CA Paris, 4e ch. B, 7 mars 1997, n° 93-22056
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Tricobel (SARL)
Défendeur :
Nitya (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Boval
Conseillers :
M. Ancel, Mme Regniez
Avoués :
SCP Varin Petit, SCP Rommart Forster
Avocats :
Mes Cyman, Azencot.
LA COUR statue sur l'appel formé par la société Tricobel à l'encontre d'un jugement rendu le 1er juillet 1993 par le tribunal de grande instance de Paris dans un litige l'opposant à la société Nitya.
Référence faite à cette décision pour l'exposé des faits, de la procédure initiale et des motifs retenus par les premiers juges, il suffit de rappeler les éléments qui suivent.
Nitya a déposé à l'INPI, le 17 septembre 1991, 17 modèles d'impression de tissus. Ce dépôt a été enregistré sous le n° 915615 et la publicité ayant été requise le même jour, ceux-ci ont été exposés le 29 novembre 1991 sous les numéros 0304 678 à 0304 694 dans les classes 05-05.
Faisant grief à Tricobel de détenir en vue de la vente des vêtements présentant un dessin identique à celui de son dessin n° 9, Nitya a fait pratiquer une saisie-contrefaçon dans les locaux de cette société conformément aux dispositions de l'article 12 de la loi du 14 juillet 1909.
Au vu des constatations du procès-verbal de saisie dressé le 6 juillet 1992 par Me Saragoussi, huissier, Nitya a fait assigner le 21 juillet suivant Tricobel, aux fins de la voir condamner à lui payer des dommages-intérêts pour actes de contrefaçon et de concurrence déloyale.
Le Tribunal a :
- déclaré recevable la demande de Nitya,
- dit que Tricobel, en détenant, offrant à la vente et en vendant des vêtements féminins en tissu à fleurettes bleues sur fond blanc, sans l'autorisation de Nitya avait commis des actes de contrefaçon, au sens de la loi du 14 juillet 1909, actuellement codifiée, du dessin de tissu appartenant à cette société déposé par elle à l'INPI le 17 septembre 1991 et enregistré sous le n° 915.615,
- prononcé des mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication,
- condamné Tricobel à payer à Nitya, à titre de dommages-intérêts la somme de 100 000 F en réparation de son préjudice résultant des actes de contrefaçon et la somme de 50 000 F en réparation de son préjudice commercial, outre une somme de 8 000 F sur le fondement de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Au soutien de sa demande d'infirmation du jugement, Tricobel fait valoir que :
- Nitya personne morale, " est irrecevable à se prévaloir des dispositions de l'article 3 de la loi du 14 juillet 1909 portant présomption au bénéfice de la société ayant procédé au dépôt de ce qu'elle est titulaire des droits attachés au dépôt du modèle, faute pour elle de justifier de l'existence d'une œuvre collective et d'un bureau de style ",
- Nitya n'est pas l'auteur du dessin revendiqué qui a été créé par la société de droit Italien Bright International pour Tricobel en Inde en août 1991,
- le dessin revendiqué n'est pas original,
- il y aurait lieu de nommer à titre subsidiaire un expert qui aurait pour mission d'apprécier l'originalité du dessin, sa date de création et son éventuelle contrefaçon.
Nitya en réplique soutient que :
- elle agit à titre principal sur le fondement du dépôt de son modèle fait à l'INPI le 17 septembre 1991, ce qui crée une présomption de titularité en sa faveur,
- Tricobel n'apporte pas la preuve d'une quelconque antériorité,
- le modèle qu'elle a créé et fait fabriquer en Inde par la société Scorpios est nouveau,
- son préjudice est multiple et consiste dans :
- " la contrefaçon de ses produits par un réseau de produits de bas de gamme ",
- une atteinte à la réputation de ses produits et de la marque Nitya,
- un manque à gagner certain,
- des faits de parasitisme découlant des économies réalisées par le concurrent.
Subsidiairement et dans la mesure où l'appelant invoque le droit d'auteur, Nitya fait valoir que :
- son dessin constitue une œuvre collective entreprise à son initiative et par son bureau de création, dirigé par l'épouse du gérant, Mme Datwani,
- elle a mis les dessins contrefaits (Bosky Blue et Jean Blue) sur le marché avant même le dépôt à l'INPI, soit les 12 et 13 juillet 1991 (présentation de mannequins),
- la société indienne New Shakti a fabriqué ces dessins pour Scorpios durant l'année 1991 (livraison notamment le 29 juin 1991),
- la société indienne Gunti Export lui a adressé dès le 25 juin 1991 des échantillons de robes fabriquées avec le dessin en question.
L'intimée prie en conséquence la Cour de :
- confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à ses demandes et a débouté Tricobel des siennes,
- condamner en outre Tricobel à lui payer à titre de dommages-intérêts, la somme de 500 000 F pour le préjudice qu'elle lui a causé par les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale, et celle de 300 000 F en réparation de son préjudice commercial et de l'atteinte portée à sa marque et à sa réputation,
- ordonner la publication de l'arrêt dans cinq journaux dans la limite de 20 000 F par insertion et à défaut condamner Tricobel à lui payer la somme correspondante.
Pour un exposé plus complet des moyens et prétentions des parties, il est renvoyé aux écritures échangées en cause d'appel, étant observé que chacune des parties revendique l'application à son profit des dispositions de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Sur ce, LA COUR :
Considérant que Nitya a déposé à l'INPI un modèle de dessin (n° 9), le 17 septembre 1991, représentant des fleurs bleues sur un fond blanc ; qu'elle a commercialisé et décliné ce modèle sous deux appellations - Bosky Blue (fleurs bleues et fond blanc) et Jean Blue (fleurs blanches et fond bleu) ;
Considérant que Nitya agit à titre principal sur le fondement de l'article 3 de la loi du 14 juillet 1909, codifié sous l'article L. 511.2 du Code de la propriété intellectuelle ; qu'à bon droit elle invoque la présomption établie par cet article selon laquelle le déposant est le créateur du dessin, fut-il une personne morale ;
Considérant que pour renverser cette présomption, qui est réfragable, Tricobel verse aux débats des attestations notariées en date du 15 février 1993, qui établiraient selon elle, que les modèles argués de contrefaçon ont été créés par la société indienne Bright International pour son compte en août 1991 ;
Mais considérant que ces attestations " notariées " qui ont été établies plusieurs mois après l'assignation de Nitya et plus d'un an et demi après le dépôt de modèle, ne suffisent pas à rendre incontestables les dates figurant sur les documents sous seing privé remis au " notaire public " indien ; qu'elles ne confèrent pas en l'espèce date certaine à la création alléguée par l'appelante qui sera donc déboutée de ses prétentions de ce chef ; qu'au surplus c'est à juste titre que le Tribunal a rejeté la demande d'expertise sollicitée par Tricobel, une telle mesure ne pouvant être ordonnée pour suppléer la carence d'une partie dans l'administration de la preuve ;
Considérant que Tricobel n'oppose au modèle revendiqué aucune antériorité de toutes pièces ; que ce modèle est donc nouveau ; qu'au surplus il porte l'empreinte de la personnalité de son auteur et est original ; qu'il est en conséquence protégeable sur le fondement du livre V du Code de la propriété intellectuelle ;
Considérant qu'il ressort de la description faite au procès-verbal de saisie-contrefaçon et de la comparaison des modèles que celui de Tricobel reproduit servilement celui de Nytia, ce que ne conteste pas l'appelante qui indique que la société Scorpios a copié le modèle de Bright International ; que la contrefaçon est donc établie ;
Considérant que l'appelante n'oppose aucun moyen au grief de concurrence déloyale avancé par Nitya, qui a été justement retenu par les premiers juges ;
Considérant que Tricobel a reproduit servilement les modèles de l'appelante, ce qui traduit une recherche de confusion ; qu'en outre, elle vend les modèles contrefaisants dans des marchés de rue, sur des supports de qualité médiocre comme le viscose au lieu d'un mélange de coton et viscose ; qu'elles les a banalisés et a porté atteinte à leur réputation ; que ces faits caractérisent des actes de concurrence déloyale distincts des actes de contrefaçon incriminés;
Considérant qu'il y a lieu de confirmer le jugement déféré dans son appréciation du préjudice, la preuve n'étant pas par ailleurs rapportée de l'insuffisance prétendue de la réparation accordée au titre des actes de contrefaçon et de concurrence déloyale ; que Tricobel sera déboutée de son appel incident ;
Considérant que seront confirmées, les mesures d'interdiction sous astreinte, de confiscation et de publication, étant précisé que les publications feront mention du présent arrêt ;
Considérant qu'en équité il sera alloué à Tricobel une somme de 5 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel qui s'ajouteront aux frais de première instance ;
Par ces motifs, Confirme le jugement déféré et y ajoutant : - dit que les mesures de publication feront mention du présent arrêt, - condamne la société Tricobel à payer à la société Nitya la somme de 5 000 F pour ses frais irrépétibles d'appel, - rejette le surplus des demandes, - condamne la société Tricobel aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Nouveau code de procédure civile par la SCP Varin Petit.