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Décisions

CA Toulouse, 2e ch., 17 mars 1997, n° 95-595

TOULOUSE

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Realix Technologies (SA)

Défendeur :

Sector Ingenierie (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Foulon

Conseillers :

MM. Boutie, Kriegk

Avoués :

Me Château, SCP Rives-Podesta

Avocats :

Mes Adine-Flamand, Givry.

T. com. Toulouse, du 24 nov. 1994

24 novembre 1994

La société Ace & S a été déclarée en redressement judiciaire par jugement du Tribunal de Commerce de Toulouse le 28 avril 1992,

La société SA Réalix Technologies a déposé une proposition de reprise qui a été refusée, le Tribunal attribuant la reprise à la société SA Sector Ingénierie,

M. Bernard Deltour, qui avait été embauché le 1er mars 1991 par la société Ace & S en qualité d'ingénieur d'études, a donné sa démission le 1er février 1993 et a été embauché par la société Réalix le 1er mars 1993,

La société Sector attribue à cet état de fait l'origine d'une partie de ses difficultés, alors que le contrat de M. Deltour comportait une clause de non-concurrence lui interdisant de travailler directement ou indirectement pour une société concurrente de la société Ace & S pendant un délai d'un an à compter de la rupture du contrat de travail,

La société Sector a fait assigner la société Réalix par exploit en date du 20 janvier 1994 devant le Tribunal de Commerce de Toulouse pour concurrence déloyale, sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code Civil, en réclamant la somme de 300.000 F à titre de dommages et intérêts,

Par jugement en date du 24 novembre 1994, le Tribunal de Commerce de Toulouse a fait partiellement droit à cette demande en condamnant la société Réalix à payer la somme de 195 000 F à la société Sector à titre de dommages et intérêts en vertu de l'article 1383 du Code Civil,

La SA Sector Ingénierie a relevé appel le 19 mai 1995,

La SA Réalix Technologies a également relevé appel le 9 juin 1995,

Les procédures d'appel ont été l'objet d'une ordonnance de jonction en date du 12 juin 1996,

La société Réalix demande de dire qu'elle n'a pas commis d'acte de concurrence déloyale, de débouter la société Sector de ses prétentions, et de la condamner au paiement de la somme de 20 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

La société Sector Ingénierie demande de confirmer le jugement en ce qu'il a estimé que la société Réalix a commis un acte de concurrence déloyale à son égard, et forme appel incident pour obtenir condamnation au paiement de la somme de 300 000 F à titre de dommages et intérêts pour violation de la clause de non-concurrence, de la somme de 200 000 F à titre de dommages et intérêts à la suite du détournement de clientèle, et de la somme de 20 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Motifs de l'arrêt :

Le premier juge mentionne que les documents produits établissent que les deux sociétés en litige, qui exercent leur activité dans le domaine du management de projets en informatique dans le secteur spatial et aéronautique, ont été mises en concurrence pour la reprise de la société Ace & S, et qu'il résulte de la lecture des projets que la société Réalix a eu connaissance du dossier, notamment de la liste du personnel dans laquelle figurait M. Bernard Deltour en qualité d'ingénieur d'études ; qu'ainsi, la société Réalix ne peut sérieusement soutenir avoir ignoré le contrat de travail de M. Deltour.

La SA Réalix prétend avoir eu connaissance de la liste du personnel précisant son ancienneté et sa qualification, mais non des dispositions particulières figurant dans les contrats de travail,

Elle prétend, sans pouvoir être démentie, n'avoir eu connaissance de la clause de non-concurrence que par lettre du 26 novembre 1993 adressée par le conseil Sector, en suite de quoi elle a procédé au licenciement de M. Deltour en janvier 1994.

La société Réalix soutient à juste titre que la preuve de la connaissance par elle au moment de l'embauche de M. Deltour le 1er mars 1993 de l'existence d'une clause de non-concurrence (dont la réalité n'est pas discutée) incombe au demandeur,

Force est de constater que la société Sector ne rapporte pas cette preuve,

En effet, quoique le contrat de travail signé le 1er mars 1993 par M. Deltour soit ainsi libellé : " vous êtes embauché en qualité d'ingénieur d'études ... votre admission est subordonnée : ... à l'assurance formelle que vous n'êtes lié à aucune autre entreprise à la date de votre entrée dans la société Réalix et, s'il y a lieu, que vous avez quitté votre précédent emploi libre de tout engagement ", l'expression " libre de tout engagement " ne peut être considérée comme incluant l'affirmation d'une absence d'engagement de non-concurrence,

La société Sector prétend cependant qu'il est habituel dans ce type d'activités que les cadres se voient imposer une clause de non-concurrence, et soutient que la société Réalix ne saurait s'abriter derrière le fait qu'elle n'aurait pas prix connaissance des contrats de travail,

La société Sector n'établit cependant pas que l'existence d'une telle clause soit habituelle et classique dans le secteur considéré, à savoir le secteur spatial et aéronautique, de telle sorte qu'aucune faute ne peut être reprochée au nouvel employeur de ne s'être pas préoccupé de son existence,

La société Sector se prévaut encore de l'existence d'un détournement de clientèle,

La société Sector souligne que son offre de rachat de la société ACE et S tenait compte de ce que l'essentiel de la clientèle était constitué par la société Matra Espace (la liste des contrats établie le 7 juillet 1992 représentant 50 contrats Matra Espace sur un total de 63) et elle observe que M. Deltour était plus spécialement chargé de mission auprès de la société Matra,

Elle prétend que la société Matra n'a pas renouvelé ses contrats postérieurement au départ de M. Deltour, si bien qu'au 31 décembre 1993, elle a enregistré un résultat déficitaire de près de 1 500 000 F,

Elle soutient en conséquence que M. Deltour, de par ses fonctions, a apporté à son concurrent des informations techniques et commerciales concernant son client le plus important, à savoir la société Matra, et que de plus, le départ de M. Deltour de la société Sector Ingénierie et son embauche peu de temps après par la société Réalix consacrerait une volonté de détournement de clientèle et en définitive, un acte de concurrence déloyale,

Cependant, l'embauche par un nouvel employeur d'un cadre ayant appartenu récemment à une entreprise exerçant une activité dans le même secteur ne fait pas présumer par elle même un acte de concurrence déloyale,

La société Sector n'établit pas que son résultat déficitaire soit directement en relation de cause à effet avec la démission de M. Deltour et son embauche par la société Réalix, laquelle lui a offert un salaire inférieur à celui qu'il percevait auparavant (17.115 F au lieu de 19.300 F), ce que ce dernier a accepté compte tenu de sa situation personnelle (il n'est pas discuté qu'il avait été muté à Pau et voulait revenir à Toulouse),

De même, la société Sector n'apporte pas la preuve que la société Réalix ait une responsabilité quelconque dans le non renouvellement des contrats entre la société Matra et la société Sector Ingénierie,

D'une part en effet, la société Réalix verse aux débats la justification de ce qu'elle a dans son capital et pour administrateur la société Intecs Sistemi, elle-même filiale de Matra (journal " l'Echo des Etoiles " janvier 1991 et K-Bis de la société Intecs Sistemi), de telle sorte qu'elle peut affirmer qu'elle n'avait pas besoin d'Ace & S pour travailler avec Matra,

D'autre part, il résulte des pièces versées aux débats par la société Sector elle-même, que seuls quatre contrats se poursuivaient avec la société Matra après la reprise début 1993,

Il ressort enfin des pièces fournies par la société Sector que les relations entre Ace & S et Matra rencontraient des difficultés, cette dernière reprochant à Ace & S de lui facturer des prestations non réalisées, ainsi qu'il résulte d'un fax du 21 décembre 1992,

En conséquence, le jugement dont appel doit être infirmé, et la société Sector Ingénierie doit être déboutée de toutes ses demandes, fins et prétentions,

La société Sector Ingénierie doit supporter les dépens de première instance et d'appel,

L'équité commande d'allouer à la société Réalix la somme de 15.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,

Par ces motifs : La Cour, Vu l'ordonnance de jonction en date du 12 juin 1996, Reçoit l'appel des parties, Infirme le jugement rendu le 24 novembre 1994 par le Tribunal de Commerce de Toulouse, Statuant à nouveau, Déboute la société SA Sector Ingénierie de toutes ses demandes, fins et conclusions à l'encontre de la SA Réalix Technologies, Met les dépens de première instance et d'appel à la charge de la société Sector Ingénierie et dit que ceux d'appel seront recouvrés directement par Me Château, avoué, conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau Code de Procédure Civile, Condamne la SA Sector Ingénierie à payer à la SA Réalix Technologies la somme de 15.000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.