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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 18 septembre 1998, n° 96-14729

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Anarkali (SARL), Rosier de l'Inde (SARL)

Défendeur :

Diollot

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Bollet-Baskal, Me Baufume

Avocats :

Mes Dessaix, Klingler.

T. com. Paris, 15e ch., du 12 avr. 1996

12 avril 1996

Appel a été interjeté par la SARL Anarkali et la SARL Le Rosier de l'Inde d'un jugement rendu par le tribunal de commerce de Paris le 12 avril 1996 dans un litige l'opposant à Mme Diollot.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

Mme Diollot qui exploitait un fonds de commerce de restauration à Paris, 4 place Gustave Toudouze sous l'enseigne Anarkali a donné en location-gérance ce fonds à M. Patel le 29 juillet 1985. Ce dernier a constitué en 1986 la société Anarkali, société d'exploitation de ce fonds. Le contrat de location-gérance a été renouvelé, à compter du 30 juillet 1986 au nom de cette société par acte du 4 juillet 1986 pour une année renouvelable tacitement, avec faculté de dénonciation annuelle par chacune des parties avec préavis de trois mois. Dans ce contrat de location-gérance, il était prévu une clause de non-concurrence, aux termes de laquelle en cas de résiliation ou d'expiration du bail, la SARL ne pourrait se réinstaller dans un rayon de 1000 mètres.

La SARL Rosier de l'Inde, créée en 1988, (dans laquelle M. Patel, gérant, détient, selon les statuts modifiés le 11 juin 1993, 20% des parts) exploitait un salon de thé qui jouxte le restaurant ci-dessus désigné, cela sans opposition de Mme Diollot.

En avril 1995, la SARL Anarkali a dénoncé le contrat de location-gérance pour le 30 juillet 1995, de même que Mme Diollot.

Anarkali avait sollicité l'autorisation d'exploiter pendant deux mois supplémentaires. A la suite du refus de Mme Diollot, Anarkali a fait délivrer une assignation en référé devant le tribunal de commerce de Paris le 27 juillet 1995 qui devait être audiencée le 5 octobre 1995. Elle a en définitive fait radier ce référé le 3 septembre 1995 en " raison d'un accord intervenu entre les parties ".

Le restaurant de Mme Diollot étant fermé durant la période d'été pour des travaux, la SARL Le Rosier de l'Inde a installé des tables en terrasse devant cet établissement et aurait procédé à un service de restauration (et non plus seulement de salon de thé), en utilisant des éléments du fonds de commerce d'Anarkali ( et notamment des articles portant cette dénomination), ce qui aurait créé une confusion dans l'esprit de la clientèle.

C'est dans ces circonstances que, par acte du 15 octobre 1995, Mme Diollot a assigné la SARL Anarkali et la SARL Le Rosier de l'Inde pour obtenir, outre des mesures d'interdiction paiement de dommages et intérêts en raison des manquements aux obligations du contrat de location-gérance et de la dégradation du matériel et paiement des loyers de juillet 1995 impayés.

Par jugement du 12 avril 1996, le tribunal a :

- condamné solidairement les sociétés Anarkali et Le Rosier de l'Inde pour non-respect de la clause de non-concurrence et concurrence déloyale à payer la somme de 400 000 F à titre de dommages intérêts,

- dit qu'Anarkali a manqué à ses obligations du contrat de location-gérance,

- condamné en conséquence, cette société à payer, en derniers ou quittances, en compensation, le montant du dépôt de garantie prévu au contrat, soit la somme de 35 000 F,

- condamné Anarkali à payer la somme de 14 500 F au titre des loyers, charges et redevances de juillet 1995 avec intérêts au taux légal à compter du 5 octobre 1995,

- interdit aux deux sociétés sous astreinte de "dresser des tables devant les locaux du restaurant Anarkali et d'utiliser la dénomination Anarkali",

- ordonné sous astreinte à Anarkali de changer de nom commercial,

- ordonné l'exécution provisoire à charge pour Mme Diollot de fournir une caution bancaire égale au montant de la condamnation prononcée,

- condamné solidairement les sociétés Anarkali et Le Rosier de l'Inde à payer la somme de 5 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Appelantes de ce jugement, les sociétés Anarkali et le Rosier de L'Inde qui ont même conseil, concluent à la réformation du jugement en toutes ses dispositions, soutenant que les fautes reprochées sont minimes, n'ont été cause d'aucun préjudice et qu'au contraire Mme Diollot a agi de mauvaise foi en ne respectant pas les engagements qu'elle avait pris après la remise des clefs le 3 août 1995.

Mme Diollot conclut à la confirmation du jugement sauf sur le montant des dommages-intérêts et forme des demandes supplémentaires justifiées par l'évolution du litige, sollicitant essentiellement qu'il soit fait interdiction à Rosier de l'Inde de continuer une activité de restauration ou de salon de thé. Elle fait en outre remarquer qu'Anarkali n'aurait toujours pas transféré son siège social (qui serait celui du lieu de son exploitation). Elle prie la Cour, ajoutant à ses demandes, compte tenu des nouveaux actes de concurrence déloyale qu'elle aurait constaté,

- de condamner :

* in solidum Anarkali et Le Rosier de l'Inde à payer la somme de 900 000 F pour violation de la clause de non-concurrence et concurrence déloyale,

* Anarkali au paiement de la somme de 600 000 F de dommages intérêts pour manquements aux obligations d'entretien contenues dans le contrat de location-gérance et pour la dégradation du matériel et du fonds (clientèle perdue compte tenu de la dégradation des lieux),

- d'ordonner aux deux sociétés de cesser toute activité de restauration, vente à emporter, salon de thé, débit de boisson sur la place Gustave Toudouze.

Les appelantes concluent à l'irrecevabilité des nouvelles demandes formées en appel, Anarkali indiquant que son siège social a été transféré depuis plus de deux ans et qu'elle n'exerce plus d'activité depuis la fin du 30 juillet 1995. Elles invoquent, en outre, le caractère mensonger et diffamant des pièces versées aux débats, sans cependant demander de condamnation à ce titre.

Chacune des parties revendique l'application à son bénéfice des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR ;

Sur l'irrecevabilité

Considérant que Mme Diollot formule en appel, outre les griefs déjà invoqués en première instance, de nouveaux griefs résultant de faits qu'elle a relevés depuis le jugement critiqué et qui, selon elle, constituent de nouveaux actes de concurrence déloyale ; que de telles prétentions qui tendent aux mêmes fins que celles présentées en première instance ne sont pas nouvelles et sont donc recevables ;

Sur les fautes reprochées à Anarkali et Rosier de l'Inde au titre de la violation de la clause de non-concurrence et de la concurrence déloyale.

Considérant que ces deux sociétés qui ne contestent pas avoir des intérêts communs en raison des liens familiaux existant entre les porteurs de parts estiment que les fautes qui leur sont reprochées sont des fautes minimes ; qu'en effet, l'utilisation de l'emplacement en terrasse devant le restaurant de Mme Diollot qui était fermé pour travaux n'a pas de caractère fautif ; que l'utilisation d'un lot de bouteilles au nom d'Anarkali et d'un carnet à souche au nom d'Anarkali n'a été que ponctuelle, durant la période d'été 1995 ; qu'Anarkali ajoute qu'elle n'exerce plus d'activité de restauration, qu'elle a d'ailleurs, contrairement à ce que soutient Mme Diollot, modifié son siège social, et que Mme Diollot ne saurait interdire l'usage de la dénomination Anarkali pour des activités autres que la restauration ; que Rosier de l'Inde précise qu'il ne peut lui être fait grief d'avoir une activité de restauration puisque qu'elle était comprise dans ses statuts et que Mme Diollot n'avait fait aucune critique ;

Mais considérant que sur ce dernier point, il est inexact de soutenir que Rosier de l'Inde avait une activité de restaurant dès l'origine ; qu'en effet, il résulte de l'extrait K Bis en date du 16 août 1995 que la seule activité connue était celle de salon de thé ; que les statuts modifiés de 1993 enregistrés en mai 1994 mentionnent une activité plus étendue, qu'il n'est cependant pas démontré que Mme Diollot en ait eu connaissance et qu'elle ait accepté cette extension d'activité ;

Considérant que, selon la clause de non-concurrence dont la validité n'est pas contestée, Anarkali s'est interdit " de créer ou d'exploiter un fonds similaire, de s'intéresser ou participer directement ou indirectement à une exploitation même partielle, de semblable nature, le tout pendant une durée égale à son temps d'exploitation à partir du jour de son départ du fonds de commerce, et ce dans un rayon de 1 000 mètres à vol d'oiseau du dit fonds, à peine de tous dommages intérêts et dépens " ;

Qu'il n'est pas discuté que M. Patel, gérant de la société Anarkali (qui justifie avoir modifié son siège social) a des intérêts dans la société Rosier de l'Inde qui exploite non seulement un salon de thé mais un restaurant dans un établissement voisin de celui de Mme Diollot ;

Que c'est donc par des motifs pertinents que la cour fait siens que les premiers juges, relevant cette infraction à la clause contractuelle de non-concurrence et la collusion entre Anarkali et Rosier de l'Inde qui, au surplus, a utilisé la dénomination Anarkali et a placé sur ses vitres des pancartes de nature à laisser penser à la clientèle que Anarkali continuait son activité dans son établissement, ont retenu le comportement fautif constitutif de concurrence déloyale de ces deux sociétés;

Considérant que Mme Diollot justifie par la production de nouveaux documents qu'après le jugement critiqué, des actes litigieux ont continué ; qu'ainsi, :

- les statuts de la société Anarkali du 30 septembre 1991 portant sur une activité de restauration n'ont pas été modifiés,

- Rosier de l'Inde continue son activité de restauration (constat du 11 juin 1996) ;

Considérant que ces actes nouveaux ne sauraient cependant justifier la modification du montant des dommages intérêts alloués par les premiers juges, la cour estimant que l'ensemble du préjudice ainsi subi par Mme Diollot du fait des actes de concurrence déloyale est exactement réparé par cette somme, à défaut pour l'intimée de produire des documents comptables démontrant une diminution de son chiffre d'affaires imputable aux appelantes depuis le jugement ; qu'il sera seulement précisé que les deux sociétés ayant toutes deux participé au même dommage, la condamnation sera in solidum ;

Considérant que les mesures d'interdiction ordonnées seront étendues en ce qui concerne Rosier de l'Inde aux activités de restauration, étant constant que cette société a le droit d'exercer une activité de salon de thé et plats à emporter et que les mesures d'interdiction relatives au nom Anarkali porteront sur toute activité de restauration et sur les produits nécessaires à cette activité ;

Sur les manquements aux obligations contractuelles

Considérant que tout en sollicitant la réformation du jugement, Anarkali n'a pas formulé d'argumentation nouvelle au soutien de son appel ;

Que Mme Diollot forme appel incident, exposant que le fonds de commerce a été restitué dans un état déplorable alors que le contrat de location-gérance mettait à la charge du locataire des obligations d'entretien qui n'ont pas été respectées et une obligation de conserver le fonds " en bon état de clientèle " ; que M. Patel se serait, depuis 1989, efforcé de vider progressivement le fonds de commerce, faisant chuter le chiffre d'affaires de 100 000 F par an, en ne faisant aucun travail d'entretien dans les lieux et en dégradant le matériel ;

Mais considérant qu'aucun document versé aux débats ne démontre que les locaux et le matériel avaient été laissés dans un état déplorable de nature à justifier le montant des dommages intérêts sollicités ; qu'il n'est pas davantage démontré que la baisse du chiffre d'affaires soit due à une volonté délibérée de " vider " le fonds de sa clientèle ; qu'au contraire, le chiffre d'affaires en 1994 n'était pas négligeable puisqu'il représentait un montant de 1 191 971 F en légère augmentation par rapport à 1993 ; que le tribunal a en conséquence par des motifs pertinents que la cour fait siens, retenu que le dépôt de garantie suffisait à compenser les dégradations résultant du fonds de commerce ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur les loyers dus

Considérant qu'Anarkali ne formant aucune contestation de ce chef, le jugement sera également confirmé ;

Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de chacune des parties les frais d'appel non compris dans les dépens engagés ;

Par ces motifs et ceux non contraires des premiers juges : Confirme le jugement entrepris sauf sur la condamnation prononcée solidairement ; Statuant à nouveau de ce chef et y ajoutant sur la mesure d'interdiction ; Condamne in solidum la société Anarkali et Rosier de l'Inde à payer à Mme Diollot la somme de 400 000 F à titre de dommages intérêts. Fait interdiction à la société Rosier de l'Inde d'exercer une activité de restauration, sous astreinte de 500 F par infraction constatée passé le délai d'un mois de la signification du présent arrêt ; Dit que les mesures d'interdiction de dénomination Anarkali porteront sur les activités de restauration et tous produits nécessaires à cette activité ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne in solidum la SARL Anarkali et Rosier de l'Inde aux entiers dépens qui seront recouvrés, le cas échéant, par la SCP Bollet-Baskal, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.