CA Nîmes, 2e ch. B, 16 janvier 1997, n° 95-5189
NÎMES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Bernard Curi Automobiles (Sté)
Défendeur :
Nissan France (SA), ML Interserv (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Martin
Conseillers :
M. Bestagno, Mme Miquel-Pribile
Avoués :
SCP Guizard, SCP Fontaine Macaluso-Jullien
Avocats :
Mes Guenoun, Reynaud.
Faits procédure et prétentions des parties :
La Société Richard Nissan soutenant qu'elle bénéficiait d'un contrat d'importation exclusif sur le territoire français de véhicules Nissan a reproché à la Société Bernard Curi Automobiles, revendeur de véhicules Nissan, des agissements constitutifs de concurrence déloyale et l'a fait assigner en paiement de dommages-intérêts devant le tribunal de commerce d'Avignon.
La Société Bernard Curi Automobiles a fait appeler en cause son vendeur la Société ML Interserv importateur de véhicules.
Par jugement en date du 18 août 1995, le tribunal de commerce d'Avignon ;
- a rejeté les fins de non-recevoir soulevées par la Société Bernard Curi Automobiles,
- a dit que la Société Bernard Curi Automobiles avait effectué des actes de concurrence déloyale,
- l'a condamnée à payer à la Société Richard Nissan la somme de 100 000 F à titre de dommages et intérêts et la somme de 5 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ,
- a dit n'y avoir lieu à ordonner la publication et l'exécution provisoire du jugement,
- a condamné la Société Bernard Curi Automobiles aux entiers dépens,
- a rejeté l'appel en garantie formée par la Société Bernard Curi Automobiles à l'encontre de la Société ML Interserv,
- a condamné la Société Bernard Curi Automobiles à payer à cette Société 5 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
La Société Bernard Curi Automobiles a régulièrement relevé appel de ce jugement par acte du 18 octobre 1995.
Par conclusions du 6 février 1996, la Société Bernard Curi Automobiles demande à la Cour :
- de déclarer son appel recevable et fondé,
- de dire qu'il ne peut lui être fait grief d'actes de concurrence déloyale,
- de débouter la Société Richard Nissan de ses demandes,
- de condamner ladite Société à lui payer 50 000 F de dommages et intérêts pour procédure abusive et 15 000 F au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- a titre subsidiaire de condamner la Société M. Interserv à relever et garantir la Société Bernard Curi Automobiles de toutes condamnations prononcées à son encontre.
La Société Bernard Curi Automobiles fait valoir les arguments suivants :
- la Société Nissan Motor a racheté la Société Richard Nissan et n'a plus qualité ou intérêt à agir étant fabricant et distributeur ;
- la Société Richard Nissan doit s'en prendre à sa maison mère la Société Nissan Europe et n'a pas qualité pour agir, en l'espèce,
- il appartient à la SARL Claude Danse concessionnaire d'agir en responsabilité contractuelle contre la Société Richard Nissan,
- la Société Bernard Curi Automobiles achète auprès de la Société ML Interserv des véhicules d'occasion immatriculés en général en Belgique et les commercialise comme tel,
- le seul fait de vendre des véhicules relevant d'un réseau de distribution sélective ne constitue pas une concurrence déloyale,
- la Société Bernard Curi Automobiles est par ailleurs en droit de s'affirmer importateur de véhicules car elle distribue d'autres marques que Nissan.
La Société Nissan France venant aux droits de la Société Richard Nissan par conclusions du 11 avril 1996 demande à la Cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce d'Avignon en ce qu'il a condamné la Société Bernard Curi Automobiles en paiement d'une somme de 100 000 F, à titre de dommages et intérêts ainsi qu'au paiement d'une somme de 5 000 F en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- y ajoutant,
- condamner la Société Bernard Curi Automobiles en paiement d'une somme de 10 000 F en application des dispositions de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile,
- réformant partiellement le jugement,
- ordonner la publication de la décision à intervenir dans les journaux suivants :
- le 84,
- L'Auto Journal,
- L'Auto Verte,
- L'Automobiles,
- débouter la Société Bernard Curi Automobiles en ses demandes en toutes fins qu'elles comportent.
Elle fait valoir :
- qu'elle a qualité à agir étant importatrice en France de véhicules Nissan distribués par l'intermédiaire d'un réseau de concessionnaires,
- que le tribunal de commerce d'Avignon a jugé à bon droit que la Société Bernard Curi Automobiles s'était rendue coupable de concurrence déloyale en faisant diffuser des publicités ne mentionnant pas que les véhicules proposés à la vente étaient des véhicules d'occasion, et en n'indiquant pas que le garage Curi agissait en qualité d'intermédiaire prestataire de services, ce qui ne pouvait que produire une confusion dans l'esprit des consommateurs ;
- que le préjudice ainsi causé par l'évident détournement de clientèle et l'atteinte à l'image de marque de la Société Nissan a été justement estimé par le tribunal à 100 000 F,
- qu'il est par contre nécessaire d'accueillir la demande de publication de la décision à tort refusée par le tribunal.
Par conclusions additionnelles du 14 mai 1996, la Société Bernard Curi Automobiles a sollicité le bénéfice de ses précédentes écritures en précisant ceci :
- le tribunal de commerce a retenu que la Société Nissan avait intérêts à agir en sa qualité d'importateur et distributeur de véhicules Nissan par un réseau de concessionnaire autorisé par la législation européenne,
toutefois il résulte d'un arrêt du 15 février 1996 de la Cour de Justice des Communautés Européennes que l'activité de revendeur non agréé, ni mandaté de véhicules importés neufs ou d'occasion n'est pas contraire à la législation européenne,
- la Société Nissan n'a donc plus qualité à agir et le fait pour la Société Bernard Curi Automobiles de proposer à la vente des véhicules Nissan régulièrement importés en France ne constitue pas un acte de concurrence déloyale,
- la Société Bernard Curi Automobiles suite à l'action engagée à son encontre a cessé de commercialiser lesdits véhicules et subit un préjudice commercial qui doit être réparé.
La Société Nissan France par conclusions du 27 août 1996 a sollicité le bénéfice de ses écritures antérieures.
Elle indique notamment :
- que l'arrêt invoqué par l'appelante est sans portée sur le litige soumis à la Cour qui porte sur le contenu des publicités de la Société Bernard Curi Automobiles et non sur sa qualité de revendeur.
La Société ML Interserv assignée par acte du 3 avril 1996 à la personne de son directeur, Monsieur Louis Corlay, habilité à recevoir l'acte, ne comparait pas.
Le présent arrêt sera réputé contradictoire.
Motifs :
Sur la qualité et l'intérêt à agir de la Société Nissan France :
Il résulte des pièces produites que la Société Nissan France venant aux droits de la Société Richard Nissan est importatrice agréée pour la France des véhicules Nissan, qu'elle a l'exclusivité de leur distribution par un réseau de concessionnaire ; qu'elle bénéficie de l'exemption accordée par l'article 1er du règlement 123-85 de la Commission des Communautés Européennes du 12 décembre 1984 ; que parmi ses concessionnaires se trouvent les Etablissements Claude Danse à Avignon où la Société Bernard Curi Automobiles exerce son activité de revendeur de véhicules automobiles et notamment de véhicules de marque Nissan.
La Société Nissan France établit en l'état de ces éléments avoir qualité et intérêts à agir contre la Société Bernard Curi Automobiles pour assurer le respect des conditions loyales de commercialisation des véhicules Nissan.
Sur la concurrence déloyale :
Le litige soumis à la Cour a pour objet le contenu des publicités de la Société Bernard Curi Automobiles et non sa qualité de revendeur.
Dans ces conditions l'argumentation de l'appelante formée sur l'arrêt du 15 février 1996 de la Cour Européenne de Justice et la légitimité de son activité au regard de la législation européenne est sans intérêt pour le présent litige.
Les factures produites font apparaître que la Société Bernard Curi Automobiles commercialise des véhicules Nissan d'occasion importés qu'elle acquiert auprès de la Société ML Interserv.
La Société Bernard Curi Automobiles est en droit d'exercer cette activité mais doit respecter les règles et usages du commerce relatifs à la loyauté de la concurrence.
Il résulte des pièces produites que :
- la Société Bernard Curi Automobiles a publié dans le journal " Le 84 " n° 934 du 02 au 08 avril 1990 une publicité sous le titre " Spécial 4 X 4 ".
" Bernard Curi - Importateur de toutes marques de 4 X 4 - 90.85.32.22 "
et dessous figurent les photographies des différents véhicules et notamment celle du véhicule de type Nissan Patrol GR ;
- une seconde publicité a été effectuée portant la photo d'un véhicule 4 X 4 Nissan Patrol GR avec ses caractéristiques et la mention " disponible de suite " et le numéro de téléphone " 90.85.32.22 " ;
- il résulte en outre d'un constat de Maître Chamary huissier de justice à Avignon en date du 29 mars 1990 qu'un véhicule Nissan de type Patrol GR de couleur rouge est exposé dans la galerie marchande du centre commercial CAP SUD ;
- sur le pare-brise, une affiche indique " Bernard Curi Automobiles - 4 boulevard Stuart Mill - Avignon - Patrol GR 1990 - 5 places - garantie 3 ans - Prix sans option 185.000 F " ;
- le 27 septembre 1990, Maître Domenget-Colin huissier à L'Isle Sur Sorgue a constaté la présence dans le cadre de la Foire de L'Isle Sur Sorgue de deux véhicules de marque Nissan de type Patrol en exposition ;
- sur un des pare-brise, l'huissier note la présence d'une carte au nom de Bernard Curi Automobiles, siège social 4 Boulevard Stuart Mill, 84000 Avignon.
La lecture de ces publicités fait apparaître qu'à aucun moment la Société Bernard Curi Automobiles n'indique que les véhicules proposés à la vente sont des véhicules d'occasion, à aucun moment elle ne fait état de sa qualité de revendeur distincte de celle de mandataire ou de concessionnaire.
Par leur laconisme, ces publicités sont de nature à induire en erreur sur les conditions et procédés de vente, sur la portée des engagements pris par l'annonceur et sur ses qualités et aptitudes.
La Société Nissan France importateur et distributeur des véhicules Nissan par un réseau de concessionnaires spécialisés et qualifiés est ainsi en droit de reprocher à la Société Bernard Curi Automobiles des agissements parasitaires déloyaux car ces publicités dans lesquelles il n'est pas fait mention qu'il s'agit de véhicules d'occasion ni que le garage Curi agit en qualité de simple revendeur, ne peuvent que produire une confusion dans l'esprit des consommateurs.
Or les consommateurs qui s'adressent à la Société Bernard Curi Automobiles, nécessairement attirés par cette publicité, pour l'achat d'un véhicules Nissan, ne bénéficient pas des services spécialisés des concessionnaires et leur déception se reporte sur la marque.
Les premiers Juges ont ainsi à bon droit retenu que par de tels agissements la Société Bernard Curi Automobiles s'était rendue coupable d'actes de concurrence déloyale dont elle devait supporter les conséquences.
Sur le préjudice de la Société Nissan France :
Les premiers Juges ont justement évalué à 100 000 F le préjudice de la Société Nissan France consistant dans le nécessaire détournement de clientèle et l'atteinte à l'image de marque de la Société Nissan France.
Sur la demande de publication de la décision :
Le préjudice de la Société Nissan France est suffisamment réparé par l'allocation des dommages et intérêts susdits ; il est donc justifié de débouter la Société Nissan France de sa demande de publication de la décision.
Sur les demandes de la Société Curi en dommages et intérêts et à l'encontre de la Société ML Interserv :
La Société Curi n'établit aucune faute de la Société Nissan France dont l'action à son encontre est jugée fondée.
Elle doit être déboutée de sa demande en dommages et intérêts.
La Société Curi est condamnée en raison d'agissements de concurrence déloyale commis par elle, qui ne sont pas imputables à son fournisseur, la Société ML Interserv.
L'appel en garantie formé contre la Société ML Interserv doit donc être rejeté.
Les condamnations prononcées en première instance contre la Société Curi aux dépens et au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile sont justifiées dans leur principe et leur montant.
En outre, la Société Curi qui succombe en cause d'appel doit être condamnée aux dépens d'appel et à payer 5 000 F à la Société Nissan France au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile.
Par ces motifs, LA COUR : Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, en matière commerciale et en dernier ressort ; En la forme, reçoit l'appel ; Au fond, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Déboute la Société Bernard Curi Automobiles de ses demandes ; Déboute la Société Nissan France de sa demande de publication de la décision ; Condamne la Société Bernard Curi Automobiles aux dépens et à payer 5 000 F à la Société Nissan France au titre de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile ; Autorise la SCP Guizard, avoués, à recouvrer directement ceux des dépens dont elle a fait l'avance sans recevoir provision.