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Décisions

CA Colmar, 1re ch. A, 19 mai 1998, n° 9800134

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Arc Intérim (SA)

Défendeur :

Europ Intérim (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Gueudet

Conseillers :

Mmes Bertrand, Schneider

Avocats :

Mes Wetzel, Cahn, associés.

TGI Colmar, du 25 juill. 1995

25 juillet 1995

M. Jacky Lengauer, embauché par la société Europ Intérim le 5 juin 1988 en qualité de cadre commercial a démissionné de ses fonctions le 2 janvier 1991.

Par une ordonnance de référé en date du 29 janvier 1991, le Conseil de prud'hommes de Mulhouse a constaté la rupture du contrat de travail à l'initiative du salarié le 2 janvier 1991 et fait interdiction à M. Lengauer d'exercer directement ou en qualité de salarié, une activité pouvant concurrencer celle de la société Europ Intérim.

Par un jugement du 6 septembre 1991 le conseil de prud'hommes de Colmar, saisi par M. Lengauer, a déclaré la clause de non-concurrence valable, l'a limitée dans le temps à deux ans, et territorialement aux départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et en Allemagne aux secteurs compris au sud d'une ligne Muhleim, Schönau, Bandorf, Blugerg et Stockacj.

Dès sa démission de la société Europ Intérim, M. Lengauer est entré au service de la société Pro Intérim.

Soutenant que M. Lengauer exerçait son activité au mépris de la clause de non-concurrence, la société Europ Intérim a fait assigner M. Lengauer et la société Pro Intérim devant le Tribunal de grande instance de Mulhouse, pour les entendre condamner à lui payer la somme 1 500 000 F de dommages et intérêts.

Par un jugement du 25 janvier 1993, le tribunal de grande instance de Mulhouse a ordonné la disjonction de l'instance, renvoyé la cause, en tant qu'elle concerne M. Lengauer, devant le conseil de prud'hommes de Colmar, et condamné la société Pro Intérim à payer à la société Europ Intérim la somme de 350 000 F.

Parallèlement, le conseil de prud'hommes de Colmar a, par un jugement du 17 mars 1995, condamné M. Lengauer à payer à la société Europ Intérim la somme de 250 000 F au titre du non-respect de la clause de non-concurrence.

Le 8 juillet 1991, M. Jacky Lengauer a été embauché par la SA Arc Intérim

Se prévalant d'une nouvelle violation de la clause de non-concurrence, la société Europ Intérim a fait assigner M. Lengauer et la société Arc Intérim devant le tribunal de grande instance de Colmar pour les entendre condamner in solidum à lui payer la somme de 500 000 F au titre de dommages et intérêts, outre un montant de 20 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Par jugement du 26 juillet 1995, le tribunal de grande instance de Colmar a ordonné la disjonction de l'instance, renvoyé la cause en tant qu'elle concerne M. Jacky Lengauer devant le conseil de prud'hommes de Colmar, et condamné la société Arc Intérim à payer à la société Europ Intérim la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts, ainsi qu'un montant de 5 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Pour retenir la responsabilité de la société Arc Intérim, le tribunal de grande instance de Colmar a considéré :

- qu'il est constant que la société Arc Intérim exerce une activité concurrente de la société Europ Intérim et qu'en embauchant Jacky Lengauer, elle connaissait la clause de non-concurrence qui le liait à son ancien employeur, la société Europ Intérim,

- que la société Arc Intérim n'a pas justifié de l'activité développée par Jacky Lengauer dans le nord de l'Allemagne,

- qu'il ressort en revanche des procès-verbaux de constat de Maître Schneider, huissier, que M. Lengauer exerçait son activité à Sélestat,

- qu'un salarié intérimaire, M. Contarini a attesté avoir eu des contacts avec M. Lengauer au cours du deuxième semestre 1991,

- qu'en revanche le démarchage de clients ainsi que le débauchage de salariés n'est pas démontré,

- qu'en se rendant complice de l'interdiction de concurrence imposée à Jacky Lengauer, la société Arc Intérim a causé un préjudice moral et commercial à la société Europ Intérim qui peut équitablement être fixé à 100 000 F.

Parallèlement, le conseil de prud'hommes de Colmar a, par un jugement du 19 septembre 1996, débouté la société Europ Intérim de sa demande dirigée contre M. Lengauer, et l'a condamné à une amende civile de 5 000 F, en considérant que les faits de concurrence allégués avaient déjà fait l'objet d'une indemnisation par M. Lengauer au service de la société Pro Intérim.

Le 9 octobre 1995 la SA Arc Intérim a interjeté appel du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Colmar le 26 juillet 1995.

L'appelante conclut à l'infirmation de la décision entreprise, et par voie de conséquence, au rejet de la demande de la société Europ Intérim, ainsi qu'à sa condamnation à lui payer la somme de 6 030 F en application de l'article 700 du NCPC.

Au soutien de son appel, la société Arc Intérim fait valoir que les pièces produites par la société Europ Intérim l'ont déjà été dans le cadre de la procédure dirigée contre la société Pro Intérim, et ne peuvent aboutir à une seconde condamnation au titre des mêmes faits.

Elle soutient que M. Lengauer a été embauché pour démarcher la clientèle au nord de l'Allemagne, et en tout cas dans un secteur autre que celui sur lequel s'applique la clause de non-concurrence.

Elle relève que les pièces produites par la société Europ Intérim, essentiellement des constats d'huissier, ne démontrent que la présence devant l'agence de Sélestat, du véhicule de fonction de la société Arc Intérim, véhicule qui peut être utilisé par plusieurs salariés ; que quand bien même serait établie la preuve de la présence de M. Lengauer à l'agence de Sélestat, elle ne démontrerait pas pour autant la violation d'une clause de non-concurrence.

Elle considère que la preuve n'est ainsi pas rapportée de ce que M. Lengauer, et donc la société Arc Intérim auraient contacté des clients après le mois de juillet 1991, ou que des salariés intérimaires auraient été débauchés de la société Europ Intérim au profit de la société Arc Intérim.

La société Europ Intérim conclut au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris, et par voie de conséquence, à la condamnation de la société Arc Intérim à lui payer la somme de 100 000 à titre de dommages et intérêts.

Elle sollicite en outre un montant de 15 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Au soutien de ses prétentions, la société Europ Intérim se prévaut de trois procès-verbaux dressés par Maître Schneider, huissier de justice, les 31 janvier 1992, 21 février 1992 et 24 mars 1992. Elle estime que compte tenu de la durée et de la fréquence des passages de M. Lengauer à l'agence de Sélestat, la preuve est ainsi rapportée de ce que M. Lengauer exerce désormais son activité à l'agence de Sélestat de la société Arc Intérim, filiale de la société Pro Intérim.

Elle souligne qu'interrogé par l'huissier de justice, M. Belamici, Directeur administratif de la société a prétendu que M. Lengauer, exerçait son activité dans le nord de l'Allemagne ; que cette allégation est inexacte alors que selon le constat du 31 janvier 1992, les salariés intérimaires sont en réalité recrutés dans les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin ; que de surcroît, la société Arc Intérim n'a jamais justifié d'une quelconque activité dans le nord de l'Allemagne.

L'intimée produite en outre la liste de 19 salariés démarchés par M. Lengauer pour le compte de la société Arc Intérim et de Sunchro Intérim, ainsi qu'une attestation de M. Contarini, salarié intérimaire qui affirma avoir été contacté à plusieurs reprises par M. Lengauer au cours du deuxième semestre 1991.

Elle estime dès lors, qu'ainsi que l'ont relevé les premiers juges, la société Arc Intérim s'est rendue complice de l'interdiction de concurrence imposée à M. JackyLengauer, et lui a ainsi causé un préjudice considérable.

Par arrêt avant dire droit du 17 décembre 1996, la cour a relevé que les faits reprochés à Arc Intérim constituaient l'accessoire du fait principal de concurrence interdite, et que ces faits sont actuellement soumis à la chambre sociale de la cour, saisie de l'appel à l'encontre du jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Colmar le 19 septembre 1996.

Par voie de conséquence, la cour a ordonné le sursis à statuer jusqu'au prononcé de l'arrêt de la chambre sociale.

Par conclusions du 8 janvier 1998, la société Arc Intérim a repris l'instance, en précisant que la société Europ Intérim s'était désistée de son appel à l'encontre du jugement du conseil de prud'hommes.

Soulignant que ce jugement ayant exonéré M. Lengauer de toute responsabilité est aujourd'hui définitif, la société Arc Intérim en conclut qu'il n'existe plus de fait principal de concurrence interdite.

Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens,

Attendu qu'ayant démissionné de ses fonctions de directeur d'agence au sein de la société Europ Intérim le 2 janvier 1991, M. Lengauer restait tenu à l'égard de son ancien employeur par une clause de non-concurrence prévoyant que " M. Lengauer s'interdit en cas de cessation du contrat, quelle qu'en soit la cause, d'exercer directement ou indirectement ou d'entrer au service d'une entreprise pouvant concurrencer la société Europ Intérim " ;

Que cette clause de non-concurrence prévue pour une durée de deux ans, a été limitée dans son champ d'application territorial, aux départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et au secteur de RFA compris " au sud d'une ligne Mülheim - Schönau - Bondorfd - Blugerg - Stockach ".

Attendu que le 8 juillet 1991, M. Jacky Lengauer a été embauché par la société Arc Intérim ayant son siège à Woippy, et disposant d'agences situées à Sélestat, Neuf-Brisach et Horbourg.

Attendu que les sociétés Europ Intérim et Arc Intérim exerçant dans la même spécialité et dans le même secteur géographique, s'adressent à la même clientèle, et sont donc en situation de concurrence.

Attendu qu'il ressort des procès-verbaux de constat dressés par Maître Schneider, huissier de justice, les 24 mars et 27 mars 1992 :

- que la présence du véhicule de M. Lengauer (Renault 21 grise) immatriculée 4775 XX 57 a été constatée par l'huissier les 31 janvier 1992 à 9 h 20, 3 février 1992 à 9 h 25, 5 février 1992 à 8 h 55 et 11 h 35, 6 février 1992 à 8 h 55, 7 février 1992 à 8 h 10 et 8 h 55, 21 février 1992 à 16 h 15, 4 mars 1992 à 9 h, 10 mars 1992 à 16 h 50, 11 mars 1992 à 9 h 10, 12 mars 1992 à 10 h 30, 13 mars 1992 à 17 h 30, 19 mars 1992 à 9 h 10, 23 mars 1992 à 8 h 25, 24 mars 192 à 8 h 30 et 27 mars 1992 à 17 h 05, ce véhicule étant stationné devant l'agence de la société Arc Intérim situé à Sélestat 17 boulevard Vauban,

- que l'huissier a même constaté que le 27 mars 1992 à 8 h 15, M. Lengauer a garé son véhicule devant l'agence de Sélestat et est entré dans les locaux,

- que M. Belamici, directeur administratif de la société Arc Intérim, entendu par l'huissier de justice, a confirmé que M. Lengauer circulait à bord d'un véhicule de fonction Renault 21 immatriculée dans le département 57,

- que le 7 février 1992, la secrétaire de l'agence a indiqué à Maître Schneider que " M. Lengauer n'est pas toujours présent ".

Attendu que M. Belamici a reconnu que M. Lengauer travaillait depuis le mois de juillet 1991 pour le compte de la société Arc Intérim et a prétendu " qu'il développait l'activité de la société Arc Intérim dans le nord de l'Allemagne, conformément à la décision du conseil de prud'hommes de Colmar du 6 septembre 1991 " ;

Que cette allégation qui n'est étayée d'aucun élément de preuve (contrats de travail ou contrats de missions) est contredite par les constatations de l'huissier de justice Maître Schneider, établissant que M. Lengauer exerce son activité à l'agence de Sélestat ;

Qu'il ressort en outre de l'attestation de M. Jean-Jacques Contarini qu'au cours du deuxième semestre 1991, il a été contacté à plusieurs reprises par M. Lengauer pour des missions intérimaires en Allemagne, en particulier sur la région frontalière (Lörrach) ;

Qu'il est ainsi établi que M. Lengauer a exercé une activité concurrente à celle de la société Europ Intérim, au cours de la période et sur le secteur retenus par la clause de non-concurrence.

Attendu que la société qui embauche un salarié, lié à son ancien employeur par une clause de non-concurrence, se rend complice de la violation de cette clause, et commet ainsi un acte de concurrence déloyale;

Que sa responsabilité délictuelle est engagée même si elle n'a eu connaissance de la clause qu'après avoir embauché le salarié (chambre commerciale de la Cour de Cassation 23 octobre 1984), voire même si elle s'est simplement abstenue de procéder à des vérifications (Cassation commerciale 5 février 1991).

Attendu qu'il ressort des déclarations de M. Belamici, recueillies par Maître Schneider, huissier de justice, que la société Arc Intérim connaissait l'existence de la clause de non-concurrence et affirmait s'y être conformée ;

Qu'il est cependant établi que le lieu d'exercice pour M. Lengauer de son activité concurrente est inclus dans le secteur territorial visé par la clause de non-concurrence.

Attendu qu'en employant M. Lengauer, qu'elle savait lié à la société Europ Intérim par une clause de non-concurrence, la société Arc Intérim s'est rendue complice de la violation de cette clause ;

Que sa responsabilité délictuelle est engagée même si par ailleurs la demande d'indemnisation de la société Europ Intérim à l'encontre de M. Lengauer, fondée sur le non-respect de cette clause, a été rejetée par décision du conseil de prud'hommes aujourd'hui définitive(le conseil de prud'hommes ayant considéré que la demanderesse avait déjà été indemnisée au titre de son préjudice).

Attendu que l'embauche par la société Arc Intérim de M. Lengauer, précédemment directeur d'agence au sein de la société Europ Intérim a nécessairement causé un important trouble commercial au préjudice de cette société ;

Que compte tenu des fonctions de M. Lengauer, des renseignements commerciaux et fichiers auxquels il avait accès, et de la période pendant laquelle ces actes de concurrence ont perduré (du 8 juillet 1991 au 31 juillet 1992), le trouble commercial éprouvé a, à juste titre, été évalué par les premiers juges à la somme de 100 000 F ;

Que le jugement déféré doit être confirmé ;

Attendu qu'il paraît inéquitable de laisser à la charge de l'intimée les frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

Qu'il y a lieu de lui allouer la somme de 8 000 F en application de l'article 700 du NCPC.

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré, Déclare l'appel recevable, Au fond, le dit mal fondé, Confirme le jugement déféré, Condamne l'appelante à payer à l'intimée la somme de 8 000 F (Huit mille francs) en application de l'article 700 du NCPC. Condamne l'appelante aux dépens d'appel.