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Décisions

CA Lyon, 1re ch., 26 février 1998, n° 97-00082

LYON

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Aéroclub du Rhône et du Sud-Est, Curtillat

Défendeur :

Aérhonalp (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Mermet

Conseillers :

M. Jacquet, Mme Biot

Avoués :

Me Guilhem, SCP Aguiraud

Avocats :

Mes Bazy, Dessan.

TGI Lyon, du 14 nov. 1996

14 novembre 1996

Faits procédure prétentions des parties

La société Aérhonalp, entreprise commerciale de travail aérien dont l'activité est la location d'avions et la formation aux licences de Pilotes Professionnels Avion est implantée sur le site de l'aéroport de Bron depuis 1986.

Sur ce même aéroport, se trouve également implanté l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est association loi 1901 dont l'objet est de permettre à ses membres de pratiquer tous les sports aériens à l'exception du vol à voile, ainsi que de l'école en vue d'obtenir des brevets licences et qualifications nécessaires.

Estimant que l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est se livrait à des actes de concurrence déloyale en offrant un enseignement de formation aux licences de pilote professionnel qu'elle n'est pas habilitée à dispenser, la société Aerhonalp, après avoir obtenu la désignation d'un expert en référé, a assigné l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est pour voir constater les faits de concurrence déloyale et réparer son préjudice qu'elle estimait à la somme de 4 467 254 F.

Par jugement du 4 novembre 1996, le Tribunal de grande instance de Lyon a rendu la décision suivante :

Déclare l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est et Monsieur Jacques Curtillat, responsables d'actes de concurrence déloyale au préjudice de la société Aérhonalp,

En conséquence, les condamne in solidum à payer à la société Aérhonalp la somme de 600 000 F à titre de dommages et intérêts avec intérêts au taux légal et celle de 7 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Rejette toute autre demande des parties,

L'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est et Monsieur Jacques Curtillat ont interjeté appel de cette décision.

Ils contestent les actes de concurrence déloyale qui leurs sont reprochés en faisant valoir que jusqu'en 1993, les méthodes de formation des pilotes privés et des pilotes professionnels étaient les mêmes et qu'on pouvait se présenter aux épreuves de l'examen de pilote professionnel en candidat libre de sorte que leurs élèves, après avoir suivi la formation de pilote privé, prenaient quelques heures de cours avec un instructeur qualifié et obtenaient leur diplôme de pilote professionnel. La réglementation ayant changé en 1993, l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est a cessé ce genre de formation.

L'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est et Monsieur Jacques Curtillat contestent le lien de causalité entre la faute alléguée si elle était établie et le préjudice réclamé en soutenant que la Société Aérhonalp ne peut soutenir avoir perdu une clientèle qu'elle n'a jamais eue, que son chiffre d'affaires n'a cessé d'augmenter et qu'au surplus l'intimée était mal gérée.

Ils prient donc la Cour, infirmant, la décision déférée de débouter la société Aérhonalp de toutes ses demandes et de la condamner à leur payer la somme de 40 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.

Dans le dernier état de leurs écritures, ils précisent que l'enquête de gendarmerie a été annulée par une décision définitive du Tribunal correctionnel de Lyon, et qu'elle ne peut être invoquée à l'appui de la thèse des intimés ;

La société Aérhonalp conclut à la confirmation du jugement déféré en faisant valoir que l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est utilise frauduleusement un instructeur pilote privé pour dispenser de l'instruction de pilote professionnel, l'instructeur pilote professionnel n'intervenant que de façon irrégulière pour attester du niveau en vue de la présentation de l'élève à l'examen. Le coût de la formation ainsi dispensée est de 40 % inférieur à celle dispensée par l'instructeur pilote professionnel.

Elle soutient qu'il résulte d'une enquête de la Gendarmerie Nationale de l'Air que Aéroclub du Rhône et du Sud-Est et Monsieur Jacques Curtillat ont commis les délits et des faux et que les faits reprochés sont largement établis.

Elle précise que son préjudice doit être évalué au vu des documents qu'elle produit et notamment un rapport d'expertise de la société SFX à la somme de 4 467 254 F et subsidiairement réclame une expertise comptable. Elle réclame en outre 20 000 F en application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile et 30 000 F à titre de dommages et intérêts.

Elle soutient que l'enquête pénale peut être utilisée par le juge civil, même si elle a été annulée par le Tribunal correctionnel.

2 - Motifs et décision

Attendu que les modalités d'obtention et de renouvellement des licences de personnel navigant se trouvent dans l'arrêté du 31 juillet 1981 du Ministère de l'Aviation Civile.

Attendu que l'arrêté du 5 novembre 1984, modifié vient préciser le programme et de régime des examens (théoriques et pratiques) pour l'obtention du brevet et de la licence de pilote professionnel avion ;

Attendu qu'il importe, comme l'a fait l'expert Chatelain, de préciser ce que l'arrêté du 31 juillet 1981 définit comme licences de pilotes d'avion et comme qualification d'instructeur ;

- Licence de base BB nécessitant un minimum de 10 heures de vol dont 20 atterrissages en solo, qui permet le vol en solo limité dans un rayon de 30 kilomètres de l'aérodrome.

- licence de pilote privé TT nécessitant un minimum de 40 heures de vol dont 5 heures en voyage, permettant le vol sans rémunération comme commandant de bord avec ou sans passagers, et le voyage aérien.

- licence de pilote professionnel avion PP, nécessitant un minimum de 200 heures de vol ramené à 150 heures (en cas de stage homologué) dont 100 heures comme CDB (ramené à 75) et aux 10 instruments.

- licence de pilote de ligne nécessitant un minimum de 1 500 heures de vol et la qualification de commandant de bord en transport public, de vol aux instruments et de nombreuses autres conditions ;

Attendu qu'il résulte encore du rapport d'expertise que, pour donner ou diriger l'instruction en vol nécessaire pour la délivrance de pilote professionnel avion, il faut être titulaire de la qualification d'instructeur pilote professionnel avion ;

Attendu que les deux dernières licences sont des licences de professionnels ;

Attendu que la qualification d'instructeur de pilote privé ne confère pas le privilège de donner l'instruction en vol nécessaire pour la délivrance de la licence de pilote professionnel avion ;

Attendu qu'il est reproché à l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est d'avoir procuré une formation de pilote professionnel, alors que ses instructeurs, et notamment Monsieur Jacques Curtillat, n'avaient pas la compétence pour ce faire et ce, de 1990 à 1993 ;

Attendu que pour démontrer la concurrence déloyale, la société Aérhonalp s'appuie entre autre sur une enquête diligentée par la brigade de Gendarmerie des Transports Aériens, enquête administrative demandée par la Direction Générale de l'Aviation Civile transmise à Monsieur le Procureur de la République le 26 septembre 1994 ;

Attendu que cette enquête a servi de base à une procédure pénale suivie contre Monsieur Jacques Curtillat et autres ;

Attendu que par jugement aujourd'hui définitif le Tribunal correctionnel de Lyon, cette procédure a été annulée au motif que l'enquête préliminaire s'est déroulée sans qu'il soit fait rapport au Procureur de la République ;

Attendu qu'aux termes de l'article 174 du Code de Procédure Pénale, il ne peut être tiré aucun renseignement contre les parties des actes ou pièces annulés au cours d'une procédure pénale ;

Attendu qu'il convient donc d'écarter des débats l'enquête invoquée par la société Aérhonalp puisque Monsieur Jacques Curtillat était partie au procès pénal et qu'il se trouve également dans le présent litige, que les faits de concurrence déloyale reprochés à l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est ont été commis par lui et non par l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est qui n'est pas une personne physique ;

Attendu que le seul document permettant d'établir la concurrence déloyale reprochée est le rapport d'expertise ;

Attendu qu'en suite d'une exacte analyse, les premiers juges ont relevé qu'il résulte de ce rapport que Monsieur Jacques Curtillat assurait environ 87 % de la part totale de l'instruction en vol en vue de l'examen de pilote professionnel, l'instructeur IPP n'intervenant qu'en fin d'instruction et que sur les carnets de vol, la qualification de Monsieur Jacques Curtillat en tant qu'ITT ne figurait pas systématiquement ni la référence au programme de formation ;

Attendu qu'il est aussi établi que, pendant l'année 1990, Aéroclub du Rhône et du Sud-Est précisait dans les pages jaunes de l'annuaire qu'il formait des pilotes professionnels, qu'il a remplacé cette mention de 1991 à 1994 par la mention " formation de haut niveau " ;

Attendu que par d'exacts motifs adoptés par la Cour, les premiers juges ont relevé qu'à la faveur d'une réglementation peu précise quant aux conditions requises pour se présenter à l'examen de pilote professionnel, Monsieur Jacques Curtillat qui n'avait pas qualité pour ce faire a dispensé ou fait dispenser une formation de pilote professionnel ;

Attendu que les premiers juges en ont justement conclu que cette pratique est anticoncurrentielle dans la mesure où agissant sous le couvert d'une association loi 1901, il y avait une confusion dans l'esprit de la clientèle qui pensait obtenir à moindre prix un brevet de pilote professionnel, que l'association est exonérée de charges fiscales qui pèsent sur une société commerciale exerçant la même activité comme l'est la société Aérhonalp, qu'en agissant ainsi l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est et Monsieur Jacques Curtillat ont commis un détournement de clientèle;

Attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement en ce qu'il a retenu des faits de concurrence déloyale commis essentiellement par Monsieur Jacques Curtillat solidairement avec Aéroclub du Rhône et du Sud-Est avec lequel il travaillait exclusivement, faits ayant causé un préjudice à la société Aérhonalp ;

Attendu que par d'exacts motifs adoptés par la Cour, les premiers juges ont fait une juste évaluation du préjudice subi par la société Aérhonalp, qui ne peut faire supporter par l'Aéroclub du Rhône et du Sud-Est ses erreurs de gestion, ni le flou légal qui a permis de telles pratiques jusqu'en 1994, qu'une expertise comptable apparaît tout à fait inutile ;

Attendu qu'il convient donc de confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré ;

Attendu que chacune des parties succombant partiellement en ses prétentions devant la Cour, il n'y a lieu ni à dommages et intérêts supplémentaires, ni à application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile, que chacune d'entre elle gardera ses frais d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Ecarte des débats l'enquête diligentée par la gendarmerie de l'air, annulée par le jugement définitif du Tribunal correctionnel de Lyon du 6 octobre 1997, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute les parties de toutes autres demandes, Dit n'y avoir lieu à dommages et intérêts supplémentaires ni à application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.