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Décisions

CA Paris, 14e ch. B, 7 août 1997, n° 96-3505

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Mige, Dermopharm (SARL), Sun Trading (Ltd)

Défendeur :

Laboratoires Chauvin (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Ballu

Conseillers :

MM. André, Valette

Avoués :

SCP Roblin Chaix de Lavarene, SCP Duboscq, Pellerin

Avocats :

Mes De La Myre Mory, Sage.

T. com. Paris, prés., du 27 févr. 1996

27 février 1996

LA COUR statue sur les appels joints formés par :

1°) - la société Dermopharm d'une ordonnance de référé rendue le 19 décembre 1995 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris qui a :

- dit qu'en commercialisant un produit sous dénomination Cerufluid destiné à traiter les bouchons cérumen, et notamment au travers de sa campagne publicitaire la SARL Dermopharm a commis des agissements parasitaires au préjudice de la SA Laboratoires Chauvin ;

- dit illicite la publicité intitulée " Bouchons Cerumen... " distribuée par la SARL Dermopharm et la société Promedis ;

En conséquence,

Fait défense à la SARL Dermopharm de continuer à fabriquer et/ou à faire fabriquer, détenir, distribuer et faire distribuer, offrir à la vente, vendre et commercialiser par tout moyen le produit dénommée Cerufluid sous astreinte de Mille Francs par infraction constatée, c'est à dire par produit déloyal vendu à compter de la signification de la présente ordonnance ;

Condamne la SARL Dermopharm à payer à la SA Laboratoires Chauvin la somme de Deux Cent Mille Francs en réparation du préjudice subi, déboutant pour le surplus ;

Ordonne la confiscation et la remise à la SA Laboratoires Chauvin aux fins de destruction des objets déloyaux détenus par la SARL Dermopharm ou pour son compte notamment par ses mandataires, dépositaires, agents, employés, façonniers ;

Dit n'y avoir lieu à référé sur le surplus des demandes ;

Condamne la SARL Dermopharm au paiement à la SA Laboratoires Chauvin de la somme de quinze mille francs, au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens, dont ceux à recouvrer par le Greffe.

2°) - par Monsieur Mige et la société de droit britannique Sun Trading Limited d'une ordonnance de référé rendue le 27 février 1996 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris qui a déclaré irrecevable leur tierce opposition à l'ordonnance du 19 décembre 1995 et les a condamnés chacun à payer à la Société Laboratoires Chauvin une somme de Dix Mille Francs, ainsi qu'aux dépens.

Monsieur Mige, la Société Dermopharm, la Société Sun Trading Limited demandent à la Cour de :

- déclarer la société Sun Trading Limited et Monsieur Mige recevables en leur tierce opposition à l'encontre de l'ordonnance de référé du 19 décembre 1995 et d'infirmer en conséquence celle du 27 février 1996 ;

- faire droit à leur exception d'incompétence au profit du Tribunal de Grande Instance de Paris, au motif que l'action exercée par la société Laboratoires Chauvin est une action en contrefaçon de marque et accessoirement en concurrence déloyale ;

- annuler en conséquence l'ordonnance de référé du 19 décembre 1995 en toutes ses dispositions ;

- dire n'y avoir lieu à évocation du litige ;

- subsidiairement, si la Cour évoquait :

- juger que les conditions de l'article L. 716-6 du code de la propriété intellectuelle ne sont pas remplies ;

- juger qu'aucun des griefs invoqués par la société Laboratoires Chauvin à l'encontre de la société Dermopharm n'est établi ;

En conséquence,

- infirmer les ordonnances des 19 décembre 1995 et 27 février 1996 en toutes leurs dispositions ;

- condamner la société Laboratoires Chauvin à payer à titre de provision à la société Dermopharm 1 000 000 F, à Monsieur Mige 250 000 F et à la Société Sun Trading Limited 250 000 F à valoir sur l'indemnisation de leur préjudice respectif résultant des agissements délictueux de la société Laboratoires Chauvin ;

En tout état de cause,

- juger que la société Laboratoires Chauvin a tenu des propos diffamatoires portant atteinte à l'honneur et à la considération de Monsieur Mige ;

- ordonner en conséquence leur suppression et condamner la société Laboratoires Chauvin à payer à Monsieur Mige une somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts ;

- subsidiairement, réserver le droit de Monsieur Mige d'agir en diffamation à l'encontre de la société Laboratoires Chauvin conformément aux dispositions de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 ;

- condamner la société Laboratoires Chauvin à leur payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive ;

- ordonner la publication de l'arrêt à intervenir dans des journaux ou revues français ou étrangers de leur choix et aux frais de la société Laboratoires Chauvin à concurrence de 30 000 F par insertion ;

- condamner la société Laboratoires Chauvin à leur payer à chacun la somme de 50 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens.

La Société Laboratoires Chauvin demande pour sa part de constater que les pièces numérotées 26 et 54 versées aux débats par les appelants ont donné lieu à une plainte avec constitution de partie civile à l'encontre de la société Dermopharm, Monsieur Mige et de la société de droit de l'île de Man Sun Trading Limited pour faux et usage de faux laquelle met en cause la recevabilité à agir des appelants.

Elle sollicite en conséquence de surseoir à statuer sur les appels interjetés dans l'attente de l'issue de la procédure pénale.

Sur ce,

Se référant, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, à l'ordonnance déférée et aux conclusions d'appel ;

Sur la demande de sursis à statuer de la société Laboratoires Chauvin :

Considérant que la règle " le criminel tient le civil en l'état " ne s'applique pas en matière de référé ; qu'il s'ensuit que la demande de la société Les Laboratoires Chauvin de surseoir à statuer jusqu'à ce que soit terminée la procédure pénale dont elle fait état est inopérante ;

Considérant qu'il doit être constaté que malgré une injonction délivrée le 20 juin 1996, la société Laboratoires Chauvin n'a pas conclu sur le " fond " des appels dont la Cour est saisie ; que seuls les moyens avancés par les appelants à l'appui de leur recours seront donc examinés ;

Sur les tierces-oppositions de Monsieur Mige et de la société Sun Trading Limited :

Considérant que selon l'article 583 alinéa 1er du Nouveau code de procédure civile est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt à la condition qu'elle n'ait été ni partie, ni représentée au jugement qu'elle attaque ;

Considérant en l'espèce que le Laboratoire Dermopharm a conclu le 19 avril 1994 une convention avec la société Sun Trading Limited par laquelle cette société acceptait de lui confier l'ensemble de ses connaissances et de son savoir faire concernant une préparation pour l'otologie en contrepartie d'une commission sur la commercialisation du produit que le Laboratoire Dermopharm s'engageait à réaliser sur un délai maximum de deux ans ;

Que Monsieur Mige, propriétaire de la marque déposée " Cerufluid " en a cédé l'exploitation à la société Dermopharm par contrat passé le 14 février 1995 ;

Considérant qu'il apparaît en raison de la coïncidence d'intérêts résultant des conventions précitées que Monsieur Mige et la société Sun Trading Limited ne sont pas fondés à prétendre ne pas avoir été représentés par la société Dermopharm pour assurer la défense de leurs droits tant sur la marque Cerufluid que sur les produits commercialisés sous celle-ci ;

Que c'est donc à bon droit que le premier juge les a déclarés irrecevables en leur tierce-opposition à la décision de référé du 15 décembre 1995 ;

Que l'ordonnance rendue le 27 février 1996 sera donc confirmée ;

Sur l'appel de la société Dermopharm ;

Sur l'exception d'incompétence ;

Considérant que l'action engagée par la société Laboratoires Chauvin a pour objet de faire cesser les agissements parasitaires imputés à la société Dermopharm en commercialisant un produit destiné à traiter les bouchons de cérumen, et à interdire la publicité faite de ce produit qu'elle considère comme illicite ;

Que le litige ne portant pas ainsi à titre principal sur la marque sous laquelle ce produit est commercialisé et la qualité de commerçant des parties en cause n'étant pas discutée, il s'ensuit que le Président du Tribunal de Commerce de Paris était bien compétent pour en connaître ;

Que l'exception d'incompétence soulevée par la société Dermopharm n'est donc pas fondée et doit être écartée ;

Sur les agissements parasitaires imputés à la société Dermopharm ;

Considérant que la société Laboratoires Chauvin commercialise un médicament dénommé " Cerulyse " pour installation auriculaire contenant du xylène et ayant comme propriété de traiter les bouchons de cire ;

Que de son côté la société Dermopharm vend sous la dénomination Cerufluid une solution d'hygiène auriculaire à base de produits d'extraction marine ;

Considérant que la société Laboratoires Chauvin fait grief à la société Dermopharm par le choix du nom de son produit de créer une confusion dans l'esprit du public et de chercher à se placer dans le sillage d'une marque connue et exploitée depuis de nombreuses années sans avoir eu à réaliser d'investissements nécessaires à la mise au point du médicament et sans avoir eu la charge également de procéder à la recherche et à la conservation de la clientèle;

Mais considérant que le risque de confusion entre les deux produits ne ressort pas de manière évidente dès lors que l'un est vendu comme un médicament et l'autre comme un produit d'hygiène, qu'ils n'ont pas la même composition etqu'ils sont enfin d'une présentation bien différenciée;

Qu'il n'est pas davantage évident que par l'utilisation de la marque déposée " cerufluid " compte tenu du caractère générique du préfixe " Ceru " et de l'emploi répandu de celui-ci pour désigner d'autres marques pharmaceutiques, que la société Dermopharm ait manifesté la volonté de se placer dans le sillage de la marque " Cerulyse " propriété de la société des Laboratoires Chauvin;

Qu'il n'est pas non plus véritablement démontré que la société Dermopharm se soit inspirée ou ait copié le travail réalisé par la société Laboratoires Chauvin pour concevoir et fabriquer son propre produit ;

Considérant que le trouble allégué par la société Laboratoires Chauvin du fait des agissements de la société Dermopharm n'étant pas manifestement illicite, c'est à tort que le premier juge a ordonné les mesures d'interdiction prises à l'encontre du produit dénommé Cerufluid qui doivent être levées ;

Sur la publicité faite par la société Dermopharm :

Considérant qu'il n'est pas discuté que la société Dermopharm a adressé à l'intention des pharmaciens un document publicitaire intitulé :

" Bouchons de Cérumen...

Enfin un produit qui ne se contente pas de ... ramollir ! " ;

Considérant que l'examen de ce document ne fait pas ressortir de manière évidente que la société Laboratoires Chauvin qui n'est à aucun moment citée soit aisément identifiable ;

Que dès lors la publicité incriminée ne présentant pas un caractère manifestement illicite au regard des dispositions de l'article L. 121-8 du code de la consommation, il n'y avait pas lieu à ordonner son interdiction ;

Sur la provision accordée à la société Laboratoires Chauvin :

Considérant que la preuve des agissements illicites de la société Dermopharm n'étant pas ainsi suffisamment rapportée, il s'ensuit que l'obligation de réparer le préjudice allégué par la société Laboratoires Chauvin est sérieusement contestable ;

Qu'il y a lieu en conséquence de réformer également l'ordonnance déférée en ce qu'elle a alloué à la société Laboratoires Chauvin une provision de 200 000 F ;

Sur la demande de dommages-intérêts de la société Dermopharm :

Considérant qu'il n'est démontré aucun abus de la part de la société Laboratoires Chauvin dans l'exercice de son droit d'agir en justice ; que la demande de dommages-intérêts formée par la société Dermopharm ne peut être de ce fait accueillie ;

Considérant que la mesure de publicité de la décision ne se justifie pas ;

Sur l'article 700 du Nouveau code de procédure civile :

Considérant que l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile au profit de la société Dermopharm ;

Sur les dépens :

Considérant qu'il y a lieu de faire masse des dépens et de les partager par moitié entre d'une part Monsieur Mige et la société Sun Trading Limited et d'autre part la société Laboratoires Chauvin ;

Par ces motifs, LA COUR, Confirme l'ordonnance de référé rendue le 27 février 1996 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris ; En revanche, Réforme l'ordonnance rendue le 19 décembre 1995 par le Président du Tribunal de Commerce de Paris ; Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la société Laboratoires Chauvin ; Rejette la demande de dommages-intérêts formée par la société Dermopharm ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; Fait masse des dépens ; dit qu'ils seront partagés par moitié entre d'une part Monsieur Mige et la société Sun Trading Limited et d'autre part la société Laboratoires Chauvin avec le droit pour la SCP Roblin Chaix de Lavarene, et la SCP Duboscq et Pellerin, avoués, de les recouvrer directement dans les conditions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.