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Décisions

CA Versailles, 12e ch. sect. 2, 3 avril 1997, n° 6196-95

VERSAILLES

Arrêt

Infirmation partielle

PARTIES

Demandeur :

Proteval (SA)

Défendeur :

Cros, Sorc (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Assié

Conseillers :

Mme Laporte, M. Renauldon

Avoués :

SCP Lissarrague-Dupuis, Associés, SCP Fievet, Rochette, Lafon

Avocats :

SCP Nataf-Fajgenbaum, Me Dubois.

T. com. Nanterre, du 13 avr. 1995

13 avril 1995

Faits et procédure

La société Proteval, créée en 1989, a pour objet la recherche, le développement, la fabrication et la vente d'équipements médicaux.

Dans le cadre de ces activités, elle offre à la vente, depuis 1990, un genou prothétique pneumatique à biellettes référencé sous la marque " Acphapend ".

Le 25 mars 1994, Monsieur Lefevre, Président du Conseil d'Administration de la société Proteval, a reçu une lettre circulaire émanant de la SARL Sorc, l'informant de la présentation par cette dernière, au cours du salon Mecanelem qui devait se tenir à Villepinte du 25 au 29 avril 1994, d'un nouveau genou prothétique dénommé " Polyrythme Maxi ".

Estimant, après s'être rendu au salon, que ce nouveau modèle de genou prothétique constituait une copie quasi servile du sien, la société Proteval a présenté une requête aux fins de constat.

Par ordonnance en date du 10 mai 1994, le Président du Tribunal de Commerce de Nanterre a autorisé un huissier de justice territorialement compétent à se présenter au siège de la société Sorc et à procéder à toutes constatations utiles.

Le 06 juin 1994, Maître Venezia, huissier de justice, s'est rendu au siège de la SARL Sorc où il a été reçu par Monsieur Claude Cros, son gérant.

Sur place il a constaté la présence de deux exemplaires du genou " Polyrythme Maxi " et Monsieur Degret, conseil en propriété industrielle, qui accompagnait l'officier ministériel, a procédé à une description détaillée de ces objets.

Au vu des éléments ainsi recueillis, la société Proteval a, par acte du 12 juillet 1994, engagé une action en concurrence déloyale et parasitaire tant à l'encontre de la SARL Sorc que de Monsieur Cros, qui était par ailleurs, son ancien président, leur reprochant notamment une appropriation des secrets de fabrication confidentiels et la présentation d'une prothèse constituant, comme il a été dit, une copie quasi servile de son genou " Acphapend ".

Par jugement en date du 13 avril 1995, auquel il est renvoyé pour plus ample exposé des éléments de la cause, le Tribunal de Commerce de Nanterre a :

- déclaré irrecevable l'action engagée par la société Proteval à l'encontre de Monsieur Cros ;

- déclaré recevable mais mal fondée l'action engagée par la société Proteval à l'encontre de la SARL Sorc ;

- débouté cette dernière, ainsi que Monsieur Cros, de leurs demandes reconventionnelles en dommages et intérêts ;

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

- condamne la société Proteval aux dépens.

Appelante de cette décision, la société Proteval lui fit grief d'avoir tout d'abord mis hors de cause Monsieur Cros, motif pris qu'un accord de non-concurrence ne liait ce dernier au groupe Proteval et qu'ensuite de son départ, il ne saurait lui être imputé à faute d'avoir créé une société concurrente.

S'agissant des demandes formées à l'encontre de la société Sorc, elle reproche aux premiers juges d'avoir considéré, pour les dire mal fondés, qu'il n'est pas établi que cette société se serait inspirée du genou prothétique qu'elle offre à la vente et qu'il n'existe aucun risque de confusion entre les deux genoux prothétiques en cause.

Elle fait au contraire valoir, en ce qui concerne tout d'abord Monsieur Cros, qu'il n'est nullement reproché à ce dernier, après avoir quitté les fonctions qu'il occupait au sein de son groupe, d'avoir créé une société concurrente, mais d'avoir aussitôt mis à la disposition de cette dernière, un produit qui n'était que la reproduction servile du sien, et ce, en utilisant le savoir-faire industriel et les secrets de fabrication qu'il avait acquis auprès d'elle, ajoutant que l'intéressé n'a pas hésité à tenter de faire breveter ce produit en le présentant comme nouveau. En ce qui concerne la société Sorc, elle soutient que celle-ci ne saurait prétendre qu'il ne s'agirait que d'un prototype de genou alors qu'il est avéré aujourd'hui que celui-ci est commercialisé. Elle déduit de là, qu'elle est parfaitement recevable et fondée à agir en concurrence déloyale et parasitaire tant à l'encontre de Monsieur Cros que de la société Sorc qui n'est que l'émanation de ce dernier, ajoutant qu'il est inexact de prétendre, comme le font ses adversaires, qu'elle n'aurait pas mis au point le produit litigieux. Elle fait également valoir qu'il ne saurait être sérieusement contesté que le genou proposé par la société SORC reprend, tant sur le plan fonctionnel qu'utilitaire, les caractéristiques essentielles du sien. Elle estime en conséquence qu'elle est en droit de réclamer réparation de son préjudice constitué d'une part, par un détournement de clientèle et d'autre part, par application de ses efforts de recherche et de promotion.

Elle demande en conséquence à la Cour de :

- déclarer son action en concurrence déloyale et parasitaire, dirigée tant à l'encontre de Monsieur Cros que de la société Sorc recevable et bien fondée ;

- ordonner la confiscation et la remise de tous genoux référencés " Polyrythme Maxi " se trouvant directement ou indirectement, par toute personne physique ou morale interposée, entre les mains de Monsieur Cros ou de la société Sorc et ce sous astreinte définitive de 25 000 F par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- ordonner la cessation de tous les actes incriminés et ce, sous astreinte définitive de 25 000 F, par infraction constatée à compter de la signification de l'arrêt à intervenir ;

- condamner in solidum Monsieur Cros et la société Sorc à lui payer la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts ;

- l'autoriser à faire publier la décision à intervenir dans cinq journaux de son choix aux frais avancés de ses adversaires, le coût de chaque insertion étant fixé à la somme de 30 000 F HT ;

- condamner in solidum Monsieur Cros et la société Sorc à lui payer la somme de 50 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ainsi qu'à supporter les entiers dépens ;

Subsidiairement, elle sollicite un sursis à statuer dans l'attente de la décision de l'INPI quant à la demande d'octroi du brevet déposée par Monsieur Cros à laquelle elle s'est légitimement opposée.

Monsieur Cros et la SARL Sorc réfutent point par point, l'argumentation adverse et concluent à la confirmation du jugement entrepris par adoption de motifs, sauf en ce qu'elle a rejeté leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts. A cet égard, ils font valoir que les allégations totalement infondées de la société Proteval ont non seulement jeté sur eux, dans toute la profession, un discrédit mais qu'elles ont également porté atteinte à leur secret de fabrication, leur interdisant notamment un dépôt de brevet à l'étranger. Ils demandent en conséquence, dans le cadre d'un appel incident, que l'appelante soit condamnée à leur payer la somme de 500 000 F à titre de dommages et intérêts ainsi qu'une indemnité de 50 000 F pour les frais de procédure qu'ils ont été contraints d'exposer.

Motifs de la décision

- Sur la recevabilité de l'action engagée à l'encontre de Monsieur Cros

Considérant qu'il sera rappelé que Monsieur Cros a commencé sa carrière dans le groupe La Prothèse Générale le 1er avril 1984 en qualité de Directeur d'exploitation ; qu'il a été ensuite nommé Directeur Général de cette société ; que, en 1989, il a par ailleurs été nommé Président du Conseil d'Administration de la société Proteval nouvellement constituée appartenant au même groupe que la précédente ; qu'au mois de mai 1993, il a démissionné de ses différentes fonctions pour créer aussitôt la société Sorc, SARL au capital de 50 000 F immatriculée le 29 juillet 1993, dont il est devenu le gérant ; que dans le cadre de ses nouvelles activités, il a mis au point, dès les mois suivants, le genou " Polyrythme Maxi " pour lequel il a déposé à titre personnel une demande de brevet auprès de l'INPI. ;

Considérant que la société Proteval ne conteste pas que Monsieur Cros, qui n'avait souscrit aucune clause de non-concurrence, était libre de se rétablir en créant une société concurrente et d'utiliser le savoir faire acquis auprès d'elle mais qu'elle lui reproche d'avoir utilisé des informations techniques qualifiées par elle de secrètes ou de confidentielles et d'avoir mis ainsi en œuvre " un savoir copier " ;

Considérant que les premiers juges ont estimé que ces reproches étaient insuffisamment étayés et ont déclaré l'action engagée à l'encontre de Monsieur Cros irrecevable ; que ce faisant, ils ont opéré une confusion entre les conditions de recevabilité d'une action ou d'une prétention et son bien fondé ; que le jugement dont appel sera dès lors infirmé de ce chef et l'action engagée à l'encontre de Monsieur Cros, sur le fondement essentiel d'agissements parasitaires, déclarée recevable ;

- Sur la recevabilité de l'action engagée à l'encontre de la société Sorc

Considérant que la société Sorc, soutenue en cela par Monsieur Cros, prétend que l'action dirigée à son encontre serait irrecevable motif pris essentiellement que le genou " Acphapend " aurait été mis au point par la société Prothèse Générale et non par la société Proteval, déduisant de là que cette dernière n'aurait ni intérêt ni qualité pour agir ;

Mais considérant que ce raisonnement ne saurait être suivi ;

Considérant en effet, que l'objet social de la société Proteval comprend notamment " toutes opérations se rapportant à... la fabrication de prothèse et d'appareillage orthopédique " ainsi que " toutes études, recherches... " ; que la création et la fabrication de prothèse entre donc bien dans l'activité de base de la société Proteval ; que par ailleurs, il est justifié que le genou prothétique en cause a bien été élaboré et commercialisé par la société Proteval sous la marque " Acphapend " que ladite société a régulièrement déposé ; que l'agrément donné par le Ministère de la Santé pour le produit dont s'agit, à la société Prothèse Générale, n'enlève rien aux constatations qui précèdent dès lors que cette dernière a reçu ledit agrément en qualité d'appareilleur et non en qualité de fabricant, l'agrément s'attachant au produit pris en lui-même et non à la qualité de celui qui le sollicite ; qu'il suit de là que, la société Proteval a bien qualité et intérêt à agir, et qu'elle est parfaitement recevable, étant observé que le genou " Polyrythme Maxi " est désormais commercialisé, à recherche la responsabilité de la société Sorc, à l'instar de celle de Monsieur Cros, sur le fondement de la concurrence déloyale et parasitaire ;

- Sur le bien fondé de l'action

Considérant qu'il convient de distinguer les agissements parasitaires essentiellement reprochés à Monsieur Cros de ceux imputés essentiellement sur le terrain de la concurrence déloyale à la société Sorc ;

Considérant qu'il est fait grief ainsi qu'il a été dit à Monsieur Cros d'avoir utilisé les informations confidentielles dont il a eu connaissance lorsqu'il était au service de la société Proteval pour mettre au point, dans un délai de quelques mois, un nouveau genou prothétique reprenant les caractéristiques techniques et novatrices de genou " Acphapend " ;

Mais considérant que, si l'approbation des efforts de recherches et d'innovation d'autrui est répréhensible, encore faut-il que la société Proteval à qui incombe la charge de la preuve, établisse que Monsieur Cros a commis de tels agissements ;

Or considérant que force est de constater qu'à cet égard, la société Proteval procède par voir d'affirmation ; qu'en effet, il n'est nullement démontré que Monsieur Cros aurait trahi un secret de fabrication ou divulgué des informations concernant le genou prothétique " Acphapend " ; que le seul fait que l'intéressé ait utilisé, pour mettre au point un nouveau genou prothétique, des mécanismes s'approchant de ceux du genou concurrent, alors que celui-ci n'est pas breveté et qu'il reprend essentiellement des éléments déjà mis au point pour le genou " Ten Lin " rentrés dans le domaine public, ne saurait caractériser des agissements parasitaires mais l'utilisation d'un savoir-faire, parfaitement licite, dans la mesure où Monsieur Cros n'était lié à son ancien employeur par aucune clause restrictive de concurrence et qu'il était libre de mettre au service d'une société nouvellement créée, les connaissances par lui acquises au cours de ses activités précédentes; que, dans ces conditions et faute pour la société Proteval d'avoir pris en temps utile les mesures de protection qui convenaient, celle-ci doit assumer le risque de voir un de ses anciens collaborateurs tirer profit de son expérience professionnelle pour créer une activité concurrente de la sienne;

Considérant que la société Proteval reproche par ailleurs à la société Sorc et incidemment à Monsieur Cros d'avoir mis sur le marché un genou prothétique constituant la copie quasi servile du sien ;

Mais considérant que l'examen des deux genoux en cause vient démentir ces affirmations ;

Considérant tout d'abord que les deux genoux, s'ils présentent une certaine similitude générale extérieure qui s'explique par leur destination commune et leur fonction utilitaire, se distinguent cependant par leurs formes, le genou " Acphapend " présentant une forme arrondie sur le dessus et rectangulaire en partie inférieure alors que le genou " Polyrythme " présente dans sa partie centrale une forme octogonale ; que de même, les logos de chaque marque imprimés sur chacun des genoux sont implantés à des endroits différents et sont de couleurs et de tailles différentes; que tout risque de confusion quant à l'aspect extérieur de ces genoux est ainsi écarté;

Considérant qu'en ce qui concerne la partie mécanisme, les centres de rotation sont différents dans la mesure où ils ne sont pas placés aux mêmes endroits et où leurs systèmes de fonctionnement ne sont pas les mêmes ; qu'également leurs performances au niveau notamment de la souplesse et de l'ouverture sont différentes, étant observé que le système de biellettes à amortisseur pneumatique commun aux deux genoux, était déjà utilisé par le genou " Ten Lin ", tombé comme il a été dit précédemment dans le domaine public ; qu'il suit de ces constatations qui ne sont pas utilement contredites que les genoux en cause sont différents tant sur le plan fonctionnel qu'esthétique et que c'est à bon droit que le Tribunal a estimé, par de justes motifs que la Cour s'approprie, sous réserve de ceux relatifs à l'aspect extérieur, que le genou prothétique de la société Sorc ne pouvait être qualifié de copie quasi servile du genou " Acphapend " de la société Proteval et qu'il n'existait aucun risque de confusion possible dans l'esprit de la clientèle potentielle commune ;

Considérant qu'en conséquence, la société Proteval sera déboutée de son appel et le jugement entrepris confirmé en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a dit irrecevable l'action engagée à l'encontre de Monsieur Cros au lieu de la déclarer mal fondée ;

- Sur l'appel incident

Considérant que, tant Monsieur Cors que la société Sorc n'établissent que l'action engagée à leur encontre aurait porté atteinte à leur réputation ou qu'elle aurait entravé d'une quelconque manière le développement espéré de leurs activités, notamment à l'étranger, les intimés se contentant de procéder sur ce point par voie d'affirmation ; qu'ils n'établissent pas davantage, eu égard aux circonstances particulières de la cause, que cette action a dégénéré en abus de droit et qu'elle a été engagée dans le seul but d'éliminer un concurrent potentiel ; que dans ces conditions, ils seront déboutés de leur demande reconventionnelle en dommages et intérêts ;

Considérant en revanche qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge les frais de procédure qu'ils ont été contraints d'exposer ; que la société Proteval sera condamnée à leur payer la somme de 15 000 F HT en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ;

Considérant que la même société, qui succombe, supportera les entiers dépens ;

Par ces motifs : La Cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort, - Reçoit la société Proteval SA en son appel principal et Monsieur Cros ainsi que la société Sorc SARL en leur appel incident ; - Dit ces appels pour l'essentiel mal fondés ; - Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a déclaré irrecevable l'action en concurrence déloyale et parasitaire engagée à l'encontre de Monsieur Cros, au lieu de la déclarer mal fondée et infirme de ce seul chef ; Ajoutant au jugement, - Condamne la société Proteval SA à payer à Monsieur Cros et la société Sorc SARL, une indemnité de 15 000 F HT en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile ; - La condamne également aux entiers dépens et autorise la SCP d'Avoués Lissarrague - Dupuis et Associés à poursuivre directement le recouvrement de la part la concernant, comme il est dit à l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.