CA Colmar, 1re ch. civ. A, 28 janvier 1997, n° 9501188
COLMAR
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Ecole Privée des Carrières de la Mode (SARL), Esposito Farese
Défendeur :
Ecole Européenne de Beauté (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gueudet
Conseillers :
Mmes Bertrand, Schneider
Avocats :
Mes Leven Edel, Bueb.
M. Jacques Esposito Farese, gérant d'une SARL Ecole Privée d'Esthétique de Strasbourg (EPES), située 4, rue de Mutzig à Strasbourg créée en 1984, avec pour objet social l'enseignement, la préparation au CAP d'Esthéticien-cosméticien est entré en relation en 1991 avec Mme Gisèle Ranger, gérante de la SARL Ecole Européenne de Beauté (EEB), appelée jusqu'au 3 décembre 1990 Ecole Professionnelle de Coiffure d'Esthétique et de Manucure située rue de Turenne à Schiltigheim, créée en 1965 avec, pour objet social, l'enseignement de la coiffure, l'esthétique et la manucurie dont le capital social de 100 000 F était détenu à raison de 994 parts sur 1000 par la SARL Sagima dont la gérante était Mlle Sandrine Ranger. Le 3 juillet 1991, M. Jacques Esposito Farèse et Mme Gisèle Ranger ont signé un protocole d'accord portant sur un apport partiel d'actif de la société EPES à la Société EBB.
L'accord tel qu'il avait été initialement convenu n'a pas été réalisé et les parties ont en définitive opté pour un apport en nature à la société Sagima par les associés de EPES de 97 des 100 parts sociales de cette société (64 parts pour M. Jacques Esposito Farèse, 9 parts pour Mme Marie Emmanuelle Esposito Farèse, 24 parts pour Mme Madeleine Stephanny). Le contrat d'apport du 24 juillet 1992 enregistré le 3 août 1992 précise que les parts sociales sont évaluées à 430 000 F selon rapport du commissaire aux apports, que les apports sont consentis et acceptés moyennant l'attribution aux apporteurs de 133 parts nouvelles de 100 F chacune dans la société Sagima (88 parts à M. Jacques Esposito Farèse, 12 parts à Mme Esposito Farèse, 33 parts à Mme Madeleine Stephanny) mises avec une panne d'émission de 3 133 F par jour.
Selon procès-verbal du 17 août 1992 d'Assemblée Générale extraordinaire, la société Sagima a approuvé l'acte d'apport, a décidé d'augmenter son capital et a décidé de modifier ses statuts, toutes les formalités ayants été ensuite accomplies conformément à la loi.
Auparavant M. Esposito Farèse avait été embauché par EEB en qualité de directeur pédagogique et de professeur d'enseignement général à compter du 5 septembre 1991 par arrêté préfectoral du 12 mai 1992.
Par ailleurs, M. Esposito Farèse avait à la demande conjointe de Mme Fédération Nationale de l'Habillement, Nouveautés et Accessoires de la Région Parisienne et de M. Esposito Farèse été autorisé à ouvrir et à diriger l'Ecole Européenne de Beauté " Cours privé d'esthétique et de Coiffure situé 3, rue de Turenne à Schiltigheim et 4, rue de Mutzig à Strasbourg née de fusion de l'Ecole privée de coiffure, d'esthétique et de manucurie de Schiltigheim avec l'Ecole privée d'Esthétique de Strasbourg ".
De plus, le contrat de travail liant M. Esposito Farèse à l'EEB avait été établi et accepté le 24 juillet 1992 avec effet au 1er septembre 1991. Les relations entre Mme Gisèle Ranger et M. Esposito Farèse se sont détériorées et, à la suite d'incidents survenus à l'école, M. Esposito Farèse a été convoqué à un entretien préalable par lettre du 25 novembre 1992 pour le 3 décembre 1992.
M. Esposito Farèse estimant que son licenciement avait été annoncé par la directrice de l'école, la veille de l'entretien ne s'est pas présenté, si bien que, par lettre recommandée du 7 décembre 1992, il était licencié pour faute grave avec dispense d'effectuer le préavis de trois mois se terminant le 8 mars 1993.
A la suite de ce licenciement, de graves événements ont perturbé le fonctionnement de l'école, avec grève de certains professeurs et de certains élèves, constitution d'une association de défense des parents et des élèves, arrêt et perturbation des cours, prises de positions diverses, soit en faveur de M. Esposito Farèse soit en faveur de Mme Gisèle Ranger
Finalement, M. Jacques Esposito Farèse, Mme Madeleine Stephanny née Esposito Farèse, soeur du premier, Mme Renée Marie Esposito Farèse, mère du premier, M. Marcel Gosse, Mme Nicole Hartmann, née Richmann, Mme Claudine Herion née Denis ont constitué le 13 janvier 1993, une nouvelle société, l'Ecole Privée des carrières de la Mode ayant pour objet social la formation et la présentation aux examens d'Etat, de CAP, BP, BTS, d'esthéticien, cosméticien, CAP et BP de coiffure, l'organisation de stages de soins et maquillages et autres avec siège social, 1 bis rue de la Course à Strasbourg dans des locaux loués selon bail commercial du même jour conclu par M. Esposito et Mme Madeleine Stephanny agissant pour le compte de la société en cours de formation. Suite à une demande formée le 14 janvier 1993, par M. Esposito Farèse, le Préfet du Bas-Rhin par arrêté du 5 février 1993 a autorisé ce dernier à ouvrir et à diriger cette école, qui avait été ouverte le 19 janvier 1993, suite à l'inscription de 84 élèves.
Par lettre recommandée du 8 février 1993, EEB a alors rompu le préavis de M. Esposito Farèse pour faute grave.
La SARL EEB a alors assigné le 14 mars 1993 la société EPCM et M. Esposito Farèse devant la Chambre Commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg en concurrence illicite et déloyale en sollicitant leur condamnation solidaire au paiement d'une somme de 15 000 000 F à titre de dommages et intérêts la condamnation de EPCM a cesser toute activité et la publication du jugement à intervenir.
EBB ayant été mise en redressement judiciaire le 4 juin 1994, la procédure a été poursuivie en présence de Maître Patry, administrateur judiciaire. La société EPES, Mme Esposito Farèse et Mme Madeleine Stephanny sont intervenues volontairement à la procédure.
M. Esposito Farèse et la société EPCM ont formé une demande reconventionnelle en vue de faire annuler le contrat d'apports de parts sociales. Par jugement du 24 février 1995, la Chambre Commerciale du Tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné solidairement les défendeurs à verser à Maître Patry, ès qualités d'administrateur de la société EEB la somme de 1 200 000 F en réparation des faits de concurrence déloyale, a débouté les défendeurs de leur demande reconventionnelle, a rejeté la demande de cessation d'activité de EPCM et la demande de publication du jugement et a condamné les défendeurs solidairement aux dépens ainsi qu'au paiement d'une indemnité de procédure de 30 000 F.
La société EPCM et M. Esposito Farèse ont interjeté appel de ce jugement le 2 mars 1995.
Ils demandent à la Cour d'infirmer le jugement entrepris, de constater que la société EEB n'a ni titre, ni intérêt pour agir, de déclarer sa demande irrecevable de l'en débouter, de le condamner à leur payer la somme de 30 000 F au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile pour chacune des instances, de le condamner aux entiers frais et dépens et de dire qu'un extrait de l'arrêt à intervenir sera publié aux frais de EEB dans le journal des dernières Nouvelles d'Alsace.
Ils soutiennent que la société EEB qui devait résulter de la fusion entre la société EPES et celle gérée par Mme Gisèle Ranger n'a aucune existence juridique à défaut de réalisation de la fusion qui avait été convenue, que toutes les autorisations qui avaient été données à l'Ecole EEB, comme résultant de la fusion des deux sociétés ne sont pas valables, que la société EEB ne dispose d'aucune des habilitations nécessaires pour poursuivre son activité et qu'il s'ensuit qu'elle n'a ni qualité, ni titre, ni intérêt à agir en concurrence déloyale.
Sur le fond du litige ils font valoir que la concurrence déloyale n'est pas établie, alors en premier lieu que faute de réalisation de la fusion entre les deux sociétés M. Esposito Farèse était fondé à reprendre ses apports pour créer une autre société, en second lieu que les deux sociétés ne sont pas en situation de concurrence puisque seul M. Esposito Farèse était habilité à conduire les élèves jusqu'au BTS, habilitation que EEB n'avait pas ; en troisième lieu qu'aucune faute personnelle n'est établie à l'encontre de M. Esposito Farèse dès lors que c'est à l'initiative des élèves et des professeurs qu'une grève a été déclenchée à la suite de son licenciement et que c'est à la demande des élèves, de l'association de défense des parents des élèves que la nouvelle société a été créée, pour accueillir les élèves qui désiraient le suivre et les professeurs qu travaillaient avec lui auparavant dans le cadre de la société EPES ;
Enfin, s'agissant du préjudice ils estiment que celui-ci n'est nullement établi alors en premier lieu qu'EEB, qui est une école, ne peut réclamer une indemnisation pour perte de clientèle, en second lieu que les élèves disposaient du libre choix de l'établissement qu'ils souhaitaient fréquenter, en troisième lieu qu'une partie des élèves inscrits dans la nouvelle école était d'anciens élèves d'EPES et que certains étaient en seconde année ; en quatrième lieu que faute de fusion, il était en droit de reprendre son matériel et les contrats et de rembaucher les professeurs, en cinquième lieu que l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire a pour origine un redressement fiscal de plus de 1 million de francs.
La société Ecole Européenne de Beauté conclut au rejet de l'appel, à la confirmation du jugement entrepris, à la condamnation des appelants aux entiers dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 20 000 F et à ce que soit ordonnée en tant que de besoin l'audition de M. Crath, expert comptable ayant évalué les apports.
Elle fait valoir en substance :
- qu'en première instance les parties adverses avaient contesté la matérialité des actes de concurrence déloyale et qu'elles sont irrecevables à soulever l'irrecevabilité de la demande au motif fallacieux qu'elle n'aurait pas d'existence juridique alors qu'il est prouvé qu'elle existe juridiquement depuis 1965, que seule sa dénomination sociale a été modifiée et que les parties avaient opté pour une solution d'apport partiel d'actif à la société Sagima, qui a été réalisée et qui ne peut plus être remise en cause,
- que la société EEB dispose de toutes les habilitations nécessaires pour fonctionner régulièrement et pour faire passer le BTS ainsi que le prouvent les pièces qu'elle verse aux débats,
- que les actes de concurrence déloyale ont bien été caractérisés par le premier juge et qu'il apparaît bien que M. Esposito Farèse a été l'instigateur de tous les mouvements qui ont déstabilisé EEB au moment de son licenciement, qu'il avait déjà entrepris dès cette époque de créer une école concurrente, qu'il a employé des manœuvres déloyales pour recruter les élèves et les professeurs.
- que M. Esposito Farèse et l'EPCM ont crée un dommage irréparable à EEB modestement chiffré à 1 200 000 F en drainant vers la nouvelle école près de 100 élèves soit la moitié des effectifs d'EEB, et en la conduisant ainsi au dépôt de bilan.
Vu le dossier de la procédure, les pièces régulièrement versées au dossier et les mémoires des parties auxquels la Cour se réfère pour plus ample exposé de leurs moyens ;
1) Sur la recevabilité de la demande :
Attendu que les fins de non recevoir peuvent être proposées en tout état de cause et que les appelants sont recevables à se prévaloir pour la première fois en instance d'appel de l'inexistence juridique de la société EEB ;
Attendu que la société EEB ne résulte pas d'une fusion de fait qui n'aurait jamais été réalisée en droit de la société EPES et de la société Ecole Professionnelle de Coiffure d'Esthétique et de Manucure gérée par Mme Gisèle Ranger mais qu'il s'agit d'une société créée en 1965, immatriculée pour la première fois au Registre du Commerce et des sociétés le 11 octobre 1995 sous le nom d'Ecole Professionnelle de Coiffure d'Esthétique et de Manucure ayant changé selon inscription modificative du 1er avril 1992, de dénomination sociale à compter du 3 décembre 1990 pour s'appeler Ecole Européenne de Beauté avec comme nouveau sigle EEB ;
Attendu qu'au lieu de réaliser la fusion qui avait été initialement projetée entre les deux sociétés, il a été procédé en définitive à un apport partiel d'actif dans les conditions mentionnées dans l'exposé des faits, acte juridique dont la validité n'est pas remise en cause et ne peut être remis en cause dans la présente instance en l'absence d'EPES et des autres associés ; Que cet apport partiel d'actif n'a aucune incidence sur l'existence juridique de la société EEB et sur sa qualité et son intérêt pour agir en justice ;
Attendu que le fait que nonobstant cet apport partiel d'actif, le Tribunal de grande instance de Schiltigheim ait, par deux ordonnances du 26 juin 1993 non versées aux débats, pour des motifs qui sont ignorés, ordonné la restitution du matériel à l'EPES dans le cadre semble-t-il, de redressement judiciaire de EEB, et que Maître Gall-Heng, ès qualités d'administrateur provisoire de EPES ait sollicité avec le consentement du repreneur et de Maître Patry, commissaire à l'exécution du plan la restitution de ce même matériel, est sans incidence sur la validité même de l'acte juridique d'apport partiel à la société Sagima qui s'est d'ailleurs opposée à cette demande et sur l'existence juridique de EEB étant au surplus observé qu'un apport partiel d'actif n'entraîne pas, en principe, transmission universelle du patrimoine, sauf en cas de cession ce qui n'est pas le cas en l'espèce, et qu'il est possible que EPES ait mis à la disposition de EEB tout le matériel dont elle disposait en sus de celui transmis ;
Attendu qu'enfin, il n'appartient pas à la juridiction judiciaire de porter une appréciation sur les actes administratifs, et qu'il apparaît au vu des pièces versées aux débats que EEB disposait de toutes les autorisations administratives nécessaires pour fonctionner ; que suite à la paralysie totale du fonctionnement de EEB en décembre 1992, l'autorité préfectorale a essayé de trouver des solutions pour permettre aux élèves de poursuivre leur scolarité (cf lettre du 28 janvier 1993 du Préfet du Bas-Rhin indiquant qu'il avait été soucieux de permettre qu'une solution soit rapidement trouvée et que la scolarité des élèves ne soit pas perturbée plus longtemps et qu'il avait, de ce fait, autorisé EEB à fonctionner sans interruption, les dossiers d'autorisation de diriger ou d'enseigner de la nouvelle équipe pédagogique ayant été déposés), que le Préfet du Bas-Rhin a aussi délivré à M. Lecochennec le 29 janvier 1993 l'autorisation de diriger l'Ecole Européenne de Beauté et à M. Esposito Farèse le 5 février 1993 d'ouvrir et de diriger l'Ecole Privée des Carrières de la Mode ; qu'enfin, selon lettre du 6 juin 1996 du Préfet du Bas Rhin, il est indiqué que l'Ecole Européenne de Beauté dispose de toutes les autorisations nécessaires et que les autorisations d'ouverture, de direction et d'enseignement sont de simples titres nominatifs, délivrés à un moment donné pour un établissement précis et une personne précise ;
Attendu que, si toutes les autorisations administratives ont été données au départ selon le libellé de ces actes pour une école EEB née de la fusion de l'Ecole privée de coiffure, d'esthétique et de manucure de Schiltigheim avec l'Ecole Privée d'Esthétique de Strasbourg c'est sur la base des renseignements fournis par Mme Gisèle Ranger et M. Esposito Farèse qui avaient annoncé dès la rentrée 1991 la fusion de ces deux écoles ;
Que M. Esposito Farèse qui n'a pas attaqué toutes les autorisations qui ont été accordées, sur la base de renseignements qu'il a lui-même fournis, ne peut désormais se prévaloir de l'irrégularité de fonctionnement d'EEB dont il a été l'un des directeurs avant d'être licencié ;
Attendu que, dès lors, tous les moyens et arguments développés concernant les autorisations de fonctionnement, les habilitations des professeurs, les conventions de fonctionnement d'EEB, sont dénués de pertinence et doivent être rejetés ;
Attendu que la fin de non recevoir doit être rejetée ;
2) Sur le fond :
a) Sur les actes de concurrence déloyale ;
Attendu que les sociétés EEB et EPCM, sont des sociétés commerciales inscrites au Registre du Commerce et exercent bien toutes les deux une activité concurrente, à savoir la formation professionnelle des élèves notamment aux professions de coiffeuse, esthéticienne, cosméticienne ;
Attendu qu'à la suite du licenciement de M. Esposito Farèse, à l'annonce prématurée de ce licenciement par lettre du 2 décembre 1992 de Mme Gisèle Ranger indiquant d'ores et déjà son remplacement par M. Lecochonner, et au passage de M. Esposito Farèse dans les classes pour adresser ses adieux à ses élèves, une partie des élèves de BTS Esthétique qui avaient commencé leurs études à l'EPES, ont engagé un mouvement de grève qui a été relayé et amplifié par une partie des professeurs, notamment ceux qui avaient été employés par l'EPES et surtout Mme Madeleine Stephanny, soeur de M. Esposito Farèse et associé de l'EPES ;
Attendu que, s'il n'est pas établi que M. Esposito Farèse a été l'instigateur direct de ce mouvement qui a totalement désorganisé EEB pendant une grande partie du mois de 1992, et provoqué l'émoi des élèves et des parents d'élèves qui ne savaient pas ce qu'allait devenir l'école et comment la scolarité allait se poursuivre, il apparaît toutefois que tout en étant encore lié par son contrat de travail, il a de concert, avec Mme Madeleine Stephanny, Mme Henrion, Mme Hartmann également liés à EEB pour un contrat de travail, contribué au mouvement de déstabilisation d'EEB, en effectuant pendant ce temps toutes les démarches nécessaires à la création de la société EPCM concurrente d'EEB ;
Attendu qu'il convient en effet, de relever qu'il avait effectué toutes les démarches pour trouver de nouveaux locaux, rédiger les statuts, concevoir le logo de EPCM de manière à ce que la nouvelle société puisse fonctionner dès le début janvier 1993 ;
Attendu que fort de l'assurance qu'une nouvelle société allait être créée le mouvement de grève qui a été d'ailleurs jugé illégal par le Conseil des Prud'hommes a pu prospérer, les élèves et les professeurs en grève sachant qu'ils pourraient respectivement poursuivre leur formation et être engagés par la nouvelle société ;
Attendu qu'en effet par lettre du 15 décembre 1992 les professeurs en grève ont adressé aux élèves et aux parents une lettre libellée comme suit " Si vous souhaitez avoir notre opinion sur ce qui se passe à l'Ecole Européenne de Beauté contactez-nous au 88 29 04 23 pour tout renseignement nous vous convions à une réunion le vendredi 18 décembre à 18 heures " ;
Que ce numéro de téléphone qui était celui de Mme Esposito Farèse mère, et que, selon l'attestation de Mme Maurer, parent d'élève, qui a appelé ce numéro, Mme Madeleine Stephanny lui a expliqué que l'école de coiffure allait fermer à la rentrée, qu'une nouvelle école ouvrirait le 13 janvier 1993 dans des locaux neufs avec le matériel neuf et a promis de lui adresser un compte rendu de la réunion du 18 décembre 1992.
Que selon ce témoin, elle a rappelé ce numéro à la rentrée et que Mme Esposito Farèse mère lui a confirmé que la nouvelle école ouvrait le 12 janvier 1993 qu'il fallait verser 1 500 F de promesse d'engagement d'inscription et sur la question de savoir si M. Esposito Farèse allait diriger l'école, son interlocutrice lui a répondu que celui-ci ne pouvait agir étant donné qu'il était en préavis ;
Attendu que, par ailleurs par le biais de l'association de défense des parents d'élèves de l'EEB, M. Esposito Farèse et son ancienne équipe ont fait informer les parents et les élèves qu'une nouvelle structure allait poursuivre les cours, que pour que le projet soit viable il était nécessaire de rassembler un nombre suffisant d'élèves, que plus d'une cinquantaine de parents avaient donné leur accord et adressaient des engagements d'inscription à retourner à EPCM domicilié chez Action Formation 1, Place Porte Blanche avec un chèque de 1 500 F à valoir sur la formation ;
Que le 4 janvier 1993, l'association informait les parents qu'une réunion d'information aurait lieu le 8 janvier 1993 à 18 heures en vue d'obtenir des renseignements sur la nouvelle école (conditions de fonctionnement, statuts locaux, reprise de la scolarité) en présence de l'équipe pédagogique ;
Que l'attestation de Mlle Mattern souligne que lors de cette réunion, à laquelle participait une cinquantaine de personnes, le public avait été accueilli par M. Esposito Farèse qui était entouré de Mme Madeleine Stephanny, de Mme Esposito Farèse son épouse, de Mme Hartmann (professeurs grévistes), qu'il a donné des renseignements sur la nouvelle école, la composition de l'équipe pédagogique (Mme Madeleine Stephanny, Mme Petit, Mlle Meyer, Mme Hartmann, Mme Bruniaux, M. Henrion, Mme Tona tous professeurs grévistes), que la réunion s'était poursuivie par des dénigrements de l'EEB et de Mlle Granger (bâtiments d'EEB en vente, illégalité du fonctionnement d'EEB) et qu'enfin M. Esposito Farèse avait proposé aux élèves majeurs de verser une somme de 50 F et de signer un engagement d'inscription et pour les virements, de verser 100 F ;
Attendu qu'au vu de ces éléments qui sont encore corroborés par d'autres attestations démontrant des pressions exercées sur les élèves pour qu'ils s'inscrivent à la nouvelle école, il apparaît que c'est à juste titre que le premier juge a relevé que M. Esposito Farèse avait commis des actes de concurrence déloyale ;
Attendu qu'en effet, en ayant exploité ou fait exploiter son licenciement pour semer le trouble chez les parents d'élèves et les élèves sur la poursuite de leur scolarité, en profitant de l'émoi ainsi créé pour entreprendre les formalités nécessaires à la création d'une école concurrente, en organisant ou faisant organiser des réunions en vue d'accréditer l'idée que l'EEB ne remplissait plus les conditions pour remplir sa mission et essayer de capter le maximum d'élèves dans la nouvelle structure qu'il créait, M. Esposito Farèse qui était encore lié à son employeur par un contrat de travail et qui au surplus était associé dans le holding disposant de la très grande majorité du capital social d'EEB a bien commis des actes de concurrence déloyale ;
Attendu que la société EPCM, a repris les engagements antérieurs à la signature des statuts contractés par M. Esposito Farèse et Mme Madeleine Stephanny, en toute connaissance de leur statut de salarié de EEB, qu'elle a procédé immédiatement à l'embauche de plusieurs professeurs de EEB qui étaient encore salariés chez EEB ; qu'elle a procédé à l'inscription des élèves venant de EEB à des conditions d'inscription extrêmement favorables et en accordant de larges délais de paiement pour les frais de scolarité ;
Attendu que la concurrence déloyale est également établie à son encontre ;
Attendu qu'en effet si les élèves et les parents d'élèves son entièrement libres de choisir l'établissement d'enseignement, il n'apparaît pas que dans le contexte décrit ci-dessus, ils aient pu exercer en toute liberté ce choix, alors que le climat qui a été créé, les manœuvres qui ont été employées, pouvaient leur laisser croire que leur scolarité serait perdue et que c'est grâce à ces moyens déloyaux et à différentes pressions qu'une grande partie d'entre eux a décidé de s'inscrire ou de faire inscrire les élèves dans la nouvelle école;
Que de plus, il ne peut être soutenu que EPCM avait le droit de reprendre les apports qu'elle avait faits à EEB alors que ces apports n'émanaient pas de EPCM mais de EPES et que ceux-ci n'avaient pas été faits à Esposito Farèse EEB mais à Sagima ;
Que si, comme ils le soutiennent les appelants estimaient que EEB n'avait pas respecté ses engagements et que l'apport des parts sociales de EPCS n'était pas valable, faute de conclusion d'un acte de fusion, il aurait appartenu à M. Esposito Farèse et aux associés de prendre les mesures juridiques nécessaires pour faire annuler l'acte d'apport et de refaire démarrer l'EPES avec son personnel, ses élèves et ses moyens en matériel ;
Attendu que le fait que EBB, qui savait qu'une nouvelle société était en cours de constitution, que les professeurs grévistes dont ceux membres de la famille de M. Esposito Farèse allaient être embauchés par la nouvelle école, ait, afin de permettre la poursuite de la scolarité, procédé au recrutement de nouveaux professeurs pour le 4 janvier 1993, jour de la rentrée, est sans incidence, alors que ces professerus qui se considéraient toujours comme salariés d'EEB ont intenté contre EEB des procédures pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, que leur contrat n'avait pas été rompu par l'employeur et que le Conseil de Prud'hommes qui les a déboutés par jugement du 7 avril 1994 de leur demande a considéré qu'ils avaient eux-mêmes rompu le contrat de travail pour se mettre au service de l'entreprise concurrente en formation ;
b) Sur le préjudice :
Attendu qu'en première instance EEB avait évalué son préjudice à 1 500 000 F en faisant valoir que 84 élèves liés à elle par un contrat avait rejoint EPCM ; qu'elle avait subi de ce fait sur 7 mois de l'année scolaire entre décembre 1992 et juin 1993 sur la base de 1 300 F par mois une perte de chiffre d'affaires de 764 400 F ; que dans la mesure où ces élèves qui devaient poursuivre une deuxième année de scolarité à EEB ne l'ont pas fait la perte du chiffre d'affaires peut être évaluée au minimum à 1 500 000 F ;
Que de plus son activité avait été perturbée, sa réputation salie, et qu'elle avait ainsi subi un trouble commercial ;
Attendu qu'après avoir retenu que EEB avait effectivement perdu pour l'année en cours les frais d'inscription des élèves et ceux relatifs à la deuxième année d'inscription le tribunal a estimé au vu des pièces produites, sans autre justification, que le montant du préjudice devait être évalué à 1 200 000 F ;
Attendu que EEB souligne en appel que cette estimation doit être confirmée en relevant en outre que les actes de concurrence déloyale ont été à l'origine de sa mise en redressement judiciaire ;
Attendu qu'il convient de rappeler qu'il appartient à EEB de justifier le préjudice qu'elle invoque ;
Qu'il est paradoxal que dans cette procédure poursuivie par les organes de la procédure collective de EEB, ne soit produit aucun rapport de l'administrateur permettant de faire connaître à la Cour les causes de l'ouverture d'une procédure collective à l'encontre de EEB .
Qu'il n'est nullement établi que les actes commis fin 1992, début 1993 seraient à l'origine du dépôt de bilan de EEB et de l'ouverture de la procédure collective en 1994, alors qu'il résulte d'un courrier du 4 juillet 1992 de Mme Ranger qu'il existait un redressement fiscal et un litige social qui n'avaient pas été portés à la connaissance de M. Esposito Farèse et qui avait motivé de sa part une réclamation dont le contenu n'est d'ailleurs pas connu ;
Attendu que par ailleurs s'il est exact que 84 élèves ont rejoint l'EPCM, il apparaît qu'un grand nombre d'entre eux provenaient de l'EPES et se trouvaient en deuxième année de formation, de sorte qu'il ne peut être allégué par celle-ci d'une perte du chiffre d'affaires sur deux années ; que de plus, le préjudice subi ne correspond pas à la perte du chiffre d'affaires mais à la perte des bénéfices que EEB aurait pu réaliser dans les actes de concurrence déloyales ;
Attendu que EEB a réalisé au titre de l'exercice clos au 31 août 1990 un chiffre d'affaires de 3 413 314 F, et du 31 août 1990 1991 un chiffre d'affaires de 2 479 674 F, avec respectivement des résultats de 373 035 F et 234 103 F ;
Que du fait de l'apport effectué par EPES, qui réalisait un chiffre d'affaires moyen de l'ordre de 650 000 F (628 048 F au 31 décembre 1988, 654 468 F au 31 décembre 1989, 691 839 F au 31 décembre 1990) et de 451 464 F jusqu'au 31 août 1991, il peut être admis que le chiffre d'affaires réalisé par EEB en 1992 correspondait à celui qu'elle réalisait auparavant augmenté de celui de EPES soit environ 4 millions de francs ;
Attendu qu'en retenant la perte du chiffre d'affaires liée au départ de 84 élèves évaluée non pas à partir du mois de décembre 1992 mais à partir du mois de janvier 1993 et en tenant compte des chiffres d'affaires d'EEB qui doivent être admis, le montant de cette perte s'élève à 1 300 F x 6 x 84 = 655 200 F ;
Que, compte tenu du taux de marge de 10, 9 % réalisé, la perte du résultat s'élève dont à 71 416 F pour l'année 1993 arrondi à 71 500 F ;
Qu'il est possible d'admettre que la moitié des élèves se trouvait en première année en sorte de la perte du chiffre d'affaires subie au titre de l'année scolaire 1994 s'élève à 1 300 F x 9 x 42 = 53 562 F arrondi à 53 500 F ;
Attendu qu'en outre EEB a incontestablement subi un préjudice commercial et moral pour atteinte à sa réputation qui doit être évalué à 75 000 F ;
Attendu que le préjudice subi par EEB s'élève donc à 71 500 F + 53 500 F = 200 000 F ;
Attendu que EEB ne justifie pas d'un préjudice supérieur à celui retenu ci-dessus, qu'en tous cas, elle ne verse aux débats aucun élément permettant de l'évaluer à un montant supérieur ;
Attendu que cette somme portera intérêt au taux légal à compter du jugement de première instance dans la mesure où le principe de l'indemnisation est confirmé même si le montant de l'indemnité a été réduit ;
Attendu que, compte tenu du caractère excessif de la demande, de la réformation conséquente de la décision de première instance il y a lieu de faire masse des frais et dépens de première instance et d'appel et de les faire supporter pour 3/4 in solidum par M. Esposito Farèse et EPCM et pour 1/3 par EEB, lesquels seront employés en frais privilégiés de la procédure collective ;
Attendu que toutefois cette procédure ayant été rendu nécessaire par les agissements des appelants et défendeurs, il serait inéquitable de laisser à la charge des intimés les frais irrépétibles de première instance et d'appel pour un montant de 15 000 F pour chacune des instances.
Par ces motifs, LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement, après en avoir délibéré, Déclare les appels réguliers et recevables en la forme, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles relatives, au montant de la condamnation et aux dépens et indemnité de procédure, Statuant à nouveau dans cette mesure : Condamne in solidum M. Esposito Farèse et la SARL Ecole Privée des Carrières de la mode (EPCM) à payer à Maître Patry, ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de la SARL EBB la somme de 200 000 F (deux cent mille francs) avec les intérêts au taux légal à compter du 24 février 1995, Fait masse des dépens de première instance et d'appel et dit qu'ils seront supportés in solidum pour M. Esposito Farèse et la SARL EPCM à concurrence de 2/3 et pour la SARL EEB à concurrence d'1/3, Dit que les dépens mis à la charge de la SARL EEB seront employés en frais privilégiés de la procédure collective, Condamne M. Esposito Farèse et la SARL EPCM in solidum à payer à la demanderesse et intimée la somme de 15 000 F (quinze mille francs) au titre de l'article 700 du nouveau Code de Procédure Civile pour chacune des instances.