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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 20 novembre 1998, n° 1995-13806

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ozoo France (SA)

Défendeur :

Meubles Demeyere (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Regnier-Bequet, SCP Teytaud

Avocats :

Mes Perrin, Greffe.

T. com. Paris, 6e ch., du 27 mars 1995

27 mars 1995

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Ozoo France d'un jugement rendu le 27 mars 1995 par le tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Meubles Demeyere.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants.

Se prévalant de droits d'auteur sur des meubles dits " Programme Composable Multicases " constituant des modules de 6 ou 9 cases en escalier superposables et juxtaposables pour réaliser de multiples configurations qu'elle indiquait avoir créé puis déposé à la SPADEM en 1992, Ozoo a fait pratiquer le 31 août 1994 dans les locaux de la société Grands Magasins B (GMB) exploitant sous l'enseigne Cora à Nancy une saisie contrefaçon qui aurait établi selon elle que cette société distribuait des meubles contrefaisant ses créations et fabriqués par la société des Meubles Demeyere.

Par acte du 23 septembre 1994, elle fait assigner Demeyere et GMB devant le Tribunal de commerce de Paris, invoquant la contrefaçon pour demander qu'outre les mesures habituelles d'interdiction et de publication, elles soient solidairement condamnées à lui payer une provision de 1 million de francs à valoir sur ses dommages intérêts à fixer par voie d'expertise. Elle s'est ensuite désistée de ses demandes envers GMB.

Demeyere a conclu au débouté contestant le caractère protégeable des œuvres invoquées. Reconventionnellement, reprochant à la demanderesse d'avoir délibérément fait pratiquer une saisie contrefaçon chez un de ses clients importants alors qu'elle connaissait parfaitement l'origine des meubles, elle a réclamé que Ozoo soit condamnée à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.

C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement entrepris par lequel le tribunal a décidé que le modèle Multicases " par défaut d'antériorité et d'originalité " n'était pas protégeable au titre du droit d'auteur, et débouté en conséquence Ozoo de sa demande en contrefaçon, tout en repoussant également la demande de dommages intérêts formée par Demeyere, en estimant que celle-ci " s'étant inspirée du succès remporté par Ozoo dans la commercialisation du modèle Multicases pour créer à son tour un modèle personnel et le commercialiser dans ses points de vente habituels ne pouvait argumenter d'un quelconque préjudice subi à la suite de la requête d'Ozoo qui l'a diligentée de bonne foi, s'étant vue concurrencer par un modèle identique au sien ". Le jugement a laissé à chaque partie la charge de ses dépens.

Ayant interjeté appel, Ozzo poursuit la réformation du jugement en ce qu'il a dit non protégeable le modèle Multicases et l'a déboutée de son action en contrefaçon. Elle prie la Cour de dire que Demeyere a commis à son préjudice des actes de contrefaçon et de la condamner de ce chef à lui payer une provision de 1 million de francs dans l'attente des résultats de l'expertise qu'elle sollicite également. Elle réclame en outre des mesures de publication et d'interdiction sous astreinte.

Demeyere conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a débouté Ozoo de sa demande de dommages intérêts. Elle forme appel incident du jugement en ce qu'il a rejeté sa demande reconventionnelle et sollicite qu'Ozoo soit condamnée à lui payer la somme de 1 500 000 F à titre de dommages intérêts. Elle réclame des mesures de publication.

Dans ses dernières conclusions, Ozoo a invoqué, très subsidiairement, la concurrence déloyale au soutien de ses demandes précédemment mentionnées.

Chacune des parties sollicite le bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant qu'Ozoo expose qu'elle " entend que lui soit reconnu le bénéfice de la protection du droit d'auteur sur une œuvre des arts appliqués composée de modules de 6 ou 9 cases parfaitement juxtaposables et composables, se caractérisant par des champs réversibles permettant une utilisation en claustra, en séparation, ou contre un mur et dès lors par une parfaite multifonctionnalité " ; qu'elle ajoute que son meuble Multicases " ne constitue pas un simple empilage de cubes mais une juxtaposition de modules conférant à l'ensemble une présentation légère et un équilibre géométrique autorisant l'ajout de certains nombres d'éléments identiques formant dans tous les cas un multiple du module de base " ; qu'elle précise encore avoir créé ce meuble en 1992 et en avoir alors effectué le dépôt à la SPADEM ;

Considérant que Demeyere ne conteste pas fabriquer un modèle de bibliothèque similaire constitué de simples casiers rectangulaires en bois dont l'un des côtés forme un escalier, les casiers étant disposés en dégradé : 3, 2, 1 ; que reprenant l'argumentation qui a été suivie par les premiers juges, elle soutient que l'objet revendiqué par son adversaire n'est pas susceptible d'être protégé, d'une part, parce qu'il ne présente pas la moindre originalité (s'agissant de simples étagères en bois, constituant un simple assemblage de planches horizontales et verticales formant des casiers carrés superposés), et d'autre part, parce qu'il serait antériorisé de longue date et de toutes pièces ;

Considérant que les multiples documents versés aux débats par Demeyere montrent notamment :

- des ensembles unitaires (Systema 84/85, Tertio 3/S Suisses 1986, Fly 1982, 1990, 1993) formant des étagères " en escalier " constitués de cubes identiques 3 à la base, 2 sur la rangée intermédiaire, 1 au sommet,

- des assemblages de cubes indépendants identiques (Habitat 1979, 1985, Color Kit 84/85) disposés de la même manière " en escalier " : 3, 2, 1 ;

Considérant que les assemblages de cubes indépendants ci-dessus visés présentent très exactement la configuration extérieure du meuble Multicases (à 6 modules), et que les ensembles unitaires précédemment mentionnés ne s'en distinguent que par des détails de construction, le meuble Systema, ou certains meubles Fly étant faits de planches de pin entrecroisées dont les extrémités dépassent de quelques centimètres les parois des casiers en formant des sortes de pieds, les autres étant réalisés en plaques d'aggloméré stratifié qui, seulement dans le sens de la hauteur, dépassent aussi les parois des casiers ;

Considérant qu'Ozoo conteste la pertinence de ces documents en soutenant que : " si la forme géométrique était connue, les modalités d'assemblage, de positionnement et de présentation choisies par la société Ozoo France sont particulièrement novatrices et suffisent à elles seules à conférer au programme Multicases son originalité " ;

Mais considérant que l'appelante ne peut être suivie à cet égard alors que le droit d'auteur ne protège pas des procédés de réalisation technique mais seulement des créations de forme ; qu'Ozoo reconnaissant elle-même que " la forme géométrique (de Multicases) était connue " et n'invoquant pas de quelconques couleurs, graphismes ou matières, originaux seuls ou en combinaison (qui au demeurant ne sont pas perceptibles à l'examen des objets) les premiers juges doivent être approuvés d'avoir estimé que le meuble revendiqué ne portait pas l'empreinte de la personnalité de son créateur, et n'était pas protégeable par le droit d'auteur ;

Considérant que le moyen (dont la recevabilité en appel n'a pas été contestée) qui est tiré par Ozoo de la concurrence déloyale ne saurait davantage prospérer, alors que le meuble vendu par Demeyere se distingue du sien par ses dimensions (106 x 103 x 28 au lieu de 107 x 107 x 30) ainsi que par l'absence du panneau arrière qui, dans Multicases, doit être fixé au fond de l'un des casiers, qu'elle ne justifie pas des efforts particuliers dont sa concurrente aurait selon elle indûment tiré profit ; que d'ailleurs ne serait pas répréhensible le simple fait de s'inspirer du succès commercial d'un concurrent;

Considérant que dans les circonstances spécifiques au présent litige (en l'absence notamment " d'antériorité de toutes pièces " contrairement à ce que soutient l'intimée), la saisie pratiquée par Ozoo, qui a pu se méprendre de bonne foi sur la portée de ses droits, ne constitue pas un agissement fautif de nature à fonder le grief de concurrence déloyale invoqué par Demeyere au soutien de sa demande reconventionnelle ;

Considérant que le jugement sera en conséquence confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que l'équité ne commande pas qu'il soit fait droit aux demandes formées au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile par l'une ou l'autre partie, qui, succombant l'une et l'autre en quelque chef de leurs prétentions, supporteront chacune leurs dépens d'appel ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement entrepris ; Rejette toute autre demande, Laisse à chaque partie la charge de ses dépens d'appel.