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Décisions

CA Toulouse, 4e ch. soc., 13 novembre 1998, n° 97-02565

TOULOUSE

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Wynn's Automotive France (Sté)

Défendeur :

Moro

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Roger

Conseillers :

MM. Saint Ramon, Rimour

Avocats :

Mes Lasserre, Rey.

Cons. prud'h. Montauban, du 25 avr. 1997

25 avril 1997

Faits et procédure :

Patrick Moro a été embauché le 10 mai 1988 en qualité de VRP exclusif par une société reprise par Wynn's Automotive France le 1er janvier 1992.

Un nouveau contrat a été signé le 6 janvier 1993 et un avenant daté du 15 février 1996 a été proposé au salarié modifiant la rémunération, le secteur d'activité commerciale, une clause sur Peugeot Citroën et fixant les objectifs.

M. Moro a signé cet avenant avec la mention manuscrite suivante :

" Bon pour manuscrit de travail, acceptation ".

Le 22 mars 1996 il a indiqué de manière précise qu'il dénonçait cet avenant en raison des modifications qu'il comportait.

Le 17 avril 1996 l'employeur, accusant réception de la dénonciation de l'avenant au contrat de travail a réintégré Patrick Moro dans l'ancien système de rémunération tout en supprimant les primes mensuelles et annuelles qui lui étaient allouées.

Son objectif représentant une progression de 15,3 % a été maintenu ainsi que la clause concernant l'interdiction de travailler avec les concessions Peugeot Citroën.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 avril 1996, Patrick Moro a estimé que l'attitude de l'employeur s'analysait comme une rupture du contrat de travail à son initiative et qu'il se voyait dans l'impossibilité de poursuivre le contrat de travail, interruption qu'il subissait contraint et forcé.

Le 30 avril 1996 Moro a été convoqué à un entretien préalable à une mesure de licenciement fixée au 9 mai 1996.

Estimant que le contrat était déjà rompu le salarié a fait savoir qu'il n'entendait pas s'y rendre.

Il a fait l'objet d'un licenciement pour faute grave pour avoir abandonné toute activité commerciale ce qui constituait un abandon de poste et pour avoir refusé d'observer les instructions de la direction ce qui constitue un fait d'indiscipline.

Le 13 mai 1996, Patrick Moro a saisi le Conseil de Prud'hommes de Montauban qui par jugement du 25 avril 1997 a estimé que la rupture était imputable à l'employeur et que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et a alloué au salarié 150 000 F de dommages-intérêts, le montant du préavis, 84 900 F plus les congés payés y afférents.

La société Wynn's Automotive France a relevé appel de cette décision.

Moyens et prétentions des parties :

1°) Sur la légitimité du licenciement pour faute grave, l'employeur estime la lettre parfaitement motivée, souligne qu'elle visait des faits bien précis notamment l'abandon de poste, le refus d'observer les instructions de la direction et des faits manifestes d'indiscipline ; l'employeur reproche au Conseil de Prud'hommes de s'être limité à reprendre l'analyse faite par le salarié consistant à dire que l'employeur ayant notifié au salarié une modification substantielle de son contrat la rupture du contrat lui était imputable.

2°) Sur la modification du contrat du salarié, l'employeur affirme qu'il n'en existe aucune ; qu'en effet, aucune des primes mensuelles ou annuelles n'était prévue dans le contrat initial du salarié, ni dans les avenants ultérieurs ; qu'en réalité il s'est agi d'un rappel des conditions de rémunération antérieures à l'avenant dénoncé et non d'une remise en cause de conditions contractuelles initiales.

L'employeur affirme qu'il pouvait à loisir maintenir ou supprimer ces primes qui n'ont été allouées que certaines années en raison des résultats de l'entreprise ; que la décision de les supprimer ne pouvait en conséquence porter une atteinte au contrat de travail du salarié ; s'agissant de la suppression du réseau Peugeot, l'employeur affirme que le salarié ne disposait d'aucun droit acquis au démarchage de ce client qui résultait d'une politique globale de l'entreprise motivée dans l'avenant du 15 février 1996.

L'employeur explique la modification du contrat par un souci de simplification de la méthode de calcul des commissions et une meilleure gestion de l'entreprise.

Sur la gravité des faits allégués au soutien du licenciement, l'employeur fait valoir que Patrick Moro a reconnu expressément avoir cessé de travailler à compter du 25 avril 1996, la société Wynn's demande à la cour de constater que M. Moro n'a jamais contesté la réalité et le sérieux des faits fautifs invoqués.

L'employeur relève une erreur dans les sommes allouées par le Conseil de Prud'hommes estimant que le salaire moyen s'élevait à 27 874,08 F et que le Conseil de Prud'hommes ne pouvait alloué à titre de préavis au salarié une somme supérieure à 83 622 F.

L'employeur conteste formellement la demande d'indemnité de clientèle présentée par le salarié en indiquant que le Conseil de Prud'hommes l'a débouté de cette demande au motif qu'il ne rapportait pas la preuve de l'importance et de la valeur de la clientèle prétendument apportée ; l'employeur rappelle les règles légales ouvrant droit au salarié à cette indemnité, estime non établie la progression du chiffre d'affaires entre 700 KF trouvés lors de son entrée dans l'entreprise et 2 000 KF lors de sa sortie et fait valoir que la clientèle n'a pas été perdue pour le salarié puisqu'il travaille dans le même secteur.

3°) La société Wynn's Automotive présente une demande d'indemnisation pour concurrence déloyale en indiquant que le salarié a conservé par devers lui le ficher clients dont elle demande la restitution sous astreinte de 1 000 F par jour de retard et que depuis son départ il a exercé une activité concurrente de celle de la société Wynn's, démarchant pour le compte de la société Luprotec trois des secteurs qui étaient les siens à savoir les départements du Lot, du Tarn et du Tarn-et-Garonne ; la société Wynn's allègue une baisse importante du chiffre d'affaires depuis le départ de M. Moro et en attribue la responsabilité à l'action de ce dernier qui dispose du fichier clients et, jouant sur les apparences, place auprès de ses anciens clients les produits Luprotec aux lieu et place des produits Wynn's qu'il leur vendait antérieurement.

L'employeur estime ainsi que Moro, même en l'absence de clause de non-concurrence, procède à des actes de concurrence déloyale et sollicite à ce titre 10 000 F de dommages-intérêts par infraction constatée et 924 000 F de dommages-intérêts ainsi que 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Patrick Moro fait valoir que la société Wynn's avait modifié brutalement et unilatéralement un élément essentiel de son contrat de travail, à savoir sa rémunération ce qui constituait une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail qu'il ne pouvait accepter ; il fixe la rupture de son contrat de travail à la date du 25 avril 1996 et demande à la cour de juger que lorsque la société Wynn's a procédé à son licenciement, la rupture était acquise et définitive et avait été causée par la modification de son contrat de travail sans son accord.

Il fait valoir que cette modification aboutissait à une réduction de son salaire mensuel supérieure à 3 000 F, que cette réduction unilatérale sans son accord ne pouvait lui être imposée, que son licenciement est illégal et abusif et qu'il a été poussé à la rupture.

Il soutient que la cour n'a pas à analyser la validité du licenciement initié postérieurement par l'employeur et sollicite la confirmation du jugement entrepris qui lui a alloué 150 000 F de dommages-intérêts.

Patrick Moro sollicite une indemnité de clientèle en faisant valoir qu'il a considérablement développé son secteur depuis son embauche en 1988, que cette clientèle est perdue pour lui à raison de 70 %, que son salaire est inférieur de 10 000 F chez Luprotec à celui qu'il percevait chez Wynn's et qu'en conséquence il est bien-fondé à réclamer le paiement d'une indemnité de clientèle sur la base de deux ans de commissions à savoir 572 000 F sauf à la cour à ordonner, si elle l'estime souhaitable une expertise.

Patrick Moro produit l'ensemble des listings informatiques de l'année 1995 démontrant qu'il a réalisé un chiffre d'affaires de 2 000 000 F alors qu'il était de 700 000 F lorsqu'il est arrivé dans la société.

Sur le troisième point tendant à le condamner à une indemnité de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, Patrick Moro réplique qu'il n'avait aucune clause d'interdiction de concurrence ; qu'il n'avait aucune raison de préparer son départ à la concurrence alors qu'il a perdu environ 100 000 F net de revenu annuel ; que le fait qu'il ait été embauché à compter du 2 mai 1996 chez Luprotec n'est nullement susceptible de constituer un aveu de concurrence déloyale, puisque se trouvait libéré de toute obligation à l'égard de Wynn's depuis le 25 avril 1996.

Il fait valoir qu'il était âgé de 38 ans, qu'il avait deux enfants à charge et qu'il ne pouvait rester sans rémunération postérieurement au 25 avril 1996 et il conclut en conséquence au débouté pur et simple de la société Wynn's qui est au surplus responsable de sa baisse de chiffre d'affaires alors que du 30 avril jusqu'au 30 septembre 1996 elle n'a mis aucun autre vendeur sur son secteur et n'a visité ni contacté les clients directs et indirects ainsi qu'il en justifie.

Patrick Moro relève le " turn-over " rapide existant au sein de la société Wynn's et souligne que pendant ses sept années d'activité il a connu quatre directeurs généraux différents, quatre directeurs commerciaux, quatre chefs de vente et a subi quatre contrats de rémunération différents.

Reprochant à l'employeur la valse des salariés, le salarié conclut au débouté de toutes ses demandes et à la confirmation du jugement entrepris et conteste formellement avoir conservé un quelconque fichier indiquant qu'il a seulement conservé par devers lui un double de chaque commande, ce qui est normal et légal.

Patrick Moro sollicite la condamnation de la société Wynn's au paiement de la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Motifs de la décision :

1°) Sur le licenciement :

Attendu que la cour se doit d'examiner tout d'abord les causes de la rupture chronologiquement intervenue le 27 avril 1996 ; qu'en effet c'est seulement dans l'hypothèse où aucune modification du contrat de travail de Patrick Moro n'a eu lieu, qu'elle aura à examiner les circonstances du licenciement survenu postérieurement.

Attendu, sur la modification d'un élément essentiel du contrat de travail, qu'il convient de considérer que la rémunération du salarié résulte de composantes qui doivent être examinées dans leur ensemble afin de déterminer si l'employeur a modifié le résultat du salaire mensuel, qui est un élément essentiel du contrat de travail.

Attendu que les avenants proposés à Moro le 15 février 1996 après son premier refus comportent deux changements maintenus : le retrait du réseau PSA et une augmentation des objectifs - qui tient compte de ce retrait - de 16 %.

Attendu, sur ce point, que la clause d'extension ou de restriction commerciale ne vise pas l'hypothèse d'une interdiction de prospecter certains clients mais la suppression ou l'extension de la gamme des produits ; que l'usage en la matière dans l'entreprise consistait jusqu'alors à négocier avec le salarié une indemnité compensatrice du chiffre d'affaires qu'il perd.

Attendu que contrairement à cet usage par ailleurs répandu dans la profession, l'employeur a procédé à la suppression des primes mensuelles et annuelles qu'il percevait pour la quatrième année consécutive et n'a proposé au salarié aucune compensation pécuniaire de la perte de salaire consécutive à l'interdiction de prospecter le réseau PSA.

Attendu que la suppression de ces primes, si elle a concerné l'ensemble de la force de vente, ne pouvait être reprochée à l'employeur ; qu'en effet elle ne figurait pas dans le contrat de travail initial et que l'avenant qui l'avait instituée le 10 janvier 1993 comportait la mention suivante : " cet avenant est conçu pour une période ferme s'achevant le 31 décembre 1993 et ne pourra en aucun cas faire l'objet d'une reconduction tacite ; par conséquent, sauf signature d'un nouvel avenant l'article 4 du contrat initial reprendra tous ses effets au 1er janvier 1994, toutes les autres stipulations de l'article 4 demeurent inchangées ".

Mais attendu qu'il résulte des bulletins de salaire que les primes annuelles étaient allouées depuis au moins l'année 1992 et que les primes mensuelles ont été réglées durant les années 1993, 1994 et 1995 à l'ensemble de la force de vente malgré l'annonce qui avait été faite de leur suppression pour l'année 1994.

Mais attendu que c'est à Moro et à Moro seul que ces primes ont été supprimées ; que cette suppression s'analyse en une mesure discriminatoire prise à son encontre en représailles contre son refus d'accepter la modification proposée ; que dès lors cette suppression constitue un abus du droit de l'employeur et leur montant doit entrer en compte dans l'appréciation de la modification de sa rémunération.

Attendu que l'ensemble des mesures contenues dans les deux avenants de février 1996 : suppression du réseau PSA, augmentation des objectifs de 16 %, suppression des primes annuelles et mensuelles, constituent bien la modification essentielle du contrat de travail de Moro puisqu'il avait perçu en 1995 au titre des ventes PSA la somme de 22 080 F soit 1 840 F par mois et celle de 33 800 F au titre des primes soit 2 816 F par mois, ce qui donne un total de 4 656 F par mois.

Attendu dès lors qu'il était bien fondé à constater la rupture de son contrat de travail aux torts de l'employeur ; qu'en effet, la rupture consécutive au refus du salarié d'accepter la modification s'analyse en un licenciement qui, en l'absence de motifs invoqués par l'employeur dans une lettre de licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Attendu que le licenciement survenu postérieurement est sans effet sur un contrat de travail dont la rupture était déjà intervenue ; qu'il n'y a donc pas lieu d'examiner les griefs allégués par l'employeur dans sa lettre du 13 mai 1996.

Qu'il convient, ainsi que l'ont fait les premiers juges d'allouer à Patrick Moro la somme de 150 000 F de dommages-intérêts ainsi que le préavis et les congés payés y afférents.

2°) Sur l'indemnité de clientèle :

Attendu qu'il est établi par les documents produits par le salarié qu'il a augmenté en nombre de clients et en chiffre d'affaires de manière importante l'activité de la société Wynn's, que la société le reconnaît elle-même dans sa correspondance pour certaines des années concernées.

Mais attendu que Moro n'a pas perdu le bénéfice de cette clientèle qu'il continue à démarcher ; que quels que soient les résultats actuels de sa prospection, puisqu'il a gagné en 1997 la somme de 222 437 F alors qu'il gagnait en 1995 celle de 351 702 F, la différence ne suffit pas à lui permettre de prétendre à une indemnité de clientèle dont une des principales conditions n'est pas remplie ; qu'il doit être en conséquence débouté de sa demande en paiement d'une indemnité de clientèle.

3°) Sur l'appel incident :

Attendu que la société n'établit par aucun document comptable incontestable la baisse de son chiffre d'affaires sur le secteur de M. Moro et ne produit aucun élément permettant à la cour de vérifier l'allégation selon laquelle il se livrerait à des actes de concurrence déloyale en entretenant auprès de la clientèle une confusion entre les produits distribués par son ancien et son nouvel employeur au seul bénéfice de ce dernier ; que n'étant lié par aucune clause de non-concurrence, seuls des faits caractérisés de concurrence déloyale tels des manœuvres dolosives pourraient justifier de la demande de dommages-intérêts formée par la société Wynn's; qu'à défaut de ces éléments la société Wynn's Automotive France doit être déboutée de son appel incident.

Attendu que l'employeur ne démontre en aucune manière que le salarié soit encore détenteur d'un quelconque fichier de clients ; qu'il convient de débouter la société Wynn's Automotive France de sa demande de restitution.

Attendu, sur la modification du montant du préavis, qu'il résulte des bulletins de salaire que durant l'année 1995 Patrick Moro a perçu un salaire de 29 308 F par mois ; que pour les quatre premiers mois de 1996 ce salaire ne s'est plus élevé qu'à la somme de 24 184 F ; que néanmoins les difficultés ont commencé au mois de février, et le mois d'avril n'est pas complet ; qu'il convient dès lors de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris.

Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de Patrick Moro ceux des frais non compris dans les dépens dont il a fait l'avance ; qu'il convient de lui allouer à ce titre la somme de 10 000 F.

Par ces motifs : Confirme en toutes ses dispositions le jugement entrepris. Déboute les parties de toutes leurs demandes, fins et conclusions. Condamne la société Wynn's Automotive France à payer à Patrick Moro une somme supplémentaire de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile. Condamne la société Wynn's Automotive France en tous les dépens.