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Décisions

CA Nancy, 2e ch., 13 mai 1998, n° 2136-98

NANCY

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Technique Protection Habitat (SARL), SCP Bihr Le Carrer (ès qual.)

Défendeur :

Bureau Central de Sécurité Electronique (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lilti

Conseillers :

M. Malherbe, Mme Lapeire

Avoués :

SCP Millot-Logier-Fontaine, SCP Merlinge-Bachwassermann

Avocats :

Mes Gossin, Ravon

T. com. Epinal, du 19 déc. 1995

19 décembre 1995

I. PROCEDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES :

Par jugement en date du 19 décembre 1995 auquel la Cour renvoie pour l'exposé des faits et les prétentions et moyens des parties en première instance, le Tribunal de Commerce d'Epinal a :

- reçu la société Bureau Central de Sécurité Electronique (BCSE) en sa demande et la déclare partiellement bien fondée,

- dit que la société Technique Protection Habitat (TPH) s'est livrée à des actes constitutifs de concurrence déloyale, tels que le démarchage systématique et le détournement de clientèle et lE parasitisme,

- débouté la société TPH de sa demande reconventionnelle,

en conséquence,

- condamné la société TPH à payer à la société BCSE en réparation de 550 000 F avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 1994,

- interdit l'utilisation par la société TPH de tous procédés constituant un acte de concurrence déloyale, et notamment le détournement de clientèle, le démarchage systématique de la clientèle de BCSE, le parasitisme, l'utilisation de tout document de conception et d'utilisation BCSE, et ce, sous astreinte de 10 000 F par infraction caractérisée et dûment constatée, passé le délai de 15 jours à compter de la signification du présent jugement,

- autorisé la société BCSE à faire publier le dispositif du présent jugement sous le titre " Condamnation de la société TPH pour concurrence déloyale à l'encontre de la société BCSE ", dans trois quotidiens régionaux de son choix, le coût de chaque insertion devant être limité à 2 500 F et ce, aux frais de la société TPH et à titre de complément de dommages et intérêts aux bénéfice de la société BCSE,

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,

- condamné la société TPH à payer à la société BCSE la somme de 15 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

- débouté la société BCSE de ses autres et plus amples demandes, comme étant inutiles ou non justifiées,

- condamné la société TPH aux entiers dépens de l'instance.

La SARL TPH a relevé appel de ce jugement le 18 janvier 1996 et pris les 18 janvier 1996 et 20 mai 1996 des conclusions en ces termes :

" Infirmer la décision entreprise en toutes ses dispositions et statuant à nouveau :

" Dire et juger que TPH n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale à l'encontre de BCSE consistant en un détournement et un démarchage systématique de clientèle et en parasitisme.

En conséquence,

" Débouter BCSE de toutes ses demandes formulées à l'égard de TPH,

" La débouter de toutes demandes, fins et conclusions contraires,

" La condamner en outre à payer la somme de 10 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

" La condamner aux entiers dépens, tant d'instance que d'appel.

Le 12 août 1996 il a été porté à la connaissance de la Cour que la société TPH avait fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce d'Epinal en date du 4 juin 1996 et que la SCP Bihr-Le-Carrer désignée en qualité de représentant des créanciers intervenait dans la procédure et adoptait les conclusions de la société TPH

Enfin à la date du 17 janvier 1997 TPH et son mandataire judiciaire formulaient à l'encontre de BCSE une demande de dommages-intérêts pour un montant de 200 000 F.

Par conclusions du 28 novembre 1996, le Bureau Central de Sécurité Electronique BCSE a demandé à la Cour de :

" Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a jugé que la société TPH s'est livrée à des actes constitutifs de concurrence déloyale, tels que le démarchage systématique et le détournement de la clientèle et le parasitisme.

" Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a interdit l'utilisation par la société TPH de tout procédé constituant un acte de concurrence déloyale,

" Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a autorisé à la société BCSE à faire publier le dispositif du jugement,

" Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que la condamnation aux dommages et intérêts sera au taux légal à compter du 4 août 1994,

" Y ajoutant,

" Dire que la société TPH s'est livrée à des actes de dénigrement de BCSE et de ses prix et que l'ensemble des actes constitutifs de concurrence déloyale auxquels elle s'est livrée a entraîné la désorganisation de BCSE,

" Condamner la société TPH à titre de dommages et intérêts, à payer à la société BCSE la somme en principal de 1 985 001 F,

" Fixer la créance de BCSE au redressement judiciaire de la société TPH à la somme de 1 985 001 F au taux légal à compter du 4 août 1994,

" Condamner en tout état de cause la société TPH à 200 000 F de dommages-intérêts pour appel abusif,

" La condamner en outre à 40 000 F hors taxes en application de l'article 700 du Nouveau Code Procédure Civile,

" Dire que l'arrêt rendu par votre Cour servira à fixer le montant des créances de la société BCSE au redressement judiciaire de la société TPH,

" Condamner la société TPH en tous les dépens, tant d'instance que d'appel, qui pourront être recouvrés par la SCP Merlinge, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile.

Suite à la procédure collective ouverte contre la société TPH, la société BCSE par conclusions du 14 février 1997 a requis l'admission de sa créance à concurrence de 1 985 001 F avec intérêts au taux légal à compter du 4 août 1994, date de l'assignation initiale.

Par ordonnance du 21 mars 1996 du Premier Président de la Cour d'appel de Nancy, une demande de sursis à l'exécution provisoire ordonnée par le tribunal a été rejetée.

La procédure a été appelée à l'audience du 6 mars 1997.

II. MOTIFS DE LA DECISION :

1 - Sur le démarchage et le détournement de clientèle :

Attendu que la société TPH fait valoir qu'il existe de nombreuses entreprises dans le domaine de l'isolation et de la protection du bois, que la concurrence est rude et que toutes les entreprises utilisent la même technique de vente, à savoir le démarchage de la clientèle à domicile ;

Que la libre concurrence est la règle sauf dans le cadre de la garantie décennale où elle s'est toujours interdit d'intervenir aux lieu et place de l'entreprise ayant effectué le traitement ;

Que d'ailleurs BCSE a tenté elle-même de détourner de la clientèle TPH intervenant aussi dans le cadre de la garantie décennale ;

Mais attendu que le Tribunal de Commerce a établi au vu des pièces justificatives produites et notamment les contrats conclus que les anciens salariés de BCSE après avoir démissionné ont systématiquement démarché la clientèle de leur ancienne entreprise en profitant de leurs connaissances et des documents BCSE ;

Que d'ailleurs certains démarcheurs TPH se sont fait passer pour du personnel BCSE ;

Que c'est donc à juste titre et par des motifs pertinents et que la Cour adopte que le tribunal a considéré que le démarchage systématique de la clientèle BCSE par TPH et les conditions précisées ci-dessus dans lesquelles s'est effectué ce démarchage ont constitué des actes de concurrence déloyale ;

2 - Sur le parasitisme :

Attendu que la société TPH reprend en appel les arguments soutenus en première instance à savoir qu'il n'existe pas de sa part d'acte de concurrence déloyale puisque le seul savoir-faire invoqué par BCSE consisterait en la technique du porte-à-porte et que, par ailleurs, les formulaires utilisés par TPH ne peuvent être semblables à ceux de BCSE puisque les deux entreprises travaillent sur le même secteur d'activité ;

Attendu que le comportement parasitaire peut se définir de la manière suivante :

" quiconque, à titre lucratif, et de façon injustifiée, s'inspire sensiblement ou copie une valeur économique d'autrui, individualisée et procurant un avantage concurrentiel, fruit d'un savoir faire, d'un travail intellectuel et d'investissements, commet un agissement parasitaire fautif. Car cet acte, contraire aux usages du commerce, notamment en ce qu'il rompt l'égalité entre les divers intervenants, même non concurrents, fausse le jeu normal du marché et provoque ainsi un trouble commercial. Celui-ci est, en soi, un préjudice certain dont la victime peut demander en justice la cessation et la réparation, s'il ne dispose pas d'une action spécifique " (Ph. Le Tourneau, Pr. à la Faculté de droit de Toulouse).

Attendu que le Tribunal de Commerce a rappelé que la société TPH a été constituée en grande partie par et avec d'anciens salariés ou des salariés démissionnaires de BCSE ;

Qu'il a démontré que les premières affaires de TPH ont été réalisées avec des clients de BCSE ;

Que la présence, au sein de TPH, des anciens salariés BCSE a permis à TPH de se constituer sans coûts, ni aléas et de bénéficier gratuitement de l'acquisition des connaissances nécessaires au fonctionnement d'un opérateur important sur le marché de collaborateurs compétents, ayant acquis une grande expérience au sein de BCSE;

Que le " savoir faire " de BCSE, " emprunté " par TPH, ne consiste évidemment pas en la seule technique du " porte à porte ", mais comprend la formation de ses salariés(qui, contrairement à ce que dit faussement TPH, dépasse largement les deux jours, ainsi qu'il est démontré par les pièces BCSE, versées aux débats), mais également une technique de travail spécifique ainsi qu'une technique de commercialisation mise au point au fil des années;

Qu'à cela s'ajoute l'utilisation par TPH dès sa création, de formulaires commerciaux et de tarification, de documents techniques et illustrations, qui puisent leur substance, quelquefois servilement, dans ceux utilisés par BCSE, ceci étant démontré abondamment par les pièces versées aux débats par BCSE;

Attendu que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a estimé que ces comportements constituaient des faits de " parasitisme économique " assimilés à des pratiques de concurrence déloyale;

3 - Sur le préjudice de BCSE :

Attendu que le tribunal a fait une appréciation raisonnable et modérée du préjudice de BCSE en fixant à 250 000 F le montant des dommages-intérêts pour le détournement de clientèle commis par TPH et à 300 000 F les dommages-intérêts dus pour les faits de parasitisme économiques ;

Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et contradictoirement, Reçoit la société Technique Protection Habitat en son appel du jugement du Tribunal de Commerce d'Epinal en date du 19 décembre 1995, Au fond, confirme ledit jugement en ce qu'il a dit que la société Technique Protection Habitat s'était livrée à des actes constitutifs de concurrence déloyale, tels que le démarchage systématique, le détournement de clientèle et le parasitisme au préjudice de la société Bureau Central de Sécurité Electronique, Le confirme également en ce qu'il a débouté la société Technique Protection Habitat de sa demande reconventionnelle ; Le confirme également en ce qu'il a : - évalué le préjudice de la société Bureau Central de Sécurité Electronique à la somme de 550 000 F (cinq cent cinquante mille francs) avec intérêts légaux à compter du 4 août 1994, - interdit l'utilisation par la société Technique protection Habitat de tous procédés constituant un acte de concurrence déloyale, et notamment le détournement de clientèle, le démarchage systématique de la clientèle de la société Bureau Central de Sécurité Electronique, le parasitisme, l'utilisation de tout document de conception et d'utilisation de la société Bureau Central de Sécurité Electronique, et ce, sous astreinte de 10 000 F (dix mille francs) par infraction caractérisée et dûment constatée, passé le délai de 15 jours à compter de la signification dudit jugement, - autorisé la société Bureau Central de Sécurité Electronique a faire publier le dispositif du présent jugement sous le titre " Condamnation de la société Technique Protection Habitat pour concurrence déloyale à l'encontre de la société Bureau Central de Sécurité Electronique ", dans trois quotidiens régionaux de son choix, le coût de chaque insertion devant être limité à 2 500 F (deux mille cinq cents francs) et ce, aux frais de la société Technique Protection Habitat et à titre de complément de dommages et intérêts aux bénéfice de la société Bureau Central de Sécurité Electronique, - ordonné l' exécution provisoire dudit jugement, - condamné la société Technique Protection Habitat à payer à la société Bureau Central de Sécurité Electronique la somme de 15 000 F (quinze mille francs) sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, - débouté la société Bureau Central de Sécurité Electronique de ses autres et plus amples demandes, comme étant inutiles ou non justifiées, - condamné la société Technique Protection Habitat aux entiers dépens de l'instance. Constate que la société Technique Protection Habitat se trouve en redressement judiciaire depuis le 4 juin 1996, En conséquence fixe la créance de la société Bureau Central de Sécurité Electronique audit redressement judiciaire à la somme de 550 000 F (cinq cent cinquante mille francs), Déclare mal fondé l'appel incident de la société Bureau Central de Sécurité Electronique, Dit que les dépens de la procédure d'appel seront partagés par moitié entre les parties et que les frais judiciaires non compris dans les dépens et que chacune a engagés en appel resteront à sa charge, Autorise les avoués de la cause à recouvrer directement ceux dont ils ont fait l'avance (articles 696 à 699 du Nouveau Code de Procédure Civile).