Livv
Décisions

CA Aix-en-Provence, 2e ch., 15 octobre 1998, n° 94-19714

AIX-EN-PROVENCE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Robaut Prestations (SARL)

Défendeur :

Compagnie Générale de Pompes Funèbres (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Dragon

Conseillers :

MM. Isouard, Semeriva

Avoués :

SCP Latil, SCP Blanc-Amsellem-Mimran

Avocats :

Mes Savoret, Lestrade.

T. com. Nice, du 5 août 1994

5 août 1994

Exposé du litige :

Le 1er février 1993, Monsieur Olivier Robaut a créé avec d'autres membres de sa famille la société Robaut Prestations (la société Robaut) entreprise de pompes funèbres dont l'activité s'exerce essentiellement dans la région niçoise. Cette société a engagé Monsieur Patrick Robaut. Messieurs Olivier et Patrick Robaut étaient d'anciens salariés de la société AFM, entreprise concurrente, et leur contrat de travail stipulait une clause de non-concurrence.

Par jugement du 5 août 1994, le Tribunal de commerce de Nice, après avoir retenu une participation à la violation de la clause de non-concurrence et l'édition d'un prospectus publicitaire prêtant à la confusion, a condamné la société Robaut à payer à la société AFM la somme de 500 000 F de dommages et intérêts, lui a ordonné de modifier son message publicitaire afin d'éviter toute confusion avec la société AFM sous astreinte de 500 F par jour et a autorisé la publication de sa décision dans un journal d'annonces légales aux frais de la société Robaut.

Le 29 septembre 1994, la société Robaut a interjeté appel de ce jugement.

Elle conteste sa complicité pour violation des clauses de non-concurrence soutenant que Messieurs Olivier et Patrick Robaut se trouvaient déliés de cette clause car la société AFM ne leur avait pas réglé la contrepartie financière convenue. Elle demande le sursis à statuer jusqu'à ce que le Conseil des Prud'hommes se soit prononcé sur la validité de ces clauses soulignant que, par jugement du 21 décembre 1995 certes frappé d'appel, le Conseil de Prud'hommes de Nice saisi par Monsieur Olivier Robaut a estimé que la clause de non-concurrence n'était pas applicable.

Elle nie aussi avoir créé une confusion dans l'esprit des clients avec la société AFM et toute similitude entre son logo et celui de son adversaire.

Elle allègue également que la société AFM ne justifie pas de la réalité du préjudice qu'elle invoque, la diminution de son chiffre d'affaires résultant des restructurations qu'elle a connues et de la disparition du monopole en matière de pompes funèbres.

Elle sollicite le sursis à statuer sur la prétendue violation de la clause de non-concurrence, le rejet des autres prétentions de la société AFM et sa condamnation à lui payer la somme de 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 30 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

La Compagnie Générale de Pompes Funèbres (la CGPF) qui vient aux droits de la société AFM par fusion absorption, formant appel incident, conclut à la condamnation de la société Robaut à lui payer les sommes de :

- 1 299 193 F à titre de dommages et intérêts en réparation de la perte financière subie,

- 2 000 000 F de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral et de l'atteinte à la marque,

- 15 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Elle prétend que la violation de la clause de non-concurrence par la société Robaut résulte de l'embauche par elle en connaissance de cause de deux salariés liés par une clause de non-concurrence et que c'est à bon droit que le Tribunal de commerce qui n'avait pas à apprécier la validité de cette clause a constaté l'infraction.

Elle reproche à la société Robaut l'édition d'un prospectus publicitaire laissant croire qu'elle se situe dans la continuité des anciennes activités de Messieurs Olivier et Patrick Robaut lorsqu'ils étaient salariés de la société AFM et par là créant une confusion chez la clientèle.

Elle prétend aussi que la société Robaut utilise un logo similaire au sien.

Elle argue de la réalité de son préjudice, la part de marché perdue correspond à celle prise par son adversaire.

Motifs de la décision :

La recevabilité de l'appel n'est pas contestée et rien dans le dossier des parties ne conduit la Cour à la décliner d'office.

1 - Sur la violation de la clause de non-concurrence :

L'employeur, qui embauche un salarié en connaissant la clause de non-concurrence qui lie ce dernier à son ancien employeur, l'aide à enfreindre les obligations contractuelles pesant sur lui et commet à l'égard de cet ancien employeur, victime de cet acte, une faute délictuelle.

Vainement, la société Robaut soutient-elle que seule la juridiction du travail se trouve compétente pour apprécier la violation d'une telle clause et qu'il convient de surseoir à statuer jusqu'à ce qu'elle se soit prononcée que la réalité de l'infraction.

En effet, l'article L. 511-1 du Code du travail instaure la compétence exclusive des conseils de Prud'hommes pour les différends nés à l'occasion du contrat de travail entre employeurs et leurs salariés. En l'espèce, le litige oppose la CGPF non pas à Messieurs Olivier et Patrick Robaut, ses anciens salariés, mais à la société Robaut. Il s'agit d'un conflit entre deux sociétés commerciales qui relève de la compétence du Tribunal de commerce même si un des moyens fondant les prétentions est relatif à un contrat de travail.

Si le nouvel employeur ne peut pas, pour se soustraire à sa responsabilité, invoquer le seul caractère litigieux de la clause de non-concurrence, par contre le Tribunal de commerce ne peut retenir sa faute en constatant seulement la stipulation d'une telle clause au contrat de travail de son salarié.

Il appartient à cette juridiction saisie d'une contestation concernant la validité de ladite clause de trancher le différend et de rechercher si elle s'avère applicable et par là, si ce nouvel employeur s'est rendu complice de sa violation.

La convention collective nationale des pompes funèbres prévoit en son article 223-3 une indemnité spécifique au profit des salariés astreints au respect d'une clause de non-concurrence après la rupture du contrat de travail.

La CGPF ne conteste pas ne pas avoir réglé cette indemnité à Messieurs Olivier et Patrick Robaut. Elle n'invoque aucun fait qui l'aurait dispensée de ce versement.

En ne payant pas à Messieurs Olivier et patrick Robaut l'indemnité prévue par la convention collective, elle a manqué à son obligation. En conséquence ceux-ci se sont trouvés déliés de leur obligation de non-concurrence.

Ainsi la CGPF ne peut fonder son action en concurrence déloyale sur une complicité de violation de la clause de non-concurrence.

2 - Sur la confusion créée par le prospectus publicitaire :

La société Robaut édite un prospectus publicitaire en trois volets imprimés recto-verso.

La première page mentionne " Depuis 1925, une famille toujours au service des familles ".

La page 2 sous le titre " Historique d'un engagement " indique " Dans l'esprit de son créateur, Joseph Robaut, elle entend continuer à détenir les attentions particulières à l'accomplissement de sa mission " et " Elle souhaite poursuivre cette action dans une dimension humaine et servir par son expérience et sa disponibilité, tous ceux qui sont concernés par les différentes démarches touchant ce domaine particulier ".

Les pages 3 et 4 contiennent les différentes prestations offertes et ne font l'objet d'aucune remarque particulière.

Figurent en page 5 sous le titre " L'équipe aujourd'hui " les noms et les photographies de Messieurs Olivier Robaut, Patrick Robaut, Charles Robaut et Gaston Robaut.

A la page 6 se trouve l'adresse avec plan de la société Robaut.

Ce dépliant ne contient aucune allusion à la société AFM et aucun élément ne suggère un lien entre cette société et la société Robaut.

La présentation des quatre principaux collaborateurs de cette société et le rappel qu'ils appartiennent à une famille qui, depuis 1925, œuvre dans le domaine des pompes funèbres, fait dont la véracité n'est pas contestée, correspond à une démarche normale d'une entreprise qui indique ses animateurs et souligne leur expérience.

L'acquisition de celle-ci auprès d'un tiers qui ne se trouve pas cité, ne saurait empêcher de faire état de son existence.

Les phrases du dépliant qui indiquent que la société Robaut " entend continuer à détenir les attentions particulières... " et " souhaite poursuivre cette action... " ne font que souligner cette expérience et les possibilités qu'elle offre.

En l'absence de toute référence à la société AFM elles ne peuvent laisser croire à la clientèle que la société Robaut continue les activités de cette société.

C'est à tort que la société CGPF reproche à Messieurs Robaut de ne se démarquer en aucun cas de leur ancienne activité et ne mentionner en rien être devenus totalement indépendants des anciennes structures de la société AFM.

En effet, s'ils avaient l'obligation de ne pas créer une confusion avec leur ancien employeur rien ne les obligeait d'énoncer de manière expresse la rupture de leurs liens avec celui-ci, sauf si cette précision s'avérait nécessaire pour empêcher ladite confusion. D'ailleurs une telle indication risquait d'être délicate à formuler car elle devait éviter d'apparaître en même temps comme une continuation de l'activité de la société AFM et comme un dénigrement de celle-ci.

Ainsi, le prospectus publicitaire ne crée aucune confusion entre la société AFM ou une autre entreprise de pompes funèbres appartenant au même groupe qu'elle.

3 - Sur l'imitation du logo :

La CGPF ne verse pas aux débats son logo ou celui qu'aurait utilisé la société AFM.

Aucune comparaison n'est possible avec l'emblème employé par la société Robaut.

Ce grief ne peut être retenu.

En conséquence, l'infirmation du jugement s'impose et la CGPF doit être déboutée de ses demandes.

La société Robaut ne caractérise pas le comportement fautif de son adversaire ni ne cerne son préjudice. Elle doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts.

Succombant à l'instance, la CGPF doit être condamnée à payer à la société Robaut la somme de 10 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, reçoit l'appel, infirme le jugement du 29 septembre 1994 du Tribunal de commerce de Nice, statuant à nouveau, déboute la Compagnie Générale de Pompes Funèbres de ses demandes, déboute la société Robaut Prestations de sa demande en dommages et intérêts, condamne la Compagnie Générale de Pompes Funèbres aux dépens et autorise la SCP d'avoués Latil à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.