Livv
Décisions

CA Paris, 4e ch. B, 14 mars 1997, n° 94-1048

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Cevam (SA)

Défendeur :

Innovatec (SARL), Pellegrini (ès Qual.), Protections Accès Contrôle Sécurité (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Boval

Conseillers :

M. Ancel, Mme Regniez

Avoués :

Mes Olivier, Bolling, SCP Bernabe Ricard

Avocats :

Mes Dervieux, Casalonga, Vatier, Topeza.

TGI Paris, 3e ch., 2e sect., du 28 oct. …

28 octobre 1993

LA COUR statue sur l'appel interjeté par les sociétés Cevam, Protection Accès contrôle Sécurité (Pacs) et Fab - celle-ci en liquidation judiciaire, étant désormais représentée par Me Pellegrini ès qualités de liquidateur - à l'encontre d'un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 28 octobre 1993 dans un litige l'opposant à la société Innovatec.

Référence étant faite au jugement entrepris et aux écritures échangées en cause d'appel pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions des parties, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.

Innovatec créée en 1984 et ayant pour objet social l'étude et la réalisation de tous dispositifs électroniques a développé un système informatique de contrôle d'accès des parkings et habitations géré par Minitel dénommé Keypass.

En septembre 1991, elle a confié à Pacs (créée en août 1991) la distribution des produits Keypass. Des projets d'accord de distribution exclusive ont été préparés mais n'ont pas été signés.

Elle avait préalablement déposé le 11 mars 1992 la marque Keypacs enregistrée sous le n° 92410033 pour désigner dans les classes 9, 35 et 38 notamment des " appareils de contrôle d'accès centralisé des personnes avec identification par clefs infra rouge et gestion des mouvements et alarmes ".

Après avoir fait dresser le 17 novembre 1992 un procès-verbal de constat qui a permis d'établir que les produits Keypacs étaient vendus par la société Fab, Innovatec par actes des 2 et 6 décembre 1992, a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Paris, Pacs, Fab, et la société Cevam à laquelle elle reprochait de commercialiser également les produits Keypacs après avoir distribué ses systèmes Keypass. Soutenant que Pacs avait déposé frauduleusement la marque Keypacs, elle demandait qu'elle soit condamnée à des dommages-intérêts et que soit prononcée la nullité de cette marque. Outre des mesures d'interdiction et de publication, elle réclamait également que ses adversaires soient solidairement condamnées à lui payer la somme de 200 000 F à titre de dommages-intérêts pour concurrence déloyale.

Les sociétés défenderesses, déniant les faits qui leur étaient reprochés, ont conclu au débouté et réclamé reconventionnellement des dommages intérêts.

C'est dans ces circonstances qu'est intervenu le jugement déféré qui a :

- dit que Pacs avait déposé la marque Keypacs en fraude des droits d'Innovatec,

- en conséquence annulé l'enregistrement de cette marque et condamné Pacs à payer à Innovatec la somme de 50 000 F à titre de dommages intérêts,

- dit que Pacs, Fab et Cevam avaient commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant un système de contrôle d'accès géré par un Minitel dénommé Keypacs,

- fait interdiction sous astreinte et avec exécution provisoire à ces sociétés de poursuivre ces actes,

- condamné in solidum lesdites sociétés à payer à Innovatec la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts,

- ordonné trois mesures de publication aux frais in solidum des défenderesses dans la limite d'un coût global de 45 000 F,

- condamné in solidum les défenderesses au paiement d'une indemnité de 9 000 F par application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

A la suite de ce jugement,

- Pacs, Fab et Cevam ont interjeté appel,

- Fab a été placée en liquidation judiciaire le 14 décembre 1995 et Me Pellegrini ès qualité de liquidateur est intervenu en reprise d'instance par conclusions du 3 mai 1996.

Pacs, qui poursuit la réformation intégrale du jugement, soutient que le dépôt de la marque Keypacs n'a eu aucun caractère frauduleux, qu'elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, et que c'est au contraire Innovatec qui s'est rendue coupable à son égard d'agissements constitutifs de concurrence déloyale. Elle demande qu'Innovatec soit condamnée à lui payer de ce chef une somme de 300 000 F à titre de dommages intérêts et subsidiairement elle prie la Cour de dire que le préjudice d'Innovatec est suffisamment réparé par la suppression de la marque litigieuse.

Cevam poursuit également la réformation du jugement en toutes ses dispositions lui faisant grief. Elle demande qu'Innovatec soit condamnée à lui payer la somme de 100 000 F à titre de dommages intérêts pour procédure abusive.

Me Pellegrini ès qualités prie la Cour de lui allouer le bénéfice des conclusions qui avaient été prises par Fab et tendant à sa mise hors cause. Subsidiairement il invoque les dispositions de l'article 48 de la loi du 25 janvier 1985 pour solliciter que la créance éventuelle d'Innovatec soit fixée au passif de Fab.

Innovatec conclut à la confirmation du jugement dans son principe. Elle forme appel incident sur le montant des dommages intérêts qu'elle prie la Cour de porter à 100 000 F du chef du dépôt frauduleux et à 300 000 F pour la concurrence déloyale.

Chacune des parties sollicite l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.

Sur ce, LA COUR :

Considérant que le tribunal ayant annulé, comme frauduleux, l'enregistrement de la marque Keypacs par la société Pacs, celle-ci, qui poursuit la réformation du jugement notamment de ce chef, fait valoir :

- que le tribunal a estimé à tort que les produits Keypass et Keypacs auraient été similaires alors que le premier est un système centralisé tandis que Keypacs est constituée de modules autonomes,

- que c'est également de manière erronée que le Tribunal a retenu que Keypacs était quasi-identique à Keypass sur les plans phonétique et visuel de sorte que des confusions étaient susceptibles de se produire alors que le terme Key est une désignation usuelle des systèmes de protection, et que les professionnels clients de ce type de produits distingueraient parfaitement ceux provenant de fabricants différents même si leur désignation comporte la même racine Key,

- que contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, elle n'avait, en déposant la marque Keypacs, ni tenté de se placer dans le sillage de son adversaire, ni eu l'intention de lui nuire ;

Mais considérant que cette argumentation ne saurait être retenue ; qu'étant observé que les produits en cause ont des usages et des fonctions similaires, même si leurs conceptions techniques diffèrent à certains égards, le Tribunal doit être approuvé d'avoir dit que Keypacs était quasi-identique à Keypass, et susceptible de susciter des confusions ; qu'il a justement relevé que cette marque avait été déposée par Pacs, distributeur des produits Keypass, quelques semaines avant la rupture de ses relations avec Innovatec, et que ce dépôt de marque manifestait une recherche de confusion et une volonté parasitaire, impliquant une intention de nuire à Innovatec ; que la Cour faisant siens les motifs du Tribunal, confirmera en conséquence le jugement entrepris en ce qu'il a annulé comme frauduleux, au visa notamment de l'article L. 711-4 du Code de la propriété intellectuelle, l'enregistrement de la marque Keypacs ;

Considérant sur la concurrence déloyale, que les trois sociétés appelantes, professionnelles de la vente des systèmes de sécurité, ont distribué les dispositifs Keypacs, après avoir commercialisé les produits Keypass, connaissant le risque de confusion qui pouvait en résulter au détriment d'Innovatec auprès de leur clientèle commune de gestionnaire d'ensembles immobiliers; que le Tribunal a justement retenu qu'elles avaient commis des agissements constitutifs de concurrence déloyale au préjudice d'Innovatec ;

Considérant, sur les mesures réparatrices, que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé à 50 000 F le montant des dommages intérêts mis à la charge de Pacs en réparation du préjudice causé à Innovatec par le dépôt frauduleux de la marque Keypacs ;

Considérant que la somme de 100 000 F allouée par le Tribunal répare équitablement le préjudice subi par Innovatec du fait des agissements constitutifs de concurrence déloyale commis par ses adversaires ; que l'intimée qui ne verse pas aux débats le moindre élément chiffré à l'appui de ses prétentions à cet égard ne peut qu'être déboutée de son appel incident tendant à voir porter à 300 000 F le montant de ces dommages-intérêts :

Considérant qu'eu égard à la mise en liquidation judiciaire de Fab la condamnation in solidum prononcée à l'encontre des trois sociétés par le Tribunal ne peut être maintenue ; que la créance d'Innovatec à l'encontre de Me Pellegrini es qualités sera fixée à 20 000 F ; que cette somme doit s'imputer sur l'indemnité globale ci-dessus fixée, de sorte que Pacs et Cevam, compte tenu de leurs rôles respectifs, seront condamnées in solidum à payer à Innovatec la somme de 80 000 F à titre de dommages intérêts étant précisé que cette condamnation n'incombera à Cevam que dans la limite d'un montant de 30 000 F ;

Considérant que le jugement sera confirmé du chef des mesures d'interdiction et de publication, étant toutefois précisé que ces dernières feront mention du présent arrêt et que leur coût, qui ne pourra excéder 30 000 F HT, sera supporté in solidum par les seules sociétés Pacs et Cevam ;

Considérant que les demandes reconventionnelles en dommages intérêts formées par les appelantes dont les prétentions principales sont rejetées ne sauraient prospérer, alors notamment que Pacs ne démontre en rien les agissements de concurrence déloyale qu'elle reproche à Innovatec ;

Considérant que l'équité commande de condamner Pacs et Cevam à payer à Innovatec une indemnité de 20 000 F pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris sauf du chef des condamnations prononcées à l'encontre des sociétés Pacs, Fab et Cevam in solidum ; Réformant de ces chefs, statuant de nouveau et ajoutant : Fixe à 20 000 F la créance de dommages intérêts de la société Innovatec au passif de la société Fab au titre du préjudice résultant des agissements de concurrence déloyale dont elle a été victime ; Condamne in solidum les sociétés Protection Accès Contrôle Sécurité (Pacs) et Cevam, cette dernière dans la limite de 30 000 F, à payer à la société Innovatec une indemnité de 80 000 F en réparation du préjudice causé à celle-ci par leurs agissements constitutifs de concurrence déloyale ; Dit que les publications ordonnées par les premiers juges devront faire mention du présent arrêt et que leur coût à la charge in solidum des sociétés Protection Accès Contrôle Sécurité (Pacs) et Cevam ne pourra excéder 30 000 F HT ; Condamne in solidum les sociétés Protections Accès Contrôle Sécurité (Pacs) et Cevam à payer à Innovatec une indemnité de 20 000 F pour ses frais irrépétibles de première instance et d'appel ; Rejette toute autre demande ; Condamne in solidum les sociétés Protection Accès Contrôle Sécurité (Pacs) et Cevam aux dépens de première instance ; Condamne in solidum Me Pellegrini ès qualités ainsi que les sociétés Protection Accès Contrôle Sécurité (Pacs) et Cevam aux dépens d'appel ; Admet Me Olivier au bénéfice des dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile.