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Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 19 juin 1998, n° 96-04476

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Pierre Fabre Santé (SA)

Défendeur :

Medicadent (SA), Dudognon

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

SCP Roblin-Chaix de Lavarenne, Me Huyghe

Avocats :

Mes Theophile, Brezillon.

TGI Paris, 3e ch., du 15 déc. 1995

15 décembre 1995

La société Pierre Fabre Santé a interjeté appel d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris en date du 15 décembre 1995, dans un litige l'opposant à M. Dudognon et à la société Medicadent.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures des parties pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, il convient de rappeler les éléments essentiels suivants.

Pierre Fabre Santé est titulaire de la marque Parodium enregistrée sous le n° 1 314 981 le 16 juin 1995 (en renouvellement de précédents dépôts ; le premier en date du 1er août 1975) et désignant le produit suivant : médicament utile pour le traitement des affections du parodonte, produit de la classe 5.

Cette société exploite sous cette marque un gel gingival.

M. Dudognon est titulaire de la marque Parodex n° 92 409 278 déposée le 9 mars 1992 désignant les produits suivants des classes 3, 5, 10 : dentifrices, bains de bouche, appareils dentaires électriques, hydropulseurs à usage dentaire. La société Médicadent a commercialisé sous cette marque un bain de bouche à compter de novembre 1992.

Estimant que le terme Parodex constituait une imitation illicite de sa marque, Pierre Fabre a fait citer devant le tribunal de grande instance de Paris, M. Dudognon et la société Medicadent en leur reprochant des actes de contrefaçon et des agissements parasitaires et en réclamant, outre les mesures habituelles d'interdiction et de publication, qu'ils soient solidairement condamnés à lui payer une somme totale de 2 millions de francs à titre de dommages intérêts.

Par le jugement déféré, le tribunal a rejeté toutes les demandes de Pierre Fabre et condamné celle-ci au paiement d'une indemnité de 12 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Appelante, Pierre Fabre poursuit la réformation du jugement. Elle réitère ses demandes initiales, soutenant que Parodex constitue bien l'imitation illicite de Parodium et qu'outre le préjudice résultant de l'atteinte à sa marque, elle a subi un dommage tenant aux actes de concurrence déloyale et parasitaire qu'elle impute à ses adversaires. Elle reprend ses demandes de dommages intérêts et réclame le prononcé de mesures d'interdiction sous astreinte, le retrait de l'intégralité des produits désignés sous la marque Parodex, la publication de l'arrêt, et la radiation de la marque Parodex.

Les intimés concluent à la confirmation du jugement.

Chacune des parties revendique l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que pour écarter la contrefaçon, le tribunal, tout en retenant la similarité des produits, a relevé :

- que si l'appréciation des marques en litige devait s'effectuer en les comparant dans leur ensemble, il convenait néanmoins d'identifier les éléments communs et d'examiner leur portée sur l'ensemble des marques,

- que l'élément semblable dans les deux marques "Parod" n'était que la forme abrégée du terme parodonte qui fait référence aux propriétés ou à la destination des produits et ne contribue pas à la distinctivité de l'ensemble,

- que, compte tenu de l'existence de différentes marques comportant le terme parodont - ou parod - , l'attention du consommateur se concentrerait sur les désinences des deux marques,

- que ces désinences n'avaient ni lettre ni sonorité en commun,

- que le risque de confusion n'était donc pas établi ;

Considérant que le tribunal doit être approuvé d'avoir écarté l'argumentation (reprise devant la cour) de M. Dudognon et de Medicadent, mettant en exergue la différence de concentration du glucomate de chlorexydrine contenu dans chacun des produits, pour contester leur similarité ; que la cour fait siens les motifs par lesquels les premiers juges ont conclu à la similarité des produits, respectivement destinés au traitement des affections du parodonte et à l'hygiène buccale, couverts par la marque invoquée et le signe incriminé, l'un et l'autre déposés en classe 5 ;

Considérant en revanche que l'appelante soutient à bon droit que si le mot " parodonte " désigne " l'ensemble des tissus de soutien qui relient la dent au maxillaire ", le radical " parod ", qui ne constitue pas l'abréviation nécessaire ou usuelle, est tout au plus évocateur de la destination d'un produit appliqué au parodonte et que, contrairement à ce qu'ont décidé les premiers juges, il ne peut être tenu comme ayant été générique, nécessaire, ou descriptif au sens de la loi de 1964, applicable au jour du dépôt de la marque invoquée ; qu'il ne peut en conséquence être écarté de la comparaison des signes en litige ;

Considérant que la comparaison des marques prises dans leur ensemble révèle des similitudes notamment graphiques et phonétiques, tenant à leur commune construction en trois syllabes, à la présence d'une séquence initiale identique des cinq premières lettres disposées dans le même ordre, constituant le même radical d'attaque " parod ", suivi d'une désinence " ex " ou " ium " présentant la même consonance latine ; que ces ressemblances d'ensemble suscitent chez le consommateur d'attention moyenne n'ayant pas simultanément les deux marques sous les yeux, ou à l'oreille dans un temps rapproché, un risque de confusion qui caractérise la contrefaçon par imitation ; que le jugement sera réformé de ce chef ; qu'il convient en conséquence (la radiation sollicitée n'étant prévue par aucun texte) de prononcer la nullité de la marque incriminée et d'ordonner les mesures d'interdiction et de publication précisées au dispositif ci-après ;

Considérant que la contrefaçon a nécessairement causé préjudice à Pierre Fabre en portant atteinte à son droit privatif et en entraînant une banalisation de sa marque ;

Considérant en revanche que l'appelante ne démontre pas le préjudice commercial qu'elle allègue, alors que le produit qu'elle distribue sous la marque invoquée est un gel gingival d'application locale et que le produit vendu sous la marque Parodex est un bain de bouche utilisé en rinçage, que l'un est présenté en tube et l'autre en flacon, et qu'une étude de " Sofres Médical " versée aux débats fait ressortir que le gel est vendu sur prescription médicale dans 24 % des cas contre 2,4 % pour le bain de bouche Parodex ; que les chiffres avancés par Pierre Fabre selon laquelle son produit, dont la diffusion aurait augmenté de 100 % entre 1991 et 1992, aurait stagné après l'apparition du Parodex en 1992, sont très justement critiqués par les intimés qui relèvent sans être démentis que Parodium ayant été mis sur le marché dans le courant de l'année 1991, rien ne permettait d'escompter le maintien pendant plusieurs années sur un marché encombré de la progression enregistrée entre 1991 et 1992, première année complète d'exploitation ; que compte tenu notamment des caractères respectifs des produits en cause, de leurs présentations différentes, le grief de parasitisme également avancé par Pierre Fabre (qui fait état d'investissements publicitaires dont elle ne justifie pas) ne saurait davantage prospérer;

Considérant qu'eu égard aux circonstances de l'espèce, la cour dispose d'éléments suffisants pour fixer à 60 000 F le montant des dommages intérêts qui seront alloués à Pierre Fabre en réparation du préjudice résultant de la contrefaçon ;

Considérant que l'équité commande d'allouer à Pierre Fabre une indemnité de 12 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;

Par ces motifs : Réforme le jugement entrepris ; Statuant à nouveau et ajoutant : Dit que Monsieur Dudognon et la société Medicadent en déposant et en utilisant la marque Parodex ont commis des actes de contrefaçon au sens de l'article L. 713-3 b) de la marque Parodium dont la société Pierre Fabre Santé est propriétaire ; En conséquence prononce la nullité du dépôt de la marque Parodex n° 92 409 278 déposée le 9 mars 1992 ; Interdit à M. Dudognon et à la société Medicadent de faire usage de celle-ci sous astreinte de 1 000 F par infraction constatée passé le délai de 2 mois suivant la signification du présent arrêt ; Condamne in solidum M. Dudognon et à la société Medicadent à payer à la société Pierre Fabre Santé la somme de 60 000 F à titre de dommages-intérêts ; Autorise la société Pierre Fabre Santé à faire publier un extrait du présent arrêt dans deux journaux ou revues de son choix aux frais in solidum de ses adversaires dans la limite d'un coût global de 30 000 F ; Condamne in solidum M. Dudognon et à la société Medicadent à payer à la société Pierre Fabre Santé la somme de 12 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Condamne in solidum M. Dudognon et à la société Medicadent aux entiers dépens de première instance et d'appel qui seront recouvrés par la SCP Roblin, avoué, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.