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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 30 octobre 1998, n° 1995-15306

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Biologie Végétale Yves Rocher (SA)

Défendeur :

Laboratoires Asepta SAM (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Mandel

Avoués :

SCP Fisselier Chiloux Boulay, Me Huyghe

Avocats :

Mes Brunot, Peignard.

T. com. Paris, 2e ch., du 2 mai 1995

2 mai 1995

LA COUR statue sur l'appel interjeté par la société Yves Rocher d'un jugement rendu le 2 mai 1995 par le Tribunal de commerce de Paris dans un litige l'opposant à la société Laboratoires Asepta, ci-après société Asepta.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

La société Asepta est notamment titulaire de la marque " Coup d'Eclat ", régulièrement enregistrée le 26 octobre 1977 sous le n° 1031376. Elle expose qu'elle veille à la protection de cette marque et qu'elle a inventé diverses actions en justice visant à la défendre contre toute atteinte.

Reprochant à la société Yves Rocher d'avoir en septembre 1991 fait utilisation de la marque Coup d'Eclat (sous la forme de l'expression " Coup d'éclat en un clin d'oeil ") dans l'une des publicités qu'elle avait fait publier pour son mascara ", la société Asepta a tout d'abord intenté une action en référé pour contrefaçon devant le Tribunal de grande instance de Créteil, dont elle a été déboutée. Elle a également été déboutée au fond par jugement du même tribunal rendu le 24 mars 1992, confirmé en appel le 17 mars 1994. Le pourvoi formé par la société Asepta contre l'arrêt de la Cour d'appel de Paris a été rejeté par arrêt de la Cour de cassation en date du 15 octobre 1996 aux motifs qu'en " retenant, par motifs propres et adoptés que l'expression Coup d'Eclat employée avec une autre expression servant à la définition de la qualité du produit vendu et ne désignant pas le produit lui-même, et en déduisant que dans cette locution l'expression Coup d'Eclat perdait son individualité et son pouvoir distinctif propre, la Cour d'appel a pu rejeter l'action fondée sur la contrefaçon de la marque ".

La société Asepta a fait assigner la société Yves Rocher en concurrence déloyale et parasitaire, devant le Tribunal de commerce. Elle réclamait que son adversaire soit condamné à lui payer la somme de 1 000 000 F (sauf à parfaire) à titre de dommages-intérêts et qu'il soit prononcé contre lui des mesures d'interdiction sous astreinte et de publication.

La société Yves Rocher a conclu au débouté des demandes formées par la société Asepta, faisant essentiellement valoir que la société Asepta ne rapportait pas la preuve d'agissements constitutifs de concurrence déloyale différents de ceux sur lesquels reposait sa demande au titre de la contrefaçon et qu'en tout état de cause, elle n'avait pas utilisé la marque Coup d'Eclat seul mais dans le cadre d'expression " Coup d'Eclat en un clin d'oeil ", et en association avec la photographie d'une jeune femme.

Les premiers juges ont retenu que la société Yves Rocher avait " utilisé sans droit et donc déloyalement l'expression " Coup d'Eclat " dans le cadre de la phrase " Coup d'Eclat en un clin d'oeil ", alors qu'une recherche d'antériorité lui aurait facilement révélé que cette expression avait été déposée à titre de marque ".

Ils sont en conséquence fait interdiction à la société Yves Rocher d'utiliser l'expression Coup d'Eclat, que ce soit seule ou dans le cadre d'une phrase comportant d'autres mots dans sa publicité et l'ont condamné à payer à la société Asepta la somme de 1 F à titre de dommages-intérêts outre celle de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

La société Yves Rocher poursuit la réformation de cette décision. Elle fait valoir que les premiers juges n'ont pas répandu à la première partie de son argumentation relative à l'absence de faits distincts de ceux vainement invoqués par Asepta au titre de la contrefaçon. Elle soutient que les demandes de son adversaire sont mal fondées, en l'absence de risque de confusion. Reconventionnellement l'appelante réclame la somme de 200 000 F pour procédure abusive.

La société Asepta conclut à la confirmation sauf en ce qui concerne le quantum des dommages-intérêts qu'elle demande d'élever à la somme de 1 000 000 F.

Chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que la société Asepta fait valoir en appel que les faits fautifs distincts sur lesquels elle se fonde, consistent en la création d'un risque de confusion dans l'esprit de la clientèle des deux sociétés concurrentes ; qu'elle caractérise la faute commise par le fait que la phrase litigieuse " Coup d'Eclat en un clin d'oeil " apparaîtrait en caractères beaucoup plus gros que les autres inscriptions alors que la marque Yves Rocher ne figurerait qu'en caractères réduits et principalement au bas de l'affiche ; que l'intimée ajoute que " l'utilisation indue de la marque Coup d'Eclat par la société Yves Rocher aurait eu lieu alors qu'elle-même présentait à la vente un " mascara " ;

Mais considérant qu'en l'espèce la société Yves Rocher a utilisé dans le cadre d'une publicité présentant un produit de maquillage pour les yeux la mention suivante figurant dans la partie droite de la publicité : " Coup d'éclat en un clin d'oeil ", mention inscrite en vert et suivie du prix en gros caractères de couleur rouge puis de la référence à la marque Yves Rocher ; que dans l'autre partie de la publicité figure la photographie d'une jeune personne en train de se brosser les cils avec ce qui apparaît, compte tenu des produits photographiés figurant également sur cette publicité, comme devant être le mascara Yves Rocher ;

Considérant que dans ces conditions, le jugement essentiellement fondé sur une référence à la marque qui était hors propos dans le présent litige, ne saurait être maintenu ; qu'en effetles éléments précédemment mentionnés ne font pas apparaître de risque de confusion entre les deux sociétés dans l'esprit de la clientèle qui a sous les yeux de façon suffisamment lisible et claire l'indication de la marque Yves Rocher par deux fois dans le prospectus publicitaire; qu'en réalité d'ailleurs les éléments - la reprise des termes " coup d'éclat " - allégués par Asepta, ne constituent pas des faits distincts de ceux qu'elle avait invoqués sans succès au soutien de sa demande en contrefaçon; qu'Asepta sera donc déboutée de sa demande ;

Considérant que la demande pour procédure abusive formée par la société Yves Rocher qui a succombé en première instance sera rejetée ;

Considérant que l'équité commande cependant d'allouer à l'appelante une indemnité de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

Par ces motifs : Réforme le jugement déféré ; Statuant à nouveau et ajoutant : Déboute la société Asepta de sa demande formée au titre de la concurrence déloyale et parasitaire ; La condamne à payer à la société Yves Rocher la somme de 20 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Rejette le surplus des demandes ; Condamne la société Asepta aux dépens ; Admet la SCP Fisselier Chiloux Boulay au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.