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Décisions

CA Toulouse, 2e ch. sect. 2, 2 juillet 1998, n° 96-06384

TOULOUSE

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Canavese (SA), Canavese Finances (SA), France Bananes (SA)

Défendeur :

Colombier (SA), Compagnie Fruitière (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Brignol

Conseillers :

MM. Boyer, Coleno

Avoués :

SCP Boyer-Lescat-Merle, Me de Lamy

Avocats :

Mes Jauffret, Montanaro, Revah.

T. com. Castres, du 14 oct. 1996

14 octobre 1996

FAITS ET PROCEDURE

La SA Canavese a mis au point un concept de présentation pour la vente de bananes sous la marque Bananga qui revêt la forme d'un présentoir à étagères muni d'un support publicitaire avec l'image d'une banane et des messages propres à ce fruit, sur lequel sont installés des bacs en plastique à large ouverture frontale contenant les fruits, disposés en rangées.

Estimant que son système était pillé par la concurrence, la SA Canavese et à ses côtés la SA France Bananes ainsi que la SA Canavese Finances, à cette fin autorisée par Ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de Castres en date du 14.03.95, ont fait dresser constat d'huissier, le 19.07.95, de l'utilisation par le Centre Leclerc du Bout du Pont de l'Arn de bacs de présentation similaires aux leurs, livrés par la SA Colombier.

Suivant acte d'huissier en date du 20.10.95, les SA Canavese, SA France Bananes et SA Canavese Finances ont fait citer la SA Colombier devant le Tribunal de Commerce de Castres en concurrence déloyale par parasitisme économique.

La SA Colombier a appelé en garantie la SA Compagnie Fruitière, son fournisseur exclusif.

Par le jugement déféré en date du 14.10.96, le Tribunal de Commerce de Castres a rejeté les demandes et condamné les SA Canavese, SA France Bananes et SA Canavese Finances à payer aux deux sociétés défenderesses chacune 15 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

DEMANDES DES PARTIES

Prétentions de SA Canavese, SA France Bananes et SA Canavese Finances

Les SA Canavese, SA France Bananes et SA Canavese Finances concluent à la réformation du jugement déféré et demandent à la Cour de condamner les SA Colombier et Compagnie Fruitière à retirer immédiatement les bacs litigieux sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée, et à leur payer les sommes de 1 000 000 F à titre de dommages-intérêts, outre à chacune 20 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elles soutiennent :

- avoir développé, à force d'investissements en recherche, puis diffusé à force d'investissements publicitaires, une méthode originale de commercialisation, véritable concept innovateur en marketing, dont l'élément fondamental est le bac en plastique, qui a fait l'objet de différents dépôts à l'INPI ;

- qu'en utilisant un système d'approvisionnement et de distribution de bananes similaire au leur, les bacs étant utilisés en reprenant les caractéristiques essentielles du concept créé, les sociétés défenderesses se sont rendues coupables de parasitisme économique constitutif de concurrence déloyale engageant leur responsabilité sur le fondement des dispositions de l'article 1382 du Code Civil.

Prétentions de la SA Colombier

La SA Colombier conclut à la confirmation pure et simple du jugement déféré et réclame en outre condamnation des appelantes à lui payer les sommes de 100 000 F pour procédure abusive et injustifiée et 40 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile. Elle sollicite très subsidiairement la garantie de la SA Compagnie Fruitière.

Elle soutient :

- que la seule ressemblance existante, qui est loin de caractériser de façon essentielle le concept revendiqué, est la présence de bacs en plastique de même format, dont l'utilisation n'est pas susceptible d'appropriation ;

- qu'il n'existe pas entre elle, distributeur en gros et demi-gros de fruits et légumes, et les appelantes, producteurs et mûrisseurs de bananes, de rapport de concurrence ;

- que le préjudice en recherche allégué n'existe pas alors d'une part que le concept a été concédé aux appelantes par licence exclusive de la Société Paxton, par contrat du 27.03.92, d'autre part que la promotion publicitaire mise en avant concerne la marque Bananga qui repose sur la qualité d'un produit, vanté du fait de son mûrissage et de sa qualité de production, et enfin qu'elle n'a livré que des commerces qui étaient depuis longtemps ses clients de sorte qu'aucune part de marché n'a été captée par ce moyen.

Prétentions de la SA Compagnie Fruitière

La SA Compagnie Fruitière conclut à la confirmation du jugement entrepris et demande à la Cour, subsidiairement, de constater que les appelantes ne rapportent pas la preuve du préjudice allégué. Elle demande en outre reconventionnellement condamnation des appelantes à lui payer les sommes de 100 000 F à titre de dommages-intérêts et 50 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Elle fait valoir :

- qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les produits ;

- que les bacs ne sont pas les éléments caractéristiques du concept revendiqué ;

- que le lien de cause à effet avec le préjudice n'est pas démontré.

MOTIFS DE LA DECISION

Attendu que malgré les allusions qui y sont faites et qui ne s'appuient sur aucune justification, l'action engagée à propos des bacs plastiques ne se fonde pas sur l'existence de droits privatifs sur un modèle ou une marque les concernant, mais sur l'existence d'une concurrence déloyale par parasitisme ;

Que les seuls éléments de propriété intellectuelle produits concernent d'une part un modèle de présentoir dont sont absents les bacs en litige, et d'autre part une marque " Bananga " concernant les produits de la classe 31 ;

Qu'il est en conséquence vain, comme étranger au litige, d'opposer aux appelantes le fait que les modèles de présentoirs qu'elles se sont appropriés ne sont pas utilisés en l'espèce ;

Que le litige doit être réglé par l'application des dispositions de l'article 1382 du Code Civil qui exige la réunion d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre les deux ;

Attendu que les parties s'accordent à bon droit pour considérer que le parasitisme économique peut être défini comme le comportement par lequel un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit indûment et gratuitement, de ses efforts, qu'ils soient de recherche ou de publicité, et de son savoir-faire;

Attendu que le parasitisme ici invoqué concerne le pillage d'une valeur économique, fruit d'un savoir-faire et d'investissements, procurant un avantage concurrentiel;

Attendu que selon les appelantes, est en cause le plagiat de l'élément principal de leur concept, à savoir l'utilisation systématique de bacs en plastique encastrables, interchangeables et réutilisables avec palettes ou présentoirs ;

Attendu que selon les appelantes, ces ressemblances résident d'une part dans les dimensions identiques des bacs, leur forme rectangulaire avec découpe avant et arrière, emboîtable et gerbable, et l'utilisation d'une feuille de doufline pour la protection, d'autre part dans le mode d'utilisation de ceux-ci à un usage original procurant divers avantages nouveaux ;

Que suivant les éléments qu'elles versent aux débats, l'utilisation des bacs ou " banabacs " présente les avantages suivants :

- avantages pour l'usage par le commerçant :

* commodité d'utilisation pour le réapprovisionnement grâce à la maniabilité des bacs, et à leur préparation avant livraison ;

* faible encombrement grâce au caractère empilable des bacs ;

- avantages pour la vente :

* présentation aérée facilitant le choix par l'utilisateur ;

* présentation ordonnée, soignée et donc attractive ;

- avantages pour le produit :

* préservation de la qualité grâce à une bonne ventilation des fruits ;

* forte diminution de la démarque, la présentation visuellement aérée évitant les manipulations par la clientèle, dommageables pour le fruit ;

que ces bacs sont destinés à être empilés soit sur palettes pour les hypermarchés, soit sur un présentoir pour les supermarchés ;

Attendu que ces éléments caractérisent certainement des qualités réelles du procédé revendiqué ;

Attendu qu'il ressort du constat d'huissier versé aux débats que l'officier ministériel a constaté la présence dans le Centre Leclerc de six bacs de 80 x 60 rectangulaires avec découpes avant et arrière, emboîtables et gerbables, contenant des bananes posées sur une feuille de doufline pour la protection du bac, simplement superposées sur une palette de même format ;

Attendu que la copie ou l'imitation doivent s'apprécier par les ressemblances et non au travers des différences ;

Attendu qu'il résulte des constatations qui précèdent que l'usage poursuivi des bac plastiques est effectivement similaire en ses éléments essentiels, les différences constatées concernant les couleurs en particulier étant dépourvues de signification réelle au regard des fonctions assumées, étant cependant précisé que la dimension des bacs n'est pas en soi un élément d'imitation dès lors qu'elle résulte d'une simple standardisation européenne ;

Attendu cependant que pour établir un fait de parasitisme, encore faut-il que les sociétés appelantes démontrent que ce qu'elles revendiquent, c'est-à-dire le forme particulière des bacs et l'utilisation particulière de ceux-ci à la commercialisation de ces fruits, résulteraient d'investissements personnels, l'imitation n'existant et n'étant susceptible de constituer une faute qu'à cette condition;

Attendu que sur ce point, les appelantes ne fournissent aucun élément probant précis, les dossiers de presse produits faisant seulement apparaître une revendication de leur part de l'utilisation originale des bacs en litige à partir des mois de juillet et août 1991, et pour les années suivantes quelque articles de soutien publicitaire de leurs présentoirs, étrangers au débat, associés à ces bacs ;

Qu'aucun élément n'est produit qui fasse apparaître précisément l'engagement de budgets de recherche, création, ou même investissements publicitaires précis en rapport avec ce procédé alors que dans leurs écritures tout comme dans les publicités de 1991, les appelantes revendiquent la création de ces bacs, et même explicitement dans leurs écritures - et sans droit ainsi qu'il a été vu - leur appropriation par " différents dépôts à l'INPI " ;

Attendu qu'il résulte au contraire des éléments non contestés versés aux débats par les intimées d'une part que la Société Allibert, spécialiste réputé dans le domaine des contenants plastiques, a créé le modèle de bac en litige ou un modèle exactement similaire en 1984 pour le transport du pain, d'autre part, que dès le mois de juin 1991, la société Fruidor avait acquis des modèles de ces bacs pour y vendre des bananes ;

Que dès lors ni le modèle de bac, ni son utilisation pour la commercialisation de bananes, ni la mise en œuvre de leur caractère empilable, caractère qu'ils ont par fabrication, ne peuvent être revendiquées par les appelantes comme une valeur économique qui leur soit propre;

Attendu que les efforts publicitaires dont l'engagement est allégué concernent en conséquence, ainsi qu'il est soutenu par les intimés et que le confirme l'examen des articles produits, non pas le fruit d'une recherche propre, mais le soutien d'un choix arrêté sur un mode de présentation vraisemblablement approprié mais qui n'est ni original, ni le fruit d'une recherche ou d'un savoir-faire propres, et en tant qu'il s'insère dans un circuit plus ample de mûrissement et de commercialisation du fruit en cause pour en garantir une qualité spécifique ;

Attendu dès lors que le fait constaté, qui se limite au simple empilement de bacs plastiques communs contenant des bananes sur une palette en bois ordinaire ne caractérise pas, à la charge des intimées, les agissements parasitaires reprochés;

Que c'est en conséquence à bon droit que les premiers juges ont débouté les appelantes de leur action, et que pour ces motifs et ceux non contraires des premiers juges que la Cour adopte, le jugement sera confirmé ;

Attendu que les demandes accessoires, qu'il suit nécessairement de la décision qui précède que celles des SA Canavese, SA France Bananes et SA Canavese Finances qui succombent doivent être rejetées ;

Attendu qu'il n'est pas démontré que l'action engagée et l'appel interjeté procéderaient d'un comportement fautif, qu'il n'est du reste pas expliqué quel préjudice il en serait résulté ;

Que les demandes de dommages-intérêts présentées par les intimées seront en conséquence rejetées ;

Attendu qu'il serait cependant inéquitable de laisse à la charge de ces dernières la totalité des frais non inclus dans les dépens qu'elles ont dû exposer pour défendre à un appel non fondé ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, Déclare l'appel recevable en la forme, Le dit non fondé, Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions ; Y ajoutant, Condamne les SA Canavese, SA France Bananes et SA Canavese Finances à payer à chacune des SA Colombier et SA Compagnie Fruitière la somme supplémentaire de 10 000 F sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Déboute les parties de leurs demandes autres ou plus amples ; Condamne les SA Canavese, SA France Bananes et SA Canavese Finances aux entiers dépens de l'instance en appel, et reconnaît à la SCP Boyer-Lescat-Merle, Avoué qui en a fait la demande, le droit de recouvrement direct prévu à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.