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Décisions

CA Paris, 4e ch. A, 30 avril 1997, n° 95-018221

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

AD Communication (SARL)

Défendeur :

Piketty (SA), Coudray (ès qual.)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Duvernier

Conseillers :

Mme Mandel, M. Ancel

Avoués :

Me Huyghe, SCP Roblin Chaix de Lavarene

Avocats :

Mes Lalanne Berdouticq, Karpik.

T. com. Melun, du 24 avr. 1995

24 avril 1995

Faits et procédure

Référence étant faite au jugement entrepris pour l'exposé des faits, de la procédure et des moyens antérieurs des parties, il suffit de rappeler les éléments essentiels suivants :

La société Piketty, qui a pour activité l'exploitation de carrières et la production de pierres, désirant faire réaliser une plaquette promotionnelle, s'est adressée courant 1991 et 1992 à plusieurs agences de publicité et sociétés spécialisées dans la communication et notamment à la société AD Communication qui lui a présenté un projet en décembre 1992.

Piketty a en définitive confié la réalisation de sa plaquette à la société Methys en janvier 1993.

AD Communication estimant que la plaquette conçue par Methys reprenait l'idée force de son projet à savoir l'utilisation à titre d'accroche des vers d'un poème de Baudelaire " La Beauté " a assigné devant le tribunal de commerce de Melun tant cette société, que son mandataire liquidateur Me Coudray et la société Piketty.

Elle sollicitait leur condamnation conjointe et solidaire à lui payer la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale et celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Piketty concluait au rejet des prétentions d'AD Communication et reconventionnellement réclamait sa condamnation à lui payer la somme de 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et de celle de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Me Coudray ès qualité ne comparaissait pas.

Le tribunal par le jugement entrepris estimant que la plaquette avait été mise au point en collaboration avec Piketty, qu'il n'était pas prouvé que cette société ait réalisé un profit ou une économie et qu'AD Communication ne s'était pas préoccupée de la confidentialité de son travail et que le poème de Baudelaire n'était pas sa propriété a :

- débouté AD Communication de l'intégralité de ses demandes et l'a condamnée aux dépens.

Appelante selon déclaration du 16 juin 1995, AD Communication demande à la Cour d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions, de dire que :

- Methys s'est rendue coupable d'un acte de concurrence déloyale par l'usurpation qu'elle a faite, à son profit, du travail fourni par AD Communication

- Piketty s'est rendue complice des agissements de Methys.

En conséquence elle sollicite la condamnation conjointe et solidaire de Me Coudray ès qualité et de la société Piketty à lui payer une somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts outre celle de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Piketty tout en faisant valoir que la demande formée à son encontre par AD Communication est irrecevable, poursuit la confirmation du jugement et réclame la condamnation d'AD Communication à lui payer la somme de 25 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC.

Me Coudray ès qualité cité à sa personne n'a pas constitué avoué.

A l'audience des plaidoiries, la société Piketty a été invitée à produire sa déclaration de créance au passif de la société Methys ce qu'elle a fait le 6 mars 1997.

Sur ce, LA COUR,

I - Sur la recevabilité de la demande

Considérant que Piketty fait valoir que la demande d'AD Communication est irrecevable au motif qu'il n'existe aucune situation de concurrence entre ces deux sociétés.

Mais considérant qu'outre le fait qu'un tel moyen ne constitue pas une fin de non recevoir au sens de l'article 122 du NCPC mais un moyen de défense au fond, il demeure qu'il importe peu que Piketty et AD Communication n'exercent pas les mêmes activités et ne soient pas dans un rapport de concurrence dans la mesure où AD Communication soutient que Piketty s'est rendue complice d'un agissement parasitaire, a utilisé à son profit le travail qu'elle avait précédemment réalisé.

Qu'un agissement parasitaire est condamnable en dehors de tout rapport de concurrence.

II - Sur l'existence d'un agissement parasitaire

Considérant qu'AD Communication soutient que Methys a fait preuve d'une attitude parasitaire en reprenant pour la plaquette de Piketty l'idée d'accroche qu'elle avait eue, d'utiliser un poème de Baudelaire comportant le vers suivant :

" Je suis belle, O mortels ! Comme un rêve de pierre "

Qu'elle expose que cette idée, outre son caractère original, est le fruit d'un travail de recherche et de création et qu'en la réutilisant, Methys a usurpé à son profit le travail fourni par AD Communication.

Qu'elle prétend également que Piketty en fournissant à Themys les éléments lui permettant de reprendre à son compte une des idées force du projet d'AD Communication alors qu'elle se devait de respecter le rapport de confiance qui existe entre une agence de publicité et son client, s'est rendue complice d'un agissement parasitaire et a également engagé sa responsabilité.

Considérant que Piketty réplique que :

- AD Communication ne rapporte pas la preuve qu'elle est à l'origine de cette " idée ",

- c'est Piketty qui a donné le fil conducteur et l'idée d'intégrer dans la plaquette une part de rêve, d'imaginaire,

- la citation litigieuse est dans le domaine public,

- l'idée d'AD Communication n'est pas originale dès lors que l'association du poème " rêve de pierre " à une publicité pour un exploitant de carrière relève de l'utilisation d'un concept parfaitement banal en matière de publicité et d'une association évidente,

- la plaquette réalisée par Methys ne reproduit pas les éléments caractéristiques de celle d'AD Communication,

- Piketty n'a pas réalisé d'économie, n'a pas tiré un profit commercial de l'opération,

- il appartenait à AD Communication de prendre des précautions avant de founir des informations à Piketty si elle voulait en préserver la confidentialité.

Considérant les moyens des parties étant ainsi exposés qu'il résulte des pièces mises aux débats et notamment des comptes rendus des réunions tenues avec diverses agences de publicité consultées sur le projet de plaquette et de la note de synthèse plaquette datée du 20 juillet 1992 que l'idée de " part de rêve, imaginaire " n'a été mise en avant pour la première fois que dans cette note de synthèse.

Que la réalisation de la plaquette avait, à cette date, été confiée à M. Chomicki mais que Piketty a mis fin à leurs relations courant novembre 1992 et a alors contacté AD Communication et Méthys, après que le dossier ait été pris en charge, selon les propres déclarations de Piketty, par le nouveau directeur commercial M. Guillaume.

Que, sur ce point, l'intimée ne rapporte pas la preuve qu'elle ait transmis à AD Communication les comptes-rendus antérieurs pas plus que la note de synthèse lesquels au demeurant avaient été élaborés par une autre personne, M. Thomas responsable des ressources humaines chez Piketty.

Considérant qu'AD Communication justifie de ce qu'elle a établi deux projets de plaquette remis à Piketty le 18 décembre 1992.

Que l'un d'eux, intitulé " un rêve de pierre " par Piketty, avait pour thème le " rêve de pierre " emprunté à Baudelaire et prévoyait de reproduire en page 3 de la plaquette le poème.

Considérant que ces projets n'ont pas été retenus.

Que la réalisation de la plaquette a été confiée le 14 janvier 1993 à Methys, laquelle avait présenté le 31 décembre 1992 un projet prévoyant en première page à titre d'accroche :

" Quelques secondes d'une matière éternelle ".

Considérant que la plaquette dans sa version finale comporte en première page de couverture le premier vers du poème de Baudelaire " la beauté " : " je suis belle, O mortels ! Comme un rêve de pierre ".

Considérant que ce simple rappel chronologique des faits démontre que c'est AD Communication qui la première a eu l'idée de construire la plaquette autour du poème de Baudelaire " La Beauté " en utilisant le thème du " rêve de pierre ", observation étant faite qu'il n'est pas démontré que la note de synthèse du 20 juillet 1992 ait été portée à sa connaissance.

Considérant qu'à supposer que Piketty ait avisé AD Communication de son désir de développer le concept du rêve et même si le poème de Baudelaire est connu, aucun lien ne se fait automatiquement entre celui-ci et ledit concept, le poème de Baudelaire étant avant tout une allégorie de la beauté où un créateur s'interroge sur les finalités de son art.

Qu'il ne peut pas davantage être soutenu que l'accroche de Methys " Quelques secondes de matière éternelle " fait référence au poème de Baudelaire dans la mesure où Methys, pour illustrer cette phrase, propose de l'associer au noeud d'un sablier avec le sable qui coule et non avec un quelconque poème.

Considérant qu'AD Communication ne se prévalant pas du bénéfice du droit d'auteur mais soutenant que les sociétés Piketty et Methys ont commis un agissement parasitaire engageant leur responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, il n'y a pas lieu de rechercher si l'idée d'accroche dont se prévaut AD Communication est originale.

Qu'il s'en suit que Methys en reprenant purement et simplement sur la première page de couverture de sa plaquette, le premier vers du poème " La Beauté " pour donner aux lecteurs une vision de la société Piketty et de ses activités s'est attribuée une partie du travail d'AD Communication et a cherché à exploiter à son profit les investissements intellectuels de son concurrent.

Qu'il importe peu que les deux plaquettes soient différentes quant à leur contenu et qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les deux, dès lors que l'idée forte retenue par AD Communication pour présenter Piketty, à savoir le thème du " rêve de pierre " emprunté au poème de Baudelaire, a été utilisée par Methys comme accroche.

Qu'un tel comportement constitue un agissement parasitaire engageant la responsabilité de Methys.

Considérant que Piketty qui a commandé et exploité en tant qu'annonceur la plaquette incriminée et qui a manifestement transmis à Methys le projet de plaquette réalisé par AD Communication doit répondre au même titre que Methys des agissements parasitaires dont l'appelante est la victime et auxquels les intimées ont concouru.

Considérant que Piketty ne saurait valablement soutenir qu'il appartenait à AD Communication de prendre toute précaution utile avant de transmettre son projet et d'attirer son attention sur son caractère.

Considérant en effet que les rapports entre un annonceur et une agence de publicité doivent être emprunts de loyauté.

Qu'il s'ensuit que Piketty qui avait mis en concurrence plusieurs agences de publicité sur un projet de plaquette publicitaire, ne pouvait, même en l'absence de toute clause de confidentialité, révéler et faire exploiter par Methys, le thème autour duquel était construit le projet d'une agence concurrente à qui elle n'a pas confié le travail et qui n'a reçu aucune rémunération.

Considérant qu'il s'infère nécessairement des agissements parasitaires constatés l'existence d'un préjudice pour AD Communication qui, non seulement n'a pas été payée du travail par elle effectué et partiellement utilisé par un tiers qui en a tiré profit mais encore s'est trouvée privée de la paternité de l'accroche publicitaire qu'elle avait conçue, la plaquette diffusée mentionnant le nom de Methys.

Que la Cour possède les éléments d'appréciation suffisants pour évaluer ce préjudice à la somme de 10 000 F.

Considérant que la société Methys faisant l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire, aucune condamnation à paiement ne peut être prononcée à son encontre et ce, en application de l'article 47 de la loi du 25 janvier 1985.

Que cependant AD Communication justifiant avoir, le 17 juin 1994, déclaré sa créance entre les mains de Me Coudray, mandataire liquidateur, il y a lieu de fixer sa créance au passif de Methys à la somme susvisée.

Considérant par ailleurs que l'équité commande d'allouer à AD Communication qui a dû engager des frais hors dépens pour défendre ses intérêts, une somme de 20 000 F.

Considérant que Piketty qui succombe sera déboutée de sa demande de ce chef.

Par ces motifs : Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, Dit la société AD Communication recevable à agir, Dit que les sociétés Methys et Piketty se sont rendues coupables d'agissements parasitaires à l'encontre de la société AD Communication et ont engagé leur responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code Civil, Fixe la créance de la société AD Communication au passif de la société Methys à la somme de 100 000 F, Condamne la société Piketty à payer à la société AD Communication la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 NCPC, Déboute les parties du surplus de leur demande, Condamne la société Piketty aux dépens de première instance et d'appel, Admet Me Huygue avoué au bénéfice de l'article 699 du nouveau Code de Procédure Civile.