CA Limoges, ch. civ. sect. 1, 11 décembre 1997, n° 1142
LIMOGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Pharma Dom (SA)
Défendeur :
Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute-Vienne
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Foulquie
Conseillers :
MM. Payard, Breton
Avoués :
SCP Durand-Marquet, SCP Baulme-Debernard-Dauriac
Avocats :
Mes Pages, Grimaud
LA COUR
Avec l'approbation en date du 7 décembre 1989 de son conseil d'administration, la Caisse Primaire d'Assurances Maladie (CPAM) de la Haute-Vienne a créé un service de prêt d'appareillage aux assurés sociaux, dont le fonctionnement s'organise de la manière suivante : même pour les matériels dont le tarif interprofessionnel des prestations sanitaires (TIPS) a prévu seulement la location, lorsque le service médical estime qu'un usage prolongé par le malade se justifie, la Caisse en propose l'achat et, au vu du devis établi par un fournisseur privé, en assure le financement. Une convention de prêt est ensuite établie aux termes de laquelle le matériel, lorsqu'il n'est plus utilisé par son bénéficiaire d'origine, est remis à la Caisse qui entend ensuite le prêter à d'autres assurés dans la même situation.
Estimant que les agissements de la Caisse sont constitutifs à son égard d'une concurrence déloyale, la SARL Solumedic " Orkyn " fournisseur d'appareillages du type de ceux qui sont concernés aux droits de laquelle vient désormais la société anonyme Pharma Dom, a intenté contre elle une action en responsabilité.
La société Solumedic " Orkyn " a régulièrement déclaré appel, le 13 janvier 1992 d'un jugement rendu le 21 novembre 1991 par le Tribunal de grande instance de Limoges qui l'a déboutée de ses demandes et condamnée à payer à la CPAM de la Haute-Vienne, la somme de 3 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La société Solumedic " Orkyn " demandait à la Cour, réformant le jugement entrepris, de dire que la CPAM a commis une faute génératrice à son égard d'un préjudice s'élevant à 507 089 F dont il lui est dû réparation immédiatement à titre provisionnel, une expertise comptable étant ordonnée pour le surplus en vue de déterminer son préjudice global.
Il était réclamé la somme de 10 000 F sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile.
La Cour, dans son arrêt du 14 septembre 1992, prenant acte de l'existence d'un recours exercé devant le Conseil d'Etat par l'Union Syndicale des Distributeurs de Fauteuils Roulants et Appareils Médicaux (USDI-Famed) contre une décision implicite de rejet au Ministère des Affaires Sociales et de la solidarité de sa requête tendant à obtenir que cette autorité interdise aux caisses primaires d'assurance maladie la fourniture directe d'appareils médicaux aux assurés sociaux, a sursis à statuer jusqu'à l'intervention de la décision de la Haute Assemblée.
Celle-ci a, par un arrêt du 6 octobre 1995, rejeté la requête de l'union syndicale susmentionnée.
Parallèlement, la société Solumedic a saisi le tribunal des affaires de sécurité Sociale de la Haute-Vienne de divers recours tendant à l'annulation de décisions prises par la CPAM dans le cadre de la gestion des matériels utilisés par les assurés sociaux. Le Tribunal par jugement du 30 décembre 1993 a retenu l'exception de litispendance soulevée par la caisse et s'est dessaisi au profit de la Cour.
Par arrêt du 6 octobre 1995, le Conseil d'Etat a rejeté la requête de l'Union Syndicale des Distributeurs de fauteuils roulants et Appareils Médicaux, considérant notamment que dans le cadre de ses pouvoirs de tutelle, le ministre chargé de la Sécurité Sociale avait annulé les décisions illégales des Caisses Primaires d'Assurance Maladie qui lui étaient déférées, rappelé à un préfet de région son opposition à la création de structures de prêt d'appareillage envisagées par une caisse, s'était opposé à l'octroi par des Caisses régionales de crédits demandés par des Caisses Primaires pour structures d'équipement d'associations souhaitant prêter des appareillages.
Au vu de cet arrêt, chacune des parties a repris ses demandes initiales, la Caisse Primaire élevant cependant sa prétention au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile à la somme de 15 000 F.
Dans le dernier état de leurs conclusions à l'appui de leurs prétentions ou en défense, les parties ont soutenu les moyens suivants étant précisé que la Cour se réfère expressément à leurs écritures pour l'exposé exhaustif de leur argumentation ;
* Appelante, la SA Pharma Dom fait valoir :
- que dans son arrêt du 13 janvier 1994, la chambre sociale de la Cour de cassation s'est prononcée en faveur de la licité de principe du prêt d'appareillage par les CPAM, principe qui n'est pas en cause dans l'instance actuelle ;
- que la SA Pharma Dom met exclusivement en cause les conditions dans lesquelles la CPAM de la Haute-Vienne s'est procurée le matériel nécessaire au fonctionnement du service de prêt mais en aucune manière la licité du prêt ;
- que la CPAM a fait preuve d'un comportement fautif dans la volonté de constituer, y compris au moyen de procédés illégaux, le parc de matériel nécessaire au fonctionnement du service de prêt.
- qu'ainsi, il faut lui reprocher :
. la violation des dispositions du TIPS, la CPAM optant pour une prise en charge systématique de l'achat de matériel médical prévu au TIPS exclusivement à la location,
. la violation de la décision du Ministère de Tutelle du 27 février 1990 qui prive la CPAM de toute possibilité d'affectation d'un budget d'investissement propre à la constitution du parc de matériel indispensable au fonctionnement du service de prêt,
. le comportement des agents de la CPAM à l'égard des assurés sociaux (mise en cause de la signature pour les assurés sociaux d'une convention de prêt d'appareillage) ;
- que, suite au dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile par la société Solumedic " Orkyn ", la chambre correctionnelle de la Cour, en son arrêt du 5 février 1997, a expressément constaté la réalité de ces agissements fautifs (en ce qui concerne précisément la signature par les assurés sociaux des conventions de prêt d'appareillage établis par la CPA) et la logique dans laquelle s'est inscrit ce comportement : elle a en effet relevé que cette convention de prêt d'appareillage constituait bien un élément essentiel du montage juridique mis en place par la CPAM pour contraindre les assurés sociaux à faire don à la Caisse d'un matériel dont elle n'était pas propriétaire et permettre ainsi la constitution du parc de matériel que la décision du Ministère de Tutelle lui interdisait par ailleurs de financer ;
- que cet arrêt et la condamnation subséquente sont revêtus de l'autorité de la chose jugée et s'imposent au juge civil.
* Intimée, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de la Haute-Vienne expose à son tour :
- que le Conseil d'Etat a rejeté la requête présentée par l'Union Syndicale des Distributeurs de Fauteuils Roulants et Appareils Médicaux qui tendait à ce que l'autorité ministérielle prenne les mesures nécessaires pour faire cesser les pratiques illégales consistant en la création par certaines caisses de Sécurité Sociale de services de fourniture directe d'appareils médicaux aux assurés sociaux " ;
- que la décision du Conseil d'Etat en ce qu'elle est une décision de rejet de la requête présente nécessairement un intérêt puisqu'elle s'inscrit dans le cadre de la reconnaissance de la légalité des services de prêts d'appareillages ;
- qu'il convient à cet égard de rappeler l'importante décision rendue par la Cour de cassation le 13 janvier 1994 ;
- que statuant sur un pourvoi formé par la société Locapharm, Société ayant pour objet la vente et la location d'appareils médicaux, La Cour Suprême a pu retenir :
" attendu qu'en vertu des articles L. 211-1 4e et L. 262-1 du code de la Sécurité Sociale, les Caisses Primaires d'Assurances Maladie exercent une action sanitaire et sociale dans le cadre des programmes définis par l'autorité compétente de l'Etat ; et attendu que le prêt d'appareils médicaux constitue l'une des prestations supplémentaires prévues au programme d'action sanitaire et sociale des Caisses Primaires figurant à l'annexe II de l'Arrêté Ministériel du 27 octobre 1970...
Attendu qu'après avoir exactement énoncé que le prêt de matériel médical pratiqué par la CPAM organisme privé chargé de la gestion d'un service public était conforme à son objet social, les juges du fond ont relevé que cette activité licite était exercée en dehors de tout agissement déloyal de la part de l'organisme social, au seul bénéfice des assurés du régime général qui s'adressaient à lui, en sorte qu'était exclu l'exercice d'un monopole par la Caisse ; en l'état de ces constatations et énonciations, la Cour d'appel a pu décider que la CPAM en exerçant l'activité qui lui était reprochée, n'avait pas commis de faute... "
- que la licité des services de prêts d'appareillages tel que celui mis en place en Haute-Vienne ne saurait aujourd'hui valablement être contestée à raison de la motivation de cet arrêt ;
- que contrairement aux allégations de la société Pharma Dom, la CPAM a été amenée à démontrer dans ses précédentes écritures, qu'elles n'étaient à l'origine d'aucun acte quelconque de concurrence déloyale, ainsi que l'a jugé à bon droit le Tribunal de grande instance par son jugement du 21 novembre 1991 ; que le tribunal devait en particulier retenir que la CPAM a toujours scrupuleusement respecté le principe du libre choix du fournisseur par l'assuré ;
- que s'agissant de l'arrêt de la Chambre correctionnelle de la Cour de Limoges en date du 5 février 1997, cité par la société Pharma Dom, si la Cour a considéré que le terme de prêt à usage utilisé dans la convention de prêt remise à l'assuré en plein accord avec celui-ci, ne correspondait pas à la stricte réalité juridique, l'assuré étant propriétaire de l'appareil prescrit qui lui avait été vendu par le fournisseur de son choix, cet arrêt qui n'est pas définitif, un pourvoi en cassation ayant été formé par Monsieur Theillomas, ne saurait présenter une incidence quelconque au titre du litige actuel : aucun acte quelconque de concurrence déloyale ne peut être déduit de cette décision ;
- qu'il n'existe en la matière aucun principe d'autorité de chose jugée ;
Sur quoi, la COUR
Attendu que même en l'absence d'autorisation du ministre de tutelle aux fins de se doter de moyens budgétaires spécifiques à cet effet, une Caisse Primaire d'Assurances Maladie ne peut que satisfaire à ses objectifs légaux dans le cadre de l'action sanitaire et sociale et plus spécialement à ceux tendant à réduire les dépenses de santé, en créant avec ses propres moyens un service de prêt d'appareillages médicaux destiné aux assurés sociaux ;
Attendu à cet égard que, s'agissant essentiellement de mise à disposition des assurés de lits médicalisés mais aussi des matériels visés par l'action de la société Pharma Dom SA, pour lesquels le tarif interministériel des prestations sanitaires prévoit la location et non l'achat à la charge de la caisse, il n'est pas interdit à celle-ci, agissant pour la satisfaction des objectifs ci-dessus visés, de mettre en œuvre la faculté par ailleurs offerte par l'article R. 165-8 du Code de la Sécurité Sociale et de prendre en charge pour telle ou telle prescription à elle soumise, un achat au vu de l'avis de son médecin-conseil;
Qu'il n'est pas établi qu'elle l'ai fait dans des conditions excédant les pouvoirs qu'elle tient du texte sus-visé ;
Attendu que dans ces conditions, la solution du présent litige ne saurait dépendre ni des décisions du juge administratif saisi de recours à l'encontre de mesures des autorités de tutelle des caisses ni d'un arrêt de la chambre des appels correctionnels de cette Cour en date du 5 février 1997 qui condamne des préposés de la caisse primaire de la Haute-Vienne pour les agissements dont la constatation ne détermine pas le caractère licite ou illicite de l'action en concurrence déloyale examinée ;
Que, par ailleurs, la société Pharma Dom SA ne caractérise pas autrement que par pure affirmation des comportements prétendument déloyaux qu'elle impute à des agents de la caisse ;
Qu'il suit que cette politique sanitaire, sans doute susceptible de concurrencer une activité commerciale telle celle de la société Pharma Dom SA, ne présente aucun caractère illicite ou déloyal, étant précisé que l'assuré reste libre d'acquérir son matériel auprès de ce prestataire de service privé, ou de tout autre;
Que la société Pharma dom SA sera donc déboutée comme elle l'a été devant les premiers juges, de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
Qu'il n'y a lieu cependant de faire application de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ;
Par ces motifs La COUR Statuant publiquement et contradictoirement, - constate que la société Pharma Dom SA intervenante reprend l'action aux lieu et place de la société Solumedic " Orkyn " SARL ; - vu l'arrêt de cette Cour en date du 14 septembre 1992, - confirme le jugement rendu par le Tribunal de grande instance de Limoges le 21 novembre 1991 sauf en ce qu'il a alloué une somme au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile ; - rejette toutes conclusions contraires ou plus amples des parties ; - condamne la société Pharma Dom SA aux entiers dépens de première instance et d'appel et accorde à la SCP Baulme-Debernard-Dauriac, avoué, le bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.