CA Paris, 5e ch. C, 3 juillet 1998, n° 96-84408
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Sienersoft (SARL)
Défendeur :
Synersoft (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Desgrange
Conseillers :
Mme Cabat, M. Betch
Avoués :
Me Thevenier, SCP Parmentier-Hardouin-Le Bousse
Avocats :
Mes Barbier, Fiedler, Bomsel Di Meglio.
La société Synersoft qui depuis 1986 exerce son activité en informatique et télématique en France et à l'étranger, a introduit une instance aux fins de faire cesser le risque de confusion existant entre son nom et sa dénomination commerciale et ceux de la société Sienersoft créée le 10 mai 1990, qui travaille en France, également dans le domaine de l'informatique, et d'obtenir réparation du préjudice commercial subi du fait de l'atteinte portée par la société Sienersoft à ses droits sur la dénomination sociale et le nom commercial.
Sur le litige ainsi né entre les parties, le tribunal de commerce de Paris a rendu le 13 septembre 1996 un jugement, qui a été signifié le 24 septembre 1996.
Les premiers juges ont ordonné à la société Sienersoft de cesser l'utilisation de ce nom commercial et de cette dénomination sociale dans le mois suivant la signature du jugement et ce sous astreinte de 10 000 F par jour de retard à compter d'un mois après la signification, pendant trente jours. Ils ont également ordonné la publication du dispositif du jugement dans deux journaux aux frais de la société Sienersoft, et ont condamné celle-ci à payer à la société Synersoft la somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts et celle de 17 090 F fixée en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Par ordonnance du 8 novembre 1996, le Premier Président de cette Cour a débouté la société Sienersoft de sa demande de suspension de l'exécution provisoire, dont était assorti le jugement rendu le 13 septembre 1996.
Constatant que la société Sienersoft n'avait pas exécuté la décision rendue par le tribunal de commerce, deux mois après la signification du jugement, la société Synersoft a assigné en liquidation d'astreinte la société Sienersoft devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Paris qui a rendu un jugement, le 26 mai 1997, liquidant l'astreinte ordonnée par les premiers juges à la somme de 150 000 F, soit 5 000 F par jour de retard à compter du 25 octobre 1996 pendant trente jours et a alloué la somme de 4 000 F à la société Synersoft au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
A la suite d'une assemblée générale extraordinaire réunie le 1er octobre 1996, Monsieur Roland Siener, associé unique de la société Sienersoft a déclaré modifier la dénomination sociale de la société qui devient Sienersoft Informatique, la publication légale étant intervenue le 22 novembre 1996.
Par acte du 3 octobre 1996, la société Sienersoft a régulièrement interjeté appel de la décision rendue le 13 septembre 1996 par le tribunal de commerce de Paris.
Par conclusions signifiées le 3 février 1997, la société Sienersoft Informatique, anciennement Sienersoft, fait valoir l'absence de tous risques de confusion entre les dénominations Synersoft et Sienersoft les deux sociétés ayant une activité différence et s'adressant à une clientèle distincte ; elle relève que le jugement entrepris repose sur une erreur manifeste de droit, le tribunal ayant visé la marque au lieu du nom commercial ; elle objecte que Monsieur Roland Siener, gérant de la société Sienersoft est en droit d'utiliser son nom patronymique en tant que dénomination sociale et que la société Synersoft n'a subi aucun préjudice du fait de la confusion existant avec la dénomination sociale de la société Sienersoft.
Aussi la société Sienersoft Informatique demande-t-elle à la Cour d'infirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré, de l'autoriser à reprendre l'utilisation de la dénomination commerciale et du nom commercial de Sienersoft, d'ordonner la restitution des sommes mises à sa charge en exécution du jugement entrepris, d'ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans deux journaux aux frais de la société Synersoft, et de condamner enfin celle-ci à lui payer la somme de 20 000 HT au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Intimée, la société Synersoft s'oppose à ces demandes et conclut à la confirmation de la décision entreprise, sauf en celle de ses dispositions ayant statué sur son préjudice qu'elle demande à la Cour de fixer à la somme de 250 000 F et réclame la somme de 15 000 F au titre de ses frais irrépétibles d'appel.
En réponse, la société Sienersoft Informatique demande la restitution par la société Synersoft des sommes payées en exécution du jugement rendu le 26 mai 1997 qui a liquidé l'astreinte, demande à laquelle s'oppose la société Synersoft.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que s'agissant du choix de la dénomination Sienersoft, l'appelante expose que Monsieur Roland Siener a très naturellement choisi en 1990 la dénomination Sienersoft, résultant de l'adjonction du terme générique Soft à son patronyme Siener, à l'occasion de la constitution en France d'une société et qu'en choisissant cette dénomination il n'a fait qu'assurer la continuité de ses activités déjà existantes en Europe où sont implantées, depuis 1987 en Allemagne et depuis 1986 en Suisse, précisément sous cette dénomination, deux sociétés ayant leurs activités dans le domaine de l'informatique.
Considérant qu'il résulte des extraits K Bis des deux sociétés produits, que la société Synersoft a été créée en 1986 antérieurement à la société Sienersoft créée le 10 mai 1990 ; que s'il est possible à Monsieur Siener d'exercer physiquement une activité commerciale sous son nom, il ne peut en revanche prétendre bénéficier d'un droit d'usage de son nom patronymique pour justifier son utilisation au titre de la dénomination sociale par une personne morale lorsqu'une autre société possède une dénomination très voisine ayant acquis une renommée indiscutable pour un commerce similaire; que la Cour relève que les noms des sociétés Synersoft et Sienersoft qui ont toutes deux une activité dans le secteur informatique sont phonétiquement identiques, ainsi que le note la société Sienersoft, peu important que leur logo soit différent ; que la confusion est certaine entre les dénominations des deux sociétés ; que ni le droit à l'usage de son patronyme, ni l'existence d'autres sociétés implantées dans d'autres pays ne peuvent autoriser Monsieur Siener à utiliser, pour la dénomination de la société qu'il a créée en 1990 en France, un nom prêtant à confusion ; qu'en agissant ainsi la société Sienersoft a manifesté une intention évidente de parasiter l'activité de la société Synersoft dont l'antériorité de l'usage du nom n'est pas contestée.
Considérant que pour se prononcer sur la confusion existant entre les appellations Synersoft et Sienersoft, les premiers juges ont motivé leur décision sur l'utilisation du nom commercial et de la dénomination commerciale par la société Sienersoft et dans le dispositif de leur décision, ont ordonné à celle-ci de cesser de les utiliser ; que le litige a porté, non comme le prétend l'appelante, sur la contrefaçon de marque mais sur la confusion des deux dénominations sociales et de deux noms commerciaux ; qu'il ne saurait être fait grief au tribunal d'avoir à tort mentionné dans ses motifs au lieu de dénomination et de nom commercial, " dénomination et marque plus anciennes de Synersoft " ; qu'il a fait une exacte appréciation des circonstances de la cause qui lui était soumise ; qu'il ne pouvait s'agir de la matière de la contrefaçon pour laquelle il aurait été incompétent, que le moyen tiré d'une prétendue erreur de droit qui découlerait dans le jugement déféré de l'emploi impropre du mot marque au lieu de nom commercial, erreur qui a pour origine une simple erreur de plume, doit être rejeté.
Considérant que pour tenter de démontrer que les deux sociétés ne sont pas en situation de concurrence, la société Sienersoft affirme que les deux entreprises évoluent dans un environnement économique tout à fait différent et n'ont pas la même clientèle ; qu'elle prétend que l'activité de la société Synersoft est tournée essentiellement vers les services, les études, la réalisation de solutions de communication, tandis que la société Sienersoft ne développe aucune activité en matière de création, de développement de logiciels ou des services informatiques, et elle commercialise des logiciels standards et du matériel bureautique à destination du grand public.
Considérant qu'il ressort de l'analyse des pièces produites que contrairement aux affirmations de l'appelante, la société Synersoft vend des logiciels qui sont également offerts à la clientèle par la société Sienersoft, certes sous des noms différents mais comportant des fonctions identiques, que force est de constater au vu des catalogues des deux sociétés ainsi que des fiches techniques de plusieurs logiciels que des produits concurrentiels existent chez l'une et l'autre société; que cette constatation rend inopérante l'argumentation développée par la société Sienersoft pour prétendre que les deux sociétés n'ont pas la même clientèle et qu'aux yeux de celle-ci, aucune confusion n'est possible.
Considérant que la société Synersoft rapporte par la production de divers courriers la preuve que sa clientèle a passé commande à une société croyant s'adresser à l'autre, en commettant la confusion à l'origine du parasitisme commercial commis par la société Sienersoft au détriment de la Synersoft.
Considérant que pour ces motifs, l'intégralité de l'argumentation de la société Sienersoft est à rejeter et qu'il y a lieu de condamner celle-ci à réparer le préjudice découlant de la faute qu'elle a commise et qui est en lien direct de causalité avec le préjudice ; que la Cour fait siens les motifs énoncés par les premiers juges ayant fixé à la somme de 50 000 F le montant des dommages-intérêts alloués pour réparer le préjudice subi par la société Synersoft qui sera déboutée du surplus de ses demandes ; qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions.
Considérant que s'agissant de la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement confirmé, dont le montant a été fixé par une décision du juge de l'exécution devenue définitive et passée en force de chose jugée, elle ne peut qu'être rejetée.
Considérant que l'équité commande l'attribution d'une somme au titre des frais irrépétibles exposés en première instance, mais ne commande pas l'attribution des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile en cause d'appel.
Par ces motifs, LA COUR, Déclare recevable l'appel de la société Sienersoft dont la nouvelle dénomination est Sienersoft Informatique, Confirme en toutes ses dispositions le jugement déféré. Rejette toutes demandes autres ou contraires au motifs. Condamne la société Sienersoft au paiement des dépens de première instance et d'appel, avec admission pour ces derniers de l'avoué concerné, au bénéfice de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.