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Décisions

CA Paris, 5e ch. B, 12 juin 1998, n° 97-24944

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Image Computer Service (SARL)

Défendeur :

Business Concepts (SARL), Lafont (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Leclercq

Conseillers :

M. Bouche, Mme Cabat

Avoués :

Mes Careto, Kieffer-Joly

Avocats :

Mes Delaloye, Barbey.

T. com. Paris, 12e ch., sect. B, du 14 o…

14 octobre 1997

Considérant que par arrêt du 19 février 1998 auquel il convient de se reporter pour l'exposé des faits ainsi que des demandes et moyens des parties, la Cour a constaté qu'il lui fallait choisir entre les deux thèses contradictoires suivantes :

- la société Business Concepts, selon les demandeurs, aurait été contrainte au printemps de l'année 1997, avec les autres sociétés du groupe Ferrand, à la cessation de ses paiements du fait du comportement déloyal de son directeur commercial et associé Olivier Fréon qui aurait détourné dès 1996 la clientèle au profit de la société ICS qu'il gérait, avant de procéder au second trimestre 1996 à un débauchage massif de personnel,

- la société ICS, selon la défenderesse n'aurait fait que tirer les conséquences de la défaillance prévisible dès 1996 du groupe Ferrand imputable aux fautes de gestion de Denis Ferrand en récupérant des salariés qui avaient quitté d'eux-mêmes la société Business Concepts en perdition, et des clients qui n'étaient pas satisfaits des services de cette entreprise ;

Que la Cour a ordonné la réouverture des débats afin de permettre à Maître Hubert Lafont, es-qualité, de produire le rapport de l'expert Aichenbaum commis dans le cadre de la procédure collective ouverte à l'encontre de la société Business Concepts ;

Considérant que la société ICS relève que, selon l'expert judiciaire Jean Aichenbaum, les comptabilités des sociétés Business Concepts, Computer Memories and Peripherals, Mass Storage Media et Newpoint ne comportaient pas de livres légaux à jour et ne respectaient pas les recommandations du plan comptable, que les obligations de réédition et de publication des comptes sociaux n'avaient pas été respectées et que les comptes inter-entreprises du groupe présentaient des divergences et le compte courant de Denis Ferrand un nombre trop élevé d'opérations ;

Qu'elle ajoute que l'expert a dénoncé un gonflement frauduleux des chiffres d'affaires à la veille de la clôture d'exercices décalés d'une société à l'autre, l'appel au soutien de plusieurs banques différentes dont les avances atteignaient 8 371 380 F au 31 mars 1996, la comptabilisation de chèques et traites non causées et un enchevêtrement des opérations qui ne permet pas de comprendre et d'interpréter clairement leur raison d'être ;

Que la société ICS soutient que l'exercice 1994-1995 de la société ICS clos au 31 mars s'était achevé sur une perte de 1 708 434 F au lieu d'un bénéfice constaté de 610 019 F, et en déduit par comparaison avec un actif disponible selon elle de 34 942 F que la cessation des paiements de la société Business Concepts était vraisemblablement antérieure au 31 mars 1994 et certaine un an plus tard, même si la date précise en est indéterminable ;

Qu'elle conclut que la société Business Concepts n'a subi aucun préjudice du fait des comportements dénoncés par Me Lafont, es-qualités, et demande à la Cour d'infirmer le jugement, de débouter la société Business Concepts et Maître Lafont de leurs demandes et de les condamner à lui verser 50 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;

Considérant que la société Business Concepts et Maître Hubert Lafont, son administrateur judiciaire, observent que le directeur administratif et financier de la société Business Concepts en charge de la comptabilité a été embauché par la société ICS et soutiennent que l'expert Jean Aichenbaum a seulement constaté une interdépendance des quatre sociétés du groupe animé par Denis Ferrand au détriment au surplus non pas de la société Business Concepts mais de la société Computer Memories and Peripherales qui a dû financer les pertes générées par la disparition brutale et quasi complète du chiffre d'affaires de la société Business Concepts au profit de la société ICS ;

Qu'ils contestent en sa méthode et en ses conclusions l'évaluation faite par l'appelante de la situation de la société Business Concepts, chiffrent à 8 400 000 F l'augmentation des ventes de la société ICS durant son exercice clos au 30 juin 1996 et en concluent que la société ICS a réalisé sur trois ans un gain de chiffre d'affaires de 25 200 000 F au détriment de la société Business Concepts ;

Qu'ils confirment leurs demandes ;

Considérant que la Cour statue au vu de l'original du rapport de l'expert Jean Aichenbaum déposé au greffe de la Cour ;

Considérant que les premiers juges ont relevé que la société ICS avait exercé à l'encontre de la société Business Concepts une concurrence déloyale caractérisée par un transfert en son sein, déloyal et source de confusion dans l'esprit des clients, de l'activité de l'animateur commercial et porteur de 49 % des parts de la société Business Concepts, par débauchage en quelques mois de l'essentiel des salariés de la société Business Concepts en contact avec les clients, par la captation frauduleuse qui en est résultée, d'une large partie de la clientèle de la société Business Concepts et par la désorganisation quasi complète des équipes de vente et de maintenance de la société Business Concepts ;

Que la société ICS, loin de nier la concurrence exercée par les porteurs de 59 % des parts de la société Business Concepts, Olivier Fréon et Patrick Darsy, et par les salariés qui ont suivi Olivier Fréon au sein de la société ICS qu'il contrôle et anime, se défend de devoir répondre de ses actes de concurrence en prétendant devant la Cour que les transfuges n'ont fait que quitter une entreprise en perdition, qu'elle-même n'a fait que récupérer des salariés qui se trouvaient privés d'emploi, et que ni elle, ni ses salariés ne se sont livrés à un quelconque dénigrement ;

Considérant que les anomalies comptables (absence de mise à jour de livres légaux de la société Business Concepts, entorse aux recommandations du plan comptable général) et administratives (absence d'approbation des opérations inter-entreprises et de la rémunération du gérant) dénoncées ne constituent nullement un motif de départ des salariés de la société Business Concepts ; que la société ICS qui a embauché le directeur financier Didier Lalanne qui en était responsable, ne peut raisonnablement soutenir le contraire ;

Que de même, les anomalies constatées concernant les dépenses personnelles des dirigeants ne sont pas telles qu'elles aient eu une incidence importance sur la trésorerie de la société Business Concepts ; qu'elles concernent au surplus tant Denis Ferrand qu'Olivier Fréon et le directeur financier Didier Lalanne ;

Que l'expert Jean Aichenbaum a par contre, constaté que les quatre sociétés du groupe Ferrand étaient certes indépendantes et comportaient des associés différents mais aussi que leurs intérêts étaient si enchevêtrés qu'elles se comportaient comme quatre départements d'une même entreprise et que le redressement judiciaire de la société Computer Memories and Peripherals a été étendu à la société Business Concepts que la première avait soutenue lorsque la société ICS l'avait dépouillée de sa clientèle ;

Que la société ICS peut seulement tirer du rapport de l'expert Jean Aichenbaum la constatation d'un décalage volontaire des dates de clôture des exercices des quatre sociétés du groupe et d'une amélioration sensible bien que temporaire opérée en fin d'exercice, à l'aide de comptabilisations suspectes et sans doute frauduleuses, de la situation de chacune des sociétés du groupe ; que les banques qui soutenaient le groupe pouvaient s'en offusquer, par la société ICS qui n'en a pas été victime et dont les animateurs n'ont pu les ignorer lorsqu'ils dirigeaient les services commerciaux, financiers et comptables de la société Business Concepts ;

Qu'il n'apparaît nullement enfin des constations de l'expert Jean Aichenbaum que la société Business Concepts n'ait pas bénéficié de concours financiers suffisants y compris lorsque la société ICS a capté l'essentiel de sa clientèle ; que le bilan clos au 31 mars 1995 ne révèle pas un état de cessation des paiements quand bien même la constatation d'un bénéfice pourrait être contestée ;

Qu'il existait sans doute, lorsqu'Olivier Fréon a décidé de consacrer son activité commerciale non plus à la société Business Concepts dont il possédait encore 39 % des parts, mais à la société ICS qu'il contrôlait et dont il était le gérant depuis janvier 1996, une insuffisance de trésorerie préoccupante au sein du groupe Ferrand ; qu'il n'est nullement établi qu'elle impliquait à terme une cessation des paiements avant que la société ICS ne la rende inexorable par les actes de concurrence déloyale qu'elle a commis ;

Qu'il convient enfin de constater que Maître Lafont se présente encore en 1998 en qualité d'administrateur du redressement judiciaire de la société Business Concepts ce qui confirme que la situation de l'entreprise n'était pas aussi désespérée qu'elle ait justifié un départ de l'essentiel des membres de ses équipes de prospection commerciale et de maintenance, même si Patrick Darsy, le second de ses directeurs commerciaux a été licencié en juillet 1996 pour motif économique du fait de l'effondrement des ventes provoqué par la société ICS qui l'a aussitôt recueilli ;

Considérant que le redressement judiciaire de la société Business Concepts a été ouvert le 29 mai 1997 par extension du redressement de la société Computer Memories and Peripherals ordonné le 10 avril 1997 ; que la société Business Concepts et Maître Lafont dénoncent la captation en 1996 de la clientèle de la société Business Concepts par la société ICS qui a été constituée par Olivier Fréon en 1994 et qui a soudainement remplacé, au cours de l'année 1996, son personnel commercial et technique d'origine peu étoffé par un recrutement massif de douze salariés dont les deux directeurs commerciaux Olivier Fréon et Patrick Darsy, porteur à eux deux de 59 % de ses parts sociales, et assurant de même à eux deux 68 % de son chiffre d'affaires et trois des quatre salariés de son service de maintenance ;

Considérant que si la sincérité des attestations versées aux débats est sujette à caution du fait des liens professionnels ou commerciaux liant leurs auteurs aux deux sociétés antagonistes, il peut être tenu pour acquis au regard notamment d'un constat versé aux débats :

- qu'Olivier Fréon qui détenait à l'origine 49 % des parts sociales de la société Business Concepts et en possédait encore 39 % depuis janvier 1996, a démissionné de ses fonctions de directeur commercial de la société Business Concepts en août 1996 et a quitté l'entreprise en tant que salarié le 31 août 1996 pour devenir salarié le 2 janvier 1997 de la société concurrente ICS qu'il avait créée le 21 juillet 1994 et dont il assumait officiellement la gérance depuis le début de l'année 1996.

- que Patrick Darsy qui avait acquis en janvier 1996, 20 % des parts sociales de la société Business Concepts qui l'embauchait en tant que second directeur commercial, a fait l'objet d'un licenciement dont la motivation réelle est controversée, en juillet 1996, à effet du 31 octobre 1996 et a été embauché en tant que directeur commercial adjoint par la société ICS le 2 janvier 1997,

- exception faite de la secrétaire qui est en place depuis le 17 novembre 1994, la société ICS ne disposait à ses débuts d'activité de fin 1994 que d'un ingénieur commercial et d'une assistance commerciale qui l'ont quittée le 13 décembre 1996,

- le personnel de la société ICS ne s'est étoffé qu'avec l'embauche le 3 janvier 1996 d'une assistante commerciale, le 1er avril 1996 d'un technicien de maintenance en clientèle ancien salarié de la société Business Concepts le 2 mai 1996 d'un directeur commercial et les 2 août et 2 décembre 1996 d'un technicien et d'un second technicien de maintenance en clientèle lui aussi ancien salarié de la société Business Concepts,

- parmi les six salariés embauchés de façon durable entre le 2 décembre 1996 et le 21 mars 1997, cinq l'avaient été de la société Business Concepts, le technicien en maintenance de clientèle, Patrick Maréchal, embauché 3 jours après son départ de société Business Concepts, le directeur commercial adjoint Patrick Darsy, le directeur technique des interventions sur site, Nicolas Chauvet et le directeur financier Didier Lalanne, tous trois embauchés d'un à deux mois après leur départ, enfin Olivier Fréon, démissionnaire en juillet 1996 de la société Business Concepts et embauché le 2 janvier 1997 mais alors qu'il gérait déjà depuis un an la société ICS,

Qu'il n'est pas contesté qu'Olivier Fréon dont la société ICS affirme dans ses conclusions d'appel qu'il réalisait 90 % des ventes de la société Business Concepts et Patrick Darsy assuraient à eux deux une part prépondérante du chiffre d'affaires de la société Business Concepts et que trois des quatre techniciens de maintenance en clientèle de la société Business Concepts ont été embauchés par la société ICS ; que les embauches aient été différées de quelques semaines n'implique nullement qu'il n'y ait pas eu concertation préalable ; que Patrick Maréchal, Patrick Darsy et Nicolas Chauvet devaient d'autant plus avoir reçu des assurances avant leur départ quant à leur avenir qu'ils ont choisi de démissionner et qu'il n'est nullement établi qu'ils avaient une raison sérieuse de le faire autre que de se retrouver ensemble dans l'équipe animée par Olivier Fréon ;

Que le départ en l'espace de quelques mois de la presque totalité des membres de l'équipe commerciale de la société Business Concepts et la reconstitution de cette équipe au sein de la société concurrente ICS appelée à s'adresser inévitablement aux mêmes clients est d'autant plus un acte de concurrence déloyale, ainsi que les premiers juges l'ont pertinemment relevé, qu'il a désorganisé la société Business Concepts, a permis en revanche à la société ICS de s'assurer les services de salariés formés qu'elle s'est empressée de substituer à son service commercial fort peu étoffé qui a été pour l'essentiel écarté, et a provoqué un basculement de clientèle que prouvent l'effondrement des ventes de la société Business Concepts même si cette concurrence n'en est pas la seule cause, et l'accroissement parallèle fort important du chiffre d'affaires de la société ICS;

Considérant que les salariés transfuges étaient certes libres de quitter leur employeur et n'étaient tenus d'aucun engagement de non-concurrence ; qu'il n'en demeure pas moins que les deux principaux d'entre eux, Olivier Fréon et Patrick Darsy, étaient aussi des porteurs de parts de la société Business Concepts liés à elle et à leur associé Denis Ferrand par un pacte social qui tenait en quelque sorte lieu de clause de non-concurrence tant au moins qu'ils demeuraient associés;

Que la société ICS ne pouvait ignorer la déloyauté du comportement de son gérant Olivier Fréon et de son acolyte Patrick Darsy à l'encontre de la société Business Concepts ; qu'en accueillant leur équipe commerciale et en acceptant que les clients de la société Business Concepts s'adressent désormais à elle, quant bien même leur démarchage ne serait que probable, elle a commis une faute quasi délictuelle dont elle doit réparation ;

Que la société ICS est d'autant moins bien venue à tenter de se justifier en alléguant des fautes de gestion de Denis Ferrand que son gérant Olivier Fréon et Patrick Darsy disposaient à eux deux de 59 % des parts sociales de la société Business Concepts depuis janvier 1996 et avaient ainsi toute l'attitude de remplacer le gérant plutôt que de provoquer la perte de la société Business Concepts afin de s'en approprier la clientèle au sein de la société ICS au détriment de leur associé Denis Ferrand ;

Considérant que par des motifs pertinents que la Cour adopte, les premiers juges ont limité à 4 000 000 F la réparation due à la société ICS en tenant compte tant de la diminution à l'époque des ventes des produits Apple dont la société Business Concepts était distributeur agréé, que de la responsabilité prise par Denis Ferrand dans une dégradation des relations internes qui ne pouvait qu'avoir une incidence néfaste sur l'activité sociale ;

Que la société Business Concepts et Maître Lafont ne sont pas fondés à calculer le dommage engendré par la concurrence déloyale par comparaison avec augmentation considérable des ventes de la société ICS ; que cet accroissement a été généré certes par une captation de clientèle mais trouve certainement aussi son explication dans un développement très sensible du service commercial de la société ICS et une motivation certainement accrue des salariés en contact avec la clientèle ; qu'au surplus le chiffre d'affaires ne constitue pas une marge bénéficiaire, fut-elle brute ;

Qu'il n'y a pas lieu de modifier l'estimation raisonnable des premiers juges en maintenant à la date de l'assignation le point de départ des intérêts au taux légal à titre de supplément de dommages et intérêts ;

Considérant qu'il serait inéquitable que la société Business Concepts et Maître Hubert Lafont conservent la charge de leurs frais irrépétibles ;

Par ces motifs : Confirme la décision déférée en toutes ses dispositions,Y ajoutant ; Condamne la société Image Computer Service à payer à la société Business Concepts et à Maître Hubert Lafont ès-qualité d'administrateur de son redressement judiciaire sa somme de 40 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel ; La condamne en tous les dépens d'appel, Admet Maître Kieffer-Joly, avoué au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.