CA Paris, 4e ch. B, 30 janvier 1998, n° 95-05570
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pix (Sté)
Défendeur :
Robin, Jacques Trinquart Productions (Sté), Business Contact (Sté), Bavaria Bildagentur GmbH (Sté), Alexandre
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
Mes Blin, Melun, SCP Verdun-Gastou, SCP Gibou-Pignot-Grapotte-Benetreau
Avocats :
Mes Bros, Antonin, Lagarde, SCP Milon Simon.
Appels ont été interjetés par la société Pix, la société Bavaria Bikldagentur et M. Alexandre d'un jugement rendu par le tribunal de grande instance de Paris, le 16 novembre 1994, dans un litige les opposant, aux côtés de la société Business Contact, à M. Marc Robin et à la Société Jacques Trinquart Productions (ci-après JTP).
Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
M. Robin, photographe professionnel, a confié à JTP mandat exclusif de le représenter et de gérer ses droits d'auteur, le 1er juin 1981.
Bildagentur, de droit allemand, est une société qui gère les droits de photographes et, à ce titre, édite des catalogues comportant reproduction de photographies. Selon contrat du 1er janvier 1991, la société Pix avait l'exclusivité sur le territoire français de la diffusion des " images " de la société Bildagentur. Celle-ci a édité en 1993 un catalogue dont elle a confié l'exploitation en France à Pix.
C'est dans ces circonstances qu'a été diffusé, en France, en 1993, par la société Pix la catalogue intitulé " The European Creative Stock Book n° 1 ", édité par Bavaria Bildagentur, conditionné et affranchi par la société Business Contact.
Ayant découvert dans ce catalogue des photographies de plage sous la signature de Marc Robin qui ne correspondent à aucune de ses œuvres et qui sont, en réalité, des photographies réalisées par un autre photographe, M. Alexandre, après avoir fait pratiquer saisie-contrefaçon, M. Robin et la société JTP ont assigné ce dernier et les sociétés ci-dessus citées, devant le tribunal de grande instance de Paris, invoquant la contrefaçon et la concurrence déloyale, afin d'obtenir paiement d'une provision à valoir sur des dommages intérêts à fixer par voie d'expertise, et le prononcé de mesures d'interdiction et de publication.
M. Alexandre et Bildagentur avaient conclu à la nullité de la saisie contrefaçon et soutenant que l'indication du nom de Marc Robin aurait résulté d'une simple erreur exclusive de toute faute, avaient sollicité le rejet de toutes les demandes. Les autres sociétés assignées avaient également conclu au débouté, Business Contact concluant plus particulièrement à sa mise hors de cause. Subsidiairement, Pix avait demandé à être garantie par Bavaria, et Business à être garantie par Pix.
Par le jugement déféré, le tribunal a :
- rejeté l'exception de nullité de la saisie contrefaçon,
- retenu les actes de contrefaçon par atteinte au nom de Marc Robin et de concurrence déloyale,
- condamné in solidum Jacques Alexandre, la société Bavaria Bildagentur, la société Pix, la société Business Contact à payer :
* la somme de 100 000 F à M. Robin et 1 F à la société JTP en réparation du préjudice né de la contrefaçon,
* la somme de 16 566 F à titre provisionnel à la société JTP en réparation du préjudice né de la concurrence déloyale, avec exécution provisoire,
* la somme de 8 000 F à chacun d'eux au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile,
- prononcé des mesures d'interdiction et de publication,
- ordonné une mesure d'instruction afin de déterminer le chiffre d'affaires réalisé par M. Alexandre par la vente des photos accompagnées de la signature Marc Robin figurant dans l'album litigieux, avec exécution provisoire,
- dit que Jacques Alexandre et la société Bavaria Bildagentur devraient garantir in solidum la société Pix des condamnations mises à sa charge et que Pix garantirait Business Contact des condamnations prononcées contre elle,
- rejeté toutes autres demandes.
M. Alexandre et la société Bavaria Bildagentur poursuivent la réformation du jugement en soutenant qu'ils rapportent la preuve de leur totale bonne foi et qu'en l'absence de faute, ils ne sauraient être condamnés. Ils soulignent que M. Robin ne peut se plaindre éventuellement que d'une atteinte à son droit au nom patronymique, qu'il est irrecevable à se plaindre d'une atteinte à son droit moral d'auteur et de comportements parasitaires ou de concurrence déloyale et en toute hypothèse, ils demandent à la Cour de rejeter la mesure de publication.
Pix conclut à la réformation des dispositions qui lui sont défavorables. Sur le fond, elle soutient que les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ne sont pas établis. Faisant en outre valoir qu'elle n'est qu'un " agent " de la société Bavaria, elle soutient qu'elle a eu un simple rôle de diffuseur de bonne foi. Elle conclut donc au rejet de toutes les demandes formées contre elle.
Business Contact, intimée, a formé appel incident. Elle poursuit la réformation du jugement dans toutes ses dispositions lui faisant grief. Elle sollicite de la cour sa mise hors de cause, exposant qu'étant prestataire de services pour le conditionnement du catalogue, elle ne pouvait contrôler leur contenu et n'a participé à aucun acte de contrefaçon et de concurrence déloyale. A titre subsidiaire, elle conclut à la confirmation du jugement sur la condamnation prononcée à son encontre.
M. Robin et la société JTP concluent à la confirmation du jugement dans son principe mais forment appel incident et demandent à la Cour :
- de constater qu'il a été non seulement porté atteinte au nom de Marc Robin mais également à son œuvre,
- d'augmenter le montant des dommages intérêts en les portant pour chacun d'eux à la somme de 500 000 F, en réparation des actes de contrefaçon et à la somme provisionnelle de 5 millions de francs, en réparation des actes de concurrence déloyale.
Chacune des parties sollicite l'allocation d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant qu'il est constant que M. Marc Robin et M. Alexandre sont des photographes professionnels qui l'un et l'autre ont publié plusieurs de leurs œuvres dans des revues spécialisées comme " Photos ", et que 75 photographies ont été publiées dans le catalogue litigieux sous le nom de Marc Robin alors que ces clichés ont été réalisés en fait par M. Alexandre.
Considérant qu'il est soutenu par les appelants qu'il n'existerait aucun acte de contrefaçon dès lors qu'aucune des photographies n'est une œuvre de Marc Robin et qu'en conséquence, il n'existe aucune reproduction illicite ; qu'il est encore exposé qu'aucune faute ne peut être retenue, dès lors que M. Alexandre, à la recherche d'un pseudonyme à consonance française, aurait de manière malencontreuse choisi le patronyme reproché, sans connaître l'existence de l'auteur concerné ;
Considérant que les intimées prétendent au contraire qu'il existe non seulement contrefaçon par atteinte au nom de M. Robin, comme l'a retenu le tribunal, mais également contrefaçon de l'œuvre de M. Robin par atteinte à l'identité artistique de celle-ci ;
Considérant que les circonstances de fait exposées par M. Alexandre (la recherche d'un pseudonyme à consonance française qui, fortuitement, aurait choisi le nom de Marc Robin) à les supposer exactes, n'exonèrent ni l'auteur des photographies ni l'agence à laquelle il a confié la gestion de ses droits d'auteur de la présomption de faute qui résulte de la seule reproduction dans la catalogue incriminé des 75 photographies litigieuses sous le nom de Marc Robin ; que dans les circonstances de l'espèce, l'attribution à Marc Robin, par l'usurpation de son nom, de ces photographies, constitue, comme la décidé le tribunal, une violation du droit moral de cet auteur ; qu'ainsi, c'est à bon droit que les premiers juges, dont la cour adopte les motifs, ont retenu qu'étaient constitués des actes de contrefaçon par application des articles L. 121-1 et L. 335-3 du code de la propriété intellectuelle ;
Considérant que par ailleurs, contrairement à ce que prétend la société Pix, cette dernière ne rapporte pas la preuve de son absence de faute ou d'imprudence ; qu'elle est liée en effet à la société allemande par un contrat du 1er janvier 1991 aux termes duquel elle représente seule sur le territoire français Bavaria Bildagentur et a pouvoir de concéder des licences d'utilisation et/ou de reproduction des images de Bavaria ; qu'étant implantée en France, elle ne pouvait ignorer l'existence du photographe Marc Robin dont le nom est mentionné dans des catalogues d'agence et se devait en sa qualité de professionnelle de vérifier l'exactitude des droits relatifs aux œuvres dont elle assurait la distribution ; qu'elle a, à tout le moins, à l'égard des intimés commis une imprudence fautive dont elle doit réparation in solidum avec M. Alexandre et la société Bavaria ; que le jugement sera de ce chef confirmé ;
Considérant que seul M. Robin peut invoquer des actes de contrefaçon ; qu'en effet, par le contrat liant M. Robin à JTP, cette société a seulement reçu pouvoir de représenter le photographe pour gérer ses droits d'auteur ; que l'auteur ne lui a pas cédé ses droits patrimoniaux ; que le jugement sera réformé en ce que JTP a été reconnue bien fondée dans sa demande en contrefaçon ;
Considérant que compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, le tribunal a justement fixé à 100 000 F le montant du préjudice causé à M. Robin par les actes de contrefaçon ; que le jugement sera également confirmé de ce chef ;
Considérant,sur les actes de concurrence déloyale et de concurrence parasitaire, que le tribunal a relevé avec raison par des motifs que la cour fait siens qu'en commercialisant les photographies de M. Alexandre, sous le nom de Marc Robin, qui avait confié la gestion de ses œuvres à JTP depuis de nombreuses années, les appelants ont commis des actes témoignant d'une recherche de confusion justifiant que le grief de concurrence déloyale au préjudice de JTP soit retenu à l'encontre de M. Alexandre, Bavaria et Pix;
Considérant sur les mesures réparatrices qu'il est sollicité paiement d'une indemnité provisionnelle, le tribunal restant saisi, après exécution de la mesure d'instruction, de la demande de dommages intérêts pour le préjudice subi par JTP par les actes de concurrence déloyale ; que cependant la cour n'a pas d'éléments suffisants pour modifier le montant de la provision allouée par les premiers juges ; que le jugement sera confirmé de ce chef ;
Considérant sur la responsabilité de Business Contact dans les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, que cette dernière fait valoir, à juste titre, en versant aux débats le devis en date du 5 octobre 1993 accepté par Pix, qu'elle n'a été que prestataire de service pour le conditionnement et l'affranchissement des catalogues ; qu'elle ne pouvait en conséquence exercer un contrôle sur le contenu du catalogue litigieux, exécutant seulement l'ordre de le mettre sous emballage ; que Business Contact qui rapporte ainsi la preuve de l'absence de toute faute et de toute négligence doit être mise hors de cause ; que les demandes formées à son encontre ne sont pas fondées ; que le jugement sera de chef réformé ;
Considérant que la mesure d'interdiction sera confirmée ; qu'il en sera de même de la mesure de publication en l'espèce nécessaire, la cour ne trouvant pas de nouveaux éléments de nature à justifier le rejet de la publication ; qu'il convient seulement de préciser que ces publications tiendront compte du présent arrêt ;
Considérant que Bavaria qui a été condamnée à garantir Pix de toutes condamnations mises à sa charge ne formule aucune contestation à cet égard ; que le jugement sera donc confirmé de ce chef ;
Considérant qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge des intimés les frais non compris dans les dépens ; qu'il convient d'allouer à chacun d'eux à ce titre la somme de 10 000 F ;
Considérant qu'il n'est pas contraire à l'équité de laisser à la charge de Business Contact les frais non compris dans les dépens ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a prononcé des condamnations prononcées contre la société Business Contact, faisant droit à la demande en contrefaçon formée par JTP ; Réformant de ces chefs, statuant de nouveau et ajoutant ; Déboute la société Jacques Trinquart Productions (JTP) de ses demandes en contrefaçon ; Rejette les demandes formées par M. Robin et la société JTP à l'encontre de la société Business Contact ; Dit que les publications ordonnées tiendront compte du présent arrêt ; Condamne in solidum M. Alexandre, les sociétés Bavaria et Pix à payer respectivement à M. Robin et à la société JTP la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes ; Dit que les dépens relatifs à la mise en cause de la société Business Contact resteront à la charge de M. Robin et la société JTP et seront donc recouvrés par la SCP Gibou, Pignot, avoué ; Condamne in solidum pour le surplus des dépens les sociétés Pix et Bavaria et M. Alexandre, dépens qui seront recouvrés le cas échéant par la SCP Verdun Gastou, selon les dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.