CA Aix-en-Provence, 2e ch. civ., 10 septembre 1998, n° 95-17279
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Cedec (SA)
Défendeur :
Praud
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Coux
Conseillers :
MM. Isouard, Semeriva
Avoués :
SCP Sider, SCP Martelly Maynard.
Exposé du litige :
Monsieur Dominique Praud a été embauché le 1er avril 1982 par la société Cedec et, après avoir exercé diverses fonctions techniques et commerciales, a été licencié le 28 décembre 1992. Le 15 janvier 1993, il est devenu pour la France, l'agent commercial non exclusif de la société Necchi, fabricant d'articles servant à la vente de disques et jusqu'à cette date, principal fournisseur de la société Cedec.
La société Cedec a poursuivi Monsieur Dominique Praud pour concurrence déloyale et par jugement du 30 juin 1995, le Tribunal de commerce de Nice l'a déboutée de son action, la condamnant à payer à son adversaire la somme de 2 000 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive ainsi que celle de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Le 24 juillet 1995, la société Cedec a interjeté appel de cette décision. Elle sollicite sa réformation, le débouté de Monsieur Dominique Praud de ses demandes en dommages et intérêts et en vertu de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ainsi que sa condamnation à lui verser la somme de 1 000 000 F de dommages et intérêts outre celle de 20 000 F par application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Elle reproche à Monsieur Dominique Praud :
- la subtilisation du fichier clientèle après avoir eu l'assurance de devenir le seul représentant de la société Necchi,
- le détournement d'une partie importante de sa clientèle en se rendant complice de la rupture du mandat d'intérêt commun qui la liait avec la société Necchi,
- la tenue de propos dénigrants dans un magazine profession.
Monsieur Dominique Praud conclut à la confirmation du jugement attaqué et, formant appel incident, à la condamnation de la société Cedec à lui payer la somme de 1 000 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et dilatoire ainsi que celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
Il nie le détournement de fichier, soutient que la concurrence de sa part envers la société Cedec est licite et conteste que les propos tenus sur cette société constituent un dénigrement.
Motifs de la décision :
La recevabilité de l'appel n'est pas contestée et rien dans le dossier des parties ne conduit la Cour à la décliner d'office.
Par application de la loi des 2 et 17 mars 1791 proclamant le principe de la liberté du commerce et de l'industrie, les entreprises sont libres de rivaliser entre elles afin de conquérir et de retenir la clientèle et d'attirer vers elles les clients fussent-ils déjà ceux d'un concurrent.
La seule limite à cette règle réside dans les conventions conclues entre les commerçants ou entre ceux-ci et leur préposé limitant cette liberté et dans l'emploi de moyens contraires aux usages respectés par les commerçants honnêtes.
Le contrat de travail liant Monsieur Dominique Praud à la société Cedec ne stipulait aucune clause de non-concurrence. En conséquence en vertu des principes de la liberté du travail et de la libre concurrence, il était loisible à Monsieur Dominique Praud, après son licenciement de créer sa propre entreprise, dans le même secteur d'activité que la société Cedec, de diffuser des produits provenant de la société Necchi, fournisseur de celle-ci, et de démarcher sa clientèle.
Vainement, la société Cedec reproche-t-elle à Monsieur Dominique Praud d'avoir été complice de la rupture du mandat d'intérêt commun la liant avec la société Necchi. En effet, comme cela se déduit de sa lettre du 18 mars 1993, où elle reconnaît qu'aucun contrat écrit n'existe avec cette société, elle n'a jamais bénéficié de l'exclusivité de la représentation en France de la société Necchi et cette dernière en faisant de Monsieur Dominique Praud son agent commercial non exclusif n'a pas contrevenu au mandat d'intérêt commun donné à la société Cedec.
Il convient d'ailleurs de remarquer qu'aucune action n'a été intentée à l'encontre de la société Necchi pour rupture de ce mandat.
A l'exception d'être entré en concurrence avec elle, la société Cedec n'avance à l'encontre de Monsieur Praud aucun autre fait relatif à la rupture du mandat d'intérêt commun.
Pour établir le détournement de fichier, la société Cedec s'appuie sur l'attestation de Monsieur Praud. Mais ce dernier ne relate qu'une tentative de copier ce fichier qui a échoué suite à son intervention. Ainsi si un tel comportement peut constituer une faute de Monsieur Dominique Praud dans l'exécution de son contrat de travail qui n'était pas encore rompu ; il ne saurait être un élément d'une concurrence déloyale.
Dans un article sur la société Necchi paru dans le numéro du 27 septembre 1993 de la revue Show magazine s'adressant aux professionnels de la musique, Monsieur Dominique Praud, après avoir souligné la spécificité du marché français de la vente de disques où le libre service prédomine majorant le risque de vol, déclare " Cedec colle très bien aux besoins des petits disquaires et des grands magasins. Mais les exigences de la grande distribution lui échappent ".
Il s'agit là de propos défavorables sur les capacités de la société Cedec à répondre aux besoins des grandes surfaces qui dépassent ce qu'exigeait l'explication de la nouvelle politique de vente de la société Necchi.
Ils dénigrent la société Cedec et constituent un acte de concurrence déloyale.
En raison de l'importance de l'impact de ce dénigrement, il convient d'évaluer le préjudice qu'il a causé à la société Cedec à la somme de 50 000 F.
L'infirmation du jugement attaqué s'impose.
Succombant à la procédure Monsieur Dominique Praud doit être débouté de ses demandes en dommages et intérêts et au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La société Cedec ne démontre pas que la résistance de son adversaire ait dépassé le droit de se défendre en justice ni ne cerne son préjudice. Elle doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts.
Aucune considération d'équité ne conduit à écarter les dispositions de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et il convient de lui allouer de ce chef une indemnité de 5 000 F.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, Reçoit l'appel, Infirme le jugement du 30 juin 1995 du Tribunal de commerce de Nice, Statuant à nouveau, Condamne Monsieur Dominique Praud à payer à la société Cedec la somme de cinquante mille francs (50 000 F) de dommages et intérêts. Le condamne au paiement de la somme de cinq mille francs (5 000 F) au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile. Rejette toutes les autres demandes. Condamne Monsieur Dominique Praud aux dépens et autorise la SCP d'avoués Sider à recouvrer directement ceux d'appel dont elle aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.