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Décisions

CA Paris, 5e ch. C, 9 octobre 1998, n° 1997-16402

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Ardouin, Nana (SARL), Le Dosseur (ès qual.), SCP Silvestri Baujet (ès qual.)

Défendeur :

Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Desgrange

Conseillers :

Mme Cabat, M. Betch

Avoués :

Mes Blin, Cordeau

Avocat :

Me Berhault.

T. com. Paris, 2e ch., du 13 juin 1995

13 juin 1995

LA COUR statue sur l'appel formé par Madame Ardouin et la société à responsabilité limitée Nana d'un jugement assorti de l'exécution provisoire, rendu le 13 juin 1995 par le tribunal de Commerce de Paris, qui les a condamnées solidairement à payer à la société anonyme Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles, la somme de 50 000 F à titre de manquement à l'interdiction d'utiliser l'enseigne " Joséphine Fisse ", celle de 75 000 F à titre de dommages-intérêts au taux légal à compter du 9 juin 1994, ainsi que celle de 50 000 F fixée en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, et qui a dit que Madame Ardouin et la société Nana devront cesser l'utilisation des dénominations " Joséphine Fisse et " J. Fisse " dans les trente jours du présent jugement sous astreinte de 50 000 F par infraction constatée et ce pendant trente jours.

La Cour se réfère pour l'exposé des faits et de la procédure à la relation exacte qu'en ont fait les Premiers Juges ;

Il suffit de rappeler que le litige porte sur des faits de concurrence déloyale et parasitaire et sur l'utilisation d'une enseigne commerciale dont les premiers juges ont admis la réalité en retenant les agissements de Madame Ardouin et la société Nana qui ont commercialisé dans leurs boutiques à l'enseigne " Joséphine Fisse ", enseigne qu'elles s'étaient engagées à ne plus utiliser, des vêtements créant dans l'esprit de la clientèle une confusion avec ceux créés et distribués par la société Sonia Rykiel.

Appelantes, Madame Ardouin et la société Nana soutiennent qu'elles se sont engagées à ne pas utiliser l'enseigne " Joséphine Fisse " mais qu'elles restent libres d'utiliser la dénomination sociale " Joséphine Fisse " ou "J. Fisse ", le nom commercial et l'enseigne étant deux éléments distincts du fonds de commerce. Elles affirment n'avoir commis aucun acte de concurrence déloyale ou parasitaire à l'égard de la société Sonia Rykiel, les vêtements créés par cette dernière comportant des éléments communs à de nombreux vêtements produits à la même époque.

Aussi prient-elles la Cour, après confirmation du jugement entrepris, de condamner la société Sonia Rykiel à verser à Madame Ardouin et à la société Nana la somme de 1 000 000 F chacune soit un total de 2 000 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive, dénigrement et atteinte à leur réputation commerciale outre celle de 75 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Par jugement prononcé le 20 février 1997, le tribunal de Commerce de Paris a prononcé la liquidation judiciaire de Madame Ardouin, Maître Le Dosseur étant désigné mandataire liquidateur.

Par jugement prononcé le 19 février 1997, le tribunal de Commerce de Bordeaux a prononcé la liquidation judiciaire de la société Nana, la SCP Silvestri Baujet étant désigné mandataire liquidateur.

Maître Le Dosseur et la SCP Silvestri Baujet ont été assignés et réassignés en intervention forcée.

Maître Le Dosseur a repris l'instance et a demandé à la Cour de lui adjuger les conclusions signifiées par Madame Ardouin.

La SCP Silvestri Baujet n'ayant pas conclu, il sera statué par arrêt réputé contradictoire.

La société Sonia Rykiel intimée, objecte que Madame Ardouin a fait de mauvaise foi une utilisation de la dénomination " Joséphine Fisse " comme une enseigne. Elle affirme que la reprise systématique de tous les éléments propres aux vêtements Sonia Rykiel font que ces vêtements vendus par Madame Ardouin et la société Nana en sont la copie quasi-servile et que le risque de confusion est d'autant plus grand que la boutique de Madame Ardouin et la boutique Sonia Rykiel à Bordeaux sont voisines ; elle expose que les méthodes de Madame Ardouin et de la société Nana tendant à détourner une clientèle habituée à Sonia Rykiel ont entraîné une baisse des ventes de celle-ci, qui a également subi un préjudice moral le lancement sur le marché de copies entraînant une banalisation de la marque notoire de Sonia Rykiel.

Elle conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré et eu égard aux procédures de liquidation judiciaire dont font l'objet Madame Ardouin et la société Nana, demande à la Cour de fixer la créance de la société Sonia Rykiel à l'égard de Madame Ardouin et de la société Nana aux sommes de :

- 50 000 F au titre de leur manquement à l'interdiction d'utiliser l'enseigne " Joséphine Fisse " ;

- 75 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, avec intérêts au taux légal à compter du 9 juin 1994, date de la demande en justice,

- 50 000 F au titre des frais irrépétibles engagés en première instance,

- 50 000 F au titre des frais irrépétibles engagés devant la Cour.

Elle sollicite la confirmation du jugement qui a ordonné sous astreinte à Madame Ardouin et à la société Nana de cesser toute utilisation des dénominations " Joséphine Fisse ".

Sur ce, LA COUR :

Considérant que les deux parties conviennent de l'existence de relations de collaboration étroite ayant existé entre elles jusqu'à l'époque où la société Sonia Rykiel a reproché à Madame Ardouin et à la société Nana le non-respect d'une clause de réinstallation et des actes de concurrence déloyale.

Considérant qu'il résulte des pièces introduites que Madame Ardouin qui exploitait divers commerces de prêt-à-porter de luxe à Paris, Saint-Tropez, Toulouse et Bordeaux, a bénéficié pour la boutique de Bordeaux, située 51 Cours George Clémenceau, placées sous l'enseigne " Joséphine Fisse " dont elle était propriétaire, du contrat d'affilié Sonia Rykiel, l'autorisant à se fournir en produits de la marque Sonia Rykiel et à les commercialiser ; qu'en 1992, la société Sonia Rykiel se trouvant créancière de l'exploitation commerciale de Madame Ardouin, a racheté à Madame Ardouin sa boutique à Bordeaux pour le prix de quatre millions de francs payé au comptant ; que la cession du fonds de commerce est intervenue selon contrat du 9 février 1993 comportant une clause de non-concurrence, Madame Ardouin s'interdisant formellement d'exploiter directement ou indirectement un fonds de commerce de vente de vêtements de prêt-à-porter de luxe dans la région bordelaise pendant une durée de deux ans, à compter de la cession du fonds ; qu'il était prévu que Madame Ardouin pourrait poursuivre son activité dans le cadre de la société à responsabilité Nana située 17 rue de Lafaurie Monbadon à Bordeaux mais qu'elle s'engageait pour le compte de cette société et celui de son fils Jean-Marie Fisse et pour toutes autres personnes morales, à ne pas utiliser dans le même territoire, à l'occasion de l'une quelconque de ses activités l'enseigne " Joséphine Fisse ", ainsi qu'à ne pas vendre de vêtements dégriffés ou ayant été dégriffés Sonia Rykiel.

Considérant qu'en mai 1993, Madame Ardouin a ouvert une boutique de vêtements à Bordeaux au 68 Cours Georges Clémenceau par l'intermédiaire de la société Nana, dont elle est gérante associée, après avoir fait étendre le 18 décembre 1992 l'objet social de la société Nana au prêt-à-porter de luxe ; que cette initiative prise par Madame Ardouin quelques jours seulement avant la signature, le 9 février 1993, de l'acte de cession de son fonds de commerce, situé 51 Cours Georges Clémenceau à Bordeaux à la société Sonia Rykiel qui a été assorti de son engagement de ne pas exploiter dans la région bordelaise, directement ou indirectement un fonds de commerce de vente de vêtements de prêt-à-porter de luxe, traduit sa volonté de mettre en place, dès ce moment, les éléments d'une concurrence déloyale manifestée par le non-respect, des engagements contractuels pris à l'égard de la société Sonia Rykiel.

Considérant qu'ayant fait constater qu'en mai 1993, Madame Ardouin s'était installée dans une boutique située 68 Cours Georges Clémenceau à Bordeaux, en face du fonds cédé le 9 février 1993, et y vendait des vêtements constituant une imitation illicite des siens, la société Sonia Rykiel a reproché à Madame Ardouin de ne pas respecter les stipulations contenues dans l'acte de cession du fonds, en reprenant une activité commerciale de vente de prêt-à-porter de luxe au mépris de la clause de non-concurrence qu'il comportait, en utilisant les dénominations " Joséphine Fisse " et " J. Fisse " dans l'exercice de son activité et en vendant des vêtements présentant une telle ressemblance avec ceux créés par la société Sonia Rykiel qu'ils provoquaient une confusion dans l'esprit de la clientèle.

Considérant que Madame Ardouin et la société Nana reprochent aux premiers juges de les avoir condamnés sous astreinte à cesser toute utilisation des dénominations " Joséphine Fisse " et " J. Fisse ", en méconnaissant les termes de l'acte de cession du fonds de commerce signé le 9 février 1993, qui comporte l'engagement de Madame Ardouin de ne pas utiliser l'enseigne dénommée " Joséphine Fisse" mais ne contient aucune disposition relative à la dénomination commerciale.

Considérant que l'argumentation tirée de la distinction entre nom commercial et enseigne, sur laquelle se fondent les appelantes pour critiquer le jugement, est inopérante dans la mesure où Madame Ardouin a sciemment utilisé la dénomination commerciale " Joséphine Fisse " comme un élément permettant, au même titre que l'enseigne, d'individualiser son établissement et de rallier la clientèle ; qu'en effet sont mis aux débats divers documents desquels il résulte que Madame Ardouin a sciemment utilisé, pour commercialiser du prêt-à-porter de luxe dans la boutique de la société Nana installée au 68 Cours Georges Clémenceau, la dénomination " Joséphine Fisse ", bien connue à Bordeaux et non pas celle de la société Nana que personne ne connaissait ; qu'une publicité rédactionnelle parue dans le journal Glamour en octobre 1993 fait état d'une antenne " Joséphine Fisse " 68 rue Georges Clémenceau à Bordeaux où est vendu le prêt-à-porter de luxe, de marque " Jill Sander " ; que cette pratique démontre que Madame Ardouin a utilisé la dénomination " Joséphine Fisse " comme une enseigne au mépris de l'engagement qu'elle avait pris lors de la cession de son fonds racheté par la société Sonia Rykiel de ne pas de reconvertir directement ou indirectement dans le prêt-à-porter de luxe dans la zone contractuellement stipulée à l'acte de cession du fonds.

Considérant que l'utilisation abusive de la dénomination commerciale " Joséphine Fisse " dans les conditions qui viennent d'être exposées a créé pour la société Sonia Rykiel un trouble à la jouissance paisible du fonds de commerce à l'enseigne " Joséphine Fisse " qu'elle avait acquis de Madame Ardouin malgré toutes les précautions utiles pour se prémunir des agissements de celle-ci ; que la Cour dispose ainsi des éléments pour fixer à 50 000 F la somme qui sera allouée à la société Sonia Rykiel en réparation du préjudice né de cette utilisation ; que la Cour confirme les dispositions du jugement relatives aux modalités de l'astreinte prévue pour la cession de toute utilisation des dénominations " Joséphine Fisse " et " J. Fisse " par Madame Ardouin et la société Nana.

Considérant que pour critiquer la décision des premiers juges qui ont retenu des faits de concurrence déloyale et parasitaire à leur encontre, Madame Ardouin et la société Nana soutiennent que la société Sonia Rykiel se prévaut à tort de l'imitation fautive de ses signes distinctifs ; qu'elles affirment que de nombreux vêtements présentent des éléments prétendument caractéristiques des vêtements Sonia Rykiel et que la société Sonia Rykiel se serait rendue coupable de contrefaçon d'un châle à pompons dont le modèle a été déposé par la société France Pohl dont le styliste est la société Viva Paquita fournisseur de la société Nana.

Considérant que s'agissant de la prétendue contrefaçon dont se serait rendue coupable la société Sonia Rykiel s'agissant de châles, la Cour ne pourra qu'écarter cette argumentation en relevant que Madame Ardouin se borne à produire un certificat de dépôt de modèle mentionnant sans autre précision un châle, alors que la lettre de la société Viva Paquita fait état d'un châle à pompons, soit un produit totalement différent du modèle déposé.

Considérant qu'en revanche, la preuve que les modèles vendus en décembre 1993 dans la boutique de Madame Ardouin présentent des similitudes avec les modèles Sonia Rykiel, telles qu'elles sont de nature à provoquer un risque de confusion dans la clientèle qui est constitutif d'un comportement parasitaire et d'une concurrence déloyale de la part de Madame Ardouin se trouve établie par les pièces produites aux débats; qu'ayant été autorisée par le Président du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux par ordonnance du 9 décembre 1993, à faire dresser un constat des modèles offerts à la vente par Madame Ardouin, la société Sonia Rykiel démontre, par la description ainsi faite de plusieurs articles comparée avec la présentation des croquis de ses propres modèles, que pour les modèles qui sont décrits dans ce constat, qui n'a fait l'objet d'aucune critique de la part des appelantes, le risque de confusion est réel aux yeux de la clientèle.

Considérant qu'il est exact que la reprise systématique de tous les éléments propres aux vêtements Sonia Rykiel (matières utilisées, ourlets visibles, coutures à l'envers, broderies), font que les vêtements vendus par Madame Ardouin et la société Nana en sont une réplique quasi servile; que la société Sonia Rykiel souligne à juste titre que les modèles photographiés du constat dans la boutique de Madame Ardouin sont la réplique de ses propres modèles, la robe griffée Nana étant du même coloris, de la même forme droite et ayant le même nombre de poches brodées de manière identique que la tunique Sonia Rykiel; les vestes griffées Nana étant confectionnées selon la même forme, dans les mêmes coloris et avec le même velours matelassé caractéristique Sonia Rykiel que les vestes de ce créateur.

Considérant que si Madame Ardouin et la société Nana prétendent que les vêtements Sonia Rykiel n'étaient pas les seuls à présenter les éléments dégageant le style Sonia Rykiel, force est de constater qu'en commercialisant des vêtements présentant des ressemblances très fortes avec ceux créés par la société Sonia Rykiel, les appelantes se sont, en ce qui les concerne rendues coupables d'imitation des modèles de celle-ci ou à tout le moins, ont agi avec la volonté manifeste de se placer dans le sillage de cette société et de tirer profit de la notoriété de celle-ci auprès de la clientèle en créant chez elle un risque de confusion ; que les faits de parasitisme commercial et de concurrence déloyale sont incontestablement établis et constituent des fautes dont Madame Ardouin et la société Nana doivent réparation à la société Sonia Rykiel.

Considérant que s'agissant de la réparation du préjudice subi de ce chef par la société Sonia Rykiel, la Cour, en prenant en compte le fait que Madame Ardouin et la société Nana se soient épargnées le travail et les frais de la conception, de la mise au point des prototypes, des recherches de tissus et de coloris, de la promotion, inhérents à la création de modèles dans le domaine de prêt-à-porter, qu'elles ont imité les modèles dont Madame Ardouin savait, pour avoir été affiliée Sonia Rykiel de longues années, qu'ils avaient la faveur de la clientèle, qu'elles ont profité de la notoriété attachée au nom et à la griffe Sonia Rykiel, enfin que le fait de vendre ces modèles à un prix plus bas que les modèles originaux a entraîné une dépréciation de la marque Sonia Rykiel attachée à une ligne de produits et de vêtements de haut de gamme, dispose d'éléments suffisants pour fixer à la somme de 75 000 F la somme allouée à ce titre à la société Sonia Rykiel.

Considérant que Madame Ardouin et la société Nana qui succombent et ne peuvent prétendre à des dommages-intérêts ou au bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Considérant qu'il n'y a pas lieu à l'application en la cause des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Considérant que Madame Ardouin et de la société Nana doivent être condamnées à verser à la société Sonia Rykiel les sommes de 50 000 F et 75 000 F ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré et compte tenu de l'état de Madame Ardouin et de la société Nana mises en liquidation judiciaire, de fixer la créance de la société Sonia Rykiel au passif de Madame Ardouin et de la société Nana aux sommes de 50 000 F et 75 000 F étant précisé qu'il n'est pas contesté qu'une déclaration de créance a été effectuée à ce titre.

Par ces motifs : Déclare recevables les appels de Madame Ardouin et de la société Nana, Déclare Maître Le Dosseur es qualités de mandataire liquidateur de Madame Ardouin recevable en son intervention ; Confirme le jugement en ce qu'il a retenu que Madame Ardouin et la société Nana étaient solidairement débitrices de la société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles des sommes de 50 000 F et 75 000 F à titre de dommages-intérêts pour les faits de manquement à l'interdiction d'utiliser l'enseigne " Joséphine Fisse " et de concurrence déloyale et a dit que Madame Ardouin et la société Nana devront cesser l'utilisation des dénominations " Joséphine Fisse " et " J. Fisse " sous astreinte telle que définie au jugement déféré. Fixe la créance de la société Sonia Rykiel Création et Diffusion de Modèles aux sommes de 50 000 F et 75 000 F ; Rejette toutes demandes autres ou contraires aux motifs. Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Condamne Maître Le Dosseur es qualités de liquidateur judiciaire de Madame Ardouin et la SCP Silvestri Baujet es qualités de liquidateur judiciaire de la société Nana au paiement des dépens de première instance et d'appel qui seront pris en frais privilégiés de liquidation et admet pour les dépens d'appel les avoués concernés, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.