à payer au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile la somme de 6 000 F chacun à M. Bracq, Mme Bracq, M. Lallemant, Mme Lallemant, et à la société B et L Associés. Condamne la SA GMEP aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.